Depuis les premières déclarations tanoriennes
concernant une possible réforme du code électoral, les rapports
entre le PS et le PDS se sont considérablement
détériorés. Seule la bonne entente entre Abdou Diouf et
Abdoulaye Wade maintient un semblant d'unité au gouvernement. Celui-ci
vacille un peu plus lorsqu' au mois de janvier 1998, le ministre de l'Economie
et des Finances, Ousmane Sakho démissionne. Il est remplacé dans
ses fonctions par son ancien adjoint, Lamine Loum.
Ce départ surprend puisque Ousmane Sakho,
réputé pour son orthodoxie financière, est
127 "Le Renouveau ira aux élections", Le Soleil,
25 décembre 1997.
128 "Conseil national du PS : clarification", Le
Soleil, 16 mars 1998.
populaire auprès des bailleurs de fonds internationaux
depuis la dévaluation. Il a en effet
encouragé le Sénégal à se
réformer et à définitivement abandonner les vieux
principes économiques senghoriens. Si les bulletins gouvernementaux
présentent cette démission
comme "un choix personnel" du ministre, Abdoulaye Wade contredit
la version officielle et donne les vraies raisons de ce départ. Ces
révélations n'ont pour seul but que d'affaiblir le
Premier ministre.
Le ministre d'Etat explique que Sakho n'a pas supporté
de devoir piocher dans les bénéfices
de la privatisation pour couvrir les déficits du FED et
rembourser le prêt de la BAD. Ces problèmes de remboursement
réjouissent Wade, lui qui a touj ours exprimé son refus de
voir
confier le FED au Premier ministre. Il indique dans une
conférence de presse à ce sujet : "nous devons savoir si les
importantes pertes qu 'il nous fait subir proviennent d'une erreur,
d'une négligence ou encore de l'incompétence.
Auquel cas, l'on devrait retirer la gestion des fonds au Premier ministre pour
incompétence" 129.
En janvier 1998, Abdoulaye Wade s'oppose aussi à une
baisse de la proportionnelle pour les
élections législatives, boycotte le vote à
l'Assemblée nationale instituant le Sénat mais... prône
touj ours le maintien du PDS au gouvernement, affirmant que le chef de l'Etat
compte encore
sur sa présence. Rien ne semble pouvoir briser ce pacte
de non-agression conclu implicitement entre Diouf et Wade. Les rôles sont
clairement définis : le Président de la
République s'abstient de prendre parti pour un camp
dans le domaine de la politique intérieure tandis que Wade maintient un
semblant de cohésion nationale en restant au gouvernement en
dépit des protestations de sa base 130 . C'est pourquoi le chantre du
sopi reste ministre d'Etat,
bien que les initiatives socialistes soient de plus en plus
controversés.
Le jour du vote de la loi instituant le retour à la
parité scrutin majoritaire - scrutin
proportionnel, un député socialiste, Niadiar
Sène, propose via un simple amendement de porter le nombre de
députés pour la prochaine législature de 120 à 140
131 . L'amendement, qui
n'est pas inscrit à l'ordre du jour, provoque la
colère des députés libéraux. Outre le
procédé - le PS récuse l'idée du coup de force,
estimant que l'ordre de modification de la loi organique
ne précisait pas le contenu - ils critiquent l'absence de
recettes compensatoire pour financer cette modification. De son coté, le
PS soutient que ces nouvelles dépenses sont compensées
par la loi, celle-ci prévoyant la suppression... d'un
poste de vice-président de l'Assemblée nationale, de deux
secrétaires élus et de deux présidents de commission.
Il n'y a donc aucun consensus lors de cette modification de la
loi organique. Le PDS, sans
grande illusion, dépose alors un recours devant le
Conseil constitutionnel. A la grande surprise des libéraux, les sages
rejettent l'amendement Niadar Sène le 24 février 1998, pour
les raisons suivantes :
"le nombre de députés est fixé par
une loi organique, c 'est qu 'elle obéît à une
procédure particulière qu 'en l'espèce, l'amendement dont
il s 'agit a transgressé manifestement les règles
particulières et spéciales prévues en matière de
loi organique, qu'il n'a fait l'objet ni d'écrit (obligatoire), ni de
communication préalable aux membres de l'Assemblée Nationale"
132.
Cette décision est historique. Pour la première
fois depuis l'indépendance, le conseil des sages rejette une proposition
de loi socialiste pour anticonstitutionnalité. L'espoir est de mise
du
coté de l'opposition, cet événement
semblant démontrer l'incapacité du pouvoir socialiste de
129 "La conférence de presse tourne court", Le
Soleil, 23 janvier 1998.
130 "Me Wade rencontre son comité national", Le
Soleil, 25 janvier 1998.
131 "La future assemblée", Le Soleil, 5
février 1998.
132 "L 'amendement Niadiar Sène rejeté",
Le Soleil, 25 février 1998.
verrouiller à présent tous les leviers
décisionnels de l'Etat. Cet optimisme, palpable dans les colonnes du
Soleil, n'est cependant qu'éphémère. En effet,
dès le 27 février 1998, un décret présidentiel
convoque en session extraordinaire l'Assemblée nationale pour modifier
l'article
L 0117 du code électoral. La modification de loi est
ainsi votée légalement, par 62 parlementaires socialistes. Elle
fait porter le nombre de députés à 140.
Le PDS redépose un recours devant le Conseil d'Etat
pour "excès et détournement de pouvoir" du
Président de la République, mais cette fois-ci, la
constitutionnalité de la loi est établie. L'opposition
dénonce alors les objectifs politiques du décret d'Abdou Diouf et
rompt immédiatement avec un homme dont elle louait l'impartialité
quelques semaines auparavant. Dorénavant, le chef de l'Etat n'est plus
considéré comme un allié fiable.
En effet, Diouf montre par son décret sa
partialité et pire, son implication personnelle dans la remise en cause
du code électoral "presque parfait" de 1992. En agissant de la sorte, le
chef de l'Etat commet une lourde erreur politique. Il est maintenant
exposé aux critiques permanentes de l'opposition, qui ne fait plus de
différenciations entre lui et son homme de confiance, Ousmane Tanor
Dieng. Dans les déclarations des opposants, Diouf a troqué son
costume de Président consensuel contre celui de monarque tout puissant,
incapable d'être à l'écoute des revendications
démocratiques de ses adversaires. Ces derniers veulent à
présent sa chute pour mettre définitivement fin aux manigances
PS. Bien involontairement, Abdou Diouf s'est lancé
prématurément dans la campagne présidentielle de 2000.
Le pacte de non-agression conclu en 1995 entre Abdou Diouf et
Abdoulaye Wade est brisé. La confiance étant rompue, les
députés libéraux ne siégent plus au Parlement et
les ministres PDS n'assistent plus aux réunions hebdomadaires du
gouvernement. Logiquement, après s'être entretenu une vingtaine de
minutes avec le chef de l'Etat, Abdoulaye Wade présente le 21 mars 1998
sa démission et celle de ses ministres 133 . Suite à ce
départ, le Président de la République - mesurant
certainement le poids de son erreur - propose dans son allocution du 4 avril
1998 un nouvel approfondissement de la démocratie
sénégalaise. Il emprunte certaines vieilles revendications
wadistes et propose la création d'un statut de chef de l'opposition et
une loi sur le financement des partis politiques, de manière à
permettre aux formations les moins fortunées d'avoir un meilleur
accès aux médias et à la population 134.
Le soutien d'Abdou Diouf au PS fait donc régner
après mars 1998 un climat de suspicion vis-à-vis du pouvoir.
Pourtant, le chef de l'Etat garantit le bon déroulement des prochaines
élections en prenant des dispositions en faveur de l'ONEL et d'une
transparence accrue de l'administration.