Une nouvelle Constitution est votée le 3 mars 1963. Le
thème de la campagne, "une seule tête pour un seul bonnet"
7 exprime l'idée que le Président de la
République devient à la fois le chef de l'Etat et du
gouvernement. Il est élu pour cinq ans au suffrage universel, le
même jour que les députés, pour montrer le lien
indéfectible qui existe entre l'action présidentielle et l'action
gouvernementale. En plus d'avoir l'initiative de la loi, il peut dissoudre
l'Assemblée nationale suite à une loi constitutionnelle
votée le 20 juin 1967. Les parlementaires n'ont eux aucun moyen de
pression sur lui.
Initiateur de cette réforme constitutionnelle, Senghor
remporte sans surprise - avec un score "africain" de 99% des voix - les
élections présidentielles du 1er décembre 1963 (UPS
"gagne" les législatives avec 94% des voix). Cette victoire s'inscrit
dans une période où, peu à peu, l'opposition s'efface.
Soit par obligation, soit par cooptation avec l'UPS.
- Le PAI de Majhemout Diop disparaît officiellement en
1960, accusé d'avoir été l'instigateur de troubles lors
des élections municipales de 1960.
- Le Bloc des masses sénégalaises (BMS) de
Cheikh Anta Diop est interdit en 1962. Ce dernier reforme un parti, s'appuyant
sur les partisans de Mamadou Dia. Le Front National Sénégalais
(FNS) prend toutefois fin en 1964
- Seul le PRA Sénégal tient tête à
l'UPS après la victoire de Senghor en 1963. Mais en échange de
postes gouvernementaux pour Abdoulaye Ly, Amadou Mokhtar Mbow et Assane Seck,
le dernier parti indépendant cesse d'exister après 1966. Le
Sénégal connaît alors un régime à parti
unique, ou comme aime le dire Senghor, à parti "unifié".
5 François Zuccarelli, La vie politique
sénégalaise (1940-1988), Paris, Publication du Cheam,
1988.
6 Abdoulaye Fofana, Ousmane Ngom, Magatte Lô et Moustapha
Cissé
7 François Zuccarelli, La vie politique
sénégalaise (1940-1988), Paris, Publication du Cheam,
1988.
Le durcissement du régime permet la mise en place d'un
syndicat unique, favorable à l'UPS : L'Union Nationale des Travailleurs
Sénégalais (UNTS). De plus, le code des obligations civiles et
commerciales de 1965 offre la possibilité au gouvernement d'interdire
toute association menaçant l'ordre public. La formation d'un "Etat
jacobin" atteint son paroxysme en 1966 avec la création de l'ONCAD,
chargée de contrôler l'ensemble des coopératives agricoles.
L'Etat désire par ces mesures annihiler toute forme de contestation,
quelle soit politique, économique ou sociale.
Alors que le Présidentialisme sénégalais
semble devoir perdurer, les dessins de Senghor sont modifiés par "la
pression sociale". L'opposition, devenue clandestine, cherche par
l'intermédiaire des enseignants, des ouvriers et des étudiants
à déstabiliser l'Etat senghorien. En outre, la situation
économique du pays commence à montrer des réels signes de
faiblesse. La monoculture arachidière, qui représente 78% des
exportations du Sénégal 8 , connaît une forte
baisse de sa production suite aux sécheresses de 1967. La récolte
annuelle passe d'un million à 835 000 tonnes. Il s'ensuit une forte
inflation et une baisse généralisée du pouvoir d'achat, la
population sénégalaise étant aux deux tiers
constituée de ruraux. Le chômage et la politique de blocage des
salaires sont autant de facteurs générateurs de tensions. L'UNTS,
syndicat affilié normalement à l'UPS, sort de son devoir de
réserve le 1er mai 1968 en critiquant la politique de Senghor. Le 27
mai, l'Université de Dakar apporte son soutien aux manifestants
français qui défient le pouvoir gaulliste avant d'entamer une
tentative de blocage des cours. La réaction du pouvoir ne se fait pas
attendre : le ministre de l'Intérieur fait dégager le campus le
jour même. Suite à ces évènements, la
fédération de l'UNTS du Cap Vert proclame la grève
générale. En réaction, Senghor déclare
l'état d'urgence le 30 mai. On assiste à des pillages, incendies
et attaques de résidences de dirigeants de l'UPS, sans pour autant que
l'insurrection s'étende à l'ensemble du pays. Le climat de
violence est surtout perceptible en milieu urbain et prend fin assez
rapidement, aux alentours du 4 juin. Une réunion le 18 juin 1968 entre
le gouvernement, le patronat et le syndicat aboutit à un
relèvement du SMIG de 15%, la "sénégalisation" des emplois
etc.
Contrairement à son homologue français, le
gouvernement sénégalais n'arrive pas à tirer les
conséquences politiques de ces graves événements. Tant et
si bien que la grève reprend en février 1969. Le conflit social
s'éternise et Senghor est dans l'obligation de décréter un
second état d'urgence le 11 juin 1969. Le calme revient presque
aussitôt. Ce deuxième avertissement est le bon pour le
Président sénégalais, qui mesure l'étendu de la
crise sociale. Des réformes politiques sont nécessaires pour
rétablir un climat de confiance entre les Sénégalais et le
pouvoir. La nouvelle Constitution sénégalaise, adoptée le
22 février 1970 par référendum, marque les
prémisses d'une ouverture politique.