En dépit de la réussite de la "campagne de
Paris", le PDS est un parti malade, qui à l'instar de son rival
socialiste, est laminé par les querelles internes. On assiste
après 1996 à une guerre de positionnement entre Ousmane Ngom et
Idrissa Seck. L'âge d'Abdoulaye Wade (72 ans) n'est pas innocent à
ces rivalités, chacun pensant qu'un échec au scrutin de 2000
sonnerait le glas de sa carrière politique. Les deux hommes se placent
ainsi dans l'optique soit de succéder à
40 A ce sujet, Niasse profite du16 juin 1999 pour critiquer le
bilan dioufiste : "le mandat présidentiel doit être
constitutionnellement limité à deux termes et non pour des
périodes de sept ans mais bien de cinq ans au maximum. Il est
évident et aujourd'hui amplement prouvé que ce qu 'un chef d'Etat
n 'a pu réaliser en dix ans, il ne pourra jamais le réaliser en
vingt ou trente ans".
41 Cette image d'incorruptible est liée à ses
moyens financiers conséquents. Niasse rappelle souvent après juin
1999 qu'entre 1993 et 1998, il n'a jamais été
rémunéré à sa demande : "lorsque le
président Diouf m 'a proposé, en 1993, le portefeuille des
Affaires Etrangères, j 'ai demandé que mon salaire de ministre
soit versé à une oeuvre caritative et j 'ai continué
à utiliser mes propres véhicules et à résider dans
ma propre maison. Mes affaires marchent bien et ce n 'est sûrement pas la
politique qui me fait vivre". "Que peut apporter Niasse à Wade ? ",
Jeune Afrique, 7 février 2000.
42 Francis Kpatindé, "Diouf, Wade et les trublions",
Jeune Afrique, 29 juin 1999.
Wade dans les prochains mois, soit en cas de victoire
libéral d'avoir une chance d'accéder à la Primature.
Après le départ de Jean-Paul Dias du PDS en
1993, Ousmane Ngom apparaît comme le mieux placé pour prendre
à terme la direction du parti libéral. Il est en deuxième
position sur la liste nationale PDS aux législatives de 1993, il prend
part seul à la direction de certains meetings et "accompagne"
Wade lors de son séjour à la prison de Rebeuss en 1994. Son
destin et celui du fondateur du PDS semblent lier.
Toutefois, on constate peu à peu l'émergence
d'Idrissa Seck, surtout après son entrée au ministère du
Commerce, de l'Artisanat et de l'Industrialisation en 1995. Cette nomination
n'est pas un hasard car Seck a été formé par le chef de
l'opposition, qui lui a très rapidement donné sa chance en lui
confiant la direction de sa campagne électorale de 1988. Le jeune
Idrissa Seck - il est né le 9 août 1959 - s'affirme
progressivement comme le principal concurrent de Ngom.
Cette rivalité est décuplée après
les élections municipales de 1996. Ngom et Seck se présentent
respectivement à Saint-Louis et Thiès. S'ils connaissent tous
deux la défaite, Seck obtient un très bon résultat (40,52
%) alors que Ousmane Ngom est laminé par la machine électorale PS
(28,41 %). Les cartes sont redistribuées, Seck ayant fait de la
deuxième ville du pays une place forte du parti libéral.
Le bureau politique PDS se scinde alors entre les pro-Ngom et
les pro-Seck. Mesurant les dangers d'une telle division, Wade renvoie
dos-à-dos ses lieutenants lors des législatives de 1998. Au lieu
de les inscrire sur la liste nationale, il les place sur des listes
départementales, dans le but de ne susciter aucune jalousie et de
réaffirmer sa prédominance 43. Cette
décision est un échec, les tensions demeurant suite aux scores
médiocres enregistrés par les libéraux. Le chef de
l'opposition choisit alors de sanctionner plus durement l'agitation. De
nombreux pro-Ngom sont évincés du PDS tandis que l'ancien
numéro deux du parti est rétrogradé au rang de simple
secrétaire permanent. Idrissa Seck est lui-aussi durement
sanctionné, puisqu'il n'est plus que secrétaire national. Pour
remplacer ses deux anciens bras-droits, Wade nomme un vice-président PDS
factice, Laye Diop Diatta, personnalité politique de second
ordre44.
L'objectif de Wade est très certainement de
départager au plus vite les deux rivaux. Si Idrissa Seck accepte la
sanction, Ousmane Ngom réagit beaucoup plus vivement et réclame
à peine 48 heures après les sanctions une convocation du bureau
politique. Wade la refuse mais propose à son ancien dauphin le poste de
secrétaire général national adjoint. En dépit du
fait qu'il se voit déchargé avec cette proposition de son
encombrant rival, Ousmane Ngom la refuse et démissionne le 11 juin 1998
du PDS en compagnie d'une quinzaine de responsables libéraux dont Marcel
Bassène, ancien vice-président à l'Assemblée
nationale.
Pour satisfaire son ambition personnelle, il crée dans
les semaines qui suivent sa propre formation : le Parti Libéral
Sénégalais (PLS). Lors de la présentation de son parti,
l'ancien ministre dénonce "la dérive monarchiste" de
Wade et affirme vouloir établir "une société libre,
démocratique, permettant à chaque citoyen d'assurer le plein
épanouissement de sa personnalité et la libre expression de ses
capacités physiques et intellectuelles" 45.
Boycotté par le front de l'opposition, largement
favorable à Abdoulaye Wade, le PLS est dans l'obligation dès les
premiers jours de son existence de se rapprocher du parti gouvernemental. Cette
alliance favorise le PS, puisqu'elle permet à la propagande
étatique de discréditer
43 Il déclare à cette occasion : "je
détiens les responsabilités moi-même ". "Abdoulaye Wade
renvoie ses lieutenants à la base", Le Soleil, 19 avril 1998.
44 "Remaniement au PDS : Wade désarme ses
lieutenants", Le Soleil, 7 juin 1998.
45 "Eclatement du parti de Wade", Afrique Expresse, 30
juillet 1998.
Abdoulaye Wade. De nombreux articles publiés dans
Le Soleil font état de ralliements massifs au PLS entre
juillet-août 1998. Ces informations se révèlent dans
l'ensemble erronées, la plupart des militants libéraux mises en
cause clamant touj ours appartenir à la formation wadiste dans leur
droit de réponse 46 . Néanmoins, la propagande
socialiste à l'intention du PLS prend bien vite fin, les
médiocres résultats obtenus par le parti de Ngom lors des
élections sénatoriales - à peine 3% des voix -
discréditant à eux-seuls le soi-disant succès de la
nouvelle formation libérale.
La rébellion de l'ancien fidèle de Wade est
donc un échec. Il n'est pas le premier à s'être
aventuré à défier le Pape du sopi. Avant lui,
Serigne Diop et Jean-Paul Dias ont tenté de s'approprier la "machine
PDS", sans succès. Comme eux, Ngom croit pouvoir au moment de son
départ, en contestant et discréditant les pratiques de Wade,
récupérer son aura et surtout ses voix. L'ancien ministre pense
que la popularité du PDS n'est pas due au charisme personnel d'Abdoulaye
Wade mais à l'idéologie libérale développée.
Or, les insuccès du PDSR, du BCG et du PLS montrent très
clairement que c'est Wade qui fait le prestige du PDS et non l'inverse. Sans
lui, la pensée libérale n'a plus de sens et plus d'impact
électoral. Ceci confirme qu'au Sénégal, l'électeur
vote plus pour une personne - un chef - que pour une idéologie ou un
programme.
Devant l'effondrement politique de son ancien second,
Abdoulaye Wade peut facilement réintroduire à ses cotés
Idrissa Seck et lui confier le "dauphinat libéral". L'édifice PDS
a donc tremblé, et se retrouve un peu plus affaibli durant l'exil de son
fondateur, d'octobre 1998 à octobre 1999. Comme par le passé,
Wade pense qu'un retrait de la vie politique peut lui être profitable,
car il prive Abdou Diouf de son principal interlocuteur. Le chef de l'Etat est
effectivement seul pour affronter les problèmes du pays -
insécurité dans le nord du Sénégal, agitation des
populations urbaines, enlisement de l'armée en Casamance et en
Guinée-Bissau etc. - et le mécontentement populaire qui en
découle.
Durant son exil, Wade s'appuie sur ses amis français,
tels que Alain Madelin et Alain Napoléoni, pour trouver des soutiens
politiques et financiers. Il justifie cette démarche en déclarant
que "tout homme politique sérieux a besoin d'argent pour aller dans
de bonnes conditions aux élections, surtout que l'adversaire, en face,
utilise impunément les moyens de l'État" 47.
Abdoulaye Wade prévoit en effet de dépenser 200 000
à 300 000 FCFA par jour au cours de sa campagne électorale
48, tout ceci pour payer les déplacements (parfois
en hélicoptère), la nourriture, l'organisation etc.
S'il se fait rare d'un point de vue médiatique - si
rare que des rumeurs à Dakar le disent gravement malade - Wade garde des
contacts très étroits avec l'opposition et surveille avec
intérêt le repositionnement de Moustapha Niasse. Après le
chamboulement politique du 16 juin 1999, il tente à la fois de
convaincre Savané, Dansokho et Bathily de lui maintenir leur confiance
et d'approcher Niasse pour s'assurer de sa loyauté en cas de second
tour. Après avoir conclu un "pacte de non-agression" avec l'ancien
ministre d'Etat, Wade peut naturellement regagner le sol
sénégalais.
Toutefois, ce retour doit constituer un événement
politique majeur, ayant pour but de lancer la campagne présidentielle
wadiste. Ainsi, journalistes et photographes se joignent à lui pour
46 "PLS : nouvelles adhésions", Le soleil, 10
août 1998 et "Adhésions au PLS : précisions", Le
Soleil, 17 août 1998.
47 "Wade cherche de l'argent en France", Jeune Afrique,
30 mars 1999.
48 Francis Kpatindé, "Paris-Dakar dans l'avion de
Wade", Jeune Afrique, 2 novembre 1999.
embarquer dans l'avion le ramenant à Dakar à la
fin octobre 1999 49. Au cours du trajet, il organise une
conférence de presse informelle, où il s'évertue à
expliquer sa vision du Sénégal, ses ambitions, ses souvenirs etc.
En limitant les barrières protocolaires avec les journalistes, Wade
tranche avec l'allergie dioufiste aux médias. Le chef de l'opposition
essaie donc de s'attirer les ferveurs des médias internationaux, qui
pourraient jouer un rôle capital dans l'élection
présidentielle en cas de second tour.
Quoi qu'il en soit, il arrive d'ores et déjà
à leur démontrer sa popularité auprès du peuple
sénégalais. A son arrivée à l'aéroport de
Dakar, des dizaines de milliers de personnes l'attendent. Le cortège met
trois heures à effectuer les dix kilomètres qui séparent
l'aéroport de la permanence libérale. Au cours du trajet, Wade
s'adresse à la foule en liesse, qui n'hésite pas à chanter
"papa gneuwna, papa dikkna" (papa est de retour). Il promet plus par
provocation que par réelle croyance une victoire au premier tour. Les
propos ci-dessous retranscrivent l'état de grâce que connaît
Wade le jour de son retour au Sénégal :
"je retrouve le Sénégal et les
Sénégalais debout, mobilisés, prêts à se
battre pour l'alternance. Votre mobilisation d'aujourd'hui exprime qu'ils
veulent le changement (...) J'ai parlé au Français que la
stabilité, c'est moi ! Si je n 'étais pas un homme de paix,
j'irais passer la nuit au palais de la République ce soir"
50.
C'est un véritable triomphe pour Wade qui
démontre au PS qu'il n'a rien perdu de sa popularité dans la
capitale. Il met aussi en évidence la force de sa "Coalition Alternance
2000", tous les grands leaders de ce front wadiste étant présents
à sa descente d'avion. Contrairement à 1993, Wade rallie à
lui des leaders tels que Landing Savané (And Jëf), Abdoulaye
Bathily (LD/MPT), Mamadou Dia (MSU) et Amath Dansokho (PIT). L'alliance
formée en 1996 pour la création de la CENI ne s'est donc pas
écroulée. En ayant ménagé ses partenaires de
l'opposition, en ayant pris en compte certaines de leurs revendications,
Abdoulaye Wade s'est assuré leur soutien indéfectible.
La nouvelle du retour de Wade fait le tour du
Sénégal mais aussi le tour du Monde. Gêné par cet
engouement, le pouvoir censure les images de ce triomphe à la
télévision. Cependant, Le Soleil fait un rapport
relativement complet de cette journée que l'on peut aisément
qualifier d'historique 51 . Historique dans le sens que le peuple
dakarois adoube le candidat Wade. Grâce à ce soutien, et celui de
ses alliés politiques, le candidat de la "Coalition Alternance 2000"
traite en position de force face à Niasse et Kâ. Malgré
leur ambition personnelle, ils établissent une stratégie unitaire
pour faire tomber le régime socialiste. C'est dans cette optique qu'ils
érigent le Front pour le Respect et la Transparence des Elections
(FRTE).