32 - Analyse personnelle
Le problème majeur et la limite de toutes les approches
économiques des problèmes environnementaux est qu'elles
négligent le caractère d'irréversibilité de
certaines dégradations environnementales. Cette
irréversibilité ne permet pas d'estimer la << valeur des
dégâts » ou le préjudice pour l'humanité, qui
sont intrinsèquement non quantifiables. Il n'est donc pas question de
cautionner une analyse micro-économique telle que celle de
l'économiste Martin Weitzman. Si l'idée de << droit
à polluer », qu'il soit explicitement reconnu par
l'intermédiaire de permis ou implicitement par l'existence d'une
écotaxe, est assez choquante en elle-même, celle que la Terre soit
la propriété des entreprises qui en dispose à leur guise
l'est encore plus. Il me semble qu'il y a des domaines où les risques
sont tels qu'il n'y a pas d'analyse coût-bénéfice qui
tienne. Seuls les problèmes sociaux graves me semblent pouvoir peser
contre une réduction massive des émissions de polluants. Il n'est
pas question, par exemple, de transformer l'Afrique en musée d'artisanat
pour réparer les erreurs
des pays industrialisés. C'est parce qu'il ne faut pas
se priver de solutions futures à la famine et à la malnutrition
qu'il ne serait pas non plus bon d'interdire définitivement les OGM :
leur bénéfice pour le Tiers-Monde sera peut-être important.
Toutefois, pour décider s'il est légitime de prendre un risque,
il faudrait le faire étudier systématiquement, au frais des
industriels, mais sous le contrôle d'organismes indépendants. Il
est en effet étonnant de voir, par exemple, qu'aucune étude
sérieuse n'a jamais été effectuée pour
déterminer l'impact sur les écosystèmes des rejets de
saumure chaude et concentrée par les usines de dessalement de l'eau qui
se succèdent sur les côtes du Golfe Persique. Il serait bon de
faire plus de prévention et moins de << rafistolage >> en
matière d'environnement.
Pour en revenir aux droits d'émission, on peut se
demander s'ils sont compatibles avec la libre-concurrence, dans la mesure
où ils introduisent une barrière à l'entrée des
marchés : les entreprises qui se créent ont des prix de revient
beaucoup plus élevés que les entreprises qui ont reçu des
permis gratuits, même si elles peuvent avoir les mêmes coûts
marginaux. D'autre part, il est malaisé de procéder à la
répartition initiale de tels permis, et même une
répartition par tête ne serait pas équitable : sachant que
le tiers des émissions de CO2 est du au chauffage, doit-on accorder des
PEN supplémentaires aux pays froids ? Ensuite, si les permis permette de
réduire globalement la pollution, ce n'est pas pour autant une solution
satisfaisante, dans la mesure où ce système aurait pour
conséquence une répartition non-uniforme de la pollution : or de
fortes concentrations peuvent détruire définitivement certains
écosystèmes. Enfin, il faut reconnaître que même sans
un marché de permis, les entreprises sauraient bien réduire les
frais d'émission en se délocalisant... Mais si les PEN permettent
un réel transfert de technologies du Nord vers le Sud, pourquoi ne pas y
consacrer l'attention qu'ils méritent ?
Toutefois, il faut se méfier des évidences en
économie : il ne me semble pas évident en l'occurrence que le
progrès technologique soit une véritable cause de diminution des
dégradations environnementales, du moins, pas dans tous les secteurs.
Ainsi, un calcul sommaire m'amène à me demander si l'on ne pollue
pas plus en produisant de nouvelles voitures plus << propres >>,
plutôt qu'en utilisant les anciennes le plus longtemps possible : estce
que le progrès technologique ne serait pas le moteur d'une consommation
superflue plutôt que la cause d'une amélioration du respect de
l'environnement ?
Enfin, il se pose le problème de la comptabilité
des émissions : il est nécessaire d'aménager le territoire
afin de disposer de mesures sûres, précises et exhaustives des
émissions. Il n'y a en effet pas de réelle équivalence
énergie/émissions, et d'ailleurs, le développement des
énergies renouvelables ou une avancée technologique telle que la
découverte de la fusion froide enlèverait toute
légitimité à cette équivalence.
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