La principale nouveauté de cette Constitution est la
création - ou plus exactement le retour - du poste de Premier ministre.
Responsable devant le Président de la République et les
parlementaires, il coordonne la politique intérieure en ayant à
sa charge le gouvernement. Le Président de la République retrouve
dans les textes une fonction "à la française", en concentrant
l'essentiel de son action sur la diplomatie internationale. Le 26
février 1970, un "inconnu",
8 François Zuccarelli, La vie politique
sénégalaise (1940-1988), pp. 113, Paris, Publication du
Cheam, 1988.
Abdou Diouf, est nommé Premier ministre du
Sénégal 9.
Abdou Diouf est né le 7 septembre 1935 à Louga,
vieux bassin arachidier de la région du Cayor, localisé à
25 kilomètres de Dakar 10. Son père, qui
fait parti "de la moyenne élite administrative" du
Sénégal, envoie le jeune Abdou à l'age de 2 ans chez sa
grand-mère paternelle à Saint-Louis. Il suit dans la capitale
sénégalaise une double scolarité, à l'école
française et à l'école coranique. Cette dernière,
passage obligé pour tout bon musulman sénégalais, lui
enseigne le Coran. Cependant, estimant avoir "assez appris de Coran pour
faire ses prières ", il quitte l'école coranique
après son entrée au lycée Faidherbe. Il y obtient son
baccalauréat en 1955.
Cette jeunesse à Saint-Louis lui permet aussi de
rentrer en contact indirectement avec Léopold Sédar Senghor. Sa
grand-mère paternelle, héberge chez elle sa nièce, qui
s'avère être "la grande amazone de Senghor" à
Saint-Louis. Celle-ci s'occupe du comité des femmes senghoriste de
Saint-Louis, qu'elle réunit tous les soirs. Etant le seul lettré
de la maison, Abdou Diouf se charge durant cette période de faire
quotidiennement une revue de presse, qu'il relate au comité. Il s'occupe
également de rédiger les lettres envoyées à Senghor
et de lire ses réponses 11.
Après ce long passage à Saint-Louis, Abdou
Diouf gagne Dakar pour y suivre des études de droit public et de
sciences politiques. Etudiant brillant, il rentre en 1958 à l'Ecole
nationale de la France d'outre-mer, située à Paris. Il se destine
alors à intégrer à terme l'administration publique. Au
cours de ce séjour parisien, il fait la rencontre de deux personnes qui
vont fondamentalement changer sa vie : Elisabeth, qui devient sa femme en 1962,
et Habib Thiam. Abdou Diouf reste toutefois studieux. Il finit Major de sa
promotion.
Diplômé en juin 1960, il retourne au
Sénégal au moment même où le pays accède
à l'indépendance. Il intègre l'administration et se
retrouve nommé en décembre 1961 gouverneur de la région du
Sine Saloum. Néanmoins, il est rapidement démis de ses fonctions,
s'étant distingué des autres gouverneurs en refusant de faire
acte d'allégeance à Senghor lors de la crise de 1962. Sa
traversée du désert ne dure que très peu de temps,
puisqu'il intègre le cabinet du ministre des Affaires
étrangères, Assane Seck, en 1962 avant de rejoindre le cabinet
présidentiel de Léopold Sédar Senghor en mai 1963. Cette
progression rapide dans la hiérarchie montre qu'en dépit de
l'affront qui lui a été fait, le Président de la
République sénégalaise maintient sa confiance à
Abdou Diouf et lui réserve une destinée exemplaire. Devenu en
février 1964 secrétaire général de la
présidence de la République, le jeune technocrate apparaît
au sein du gouvernement en mars 1968, en tant que ministre du Plan et de
l'Industrie. Il conserve ce poste jusqu'à sa nomination à la
Primature.
Son physique tout en longueur - il mesure 1m 96 - qui lui donne
un air emprunté, ainsi que son visage juvénile, ne le servent pas
auprès du grand public. Il doit s'affirmer et montrer qu'il est
9 A cette occasion, Senghor aurait déclaré
à Abdou Diouf : "J'ai décidé de vous nommer Premier
ministre. Je ne vous ai pas choisi parce que j'ai une affection
particulière pour vous, mais parce que j'ai considéré que
vous êtes le meilleur de tous". Abdou Latif Coulibaly, Le
Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou
L'histoire du PS de la naissance à nos jours, pp. 92, Paris
Montréal, L'Harmattan, 1999.
10 Contrairement à ce qui a été
longtemps soutenu par la propagande officielle, Abdou Diouf n'a jamais
véritablement vécu à Louga. Dès l'age de 3 mois,
Abdou Diouf quitte Louga pour Bakel en raison d'une mutation de fonctionnaire
de son père, receveur des PTT. Il affirme d'ailleurs : "Je connais
beaucoup mieux Saint-Louis du Sénégal que Louga ". Abdou Diouf :
entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI, 2005.
11 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
plus qu'un technocrate sous la coupe du "Père de la
nation". Pour se défaire de cette impression, Senghor lui confie des
responsabilités locales. Diouf prend la tête de l'instance
dirigeante de sa ville natale, Louga, et succède à un "historique
de l'UPS", Moustapha Cissé. Ce rajeunissement des cadres locaux est
perceptible dans d'autres régions : Alioune Sène,
secrétaire d'Etat à l'Information, prend place à Fatick
tandis que Babacar Bâ, directeur du cabinet de Senghor, s'installe
à Kaolack. Ces changements s'étendent au bureau politique de
l'UPS : Abdoulaye Fofana, instigateur de la chute de Mamadou Dia en 1962, et
Doudou Thiam, ancien ministre des Affaires Etrangères, sont
remplacés par Jean Collin et Abdou Diouf, qui accèdent
respectivement après 1972 aux postes de secrétaire et
secrétaire adjoint de l'UPS. On assiste aussi à l'entrée
d'Ousmane Camara (liaisons avec les comités d'entreprises), Moustapha
Niasse (secrétaire à la Jeunesse) et Babacar Bâ
(secrétaire aux Affaires Economiques).
Le milieu syndical, principal responsable des troubles de
1968 et 1969, connaît lui-aussi des restructurations. L'UNTS est affaibli
par le départ de son dirigeant Doudou N'Gom, nommé à la
présidence d'un nouveau syndicat, la Confédération
Nationale des Travailleurs du Sénégal (CNTS), crée le 14
juin 1969. Très clairement rattaché au parti senghorien, "la
CNTS est intégrée dans l'UPS et dotée d'un statut
organisationnel identique à celui d'une section régionale du
parti. L 'adhésion devient obligatoire pour tous les salariés
affiliés à l'UPS et vice versa" 12 . Cette
filiation est renforcée avec l'arrivée au gouvernement de
syndicalistes CNTS - Doudou N'Gom à l'Enseignement Technique et à
la Formation Professionnelle et Adama Mawa N'Diaye en tant que
secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères - et par
l'élection en 1973 d'une dizaine de députés UPS
appartenant à la CNTS.
Avec cette "participation responsable", le pouvoir tend
à mettre fin au malaise social et à "éliminer" l'agitateur
UNTS. Celui-ci rend les armes dès juillet 1971.
Les larges victoires du 28 janvier 1973 de Senghor et de
l'UPS - ils obtiennent 99,1 % et 98,9% des suffrages - ne reflètent
cependant en rien la popularité du pouvoir. La CNTS, payant sa relation
privilégiée avec l'Etat, n'est pas considérée par
la population comme "un défenseur" et voit sa stratégie de plus
en plus critiquée. Senghor doit trouver un nouveau moyen pour calmer
l'insatisfaction grandissante des Sénégalais, qui commencent de
surcroît à ressentir les premiers signes de la crise
économique. C'est pourquoi on constate, à partir de
l'année 1974, une ouverture démocratique dans le pays qui se
manifeste par la fin du régime à "parti unifié" et
l'instauration du tripartisme.