Le Sénat est un projet qui a été de
nombreuses fois évoqué par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade durant
les années 1980 et 1990. Finalement, c'est après l'adoption de la
décentralisation que les contours du futur Sénat sont
tracés par le Président de la République. Outre le fait
que
15 "Lutte contre la corruption", Le Soleil, 24
août 1998 et "La motion de censure rejetée",Le
Soleil 18 août 1998.
16 "Conseil constitutionnel : les recours de l'opposition
rejetés", Le Soleil, 14 octobre 1998.
17 Assane Seck, Sénégal, émergence d'une
démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique,
pp.208, Paris, Karthala, 2005.
18 "Le PS s'indigne et riposte", Le Soleil, 13
septembre 1998.
son président devienne le troisième personnage
de l'Etat, Diouf souhaite que cette chambre permette la représentation
des collectivités territoriales au sein du pouvoir législatif.
C'est pourquoi le scrutin indirect est privilégié et que seuls
les membres de l'Assemblée nationale et les conseillers locaux,
municipaux et régionaux sont consultés pour ces élections.
En somme, le Sénat sénégalais se calque trait pour trait
sur son homologue français.
Bien avant le raidissement des relations PS-PDS, Wade
s'interroge sur l'utilité et le coût d'une telle assemblée.
Ainsi, alors qu'il est toujours au gouvernement au moment du vote de la loi
02/98 instituant le Sénat, le PDS boycotte la consultation 19
. Il s'oppose également à la nomination directe de 12 des
60 sénateurs par le Président de la République. Cette
mesure est sujette à polémique, les libéraux allant
jusqu'à déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. Ils
arguent du fait que la Constitution interdit à "quiconque de
s'arroger les attributs de la souveraineté nationale" 20
. La cour d'Etat donnera raison au Président de la
République.
Les multiples désaccords Diouf-Wade, amplifiés
par le climat post-électoral, ne favorisent pas l'acceptation du nouveau
Sénat. Par conséquent, seules trois listes se présentent
aux sénatoriales : celles du PS, du PLS, et du PAI. L'opposition est
totalement absente de ce scrutin car les deux partis en concurrence avec les
socialistes ne sont en fait que des "filiales" : le PAI de Majhemout Diop s'est
rallié depuis 1993 sans condition à la politique dioufiste et le
PLS, nouveau parti d'Ousmane Ngom, qui a rompu depuis 6 mois avec Abdoulaye
Wade, s'est très sensiblement rapproché du cercle d'Ousmane Tanor
Dieng depuis sa création. En raison d'une très large
majorité d'électeurs socialistes et de l'absence d'opposants
réels, le scrutin du 24 janvier 1999 se déroule tout
naturellement dans une indifférence presque générale.
C'est un sentiment d'échec qui prédomine à l'annonce des
résultats.
Sans surprise, le PS gagne haut la main. Sur 10 775 suffrages
valables (la participation est particulièrement élevée,
étant donné que pour ces élections, elle est obligatoire),
le parti gouvernemental obtient 9 840 voix (9 1,32 %), le PAI 609 (5,65 %) et
le PLP 326 (3,03 %). Le Sénat, qui devait prolonger la réussite
de "l'ouverture" constatée en 1996, ne fait que consacrer le
monocolorisme socialisme : 58 sénateurs PS sont élus ou choisis -
on compte parmi eux des "sages" tels que Babacar Bâ ou Assane Seck -
tandis qu'en guise de "récompense" pour leur participation, Majhemout
Diop (PAI) et Marcel Bassène (PLS) sont nommés par Abdou Diouf.
Finalement, la seule surprise de cette consultation est le fort pourcentage de
sénatrices élues, qui s'élève à 18,33 % (11
femmes sur 60 sénateurs ).
Cette Assemblée, dirigée par Abdoulaye Diack
(PS), souffre donc dès sa création d'une
illégitimité perceptible. C'est un réel échec pour
Abdou Diouf, qui avait fait de la mise en place du Sénat l'un des
objectifs prioritaires de son septennat. Ceci n'est pas la seule
déconvenue que connaisse le chef de l'Etat en 1998. Sur le plan
franco-sénégalais, Abdou Diouf est
décrédibilisé par la campagne d'information menée
par l'opposition lors de sa visite officielle à Paris. Sur le plan
africain, il subit les répercussions de l'enlisement de l'armée
sénégalaise aussi bien en Casamance qu'en Guinée-Bissau.
En cette fin de millénaire, la vitrine sénégalaise
apparaît belle et bien craquelée 21.
19 "Le Sénat passe : un vote boycotté par
l'opposition ", Le Soleil, 15 février 1998.
20 "Désignation de sénateurs par le
Président de la République", Le Soleil, 11 mars 1998.
21 Collectif "Survie", "France-Sénégal : une
vitrine craquelée", Paris Montréal, l'Harmattan, 1997.