Prévues en 1995, les élections municipales sont
repoussées à l'année suivante pour être coupler au
scrutin régional. Avec ce regroupement, l'Etat économise 2
milliards FCFA. Si la LD/MPT approuve le report, le PDS s'insurge et va
jusqu'à déposer une motion de censure 60, la formation
libérale dénonçant le fait que le report ait
été officialisé... 90 jours avant la date initialement
choisie pour les élections municipales 61 . L'attitude
socialiste montre qu'en dépit du gouvernement d'union nationale, le PS
reste, comme l'a annoncé Diouf dans son allocution du 31 décembre
1994, "le maître du jeu ".
Jugée comme un coup de force par le PDS et le PIT, cette
initiative est pourtant légitime. En effet, le projet de
décentralisation, annoncé depuis 1992, n'a toujours pas
été discuté à l'Assemblée nationale en 1995,
en raison des multiples contretemps de 1993 et 1994. Si la décision de
reporter ces élections est unilatérale, l'élaboration de
la loi sur la décentralisation est... collégiale : elle est
votée à l'unanimité le 5 février 1996, après
que les députés aient déposé sur les 534 articles
de la loi... 309 amendements 62 . A l'instar du code
électoral de 1992, la décentralisation n'est donc pas un coup de
force socialiste mais une oeuvre collective bâtie par l'ensemble de la
classe politique sénégalaise.
La décentralisation, fortement encouragée par
les bailleurs de fonds, doit permettre à l'Etat de se décharger
de nombreuses compétences et ne garder que les pouvoirs
"régaliens". Ainsi, l'Etat transmet aux collectivités ses
prérogatives dans de nombreux secteurs : l'environnement ; les
ressources nationales ; la santé et la population ; la jeunesse et les
sports ; la culture et l'éducation ; la planification et
l'aménagement du territoire ; l'urbanisme et l'habitat etc. Pour faire
face à ces nouvelles dépenses, le gouvernement promet aux
régions une dotation annuelle alimentée par la TVA,
généralisée depuis les réformes économiques
votées suite à la dévaluation. Les régions
deviennent ainsi des personnalités juridiques, dotées d'une large
autonomie financière. Cet aspect de la décentralisation, sur
lequel insiste largement la propagande gouvernementale, vise principalement
à séduire l'indocile Casamance. En effet, comme le
reconnaîtra plus tard Abdou Diouf, la décentralisation est
entreprise principalement pour calmer les aspirations indépendantistes
du MFDC.
Outre l'intérêt pour l'Etat de se
décharger de financements coûteux, la décentralisation
offre aussi la possibilité de redonner du crédit aux politiques
en amenant "la démocratie au village"63. L'esprit de la
décentralisation veut en effet qu'avec les nouvelles
responsabilités qui leur sont confiées, les élus locaux
soient plus proches du peuple et plus à l'écoute de ses besoins
quotidiens : ils doivent devenir les relais entre le "Sénégal
d'en bas" et les hauts responsables dakarois. Le pouvoir espère ainsi
enrayer le désintéressement de la population à
l'égard de la vie politique, qui se manifeste à chaque
élection par un très fort taux d'abstention.
60 Jugeant la prorogation des mandats des conseils municipaux
et ruraux anticonstitutionnelle, 17 des 27 députés PDS signent un
recours devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci est rejeté.
"Recours PDS devant le Conseil constitutionnel : Abdoulaye Faye "la loi
nous le permet"", Le Soleil, 30 août 1995.
61 "Municipales : le gouvernement propose le report",
Le Soleil, 17 août 1995 et "Les municipales repoussées
à 1996", Le Soleil, 24 août 1995.
62 "La régionalisation est votée", Le
Soleil, 23 janvier 1996.
63 Elimane Fall, "La démocra tie au village",
Jeune Afrique, n° 1834, 5 mars 1996.
Via une grande part de proportionnelle, la
décentralisation doit également mettre fin au monocolorisme PS au
sein des communautés urbaines et rurales afin d'associer les partis
d'opposition, qu'ils soient à l'Assemblée nationale ou non,
pleinement à la vie politique locale.
Dans l'esprit d'Abdou Diouf, la décentralisation
constitue une étape supplémentaire dans la démocratisation
du Sénégal. Ces élections régionales et municipales
représentent aussi d'énormes enjeux politiques et
économiques. De ce fait, contrairement à 1984 et 1990,
l'opposition ne peut être absente de ce rendez-vous. C'est pourquoi la
quasi-totalité des partis se présentent. Ousmane Tanor Dieng a
donc l'occasion de s'opposer pour la première fois directement au
candidat PDS à la mairie de Dakar, Abdoulaye Wade.