Abdou Diouf forme son gouvernement le 2 juin 1993. On note
l'intégration de nouveaux membres de l'opposition, le retour de
Moustapha Niasse aux Affaires Etrangères mais surtout l'absence de
ministres PDS, du fait des accusations pesant sur Abdoulaye Wade dans le cadre
de l'affaire Babacar Sèye.
La LD/MPT, fort de son bon score aux législatives,
accepte contrairement à 1991 la requête présidentielle et
entre au gouvernement. Elle envoie ses deux représentants les plus
charismatiques, Abdoulaye Bathily et Mamadou Ndoye. Ils héritent de
ministères secondaires (Environnement et Alphabétisation et
Promotion des Langues Nationales) tout comme le PDS en son temps. D'autres
partis sont présents dans ce gouvernement, mais contrairement à
la LD/MPT, ils ont milité en février et en mai en faveur d'Abdou
Diouf. Le PIT a droit à deux ministres - Amath Dansokho et Magatte Thiam
- et le PDS-R, absent des scrutins depuis 1988, obtient un ministère par
l'intermédiaire de son secrétaire général, Serigne
Diop.
Ayant reconduit Habib Thiam à la Primature, Abdou
Diouf se sépare de Famara Ibrahima Sagna qui n'a pas
hésité entre 1991 et 1992 à déstabiliser l'ami du
Président en se ralliant parfois ouvertement à Abdoulaye Wade,
notamment au sujet du FPE. L'ancien ministre de l'Economie et des Finances est
muté au Conseil économique et social. Il est remplacé
à son poste par le directeur de la succursale sénégalaise
de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, Ousmane Sakho. Pour
tenter de restaurer une économie sénégalaise à bout
de souffle, il est secondé par un autre membre de la
société civile, Lamine Loum, qui devient officieusement ministre
du Budget.
Les autres ministères sont attribués à
des caciques du PS. Le message envoyé par l'électorat dakarois
n'est donc pas pris en compte. Quatre ministres d'Etat socialistes sont
nommés. On retrouve : Djibo Kâ et Robert Sagna (Intérieur
et Agriculture), présents au gouvernement depuis plus d'une
décennie ; Moustapha Niasse (Affaires Etrangères),
réapparu dans les circuits socialistes depuis la campagne
présidentielle ; Ousmane Tanor Dieng (Services et Affaires
Présidentielles), nouveau bras droit officiel du chef de l'Etat. Ce
dernier est dorénavant à la fois directeur de cabinet d'Abdou
Diouf et secrétaire général de la présidence. Il
devient par conséquent le seul relais entre le Président et le
gouvernement., concentrant les fonctions administratives et politiques de la
présidence, autrefois séparées.
Le changement promis par Diouf au cours de la campagne n'est
donc pas très visible. Le Président garde les mêmes
recettes qu'autrefois, en renforçant les positions des hommes les plus
influents au sein du PS. Ceci explique la surabondance de ministres - 29
membres : 20 titulaires, 4 ministres d'Etat, 5 ministres
délégués - même si on constate un certain
rajeunissement du gouvernement : la moyenne d'age passe de 52,3 à 48,5
ans 1.
1 "Les hommes du changement", Le Soleil, 3 juin
1993.
Voici ci-dessous le nouveau gouvernement d'Habib Thiam :
- Premier ministre : Habib Thiam
- Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères et
des Sénégalais de l'Extérieur : Moustapha Niasse
- Ministre d'Etat, Ministre de l'Agriculture : Robert Sagna
- Ministre d'Etat, Ministre des Services et des Affaires
Présidentielles : Ousmane Tanor Dieng
- Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur : Djibo
Kâ
- Ministre de la Justice, Garde des Sceaux : Jacques Baudin
- Ministre des Forces Armées : Madieng Khary Dieng
- Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan : Pape Ousmane
Sakho
- Ministre de l'Environnement et de la Protection de la Nature :
Abdoulaye Bathily (LD/MPT)
- Ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme : Amath Dansokho
(PIT)
- Ministre de l'Education Nationale : André Sonko
- Ministre de l'Industrie, de l'Energie et des Mines : Alassane
Dialy Ndiaye
- Ministre de la Modernisation et de la Technologie : Magued
Diouf
- Ministre de la Communication : Abdoulaye Elimane Kane
- Ministre de la Culture : Mme Mame Coura Ba Thiam
- Ministre de la Santé et de l'Action Sociale : Assane
Diop
- Ministre de l'Emploi et du Travail : Serigne Diop (PDS-R)
- Ministre du Commerce et de l'Artisanat : Cheikh Amidou Kane
- Ministre de la Femme, de l'Enfant et de la Famille : Mme Nioro
Ndiaye
- Ministre de l'Equipement et des Transports Terrestres :
Landing Sané
- Ministre de la Jeunesse et des Sports : Ousmane Paye
- Ministre de la Pêche et des Transports Maritimes :
Abdourahme Sow
- Ministre du Tourisme et des Transports Aériens : Tijane
Sylla
- Ministre de l'Hydraulique : Mamadou Faye
- Ministre de la ville : El Hadj Daour Cissé
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre chargé de l'Intégration Economique Africaine : Magatte
Thiam (PIT)
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre chargé des Relations avec les Assemblées : Khalifa
Sall
- Ministre délégué auprès du
Ministre d'Etat de l'Intérieur chargé de la
Décentralisation : Souty Touré
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie chargé du Budget : Lamine Loum
- Ministre délégué chargé de
l'Alphabétisation et la Promotion des Langues Nationales : Mamadou Ndoye
(LD/MPT)
Sans ministres PDS, l'équipe d'Habib Thiam s'apparente
à un "gouvernement de déception nationale" 2 au moment
même où la pluralité de la chambre parlementaire n'a jamais
été aussi
remarquable. Les députés sont en effet issus de
huit formations politiques différentes. On dénombre 84
députés PS, 27 PDS, 3 LD/MPT, 2 PIT, 1 de l'UDS/R de Puritain
Fall tandis que
la coalition Jappoo fait rentrer au Parlement Landing
Savané (And Jëf), Madior Diouf (RND) et Iba der Thiam
(CDP/Garab-Gui).
L'arrivée de nouveaux partis renouvelle les
travées de la place Soweto. On recense 59 nouveaux
députés, dont 36 sont issus du PS et 9 du PDS (dont les 6
proviennent des listes
départementales de Dakar et Pikine). Comme en 1988, la
profession la mieux représentée est celle des enseignants -
même si on en compte 7 de moins par rapport à la
précédente
législature (17 contre 24) - suivie du métier
d'ingénieur (12 députés) et d'agent de l'administration
(11 parlementaires). On constate touj ours l'absence de paysans dans
l'hémicycle alors que le PS a fait élire... un
chômeur à Fatick : Lamine Diop. Ce député est un
symbole puisqu'en plus d'être sans emploi, il est le plus jeune
élu, étant né le 25 juillet 1963 3.
Il témoigne à lui seul des difficultés
rencontrées par la jeunesse sénégalaise
diplômée pour trouver un travail. On note également que la
représentation des femmes baisse. On n'en
2 Géraldine Faes, "un gouvernement de
déception nationale ", Jeune Afrique, n° 1692, 16 juin
1993.
3 "Les pensionnaires à la loupe", Le soleil, 20
mai 1993.
compte que 14 en 1993, contre 17 auparavant. Ce chiffre
parait néanmoins raisonnable lorsque l'on sait que sur les 1 222
candidats investis pour les législatives, seuls 175 étaient des
femmes.
Le profil type d'un député
sénégalais en 1993 est donc le suivant : c'est un homme
socialiste âgé de 53 ans, enseignant, ingénieur ou agent de
l'administration. Pour mener les débats, les députés
doivent élire un nouveau président de l'Assemblée
nationale, Abdoul Aziz Ndaw ayant quitté "volontairement" ses fonctions
4. Après Habib Thiam en 1984 et Daouda Sow en
1988, il est la troisième tête de liste PS consécutive
à délaisser le Parlement quelques semaines seulement après
avoir "emmené" sa formation à la victoire. Cette tradition
sénégalaise souligne le faible rôle joué par le
"premier des députés" dans la vie du PS et du pays.
Pour succéder à Ndaw, le PS désigne
l'ancien ministre Cheikh Abdoul Khadre Cissokho. Cependant, le PDS propose
Marcel Bassène. La volonté du parti libéral de
présenter un candidat au perchoir irrite le PS, sûr de l'emporter.
L'attitude socialiste montre bien que pour certains dirigeants, il n'est pas
logique que l'opposition puisse concourir à une telle élection.
La chambre parlementaire est ainsi considérée comme un "terrain
de jeu socialiste", où les opposants ne sont invités qu'à
venir regarder, sans participer. Cette vision de la démocratie est de ce
fait bien éloignée de la conception dioufiste.
En dépit de la "polémique", l'élection a
bien lieu. Bassène obtient les votes du PDS et de la coalition
Jappoo, tandis que Cissokho recueille logiquement les voix socialistes
et celles de ses alliés (UDS/R, PIT, LD/MPT). Par conséquent,
Cissokho est élu président de l'Assemblée nationale. Il
devient le troisième personnage de l'Etat 5.
Cette élection ne retient cependant pas l'attention
des médias, trop occupés à traiter l'affaire Babacar
Sèye.