22 - avec quels moyens ?
Il existe différents moyens macro-économiques
permettant de réduire les émissions de CO2. Si l'on occulte les
limites administratives et les normes, qui ne sont pas suffisamment flexibles,
et les labels qui ne sont pas très sûrs, les seules solutions
vraiment concurrentes sont les taxes et les PEN ou Permis d'Emission
Négociables, qui ont chacun leur légitimité, leurs effets
pervers et leurs champs d'application privilégiés. Le choix entre
ces deux outils (il n'est pas non plus exclu de les combiner) est au coeur des
négociations engagées à partir du protocole de Kyoto. Le
principe des taxes, qu'elles portent sur l'énergie ou directement sur
les émissions (ce qui demande de mettre en place un dispositif de mesure
systématique et précis), est simple : il s'agit d'inciter les
unités de production à réduire leurs émissions en
pénalisant ces dernières. Le principe des permis
d'émissions est moins connu : il s'agit de titres échangeables
sur le marché, comme des actions, qui confèrent à leur
détenteur un <<droit à polluer». Le volume de titres
étant contrôlé par les autorités, le système
permet de fixer précisément la quantité
d'émissions. De plus, sa grande flexibilité permet de minimiser
les coûts de la réduction des émissions de CO2 : il permet
en effet de réduire d'abord les émissions là où les
coûts marginaux de réduction sont les plus faibles. Ainsi, si l'on
est en présence de deux entreprises qui émettent toutes deux des
quantités égales de CO2, mais dont les coûts marginaux de
réduction diffèrent d'un facteur 10, et que l'on veut
réduire les émissions de moitié, il vaut mieux que les
entreprises s'entendent pour que l'une ne réduise ses émissions
que de 10 % et l'autre de 90 % : elles seront toutes les deux gagnantes puisque
l'une évite une réduction d'émission très
coûteuse, et l'autre réalise un profit en vendant 40 % de ses
<<droits à polluer». Dans ce genre de cas très
favorable, l'économie globale peut être très importante. Le
marché a naturellement optimisé la répartition de
l'effort, alors que si une quelconque autorité avait voulu le faire en
assignant des objectifs de réduction différents au cas par cas,
cela aurait nécessité une enquête préalable et
beaucoup de réflexion : ce n'est pas envisageable à
l'échelle nationale, et encore moins internationale. La principale
différence entre taxes et permis d'émission tient à ce
que, avec les premières, l'Etat prélève de l'argent,
12 la valeur d'option est associée à la
possibilité de reconsidérer plus tard une décision et
traduit l'intérêt de privilégier la prudence à court
terme
et pas avec les seconds, à condition toutefois que les
permis soit initialement distribués gratuitement aux entreprises au
prorata de leurs émissions passées, et non vendus aux
enchères.
Ces deux systèmes économiques ont
déjà été expérimentés au niveau
national pour résoudre un problème analogue à celui de la
réduction des émissions de CO2 : la réduction des
émissions d'oxyde de soufre SO2, responsables des pluies acides. A la
suite de la première conférence des nations unies sur
l'environnement, la Suède envisagea de mettre en place une taxe sur ces
émissions. Cette mesure ne fut effectivement adoptée qu'en 1988
et s'accompagna d'une baisse de l'impôt sur le revenu des personnes
physiques, afin que la part des prélèvements obligatoires dans le
PNB ne fût pas modifiée. Cette écotaxe était
réellement incitative puisqu'elle s'élevait à 30000 francs
par tonne de SO2 émise. Une taxe sur les émissions de CO2 fut
également adoptée, mais elle était peu significative et
avait essentiellement valeur d'exemple. Le fait est que la taxe sur le SO2
permit de ramener les émissions à un niveau raisonnable, bien que
légèrement en dessous des espérances. De leur
côté, les Etats-Unis, fidèles à leur tradition
libérale, ont mis en place en 1990 un marché de permis
d'émission de SO2 destinés aux centrales électriques
consommant des combustibles fossiles, afin de respecter les dispositions du
Clean Air Act (40% de réduction des émissions.) La loi de 1990
précise que « les permis alloués [...] peuvent être
transférés entre opérateurs des installations polluantes
et toutes les personnes qui se trouvent en posséder, ou qui souhaitent
en acquérir. L'administrateur de L'Environmental Protection Agency doit
mettre en place un système pour émettre et enregistrer les permis
et pour recenser les transactions ; il prendra les dispositions
nécessaires à un fonctionnement ordonné et concurrentiel
du système. >> Elle prévoit une phase I (1995-1999) au
cours de laquelle seules les centrales les plus puissantes et les plus
polluantes sont impliquées. Au cours de la phase II (2000-2009), toutes
les centrales le sont, et les émissions doivent être
ramenées à la moitié de ce qu'elles étaient en
1980, soit 9 millions de tonnes par an. Une centrale électrique a donc
le choix entre l'adoption de solutions techniques (installation de filtres ou
substitution de charbon à basse teneur en soufre au charbon habituel)
pour réduire ses émissions et l'achat de permis. Craignant une
inflation des prix du charbon et des permis, les entrepreneurs ont massivement
investi dans les filtres ou passé des contrats d'achat de charbon «
propre >> à long terme. Leurs anticipations étant trop
pessimistes, le prix des permis a rapidement chuté de 250 à 100
dollars en 1995. Une fois stable, le marché a parfaitement
fonctionné. Quant à la répartition initiale des permis,
elle a fait l'objet d'une loi, afin de lui assurer une bonne
sécurité juridique. Les permis ont été
attribués selon la moyenne des consommations entre 1985 et 1987.
Notons
toutefois que les expériences suédoises et
américaines ne sont peut-être pas directement transposables
à la réduction des émissions de CO2, dans la mesure
où il n'existe pas de solutions techniques aussi simples dans ce cas que
dans celui du dioxyde de soufre, en particulier il n'existe pas de réel
produit de substitution aux hydrocarbures, car la production d'énergie
nucléaire émet presque autant de gaz à effet de serre que
le gaz naturel dans une centrale de dernière génération
(une centrale nucléaire ne rejette que de l'eau mais c'est le bilan de
la filière nucléaire entière, de l'extraction au stockage,
qu'il faut considérer) ; les faibles gains d'émissions dus au
nucléaire ne pèsent pas lourds face aux risques majeurs qu'induit
cette technologie.
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