Le scrutin du 27 février 2000 voit les
Sénégalais se rendre en nombre dans les 8 728 bureaux de vote
prévus pour ces élections 141. En effet, on
compte 450 000 électeurs supplémentaires par rapport aux
législatives de 1998. L'élection présidentielle confirme
donc être "la reine des élections", la seule qui intéresse
véritablement l'électorat sénégalais.
137 Voir Le Soleil du 13, 14 et 25 février
2000.
138 Le Soleil, 23 février 2000.
139 Le Soleil, 27 février 2000.
140 Ceci est tout à fait logique, car la région
dakaroise concentre à elle seule 26 % du corps électoral
sénégalais. Voir Le Soleil, 25 février 2000.
141 On ne peut pas parler toutefois de vote massif, une large
part de la population sénégalaise n'ayant pas pris part à
l'élection, comme le souligne Jeune Afrique le 7 mars 2000
: "entre 1993 et 2000, le corps électoral est passé de 2,55
millions à 2,74 millions de personnes, soit une progression de 7,5 %,
alors que la population du Sénégal s'est simultanément
accrue de 22 % (de 7,7 millions à 9,4 millions)". Samir Gharbi,
"D'un scrutin l'autre", Jeune Afrique, 7 mars 2000.
- Electeurs inscrits : 2 741 840
- Votants : 1 694 828 (61,8 1 % de participation)
- Bulletins blancs : 23 385
- Suffrages exprimés : 1 671 443
- Abdou Diouf (PS) : 690 886 soit 41,33 %
- Abdoulaye Wade (PDS) : 517 642 soit 30,97 %
- Moustapha Niasse (AFP) : 280 085 soit 16,76 %
- Djibo Kâ (URD) : 118 487 soit 7,09 %
- Iba Der Thiam (CDP /Garab-Gi) : 20 133 soit 1,20 %
- Ousseynou Fall (PRS) : 18 676 soit 1,12 %
- Cheikh Abdoulaye Dièye (FSDRJ) : 16 216 soit 0,97 %
- Mademba Sock : 9 318 soit 0,56 %
Abdou Diouf est donc invité à disputer un second
tour. Nonobstant sa confortable avance sur
ses concurrents, il n'a pas réussi à endiguer
le déclin socialiste déjà constaté en 1998. En sept
ans, il a perdu 66 425 électeurs, alors que dans le même temps, le
nombre de votants a augmenté de 29 % 142 . Néanmoins, à la
vue des résultats du premier tour, le candidat Diouf
conserve de réelles chances d'être reconduit
à la tête de l'Etat.
Sur les 31 départements que compte le pays, Abdou
Diouf arrive en tête dans 22 départements. Il gagne 8
régions sur 10, dépassant même les 50 % dans les
régions de Saint-Louis, Tambacounda, Louga et Fatick 143 . Toutefois,
contrairement à 1993 - où Abdou Diouf
totalisait plus de 75 % des voix dans ses bastions
électoraux - ces "greniers à voix" ne
permettent plus au Président d'avoir une avance
décisive sur ses opposants, Diouf enregistrant son meilleur pourcentage
dans son fief régional de Louga avec "seulement" 55,39 % des voix.
Plus grave, Abdou Diouf fait un score relativement
inquiétant dans la région de Dakar, puisqu'il n'obtient que...
23,88 % des voix, soit un écart considérable de 226 417 voix
entre lui
et le trio Wade-Niasse-Kâ. Plus étonnant, Diouf
fait un mauvais score dans la région de Ziguinchor : il est d'ailleurs
battu par le candidat libéral (38,50 % contre 40,65 %). Le cessez-
le-feu de décembre 1999 n'a donc pas eu les
retombées électorales souhaitées, la population
casamançaise ayant retenu de la présidence dioufiste les
années de malheur et de souffrance.
Enfin, malgré les nombreux petits ndiguel en sa
faveur, Abdou Diouf n'obtient pas la majorité absolue dans les
régions à forte influence maraboutique. Cependant, que ce soit
à Thiès,
Kaolack ou Diourbel, Diouf a une confortable avance sur son
second, oscillant entre 11 et 16 points 144.
A l'instar de son rival, Abdoudalye Wade ne profite pas, ou peu,
de la forte participation du 27
février, puisqu'il ne gagne que 100 000 voix par rapport
à la précédente présidentielle. Cette augmentation
de son électorat peut même être considérée
comme factice car on peut
légitimement considérer que cet afflux de voix est
surtout du au ralliement de Savané et Bathily, qui "pèsent"
à eux deux environ... 110 000 voix 145 . Grâce à ses deux
soutiens, Wade
est un "confortable" deuxième, qui dispose d'un
écart de plus de 230 000 voix sur son poursuivant Niasse.
Comme à son habitude depuis 1988, le candidat PDS fait
ses meilleurs résultats régionaux à Dakar, 47,63 %, et
à Ziguinchor, 40,65 %. Il obtient d'ailleurs presque la moitié de
ses voix
142 Samir Gharbi, "D'un scrutin l'autre", Jeune
Afrique, 7 mars 2000.
143 Le Soleil, 3 mars 2000.
144 Dans la région de Thiès, Diouf fait 46,05
%, Wade 34,65 % ; dans la région de Diourbel, Diouf obtient 46,9 8 %,
Wade 30,38 % et dans la région de Kaolack, Diouf a 44,74 % des voix,
Niasse 33,43 %. Ces chiffres sont similaires au niveau départemental.
Voir Le Soleil, 3 mars 2000.
145 Pour cette déduction, on s'appuie sur les scores
faits aux législatives de 1998 par les deux partis : 60 673 pour And
Jëf et 48 097 pour la LD/MPT.
dans ces deux régions : 247 993 voix sur 517 642 146 .
Wade confirme qu'il est le candidat de la contestation, des gens qui ont le
plus souffert de la dégradation des conditions de vie pendant les
vingt-années de présidence dioufiste, c'est à dire les
jeunes, les populations urbaines et les casamançais. Il remporte ainsi
les trois départements dakarois, deux départements
casamançais, le département de Thiès et le
département de Kolda .
Les résultats de Wade révèlent aussi le
manque d'assise du leader libéral dans de très
nombreuses régions rurales : il ne dépasse pas les 20 % dans 4
régions 147 . Pour gagner, Wade doit donc composer impérativement
avec Moustapha Niasse et Djibo Kâ.
Le fondateur de l'AFP enregistre ses meilleurs
résultats dans la région de Kaolack (33,43 %), en remportant les
départements de Kaolack et de Nioro juste devant Abdou Diouf. Il
recueille également un grand de voix dans la région de Dakar - 93
216 - totalisant 20,23 % des suffrages. Il contribue donc au très
mauvais résultat enregistré par Diouf dans la capitale.
Dans les bastions socialistes, Niasse recueille des scores
très variables. Là où Diouf est particulièrement
bien implanté, Niasse ne dépasse jamais les 10 % : 8,35 %
à Saint-Louis ; 9,21 % à Tambacounda et 7,12 % à Louga.
Par contre, dans les localités où Niasse à une grande
influence, essentiellement religieuse et familiale, le candidat de l'AFP
altère considérablement le réservoir de voix dioufiste : 3
3,43 % à Kaolack (fief religieux de la confrérie niassène)
et 24,54 % à Fatick (région frontalière de Kaolack).
L'ancien ministre d'Etat constitue dorénavant "une
troisième voie", incarnée auparavant par l'URD, qui s'est vu
dépossédée de son statut de trublion de la vie politique
sénégalaise 148. Niasse ne fait que se substituer
à son ancien camarade socialiste, grâce à sa plus grande
notoriété et ses meilleures relations à l'intérieur
du pays.
On ne peut donc pas dissocier l'électorat des deux
dissidents socialistes. Si le répertoire des "allégeances
primordiales" (famille, ethnie, religion, région) 149
diffère selon les deux candidats, leurs électeurs ont
néanmoins à peu près le même profil : ils sont
généralement d'anciens socialistes, ils aspirent au changement
(soit des institutions, soit des hommes à la tête de l'Etat) et ne
se reconnaissent pas, ou plus, dans la bipolarisation politique Diouf-Wade.
Leur candidature a donc apporté un souffle nouveau
à cette campagne présidentielle. Ils ont su ramener à la
politique des gens autrefois désabusés par les promesses et les
choix du duo Diouf-Wade. C'est pourquoi Moustapha Niasse et Djibo Kâ ont
été les principaux bénéficiaires de la forte
participation. Il n'est pas anodin de constater que le score cumulé des
deux candidats, environ 400 000 électeurs, correspond pratiquement
à l'augmentation du nombre d'électeurs entre 1993 et 2000, soit
382 674 personnes. Ils contestent de ce fait à Wade le thème du
sopi et empêchent Diouf d'être reconduit à la
présidence dès le 27 février. N'étant pas
qualifiés pour le second tour, il leur revient de décider si le
Sénégal va connaître une véritable alternance
politique ou simplement un changement dans la continuité.
Sollicités par les deux finalistes dès l'annonce des
résultats officiels, Moustapha Niasse et Djibo Kâ sont au centre
de toutes les convoitises : ce sont les arbitres incontestables du second tour
qui s'annonce.
146 La région de Dakar pèse à elle-seule
219 481 voix.
147 Abdoulaye Wade fait : 19,48 % à Saint-Louis ; 13,81 %
à Kaolack ; 18,43 % à Louga et 15,75 à Fatick. On peut
rajouter à ces résultats celui de Tambacounda, où il
obtient 23,03 %. Si on cumule les scores enregistrés par le candidat PDS
dans ces cinq régions, Abdoulaye Wade a un déficit de 212 204
voix par rapport à Abdou Diouf.
148 En effet, si Djibo Kâ acquiert 15,36 % des suffrages
dans son fief de Linguère, il ne dépasse pas les 6 % dans sept
régions.
149 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ?
Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.
Ceci n'est pas le cas des quatre autres candidats, qui
totalisent seulement 3,85 % des voix. La tentative du trio Iba Der
Thiam-Dièye-Fall d'amener la religion au coeur du débat politique
a donc échoué. Comme l'ont écrit Momar-Comba Diop, Mamadou
Diouf et Aminata Diaw, ces résultats "indiquent que les
Sénégalais, ayant recouvré une citoyenneté, n 'ont
prêté leur attention qu 'aux propos qui avaient un rapport direct
avec leurs préoccupations quotidiennes : manger, se soigner,
s'éduquer et se former, trouver du travail". Les craintes d'une
"islamisation du débat politique", évoquées notamment
suite aux violences moustarchidines de 1994, semblent devoir être
dissipées, le peuple sénégalais différenciant bel
et bien le religieux du politique 150.
L'annonce d'un second tour provoque une onde de choc à
travers tout le pays. Pour la première fois depuis cinquante ans,
l'alternance politique est à portée demain. Le PS apparaît
groggy et cherche des victimes expiatoires, tout en tentant de faire
revenir dans le giron socialiste les dissidents Kâ et Niasse. Abdoulaye
Wade, en dépit de son retard conséquent sur le Président
sortant, adopte une attitude calme et consensuelle pour garantir la
solidité du front anti-dioufiste, seul moyen pour lui d'as surer la
victoire du camp de l'alternance.