En 1998, l'ONEL a démontré malgré
l'absence de moyens de répression sa volonté de lutter contre la
fraude électorale. Une bonne part de ce mérite revient pour
l'opposition au général Mamadou Niang qui est allé
jusqu'à s'opposer à son supérieur, le
général Lamine Cissé, ministre de l'Intérieur. En
contrôlant scrupuleusement le fichier électoral et la distribution
des cartes, Niang acquiert après les législatives un prestige
indéniable qui fait de lui un allié, volontaire ou non, de la
cause défendue par l'opposition. Si le règlement de l'ONEL
stipule qu'après chaque fin d'élection les membres composant
l'observatoire sont invités à quitter leur poste, les
contemporains s'attendent à ce que Niang soit reconduit dans ses
fonctions pour les présidentielles de 2000.
Or, le chef de l'Etat annonce le 17 mars 1999 que le
général de division Mamadou Niang est nommé ambassadeur du
Sénégal en Guinée-Bissau. Au vu de la situation politique
dans la région - le Sénégal est à cette
époque encore très fortement engagé dans le conflit
bissauguinéen - le choix de Diouf peut être légitime, le
Président ayant besoin sur place d'un homme de confiance, loyal et
compétent pour soutenir le régime de Joao Bernardo Vieira et
faire face à toute crise diplomatique en cas d'arrivée au pouvoir
de Ansumane Mané.
L'opposition demeure cependant perplexe et crie au scandale,
Landing Savané faisant remarquer qu' "il est des promotions qui
ressemblent étrangement à une sanction" 58.
Elle pense en effet que le PS et Abdou Diouf tentent de s'approprier
l'ONEL. L'impartialité de l'observatoire est définitivement
remise en question après la nomination par le Président de la
République d'Amadou Abdoulaye Dieng, lui-aussi général
à la retraite 59, homme connu de l'opposition pour
appartenir... officiellement à un groupe de soutien en faveur de la
réélection de Diouf. Les opposants sont alors indignés,
comme l'indique les propos de Djibo Kâ : "le général
l'a reconnu lui-même : il est membre d'un mouvement de soutien au
Président Diouf. Or le code électoral stipule que l'appartenance
à l'ONEL est incompatible avec toute activité partisane. Nous
avons donc déposé un recours en annulation du décret de
nomination auprès du Conseil d'État" 60.
Ce choix unilatéral d'Abdou Diouf est une nouvelle
erreur politique. Il confirme presque sciemment tous les reproches qui lui ont
été adressés quelques semaines auparavant lors de la
"campagne de Paris" et rompt une fois de plus avec sa politique consensuelle
qui a été sa force entre 1995 et 1998.
C'est certainement l'approche des élections et la
crainte de ne pas être élu au premier tour qui pousse le chef de
l'Etat à prendre des choix contestables et contestés. Mais
ceux-ci lui font un tort considérable, Moustapha Niasse s'en servant par
exemple dans sa déclaration du 16 juin 1999 pour justifier sa rupture
avec le parti gouvernemental :
"ainsi, après les changements opérés
récemment, écartant la limitation des mandats
présidentiels et modifiant le pourcentage minimum requis pour
l'élection du premier magistrat de la nation au premier tour, les
Sénégalais
58 Francis Kpatindé, "Diouf, seul contre tous",
Jeune Afrique, 30 mars 1999.
59 Le recours aux militaires est devenu une habitude
dioufiste. Outre Lamine Cissé et Amadou Abdoulaye Dieng, les anciens
généraux se voient confier le plus souvent des ambassades dites
stratégiques. Le Sénégal est représenté en
1999 par des militaires dans trois Etats voisins - Guinée-Bissau, Gambie
et Guinée - et des pays comme l'Allemagne et les Etats-Unis. Cette
"militarisation" de la vie politique et diplomatique souligne le rapprochement
qui s'est opéré entre le régime dioufiste et
l'armée, notamment depuis l'intensification des combats en Casamance.
Voir André Payenne, "En bon voisinage", Jeune Afrique, 15 juin
1999.
60 Francis Kpatindé, "Où s'arrêtera
Djibo Ka ? ", Jeune Afrique,1 er juin 1999.
sont, encore aujourd'hui, confrontés au
problème du fonctionnement de l'ONEL et de la désignation de son
Président. Il demeure évident que le Président de l'ONEL
ne peut être crédible que s'il est désigné
conformément à la loi sans quoi la neutralité positive de
cet organe est gravement compromise. En outre, cette désignation doit
être consensuelle et recueillir l'agrément de tous les acteurs
politiques. Aussi, changer le Sénégal devient un impératif
absolu ".
Devant le tollé général provoqué
par ce choix, Abdou Diouf, soucieux de conserver sa crédibilité
démocratique, fait machine arrière et choisit Louis Pereira de
Carvalho,
personnalité moins controversée puisque ayant
été président du Conseil d'État
sénégalais. Avec cette nomination, l'ONEL retrouve la confiance
de l'opposition et une objectivité un temps menacé. Cette
volte-face présidentielle est une victoire pour les opposants qui
montrent
qu'ils sont en mesure de faire plier à la fois le PS
et le Président de la République. Cette affaire est aussi
l'occasion pour l'opposition de démontrer le parti pris du
Président, incapable
de s'en tenir à son rôle d'arbitre. Pour elle,
"changer devient un impératif absolu" 61.
Un impératif confirmé lors de l'affaire dite "des
cartes israéliennes".