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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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4.2. La crise rénovatrice :

Après les élections de 1996, les contemporains pensent que Tanor Dieng à la possibilité de s'imposer définitivement à la tête du parti. En effet, il n'est plus une personne parachutée par Abdou Diouf mais l'homme qui a su par sa stratégie reconquérir Dakar et les grands centres urbains. Sur la lancée de ses déclarations de campagne, le premier secrétaire général socialiste continue à être au centre des polémiques en proposant la fin du quart-bloquant - qui empêche un candidat à la présidentielle de gagner au premier tour s'il n'a pas le quart des voix des inscrits - la suppression de la limitation des mandats présidentiels et le retour à la parité scrutin majoritaire -scrutin proportionnel pour les élections législatives de 1998 121 . Les propositions tanoriennes remettent donc en cause certains principes du code électoral

117 "La lettre du Président aux partis", Le Soleil, 12 août 1997.

118 "ONEL : les 19 divisés", Le Soleil, 18 août 1997.

119 "101 députés pour, 3 contre (AJ et PIT) : l'ONEL est adoptée", Le Soleil, 29 août 1997.

120 "And Jëf quitte le collectif des 19", Le Soleil, 4 septembre 1997.

121 "Front de l'alternance : Me Wade appelle au respect des textes", Le Soleil, 24 novembre 1997.

consensuel de 1992. Si le ministre d'Etat prend le risque de grandement heurter l'opposition, c'est certainement qu'il s'estime être suffisamment soutenu par son parti et le chef de l'Etat.

En effet, "un vent d'unité" souffle sur le PS d'après la propagande gouvernementale 122 . Toute la machine socialiste est derrière le premier secrétaire général, notamment lors de son

opposition à la création d'une CENI. Fort de cet appui, Ousmane Tanor Dieng multiplie les discours et les interviews à la gloire de son parti et de Diouf, qu'il considère comme "son

maître, son père spirituel". En 1997, il estime que lui et le chef de l'Etat forment les deux faces d'une même médaille 123.

Rassuré par le consensus trouvé par Diouf autour de l'ONEL, Tanor Dieng pense connaître une période faste lorsque le dissident Balla Moussa Daffé, maire de Sédhiou, revient dans le

giron socialiste en octobre 1997. Néanmoins, l'agitation rénovatrice, palpable depuis 1993, vient briser ce tableau idyllique.

Dans un premier temps, Le Soleil ne relate pas les agissements des rénovateurs. C'est de façon

contournée que le quotidien évoque pour la première fois un affaiblissement du PS. Il publie le 19 octobre 1997 un article intitulé : "Ousmane Tanor Dieng appelle à la cohésion" :

"si notre parti tire sa vitalité et sa force de la permanence du débat en son sein, la démocratie interne, comme toute démocratie, a des règles auxquelles elle doit obéir. Amis, les orientations sanctionnées majoritairement par les militants deviennent les orientations pour tous. Chacun doit s'estimer tenu par cette obligation fondamentale, car ce devoir élémentaire de clarté et de cohésion est la clé de notre cohésion. Et puis, nous devons savoir que tous ce qui affaiblit le parti, affaiblit le Président du parti, qui en est le socle, l'âme, l'inspirateur. Nous devons aussi savoir que le Président le sait".

Le 19 octobre 1997, le PS reconnaît donc officiellement l'existence d'un problème en son sein.

Le jour de parution de l'article n'est pas un hasard, puisque c'est à partir de cette date que débute ouvertement l'opposition entre conservateurs et rénovateurs. Dès le 24 octobre 1997,

Le Soleil identifie clairement les têtes pensantes de la Rénovation. Trois personnalités se dégagent : Mbaye Diouf, vice-président à l'Assemblée nationale, Abdourahmane Touré,

ancien ministre et surtout Djibo Kâ, dont le nom apparaît pour la première fois dans les colonnes du Soleil depuis son évincement du gouvernement en 1995.

Pourquoi Le Soleil traite-t-il subitement une information qu'il a cherchée à étouffer pendant

plusieurs mois, voire plusieurs années ? Il semble que le journal ne fasse que répondre aux exigences des conservateurs qui désirent "dévoiler" l'ennemi pour lui mener à partir d'octobre

1997 une véritable guerre ouverte.

Les tanoriens ne font finalement que répondre aux rénovateurs qui ont déjà employé

"l'artillerie médiatique" en publiant dans le journal sénégalais Wal Fadjri un article intitulé "Contribution sur l'ONEL et l'unité du parti" le 27 août 1997. Rédigé par Mbaye Diouf, le

Renouveau menace de présenter une liste aux législatives si le courant n'est pas pris en compte, les personnes ralliées à Djibo Kâ étant "des gens d'honneur qu 'il faut retenir à temps car ne sachant pas reculer" 124 . Si ces derniers menacent de se scinder du PS tanorien, ils

"sont prêts à se mettre en réserve du PS tout en restant attachés au Président Abdou Diouf".

Cet attachement au Président de la République est réitéré dans un second article, touj ours publié dans Wal Fadjri, daté du 13 octobre 1997.

C'est donc cette pression médiatique ascendante qui pousse le PS à sortir de sa réserve. Dès le

122 "Vent d'unité socialiste à Saint-Louis", Le Soleil, 21 juillet 1997.

123 "Démonstration PS à Saint-Louis : la force sereine", Le Soleil, 1er décembre 1997. 124 "Rencontre avec le Renouveau", Le Soleil, 24 octobre 1997.

26 octobre 1997, un premier pamphlet est publié dans Le Soleil à l'encontre du Renouveau. Défini comme un "groupe réduit et assez insignifiant dont la plupart sont loin de correspondre avec le profil qu'ils cherchent à se donner", le courant rénovateur est résumé par les attaques socialistes à la seule personne de Djibo Kâ, assimilée "aux années sombres" du parti gouvernemental : "les Sénégalais ont la mémoire longue. Ils savent que plusieurs parmi ces personnages ont incarné dans le passé, et jusqu'au dernier congrès du PS, tout ce que les citoyens de notre pays stigmatisaient et rej etaient au niveau de la formation socialiste"

La propagande gouvernementale oppose Ousmane Tanor Dieng, l'homme de l'unité et de la démocratie, à Djibo Kâ, le frondeur et l'homme du passé. Elle récupère de ce fait les propres arguments des rénovateurs pour les retourner contre "le courant de la rancoeur". Il s'agit donc bien, comme le reconnaît d'ailleurs l'article du 26 octobre 1997, d'une lutte de clan et non d'une lutte idéologique, puisque les deux leaders s'affilient au même parti (le PS), aux mêmes personnes (Abdou Diouf et Léopold Sédar Senghor) et revendiquent le même poste (premier secrétaire général du PS). Ousmane Tanor Dieng, refuse ainsi de reconnaître les rénovateurs, de tenir un nouveau congrès socialiste extraordinaire et d'accorder des places au sein du bureau politique aux frondeurs.

La situation étant bloquée, Djibo Kâ appelle "le fédérateur des divergences", Abdou Diouf, à venir régler la question, avec certainement le secret espoir que le chef de l'Etat va agir comme il l'avait fait avec Jean Collin en 1990. Kâ omet néanmoins un facteur important : contrairement à Collin, c'est Abdou Diouf lui-même qui a favorisé l'ascension d'Ousmane Tanor Dieng au détriment... de Djibo Kâ. Le destituer reviendrait donc pour Diouf à se désavouer.

Jugeant mal l'ampleur de la fronde, et poursuivant une logique menée depuis le limogeage de Kâ en 1995, le Président apporte un soutien appuyé à Tanor Dieng. Il affirme alors : "il n'est pas question d'accepter ou de constater un courant, c'est le plus sûr moyen de faire éclater le parti" 125 . Cette désapprobation sonne le glas des ambitions de Kâ au PS. Sans l'appui d'Abdou Diouf, l'ancien ministre n'a qu'une alternative à un retour au mutisme : la scission avec le parti gouvernemental. C'est ce à quoi Abdoulaye Wade l'encourage, lui qui se rappelle avec une certaine aigreur le rôle joué par les socialistes dans l'agitation que connu son parti au milieu des années 1980. Le fondateur du PDS pense que la formation d'une liste dissidente PS affaiblirait considérablement le parti au pouvoir et pourrait être la base d'une possible alternance politique soit en 1998, soit en 2000.

Le ministre d'Etat se satisfait donc de voir durant les trois derniers mois de l'année 1997 les rapports entre Kâ et le PS se dégrader considérablement. En novembre, 11 membres reconnus comme appartenant à la Rénovation sont suspendus de leur fonction au sein du parti. Djibo Kâ, alors banni des réunions du comité central, émet le souhait de rencontrer des hauts dirigeants socialistes français pour leur expliquer sa situation et obtenir d'eux un appui explicite. Sentant le danger d'une telle démarche, le pouvoir décide de réagir. Djibo Kâ est convoqué non pas par le PS mais par... le ministère de l'intérieur, sous prétexte que les actions rénovatrices sont des causes de perturbation de l'ordre public. On lui interdit alors un temps toute sortie du territoire 126.

Etant victime de "la machine à répression de l'Etat", le courant rénovateur accroît sa popularité auprès de la base socialiste et de l'opposition, celle-ci dénonçant les procédés anti-

125 "Renouveau : Abdou Diouf désapprouve et condamne", Le Soleil, 9 novembre 1997.

126 Le Soleil, 4 décembre 1997.

démocratiques et anti-républicains des socialistes. Cette affaire discrédite par conséquent Ousmane Tanor Dieng qui se présentait jusqu'alors comme un homme de dialogue et d'unité. Djibo Kâ profite de l'affaiblissement de son rival pour se démarquer des pratiques socialistes et faire son mea culpa : "nul n'est parfait et maintenant, je sais que l'homme est le remède de

l'homme (...) Je m'excuse d'avoir brisé des vies ou des carrières politiques quand j'étais au Parti Socialiste" 127.

L'ancien ministre se lave ainsi de son passé et peut dorénavant représenter une véritable alternative au PS pour les législatives de 1998. La rupture avec Abdou Diouf est également consommée lorsqu'au conseil national socialiste de mars 1998, le chef de l'Etat emploie le terme "d'adversaires" pour désigner les rénovateurs :

"nos adversaires voudraient faire de moi un Président désincarné, introuvable, perdu dans les cieux (...) qu 'ils se détrompent. L'instrument de ma réélection à la tête du pays, c'est le Parti Socialiste, mon parti. Mon meilleur soutient, c 'est le PS. Ma famille politique, c 'est le PS. Que l'on ne compte pas sur moi pour scier la branche sur laquelle je suis assis (...) Ils se réclament du PS et de son Président. S'ils veulent m 'obéir, me faire plaisir, je leur demande de réintégrer nos instances et de venir travailler en leur sein (...) Après avoir dit cela, j'ai la conviction maintenant que toute les ambiguïtés ont été levées" 128.

Appelé à arbitrer le conflit Tanor Dieng - Kâ, Abdou Diouf a clairement choisi son camp. Adepte de la "main tendue" et du consensus avec l'opposition, le Président confirme qu'en ce qui concerne la direction du PS, il est beaucoup moins enclin au dialogue et à la négociation. Comme en 1984 ou 1990, il n'a pas hésité à trancher seul pour ramener la quiétude au sein de la formation gouvernementale. Mais contrairement aux "barons" ou à Jean Collin, Djibo Kâ a une ambition politique personnelle. Négligeant cet aspect de la personnalité de son ancien ministre, Abdou Diouf croit certainement qu'en confirmant Ousmane Tanor Dieng à la tête du PS, le courant rénovateur va de lui-même rentrer tôt ou tard dans le rang, sans imaginer que Kâ et ses compagnons puissent se rapprocher de la sphère d'influence wadiste.

Pourtant, en avril 1998, Djibo Kâ démissionne du PS, s'allie à des formations d'extrême gauche - le Mouvement de la Gauche Démocratique de Samba Diouldé Thiam, l'Union pour le Socialisme et la Démocratie de Doudou Sarr et l'Alliance pour le Progrès et la Justice de Talla Sylla - et se présente aux élections législatives.

Scindé, le PS aborde cette échéance électorale dans une position délicate, d'autant plus que les désaccords avec le PDS se multiplient. C'est donc en toute logique que le début de l'année 1998 voit le départ des ministres libéraux du gouvernement.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams