Le scrutin du 19 mars 2000 est un jour historique pour le
Sénégal. Le Président sortant, Abdou Diouf, est
très largement battu par Abdoulaye Wade, par plus de 281 363 voix
d'écart. Pour la première fois de son histoire, la
République sénégalaise vit une alternance
politique198.
- Electeurs inscrits : 2 725 650
- Votants : 1 667 775 (61,19 % de participation)
- Bulletins nuls : 10 474
- Suffrages exprimés : 1 657 301
- Abdoulaye Wade (PDS) : 969 332 soit 58,49 %
- Abdou Diouf (PS) : 687 969 soit 41,5 1 %
La faible différence entre le nombre de votants au
premier et second tour, 27 053 voix, indique que la tabaski n'a pas
provoqué, comme cela a été envisagé, un
effondrement de la participation. On pense donc légitimement que ce sont
à peu près les mêmes personnes qui ont voté lors des
deux tours de scrutin. Ce fait facilite le calcul des reports de voix en faveur
d'Abdou Diouf et Abdoulaye Wade.
On constate que l'appel de Djibo Kâ n'a pas
été entendu, puisque le score d'Abdou Diouf est similaire
à celui du premier tour. Pis, le candidat PS perd 2 917 voix en trois
semaines. Les 690 886 voix du 27 février représentaient donc le
seuil maximal de votes que pouvait recueillir Diouf en sa faveur 199 . L'appui
du fondateur de l'URD n'a permis d'enrayer le déclin dioufiste que dans
quelques localités spécifiques, le plus souvent à forte
coloration peul 200.
Abdoulaye Wade profite de l'incapacité dioufiste
à ratisser au-delà de son propre parti. Bénéficiant
du travail en amont effectué au sein du FRTE, le candidat PDS rassemble
autour de son nom la totalité des voix non-dioufistes, plus une grande
partie de celles recueillies...
196 Francis Kpatindé, "Veille de scrutin à
Dakar", Jeune Afrique, 21 mars 2000.
197 "L 'ONDH craint le pire au deuxième tour",
Le Monde, 16 mars 2000.
198 "Proclamation définitive des résultats du
scrutin du second tour", Le Soleil, 26 mars 2000.
199 A la lumière de ces résultats, on pense que
dès 1998, avec ses 612 559 suffrages, le PS avait déjà
atteint son seuil maximal de voix.
200 Linguère, fief électoral de Djibo Kâ, et
Podor, fortement peuplé de peuls, sont les deux seuls
départements où Abdou Diouf connaît une véritable
augmentation de son électorat, à hauteur de 20%.
par Djibo Kâ au premier tour. En effet, en additionnant
la totalité des suffrages obtenus par Wade, Niasse, Thiam, Fall,
Dièye et Sock, on arrive simplement à 862 070 voix. Par
conséquent, les électeurs de l'URD ont massivement choisi le camp
de l'alternance, selon les voeux de la direction exécutive du Renouveau,
permettant à Wade de réunir 969 332 voix.
Si Abdou Diouf était très largement en
tête au premier tour, il subit... une véritable déroute le
19 mars 2000. Il n'est en tête que dans 10 départements et 3
régions : Louga (62,26 %), Saint-Louis (60,64 %) et Tambacounda (51 %).
Ainsi, Diouf ne sort vainqueur que dans les zones où il a fait plus de
50 % au premier tour, excepté dans le département de
Linguère, qui a relativement bien suivi la consigne de vote de Djibo
Kâ. La région de Fatick est également l'exception qui
confirme la règle car le Président sortant, qui a obtenu la
majorité absolue au premier tour (51,40 %), est battu trois semaines
plus tard par Wade (47,90 % contre 52,10%).
Dans les régions qui lui sont historiquement hostiles,
Abdou Diouf perd encore plus largement : ses démarches d'entre-deux
tours pour élargir son électorat n'ont donc eu aucun effet. Il
enregistre 25,09 % dans la région de Dakar et obtient des
résultats médiocres dans les régions casamancaises : 34,2
1 % à Ziguinchor et 40,34 % à Kolda.
Plus surprenant, alors qu'il a réunit 46,9 8 % des
suffrages au premier tour, Diouf ne fait le 19 mars que 37,36 % dans la
région de Diourbel. Ceci s'explique par le rapprochement très
visible qui s'est opéré durant les derniers jours de campagne
entre le candidat libéral et le Khalife général des
Mourides, annonçant déjà implicitement la fin de
l'ère socialiste.
Excepté le cas particulier de Saint-Louis, bastion
historique des socialistes, Abdoulaye Wade recueille la majorité dans
les régions les plus influentes du pays. Les scores wadistes
frôlent parfois même le plébiscite, comme à Dakar
(74,9 1 %), Ziguinchor (65,79 %) ou Diourbel (62,64 %). Ces "bastions
libéraux" ont assuré la victoire de l'alternance, puisque dans la
seule région dakaroise, Abdoulaye Wade dispose d'une avance de... 216
432 voix sur son adversaire socialiste.
Dans les régions généralement favorables
au PS, le candidat libéral a su grâce à ses nombreux
soutiens inverser la tendance, augmentant parfois ses résultats
régionaux de... 40 % 201. Paradoxalement, c'est dans sa
région natale de Louga, qui est aussi celle d'Abdou Diouf et de Djibo
Kâ, que le candidat sopiste fait son plus mauvais pourcentage
régional : 37,74 % 202.