Le FRTE regroupe 19 partis d'opposition. Parmi eux, on compte
toutes les formations politiques majeures : le PDS, l'AFP, l'URD, And Jëf
et la LD/MPT. Le but de cette organisation est de fédérer
l'opposition, la faire travailler en commun pour lutter contre les trafics de
cartes électorales et les trucages au niveau du fichier. Le FRTE
effectue donc un travail parallèle à celui du ministère de
l'Intérieur et de l'ONEL de manière à ce que le scrutin de
février 2000 ne souffre d'aucune contestation et ne soit pas
entaché de fraudes. Il bénéficie
49 Francis Kpatindé, "Paris-Dakar dans l'avion de
Wade", Jeune Afrique, 2 novembre 1999.
50 "Retour de Wade : je suis assuré de ma victoire au
premier tour", Le Soleil, 28 octobre 1999.
51 Le Soleil évoque même la
polémique concernant la non retransmission
télévisée du retour de Wade. "Polémique entre
Wade et le président au HCA ", Le Soleil, 29 octobre 1999.
de l'expérience de Niasse et Kâ qui ont
fréquenté durant de nombreuses années la "machine
à
fraude socialiste ", allant même parfois
jusqu'à la diriger. Le déjà vécu est
particulièrement palpable dans les propos de Djibo Kâ :
"laissons de côté les querelles de clocher.
Tous ceux qui travaillent au départ de Diouf doivent conjuguer leurs
efforts pour que la consultation ait lieu dans de bonnes conditions. Ils
feraient mieux de suivre de près la révision des listes
électorales et la distribution des cartes d'électeur, de
s'assurer qu'ils disposeront de représentants dans tous les bureaux de
vote. Croyez-moi, c 'est à ces moments-là, propices aux fraudes
et aux manipulations, qu 'une élection se gagne ou se perd."
52.
L'opposition "historique" a dorénavant une parfaite
connaissance des procédés régulièrement
employés par les socialistes pour "favoriser" des
scrutins à leur avantage. Le FRTE devient de ce fait un véritable
organe de contrôle capable de dénoncer et d'assainir la vie
politique. Djibo
Kâ et surtout Moustapha Niasse mènent la vie dure
à leurs anciens collègues.
Le fondateur de l'AFP ne s'arrête pas là et ressort
de vieilles affaires qui mettent à mal les discours de probité
prononcés par les socialistes. Il évoque notamment un compte,
dénommé
"K2", qui aurait durant les années 1970 permit à
de nombreux ministres PS d'obtenir des prêts à "des taux
défiants toute concurrence". Cette affaire vise à entacher
l'image des "sages" du
PS auxquels rendent régulièrement hommage Ousmane
Tanor Dieng et Abdou Diouf . Cette révélation entraîne une
réaction immédiate du PS, qui via Le Soleil
,déplore que Niasse
"essaie de tenir l'image des anciens du comité
consultatif des sages" 53. Si ces
révélations sont le plus souvent rapidement laissées de
coté par Niasse, elles ont le mérite d'ébranler un peu
plus la maison socialiste.
Pour la première fois depuis son accession au pouvoir,
Abdou Diouf se heurte à une opposition véritablement unie et
solidaire. Si on note l'absence d'un candidat unique, si les
ambitions personnelles sont réelles, si les programmes
divergent sur certains points, en somme si la pluralité au sein de
l'opposition existe belle et bien, chaque candidat à travers le
FRTE témoigne de sa volonté de voir chuter le
chef de l'Etat. L'intérêt supérieur de la nation
sénégalaise n'est donc pas pour le FRTE une élection
transparente et sans fraudes mais
l'éviction pure et simple - par presque tous les moyens
- du Président de la République en place. Ainsi, seuls les
anti-dioufistes sont admis au sein du FRTE, comme le prouve
l'exclusion de Jean-Paul Dias et de son parti après le
ralliement de l'ancien ministre de l'Intégration Economique Africaine
à Abdou Diouf 54.
Plus qu'une organisation de contrôle, le FRTE est un front
pour l'alternance. Chacun de ses
membres prend pour habitude de diaboliser le Président en
exercice et de l'opposer à son prédécesseur. Moustapha
Niasse, Djibo Kâ, voire Abdoulaye Wade, soulignent la
clairvoyance et les vertus démocratiques de Senghor pour
mieux insister sur les tares du régime dioufiste. Oubliées les 14
ans de prison de Mamadou Dia, oublié le parti "unifié",
oubliées les réélections à 99 % :
Léopold Sédar Senghor apparaît aux dires des opposants
comme le véritable père de la démocratie
sénégalaise. Par conséquent, toute l'entreprise de
réhabilitation politique de Senghor menée par
Abdou Diouf depuis 1988 se retourne contre lui. Le chef de l'Etat
n'apparaît plus comme le prolongement de "l'oeuvre senghorienne" mais
comme le traître, celui qui a renié la
"pensée du maître" via ses politiques économiques et
corruptives héritées pourtant... de Senghor en personne. Cette
falsification de l'histoire -
puisqu'il s'agit de cela - est facilitée par le fait que
plus de la moitié de la population
52 Francis Kpatindé, "Où s'arrêtera
Djibo Ka ?", Jeune Afrique, 1 juin 1999.
53 Le Soleil, 21 et 25 octobre 1999.
54 "Le FRTE : Dias attend notification", Le Soleil, 21
novembre 1999.
sénégalaise n'a jamais connu Léopold
Sédar Senghor comme Président. En adoptant un discours
pro-Senghor, le FRTE s'approprie une icône jusque là
réservée au PS. Le prestige du Président-poète
n'est donc plus l'apanage du PS mais celui de l'opposition.
Cette stratégie bénéficie à
Niasse et Kâ, qui justifient leurs ruptures avec le PS. Ceci profite
également à Abdoulaye Wade, qui propose de mettre fin aux
années sombres d'Abdou Diouf. Le FRTE sèvre de ce fait le chef de
l'Etat d'un de ses thèmes fédérateurs et le coupe d'une
partie de l'électorat socialiste. Le front tente aussi, soit par
Kâ-Niasse, soit par Wade, d'empêcher un ralliement clair du PS
français en faveur du candidat Diouf.
Les deux anciens membres du PS vont à la rencontre de
leurs homologues français, leur explique qu'à l'instar du
Président de la République, ils revendiquent une filiation
à Léopold Sédar Senghor et qu'il serait donc malvenu que
le PS français se risque à soutenir un homme minoritaire et de
surcroît adepte de procédés peu démocratiques. Les
socialistes français, en dépit du fait qu'Ousmane Tanor Dieng
soit depuis 1996 vice-président de l'Internationale socialiste,
écoutent avec attention les arguments des anciens ministres et semblent
prêts à ne pas appuyer aussi vigoureusement que par le
passé le chef de l'Etat.
Abdoulaye Wade souligne également de son coté
les dangers que représente une réélection dioufiste. Par
l'intermédiaire d'Alain Madelin, le PDS mène une campagne de
sensibilisation à l'égard des caciques du PS français
55. Cette "solidarité libérale" 56
amène le président de Démocratie Libérale
à écrire en décembre 1999 personnellement à Laurent
Fabius, ancien Premier ministre de François Mitterrand et
président de l'Assemblée nationale française, pour
dénoncer les pratiques de Diouf, qui "préparent manifestement
la manipulation du prochain scrutin ". Alain Madelin rajoute à la
fin de sa lettre :
"je vous demande, en tant que président de
l'Assemblée nationale (...) mais aussi en votre nom propre, compte tenu
des liens de M. Abdou Diouf avec les socialistes français, de bien
attirer l'attention de ce dernier sur le respect de cet engagement et sur les
risques qu 'il y aurait à organiser un scrutin non transparent et non
démocratique" 57.
Contrairement à 1993, la précampagne
électorale de l'opposition conduite en France n'a pas pour but principal
de séduire l'électorat des expatriés
sénégalais mais d'obtenir des soutiens explicites d'hommes
politiques français.
En l'espace deux ans, les opposants ont réussit
à mettre à mal le soutien français sans faille dont
bénéficiait autrefois Abdou Diouf. A présent plus ou moins
esseulé, le Président doit faire face à une opposition qui
constitue un groupe de pression efficace, capable d'influencer le choix du
président de l'ONEL, de révéler l'existence d'un double
stock de cartes électorales et de jouer sur les peurs suscitées
par le putsch militaire ivoirien.
55 Abdoulaye Wade ne s'oriente pas vers le RPR pour deux raisons
majeures. La première est que depuis sa défaite aux
législatives de 1997, le parti gaulliste a bien du mal à avoir
une influence sur la vie politique française et internationale. La
deuxième est que Jacques Chirac - qui demeure officieusement le chef du
RPR - est un ami personnel d'Abdou Diouf, étant même le parrain de
sa fille Yacine. Il parait donc vain de tenter de convaincre le RPR du danger
représenté par le candidat socialiste.
56 "Solidarité libérale", Jeune Afrique,
28 décembre 1999.
57 Idem.