Pour éviter la situation bloquée de
février-mars, Abdou Diouf fait subir au code électoral quelques
modifications durant "l'entre deux tours". A présent, la primauté
des magistrats est restaurée au sein de la commission nationale
chargée de publier les résultats provisoires. Elle doit
permettre à la commission de formuler des résultats provisoires
sous cinq jours. Ce changement est adopté par l'Assemblée
nationale le 9 avril 1993, grâce aux 103 députés
socialistes. Le PDS critique le manque de concertation d'Abdou Diouf mais ne va
pas jusqu'à voter contre cette loi. Le parti libéral
décide de s'abstenir.
188 Un de ces cars PS roule sur une mine le 21 février
1993. On dénombre une vingtaine de morts. "Le premier tour de
l'élection présidentielle : Des violences ont fait vingt-huit
morts en Casamance", Le Monde, 23 février 1993.
189 Le "troisième homme" change selon les régions
: Dakar (Savané 2,40 %), Saint-Louis (Savané 2,52 %), Tambacounda
(Savané 4,16 %), Diourbel (Iba der Thiam 2,32 %), Kaolack (Iba der Thiam
2,34 %), Thiès (Savané 2,53 %), Louga (Bathily 1,61 %), Fatick
(Bathily 3,88 %). Le Soleil, 14 mars 1993. 190 "Babacar Niang :
pourquoi je me retire", Le Soleil, 22 juillet 1993.
Pour la première fois détaché de
l'élection présidentielle, le scrutin législatif a bien du
mal à passionner une population déjà relativement
défiante vis-à-vis du monde politique. Si le PDS place ses
têtes d'affiche sur la liste nationale - Abdoulaye Wade, Boubacar Sall,
Ousmane Ngom, Marcel Bassène - le PS préfère comme
à son habitude mettre ses membres influents sur les listes
départementales. On retrouve Abdouahim Agne à Matam, Jacques
Baudin à Diourbel, Cheikh Abdoul Khadre Cissokho à Bakel, Mamadou
Diop à Dakar, Mbaye Jacques Diop à Rufisque, Moustapha Kâ
à Foundiougne, Abdul Aziz Ndaw à Tivaouane, Robert Sagna à
Ziguinchor, André Sonko à Mbour et Daouda Sow à
Linguère 191.
Comme pour la présidentielle, Ousmane Tanor Dieng est
à la tête du directoire. Cependant, il ne se présente ni
sur une liste départementale, ni sur la liste nationale. De ce fait,
même s'il est le chef de file des socialistes - Abdou Diouf n'intervient
pas durant la campagne, ayant décidé d'être
dorénavant un chef d'Etat "au-dessus de la mêlée" - la
tête de liste PS est attribuée au président de
l'Assemblée nationale, Abdoul Aziz Ndaw.
Pour ne pas se confronter à la verve d'Abdoulaye Wade,
le PS mène principalement une campagne de proximité, chaque
candidat allant au contact de son électorat. Les grands rassemblements
sont limités, et quand ils ont lieu, c'est sous la conduite de Tanor
Dieng. Ce fait n'est pas anodin et montre que le ministre - directeur de
cabinet à réussi "son examen de passage" lors de la
présidentielle. Il a montré qu'il savait tenir le parti, le
mettre en ordre de marche et faire gagner Abdou Diouf. Après mars 1993,
on s'aperçoit que la propagande gouvernementale mêle la
discrétion de l'homme à sa volonté de faire triompher le
Président de la République, comme le montre cet extrait du
Soleil daté du 18 mars 1993 :
"en tout cas, ce ne sont pas les atouts qui man quent
chez Ousmane Tanor Dieng, ce travailleur infatigable, qui cultive l'effacement
et l'efficacité comme un jardinier entretient ses roses".
Ousmane Tanor Dieng a néanmoins besoin d'une victoire
nette pour s'affirmer définitivement comme le bras droit "officiel" du
chef de l'Etat. Un raz-de-marée socialiste est cependant peu probable
puisque le code électoral de 1992 doit faciliter l'entrée au
Parlement des partis d'opposition. Dorénavant, les coalitions sont
autorisées et le scrutin proportionnel représente 70% des
sièges attribuées, contre 50 % auparavant.
Les petits partis, échaudés par
l'expérience présidentielle, se coalisent. Autour du
"troisième homme" Landing Savané, Iba der Thiam (CDP/ Garab-Gui),
Madior Diouf (RND) et l'indépendant Mamadou Lô forment la
coalition Jappoo. Ils font durant trois semaines campagne commune. On
remarque que l'autre grand parti marxiste, la LD/MPT, ne participe pas à
la coalition, très certainement pour des divergences de vue mais aussi
pour une question de suprématie avec And Jëf. Abdoulaye Bathily
choisit donc la voie solitaire, tout comme l'UDS/R et le PIT, qui après
avoir soutenu Abdou Diouf, jouent leur carte personnelle.
La LD/MPT et le PIT sont tous les deux
considérés comme des partis "d'enseignants". En effet, Bathily
présente 114 instituteurs, soit plus de 50% de ses candidats, alors que
le Dansokho en soumet 73 192 . On note que ces formations ne présentent
pas de paysans 193. C'est pour rectifier cette "injustice" que le
monde rural décide de former une liste pour les législatives.
Le mouvement national des paysans est crée le 19 mars 1993, se
fixant pour objectif de faire rentrer les paysans à l'Assemblée.
Néanmoins, le ministre de l'Intérieur,
191 Le Soleil, 18 mars 1993.
192 Le Soleil, 31 mars 1993.
193 La LD/MPT propose 17 cultivateurs, 11 commerçants,
6 étudiants, 4 chômeurs, 4 ouvriers, 4 ménagères,
mais aucun paysan. On fait la même remarque pour le PIT. On constate la
présence d'un comédien, d'un entraîneur de football, d'un
chanteur... mais d'aucun paysan. Le Soleil, 31 mars 1993.
tatillon, n'accorde pas le statut de parti à ce
mouvement. Ainsi, dès début avril, le mouvement des paysans
prend fin 194.
Abdoulaye Wade, qui veut avec ces législatives de 1993
obtenir "le pouvoir sans le palais", souffre de l'absence d'Abdou Diouf. La
campagne intéresse peu, voire pas du tout, les thèmes
développés étant similaires à ceux
évoqués quelques semaines auparavant lors des
présidentielles.
Le manque d'engouement pour ces législatives s'explique
aussi par la réputation dont jouissent les députés.
Qualifiés "d'applaudisseurs professionnels" 195 , les contemporains
jugent qu'ils
n'ont aucun pouvoir décisionnel face à
l'exécutif. Les députés socialistes votent les
requêtes présidentielles tandis que l'opposition tente vainement
de s'opposer, sans jamais y parvenir.
En outre, la qualité du débat parlementaire ne
s'est pas améliorer après la mise en place du gouvernement
d'union nationale. Entre 1991 et 1992, la plupart des décisions (lois et
budget
etc.) ont été votées à
l'unanimité, sans débats contradictoires.
Pour redonner un sens à cette élection, Wade
adopte une attitude plus offensive que lors des présidentielles. Fort de
ses victoires à Dakar, Pikine et Thiès, il déclare avoir
la certitude de
gagner 71 sièges au Parlement. Il soutient
également qu'en cas fraude, il n'empêchera plus la population de
se rebeller : "nous n 'accepterons pas un hold-up électoral le 9 mai
comme il l'ont fait le 21 février 1993" 196 . En cas de blocage,
Wade promet aussi la formation d'une
Assemblée et d'un gouvernement parallèle,
considérant le Conseil constitutionnel incapable
de l'aider au vu de la partialité dont il a fait preuve
au cours du mois de mars.
Le PS réagit peu à ces déclarations et
préfère s'attacher à récupérer Dakar. Lors
du meeting
socialiste de clôture, Ousmane Tanor Dieng insiste
fortement sur sa volonté de reprendre la capitale. Finalement, le
scrutin se déroule dans une ambiance assez sereine et les scores des
partis en lice paraissent bien plus rapidement que lors de
l'élection présidentielle. Voici les résultats
publiés par Le Soleil le 16 mai 1993 :
- Electeurs inscrits : 2 613 028
- Votants : 1 070 539 (soit 40,97 % de participation)
- Suffrages exprimés : 1 064 878
- PS : 602.17 1 soit 56,55 % (84 sièges)
- PDS : 321 585 soit 30,20 % (27 sièges)
- Jappoo : 52 189 soit 4,90 % (3 sièges)
- LD/MPT : 43 950 4,13 % (3 sièges)
- PIT : 32 348 soit 3,04 % (2 sièges)
- UDS/R : 12 635 soit 1,19 % (1siège)
On remarque que ces résultats sont similaires à
ceux de mars 1993. Seul le taux de
participation diffère. Il passe de 51 à 40 %, soit
une différence de 241 615 votants. Plusieurs partis connaissent ainsi
d'importantes pertes d'électeurs. Le PS perd 155 140 voix, le PDS 93
710. La coalition Jappoo connaît la même
mésaventure puisque les quatre candidats Jappoo de la
présidentielle, qui constituent un ensemble de 82 320 électeurs,
ne rassemblent pour les
législatives que 52 189 voix. Les seuls
bénéficiaires de ce scrutin sont la LD/MPT, qui obtient
194 "Les paysans définitivement sur la touche",
Le Soleil, 8 avril 1993.
195 Kgagne Demba, "Ah bon c'est parti ?", Le Soleil, 21
avril 1993. 196 "Wade dessine son futur gouvernement", Le Soleil 20
avril 1993.
12 671 voix de plus que son candidat à la
présidentielle, et les partis qui ont soutenu Diouf
précédemment : le PIT et l'UDS/R.
Tout comme son secrétaire général, le PS
fait ses meilleurs scores à Louga (77,50 %) et Saint-Louis (68,43 %) et
perd très largement dans la région de Dakar (36,32 %). Le PDS lui
n'arrive pas à recueillir la majorité absolue dans la
région dakaroise (47,28 %) mais obtient néanmoins des
députés sur les listes départementales en gagnant à
Dakar (47,98 %) et à Pikine (5 1,65 %). Ces deux victoires, l'une dans
la ville même de Dakar, l'autre dans la banlieue désoeuvrée
de la capitale, montrent le soutien dont bénéficie maintenant le
PDS dans le centre économique, politique et social du
Sénégal.
Grâce à une plus grande part de proportionnelle
dans le scrutin, ces élections permettent une "colorisation" de la
chambre parlementaire. Tous les partis en lice acquièrent des
députés et vont pouvoir à présent s'exprimer dans
le cadre solennel du Parlement. Toutefois, aucun parti ne se réjouit
véritablement : le PS, qui a perdu 19 sièges, déclare que
le PDS a triché à Dakar à l'aide d'ordonnances
falsifiées 197 ; la LD/MPT exige une refonte du fichier électoral
; le PDS affirme s'être fait une nouvelle fois voler la victoire.
Le climat post électoral est tendu : des
réseaux de contrefaçon d'ordonnances sont
démantelés, le PDS n'accorde plus aucune confiance au Conseil
constitutionnel et un journaliste de RFI est agressé par des militants
libéraux à sa sortie du domicile d'Abdoulaye Wade. La situation
dégénère complètement le 16 mai 1993, avec
l'assassinat en plein jour à Dakar du vice-président du Conseil
constitutionnel Babacar Sèye. L'ensemble de la classe politique
s'indigne face à cette tuerie dans les colonnes du Soleil 198 .
Seul le PDS ne s'exprime pas, Abdoulaye Wade ayant été
placé en garde à vue 199 . Bien que rapidement
relâché, l'interpellation de Wade ouvre une nouvelle crise au
Sénégal.
197 "Mamadou Diop : des réserves importantes",
Le Soleil, 16 mai 1993.
198 "Réaction de la classe politique", Le
Soleil, 17 mai 1993. 199 Le soleil, 13 et 14 mai 1993.