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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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4. Abdou Diouf, une branche sur laquelle le PS est assis :

4.1. La recherche d'une cohésion socialiste autour d'Abdou Diouf :

A l'orée d'un scrutin crucial pour leur avenir, les socialistes sénégalais sont fortement isolés. Abandonnés par le PS français - qui n'hésite pas par la voix de son "Monsieur Afrique" Guy Labertit à condamner certaines pratiques de la formation gouvernementale sénégalaise 81 - ils ne peuvent plus compter que sur le duo Diouf-Tanor Dieng pour affronter "l'ennemi de toujours", Abdoulaye Wade, et les dissidents Kâ et Niasse.

Face à la tentative d'appropriation du passé senghorien par l'opposition, le PS célèbre dignement en octobre 1998 le cinquantième anniversaire de la fondation du BDS par Léopold Sédar Senghor 82 . Grâce aux médias d'Etat, cet anniversaire est l'occasion pour le pouvoir de remémorer, à une population qui en grande partie n'a jamais connu Senghor Président, ses hauts faits d'arme mais aussi - voire surtout - le lien très fort qui unit le "Père de la Nation" à son successeur. Pour évoquer ses jours heureux, où le PS régnait en maître sur la politique sénégalaise, le parti invite ses "sages" : André Guillabert, Assane Seck, Abdoulaye Fofana, Babacar Bâ etc. Abdou Diouf et Tanor Dieng ne manquent pas la célébration et à travers leur discours respectifs, se congratulent mutuellement tout en soulignant leur attachement aux valeurs senghoriennes. On note ainsi de très nombreuses similitudes entre cet événement et les festivités qui eurent lieu à l'occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire du fondateur du BDS en 1996 : mêmes personnalités présentes, mêmes types de discours prononcés et mêmes objectifs visibles.

80 On fait ici référence à une question de Yoro Dia posée à Abdou Diouf lors de son unique conférence de presse de 1999 : "Parlant de vos relations avec le Parti socialiste, vous aviez déclaré au Conseil national que vous n'alliez pas scier la branche sur laquelle vous étiez assis. Est-ce qu'aujourd'hui ce n'est pas l'inverse, n'êtes-vous pas la branche sur laquelle le Parti socialiste est assis si l'on sait que de plus en plus le Parti socialiste a recours au Président de la République pour régler ses propres problèmes ". "Conférence de presse du président Abdou Diouf", Parti socialiste sénégalais, 1999.

81 "L 'opposition sénégalaise redoute un coup d'Etat électoral", Le Monde, 4 février 2000.

82 "Les 50 glorieuses du PS", Le Soleil, 29 octobre 1998.

En effet, en célébrant le passé, le PS tient avant tout à légitimer Abdou Diouf et à travers lui Ousmane Tanor Dieng. Le but de la propagande étatique est également de ranger clairement Léopold Sédar Senghor aux cotés du PS. C'est pourquoi, contrairement à 1996, Le Soleil publie un mot personnellement envoyé par le premier Président de la République sénégalaise : "je serai bien entendu de coeur avec vous tous et présent par la pensée. Je regrette de ne pouvoir être physiquement présent mais mes médecins m 'ont recommandé d'éviter les voyages" 83.

Par ses propos, Senghor reconnaît donc implicitement appartenir à la famille PS et appuie d'une certaine façon le duo Diouf-Tanor Dieng. Ce soutien discrédite les dissidents Kâ et Niasse qui se réclament être les véritables défenseurs de l'héritage senghorien. Grâce à cette légitimité historique, Abdou Diouf peut se draper du passé de son prédécesseur et affirmer à la fin des festivités : "mes chers amis, nous avons pour de longues années encore à assumer le destin de notre pays".

Si la présence d'Abdou Diouf à la tête du PS ne souffre presque d'aucune contestation au sein du parti, les tensions demeurent concernant les blocages constatés depuis 1996. Abdourahim Agne, pourtant porte-parole PS, s'aventure ainsi à déplorer les méthodes "trop rigides d'un centralisme démocratique hérité d'une autre période" 84. Il fait cependant rapidement machine arrière, devant les vifs réprobations de Tanor Dieng. Cette critique révèle l'absence de cohésion à l'intérieur du parti. Les tendances se multiplient, les départs également (le plus exemplaire étant bien évidemment celui de Moustapha Niasse).

Ousmane Tanor Dieng, nommé naturellement directeur de campagne du Président sortant, doit enrayer la fuite des cadres et des militants. Le ministre d'Etat essaie en vain de satisfaire tout le monde en constituant un directoire de... 94 membres (contre 35 membres en 1993) 85. Le risque de cacophonie est important si l'on prend en compte le nombre de porte-parole. En plus d'Ousmane Tanor Dieng et Abdourahim Agne, Aminata Mbengue Ndiaye (pour les femmes socialistes), Pape Babacar Mbaye (pour les jeunes socialistes) et Ousmane Ngom (pour les alliés d'Abdou Diouf) sont conviés à s'exprimer au nom du PS. Ce manque d'homogénéité est criant lorsqu'on se penche sur la composition du directoire de campagne d'Abdou Diouf. On y trouve :

- L'ensemble du bureau politique PS

- Des représentants du mouvement national des femmes socialistes

- Des représentants des jeunesses socialistes

- Des représentants du GER

- Des représentants de l'école du PS

- Des représentants de comités d'entreprises

- Des représentants de la CNTS

- Des membres du gouvernement

- Les représentants de la Convergence patriotique (112)

- Des représentants du Conseil consultatif des sages

A cet ensemble, on rajoute la participation du publicitaire français Jacques Séguéla, qui le plus souvent agit sous l'autorité directe d'Abdou Diouf 86 . Cet ensemble disparate ne favorise

83 Le Soleil, 29 octobre 1998.

84 "Le Parti socialiste en pleine crise interne, célèbre ses cinquante ans", Afrique Expresse, 12 novembre 1998.

85 Habib Thiam trouve une formule pour souligner l'invraisemblance de l'effectif de ce comité de campagne : "puisque nous sommes si divisés, mettons-y tout le monde". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.204, Paris, Rocher, 2001.

86 L'indépendance de Séguéla - ainsi que ses émoluments - agace les membres du directoire, comme l'indique les propos d'Abdourahim Agne : "il (Jacques Séguéla) ne saurait se substituer au parti qui, avec sa connaissance de

pas l'émergence d'un programme cohérent et clair. Pour compenser, le Président sortant

s'appuie une fois de plus durant la précampagne sur ses principales qualités : le calme, la courtoisie, une certaine idée de la démocratie etc. Il exprime ces vertus lors de son investiture

par le PS en décembre 1999 :

"je reste fidèle à ma conception de l'action politique, de l'adversité politique que je fonde sur l'éthique et le respect de l'autre. Je ne con çois pas la campagne électorale à l'image d'une foire d'empoigne où tous les coups sont permis. Une campagne électorale est un moment privilégié de confrontation des idées et des programmes (...) il s'agit de convaincre et non de chercher à blesser l'adversaire, d'entraver, de faire adhérer plutôt que de contraindre (...) si on m 'attend sur le terrain de la polémique, des procès d'intentions et des attaques personnelles, on ne m'y trouvera jamais. Cette lecture du combat politique, cette culture, n'est pas la mienne" 87.

Désirant fédérer le peuple et les socialistes, Abdou Diouf renoue avec des thèmes qui avaient marqué ses premiers mois à la tête de l'Etat : la piété et la lutte contre la corruption. Ainsi, il

effectue en janvier 2000 un voyage en Arabie Saoudite qui est largement relayé par les médias d'Etat. Ceci n'est pas sans rappeler son déplacement à Taïf de janvier 1981. Cette fois-ci,

l'aura du Président dans le monde musulman n'est pas mise en lumière par un discours officiel mais par une visite. On peut lire dans Le Soleil du 6 janvier 2000 : "pour la première fois

depuis 18 ans, en période de ramadan, la ka'aba sacrée a été ouverte spécialement pour Abdou Diouf"88. La propagande fait renaître l'image de "l'homme de Taïf" de manière à

contrer le non-ndiguel mouride et les liens très forts qui unissent certains chefs religieux à Moustapha Niasse. Le déplacement d'Abdou Diouf dans le saint des saints a de ce fait des

retombées politiques et polémiques, puisque Niasse va jusqu'à remettre en cause la véracité de la visite présidentielle 89.

Le régime tient également un discours virulent vis-à-vis de la corruption durant la précampagne 90. Rappelant la lutte menée par Diouf contre l'enrichissement illicite vingt ans

plus tôt, les nouveaux programmes contre la corruption ont pour but de démontrer la transparence et la probité de l'Etat, vivement contestées par Wade, Kâ et Niasse. En renouant

avec des thèmes longtemps abandonnés, issues d'une autre époque - l'Etat de grâce - Diouf essaie, via ce "retour vers le futur", de retrouver une popularité perdue et de reprendre des

thèmes confisqués par Moustapha Niasse depuis juin 1999.

Paradoxalement, Abdou Diouf place aussi sa campagne sous le signe... du changement. Ce positionnement, visiblement conseillé par Jacques Séguéla, a pour but d'accaparer le sopi

affilié à Abdoulaye Wade depuis plus de deux décennies. Diouf table sur son coté rassurant pour prôner un changement dans la continuité, sans prendre le risque de choisir l'inconnu avec

un homme réputé pour son instabilité et ses dérapages. Il utilise ainsi inlassablement la même formule à partir de décembre 1999 : "je serai le candidat du changement dans la préservation

des acquis ". Sa réelle volonté de changer son style de gouverner est néanmoins mise en question par ses opposants et la population avec le maintien à la tête de la pyramide socialiste

du très puissant mais aussi très controversé Ousmane Tanor Dieng.

notre milieu et de nos compatriotes, aura bien sur son mot à dire". "La direction de campagne bientôt installée", Le Soleil, 25 novembre 1999.

87 "Changer en préservant les acquis", Le soleil, 20 décembre 1999.

88 Le Soleil, 6 janvier 2000.

89 Le Soleil, 19 janvier 2000.

90 "Un programme indépendant contre la corruption", Le Soleil, 4 novembre 1999 et "Corruption : comment juguler le fléau", Le Soleil, 13 janvier 2000.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe