Critiquant l'aspect élitiste et "français" du
parti de Guèye, Senghor et son compagnon de route Mamadou Dia fondent un
véritable parti de masse, le Bloc Démocratique
Sénégalais (BDS), capable d'attirer les nouveaux citoyens
"français", essentiellement des ruraux. Les victoires électorales
sur Guèye sont alors récurrentes : 1948, 1951, 1952, 1956 et
1957. Le BDS devient la grande formation politique du Sénégal.
Léopold Sédar Senghor, fort de cette suprématie et de son
statut de ministre français3, lance un premier appel à
l'unité, qui aboutit à la formation d'un nouveau parti en
collaboration avec l'Union démocratique sénégalaise (UDS)
: le Bloc populaire sénégalais (BPS). Il n'inclue cependant pas
la Fédération socialiste SFIO du Sénégal, Lamine
Guèye réorganisant son parti sous le sigle du MSA (Mouvement
socialiste africain) pour l'élection de l'Assemblée territoriale
de mars 1957. Ce scrutin est d'une extrême importance, puisqu'il est le
premier à prendre en compte les changements initiés par la loi
Defferre de 1956, qui abrogent le double collège et instaurent le
suffrage universel. Mais cette tentative s'avère être un
échec cuisant. Le MSA récolte 13 sièges alors que le BPS
en obtient 47.
Ces scores médiocres sonnent le glas des ambitions de
Lamine Guèye. Ce dernier se résout à "se faire avaler" par
la machine senghorienne4. En 1958, le BPS et le MSA fusionnent,
donnant naissance à l'Union Progressiste Sénégalaise
(UPS). Ce nouveau parti possède la totalité des 80 sièges
de l'Assemblée nationale. Il promeut dès ses premiers mois
d'existence le ralliement à la Communauté de De Gaulle,
contrairement au Parti Africain de l'Indépendance (PAI). Le "Oui" massif
du Sénégal (70.362 voix contre 21.901 de non) renforce
l'idée que l'UPS est devenue incontournable. L'échec de la
Fédération du Mali et l'indépendance acquise le 4 avril
1960 permettent quant à elles l'adoption d'une Constitution
sénégalaise, qui voit le jour le 25 août 1960.
Il y est stipulé que le Président de la
République (Senghor accède à la tête de l'Etat le 5
septembre 1960) est élu pour sept années par un collège
électoral limité, composé de députés et de
délégués
3 Il est secrétaire d'Etat à la présidence
du Conseil dans le gouvernement Edgar Faure du 1er mars 1955 au 1er
février 1956. Il sera ensuite ministre conseiller du gouvernement Michel
Debré, du 23 juillet 1959 au 19 mai 1961.
4 Lamine Guèye devient alors un fidèle... de
Senghor. En guise de récompense, il occupe le poste honorifique de
Président de l'Assemblée nationale de 1960 jusqu'à sa mort
en 1968.
des conseils municipaux et régionaux. La plus haute
magistrature du pays assure la continuité de l'Etat et sa
représentation à l'étranger. Elle désigne le
Président du conseil, qui nomme les ministres et coordonne la politique
intérieure. Il est investi par les députés qui peuvent le
démettre en adoptant une motion de censure. Ils votent également
le budget et les lois.
La séparation des pouvoirs est respectée dans
cette Ière République sénégalaise. On constate que
le binôme Senghor-Dia a une répartition à peu près
égale des pouvoirs. Ce couple politique, qui fonctionne depuis la
formation du BDS en 1948, cumule l'intelligence dialectique de Senghor et le
pragmatisme de Mamadou Dia 5. Mais cet équilibre
des forces est bientôt mis à mal par les luttes partisanes. Le 14
décembre 1962, le député Théophile James reproche
à l'Assemblée nationale le maintien de l'Etat d'urgence depuis
août 1960, date à laquelle le Sénégal a
décidé de mettre fin à sa collaboration avec l'ancien
Soudan français. Une motion de censure est aussitôt adoptée
à l'encontre de Mamadou Dia par une quarantaine de parlementaires. Se
sentant trahi, le Président du conseil fait entrer la gendarmerie place
Tascher le 17 décembre 1962 et ordonne l'arrestation des quatre
députés qui lui sont les plus hostiles 6 .
L'Assemblée nationale donne alors solennellement à Senghor les
pleins pouvoirs. Mamadou Dia est mis en détention le soir même.
Cet événement marque la fin du bicéphalisme de
l'exécutif au Sénégal.