La promesse de vente de la chose d'autruipar Florent Kuitche Takoudoum Université de Nice sophia antipolis - Master II droit de l'immobilier et de l'urbanisme 2007 |
PARTIE IIL'obligation d'acquérir une chose pour la transmettre.Les développements précédents nous ont montré qu'un acte de disposition sur la chose d'autrui peut dans certains cas produire son effet réel. Mais la situation du bénéficiaire auquel un droit réel doit être constitué ou transféré, serait bien précaire s'il devait s'en remettre au bon vouloir de l'autre partie ou du propriétaire pour assurer cette efficacité. L'acte sur la chose d'autrui perdrait à peu près tout intérêt pratique, parce qu'il ne confèrerait à l'acquéreur aucune sécurité. L'obligation fournira le moyen de remédier à cet inconvénient. On peut concevoir tout d'abord que l'auteur de l'acte qui dispose de la chose d'autrui s'engage à obtenir la ratification du propriétaire. Mais cela suppose nécessairement qu'il agit non pas pour son propre compte, mais pour le compte du propriétaire ; il s'agit alors du contrat pour autrui avec promesse de porte-fort, hypothèse différente de celle qui fait l'objet de notre étude. Le promettant peut aussi s'engager à se rendre acquéreur du bien immobilier sur lequel il traite pour atteindre l'efficacité de son acte95(*). C'est cette obligation que nous étudierons ici. CHAPITRE ILa promesse comme source de l'obligation d'acquérir pour transmettre.
L'obligation d'acquérir pour transmettre prend sa source dans la promesse, mais sa nature juridique donne matière à s'interroger (§1). Cette obligation n'existe que si le vendeur a traité en connaissance de cause (§2). §1) Nature de l'obligation d'acquérir pour transmettreL'obligation d'acquérir pour transmettre est acceptée par le débiteur dans la promesse. La possibilité de s'obliger à acquérir une chose pour la transmettre à une autre personne, ou pour constituer à son profit un droit réel sur cette chose, est une conséquence du principe général de la liberté contractuelle96(*). Il s'agit d'une obligation de faire, et toute sorte d'obligation peut en principe faire l'objet d'un contrat, même éventuellement d'un contrat innomé, non prévu par le code civil. On ne voit pas pourquoi par exemple celui qui constitue une hypothèque sur un immeuble d'autrui ne pourrait d'autre part pas s'engager par contrat à acquérir cet immeuble. . Cette conséquence de la liberté contractuelle s'impose malgré l'article 1599 du code civil, qui déclare nulle la vente de la chose d'autrui. En effet, selon l'article 1599, la vente de la chose d'autrui est nulle ; mais la valeur et la portée de cette nullité sont controversées. La solution rationnelle pose que la vente ne peut transférer la propriété, mais elle est valable en tant que contrat productif d'obligations ; le vendeur n'a pas la propriété de la chose, mais il peut l'acquérir plus tard. Le droit de propriété est à son égard une chose future ; il peut faire l'objet d'un contrat. Donc, les obligations réciproques naissent immédiatement. Le vendeur s'oblige à faire acquérir la propriété par l'acquéreur. Cette solution était celle du droit romain. Il est vrai qu'on a cherché à l'expliquer en droit romain par des considérations qui, si elles étaient exactes devaient conduire à changer les principes d'aujourd'hui. On a dit qu'à Rome, la validité de la vente d'une « res aliéna » s'explique par des raisons particulières à la vente romaine. La vente romaine n'obligeait pas le vendeur à transférer la propriété à l'acheteur. Il était simplement obligé de lui remettre la « vacua possessio », la possession paisible. La vente pouvait être faite par un non propriétaire, car un non propriétaire peut transférer la possession. Si cette raison était la seule qui justifiât la théorie romaine, on conclurait facilement de là que le droit français, obligeant à la différence du droit romain, le vendeur à transférer la propriété, doit logiquement, à la différence du droit romain, prohiber la vente d'une chose dont le vendeur n'est pas propriétaire. Mais l'explication est insuffisante. En effet, le droit romain ne validait pas seulement la convention tendant à l'acquisition de la vacua possessio de la res aliéna, mais même la convention tendant au transfert de propriété. Ici une seule explication est possible ; conformément à l'idée rationnelle indiquée, les romains reconnaissaient la possibilité de promettre le transfert de la propriété de la chose, alors que ce transfert était actuellement impossible : c'était une possession de chose future. La même solution fut admise par l'ancien droit : la vente de la chose d'autrui est valable. Donc, les considérations rationnelles et les précédents historiques concordaient pour engager les rédacteurs du code à admettre la validité. Or ils ont admis une solution diamétralement opposée : Article 1599 : « la vente de la chose d'autrui est nulle : elle peut donner lieu à des dommages intérêts, lorsque l'acheteur a ignoré que la chose fut à autrui. ».Pourquoi ce changement ? Une seule explication est possible, d'ailleurs confirmée par les travaux préparatoires. L'article 1599 est un corollaire faux de l'article 1138. Le législateur ayant décidé dans l'article 1138 que la promesse de transférer la propriété emporte le transfert par elle-même, en a conclu faussement que la vente de la chose d'autrui est nulle. Ceci demande des explications : on sait que l'un des plus frappants des caractères généraux du droit des obligations est la fusion établie par le code entre les modes de création des obligations et les modes de transfert de droits réels. Le contrat sert aujourd'hui aux deux objets. Normalement, un contrat tendant au transfert de la propriété d'un corps certain ne produit pas simplement, comme en droit romain, l'obligation de transférer la propriété, elle la transfère immédiatement. La vente qui a aujourd'hui pour but le transfert de la propriété de la chose vendue, ne produit pas seulement l'obligation pour le vendeur, d'effectuer ce transfert, elle l'effectue immédiatement ; l'article 1583 qui énonce que la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoi que la chose n'ait pas encore été livrée, ni le prix payé , faisant à la vente l'application du principe de l'article 1138. Or c'était là un principe théorique absolument nouveau, si nouveau que les rédacteurs de Code ne sont nulle part arrivés à en donner une formule claire, qu'ils se sont mépris sur sa portée exacte et qu'ils ont édifié sur lui un principe complètement faux qui les a conduit à leur théorie de la vente de la chose d'autrui. Voici ce raisonnement : la vente par elle-même et immédiatement transfert la propriété de la chose (art.1138 et 1583). Or ce transfert est impossible quand la chose n'appartient pas au vendeur. Donc la vente de la chose d'autrui est un contrat nul pour chose impossible. Mais une confusion a été commise. La vente transfert normalement la propriété ; mais elle n'a pas cessé pour cela d'être avant tout un contrat créateur d'obligation ; lorsqu'on vend une maison, deux effets se produisent : on contracte l'obligation de transférer la propriété à l'acheteur et, en vertu des articles 1138 et 1583, cette obligation est immédiatement réputée exécutée, sans l'intervention d'aucun acte de transfert spécial tel que la « mancipacio » ou la tradition romaine. Il y a donc là deux effets logiquement très distincts : l'un personnel, l'autre réel. Mais la plupart du temps, en vertu du principe du code civil, ces deux effets se confondent pratiquement, parce qu'ils se produisent en même temps et en vertu du même acte. Normalement l'effet réel voile l'effet personnel. Il reste cependant que ces deux effets sont distincts logiquement : le premier pourra se produire quoi que le second soit impossible. Si par exemple, je vends la maison à Pierre, le premier effet peut se produire : je puis être obligé envers l'acheteur à lui transférer la propriété; ce qui est impossible, c'est le second effet, le transfert de propriété par le contrat. Logiquement il faudrait dire : l'effet réel est impossible ; l'effet personnel existe seul. C'est là que le raisonnement des rédacteurs du code a dévié. Contre toute logique, ils ont conclu de l'impossibilité de l'un des deux effets à l'impossibilité de l'autre. L'effet réel ordinaire de la vente leur a si bien voilé l'effet personnel, qu'ils ont cessé de l'apercevoir. De ce que la vente de la chose d'autrui ne peut pas transférer par elle même la propriété à l'acheteur, ils ont conclu qu'elle ne pouvait pas non plus produire d'effets obligatoires ; aussi ont-ils édicté la nullité du contrat. Cette erreur de raisonnement apparaît à chaque ligne des travaux préparatoires. Tronchet déclare la vente de la chose d'autrui « ridicule »97(*). Portalis : « il est contre toute raison et tout principe que deux parties puissent disposer d'une propriété qui appartient à un tiers. »98(*) La confusion est donc manifeste. L'effet qu'elle a produit ne l'est pas moins : en déclarant nulle la vente de la chose d'autrui, l'article 1599 du code civil, entend par là qu'elle est nulle, non seulement comme acte de transfert, mais comme contrat créateur d'obligation. Conséquences : elles se déduisent de l'idée inexacte qui a inspiré les rédacteurs : la vente est nulle pour objet impossible et illicite ;
Lorsqu'elle est prononcée, la nullité produit ses effets habituels et notamment entraîne des restitutions si la vente avait été exécutée. En outre, l'acheteur de bonne foi peut conserver les fruits (jusqu'au jour de la demande) et obtenir des dommages intérêts comme le précise dans sa disposition finale l'article 1599 du Code civil « ...elle peut donner lieu à des dommages intérêts, lorsque l'acheteur a ignoré que la chose fût à autrui ». Deux hypothèses sont à considérer : l'acheteur est de mauvaise foi. Il a su en traitant que la chose appartenait à autrui. En ce cas, il ne peut demander des dommages-intérèts ; il ne peut se plaindre. Toutefois la nullité ne peut devenir pour le vendeur source d'enrichissement. Donc l'acheteur pourra réclamer son prix, s'il l'a déjà payé ; car il y a eu payement de l'indu. S'il n a pas encore payé, il est dispensé du payement. Par contre, si l'acheteur est de bonne foi, alors il aura droit à des dommages-intérèts, pour indemniser le préjudice résultant de la nullité. Cependant, l'article 1599 du code civil a une portée limitée en pratique. En effet, le fondement de la nullité qu'elle commande, se trouve dans l'impossibilité de transfert de la propriété par le contrat. Donc toutes les fois qu'il apparaîtra que les parties ont été d'accord pour ne pas réaliser le transfert de propriété par le contrat lui-même, la vente sera valable. En conséquence, échapperont à la nullité : les ventes de choses de genre ; les conventions par lesquelles une personne s'engage envers une autre à obtenir que le propriétaire d'une chose lui vende cette chose. Ici, il y a pas vente de la chose d'autrui, mais promesse d'un fait : obtenir le consentement du propriétaire ; Il n'y a pas vente de la chose d'autrui quand le vendeur et l'acheteur ont su, au moment de la vente, que la chose était à autrui. En effet les deux parties savaient le transfert immédiat de la propriété impossible ; donc, à moins de leur prêter l'intention absurde de faire une chose irréalisable, on doit présumer qu'ils ont entendu retarder le transfert de propriété : la nullité n'a plus de raison d'être. Ainsi délimitées, les hypothèses d'application de l'article 1599 seront d'ailleurs très rares en pratique. Elles se rencontrent surtout en matière immobilière ; car, pour les meubles, l'article 2279 protège l'acheteur de bonne foi. Or pour les immeubles, on vérifie l'origine de propriété, lors de l'élaboration de la promesse (au cas où c'est prévu) avant de traiter. Mais la condition essentielle pour qu'il y ait obligation demeure que le vendeur doit avoir traité en connaissance de cause * 95. Cet engagement serait indispensable à la validité d'une donation de la chose d'autrui ; la formule « je m'engage à acquérir pour vous donner » est valable, parce qu'elle contient un engagement ferme, tandis que la formule « je vous donne pour le cas où j'acquérrais » tomberait sous le coup de la règle « donner et retenir ne vaut », comme en général les donations de biens à venir._ cf. dans le sens de la validité de la donation de la chose d'autrui : Godemet, obligations, p. 111. * 96. Les auteurs sont généralement d'accord sur le principe que la chose d'autrui peut faire l'objet d'obligations, mais ils n'en tirent pas toujours les mêmes conséquences. - voir notamment Salleiles, obligations n° 152. * 97. Locré, t.XIV, Page 52. * 98. Ibid ; Page 251. |
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