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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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7. Les élections législatives de 1993 :

Pour éviter la situation bloquée de février-mars, Abdou Diouf fait subir au code électoral quelques modifications durant "l'entre deux tours". A présent, la primauté des magistrats est restaurée au sein de la commission nationale chargée de publier les résultats provisoires. Elle doit permettre à la commission de formuler des résultats provisoires sous cinq jours. Ce changement est adopté par l'Assemblée nationale le 9 avril 1993, grâce aux 103 députés socialistes. Le PDS critique le manque de concertation d'Abdou Diouf mais ne va pas jusqu'à voter contre cette loi. Le parti libéral décide de s'abstenir.

188 Un de ces cars PS roule sur une mine le 21 février 1993. On dénombre une vingtaine de morts. "Le premier tour de l'élection présidentielle : Des violences ont fait vingt-huit morts en Casamance", Le Monde, 23 février 1993.

189 Le "troisième homme" change selon les régions : Dakar (Savané 2,40 %), Saint-Louis (Savané 2,52 %), Tambacounda (Savané 4,16 %), Diourbel (Iba der Thiam 2,32 %), Kaolack (Iba der Thiam 2,34 %), Thiès (Savané 2,53 %), Louga (Bathily 1,61 %), Fatick (Bathily 3,88 %). Le Soleil, 14 mars 1993. 190 "Babacar Niang : pourquoi je me retire", Le Soleil, 22 juillet 1993.

Pour la première fois détaché de l'élection présidentielle, le scrutin législatif a bien du mal à passionner une population déjà relativement défiante vis-à-vis du monde politique. Si le PDS place ses têtes d'affiche sur la liste nationale - Abdoulaye Wade, Boubacar Sall, Ousmane Ngom, Marcel Bassène - le PS préfère comme à son habitude mettre ses membres influents sur les listes départementales. On retrouve Abdouahim Agne à Matam, Jacques Baudin à Diourbel, Cheikh Abdoul Khadre Cissokho à Bakel, Mamadou Diop à Dakar, Mbaye Jacques Diop à Rufisque, Moustapha Kâ à Foundiougne, Abdul Aziz Ndaw à Tivaouane, Robert Sagna à Ziguinchor, André Sonko à Mbour et Daouda Sow à Linguère 191.

Comme pour la présidentielle, Ousmane Tanor Dieng est à la tête du directoire. Cependant, il ne se présente ni sur une liste départementale, ni sur la liste nationale. De ce fait, même s'il est le chef de file des socialistes - Abdou Diouf n'intervient pas durant la campagne, ayant décidé d'être dorénavant un chef d'Etat "au-dessus de la mêlée" - la tête de liste PS est attribuée au président de l'Assemblée nationale, Abdoul Aziz Ndaw.

Pour ne pas se confronter à la verve d'Abdoulaye Wade, le PS mène principalement une campagne de proximité, chaque candidat allant au contact de son électorat. Les grands rassemblements sont limités, et quand ils ont lieu, c'est sous la conduite de Tanor Dieng. Ce fait n'est pas anodin et montre que le ministre - directeur de cabinet à réussi "son examen de passage" lors de la présidentielle. Il a montré qu'il savait tenir le parti, le mettre en ordre de marche et faire gagner Abdou Diouf. Après mars 1993, on s'aperçoit que la propagande gouvernementale mêle la discrétion de l'homme à sa volonté de faire triompher le Président de la République, comme le montre cet extrait du Soleil daté du 18 mars 1993 :

"en tout cas, ce ne sont pas les atouts qui man quent chez Ousmane Tanor Dieng, ce travailleur infatigable, qui cultive l'effacement et l'efficacité comme un jardinier entretient ses roses".

Ousmane Tanor Dieng a néanmoins besoin d'une victoire nette pour s'affirmer définitivement comme le bras droit "officiel" du chef de l'Etat. Un raz-de-marée socialiste est cependant peu probable puisque le code électoral de 1992 doit faciliter l'entrée au Parlement des partis d'opposition. Dorénavant, les coalitions sont autorisées et le scrutin proportionnel représente 70% des sièges attribuées, contre 50 % auparavant.

Les petits partis, échaudés par l'expérience présidentielle, se coalisent. Autour du "troisième homme" Landing Savané, Iba der Thiam (CDP/ Garab-Gui), Madior Diouf (RND) et l'indépendant Mamadou Lô forment la coalition Jappoo. Ils font durant trois semaines campagne commune. On remarque que l'autre grand parti marxiste, la LD/MPT, ne participe pas à la coalition, très certainement pour des divergences de vue mais aussi pour une question de suprématie avec And Jëf. Abdoulaye Bathily choisit donc la voie solitaire, tout comme l'UDS/R et le PIT, qui après avoir soutenu Abdou Diouf, jouent leur carte personnelle.

La LD/MPT et le PIT sont tous les deux considérés comme des partis "d'enseignants". En effet, Bathily présente 114 instituteurs, soit plus de 50% de ses candidats, alors que le Dansokho en soumet 73 192 . On note que ces formations ne présentent pas de paysans 193. C'est pour rectifier cette "injustice" que le monde rural décide de former une liste pour les législatives. Le mouvement national des paysans est crée le 19 mars 1993, se fixant pour objectif de faire rentrer les paysans à l'Assemblée. Néanmoins, le ministre de l'Intérieur,

191 Le Soleil, 18 mars 1993.

192 Le Soleil, 31 mars 1993.

193 La LD/MPT propose 17 cultivateurs, 11 commerçants, 6 étudiants, 4 chômeurs, 4 ouvriers, 4 ménagères, mais aucun paysan. On fait la même remarque pour le PIT. On constate la présence d'un comédien, d'un entraîneur de football, d'un chanteur... mais d'aucun paysan. Le Soleil, 31 mars 1993.

tatillon, n'accorde pas le statut de parti à ce mouvement. Ainsi, dès début avril, le mouvement des paysans prend fin 194.

Abdoulaye Wade, qui veut avec ces législatives de 1993 obtenir "le pouvoir sans le palais", souffre de l'absence d'Abdou Diouf. La campagne intéresse peu, voire pas du tout, les thèmes

développés étant similaires à ceux évoqués quelques semaines auparavant lors des présidentielles.

Le manque d'engouement pour ces législatives s'explique aussi par la réputation dont jouissent les députés. Qualifiés "d'applaudisseurs professionnels" 195 , les contemporains jugent qu'ils

n'ont aucun pouvoir décisionnel face à l'exécutif. Les députés socialistes votent les requêtes présidentielles tandis que l'opposition tente vainement de s'opposer, sans jamais y parvenir.

En outre, la qualité du débat parlementaire ne s'est pas améliorer après la mise en place du gouvernement d'union nationale. Entre 1991 et 1992, la plupart des décisions (lois et budget

etc.) ont été votées à l'unanimité, sans débats contradictoires.

Pour redonner un sens à cette élection, Wade adopte une attitude plus offensive que lors des présidentielles. Fort de ses victoires à Dakar, Pikine et Thiès, il déclare avoir la certitude de

gagner 71 sièges au Parlement. Il soutient également qu'en cas fraude, il n'empêchera plus la population de se rebeller : "nous n 'accepterons pas un hold-up électoral le 9 mai comme il l'ont fait le 21 février 1993" 196 . En cas de blocage, Wade promet aussi la formation d'une

Assemblée et d'un gouvernement parallèle, considérant le Conseil constitutionnel incapable

de l'aider au vu de la partialité dont il a fait preuve au cours du mois de mars.

Le PS réagit peu à ces déclarations et préfère s'attacher à récupérer Dakar. Lors du meeting

socialiste de clôture, Ousmane Tanor Dieng insiste fortement sur sa volonté de reprendre la capitale. Finalement, le scrutin se déroule dans une ambiance assez sereine et les scores des

partis en lice paraissent bien plus rapidement que lors de l'élection présidentielle. Voici les résultats publiés par Le Soleil le 16 mai 1993 :

- Electeurs inscrits : 2 613 028

- Votants : 1 070 539 (soit 40,97 % de participation)

- Suffrages exprimés : 1 064 878

- PS : 602.17 1 soit 56,55 % (84 sièges)

- PDS : 321 585 soit 30,20 % (27 sièges)

- Jappoo : 52 189 soit 4,90 % (3 sièges)

- LD/MPT : 43 950 4,13 % (3 sièges)

- PIT : 32 348 soit 3,04 % (2 sièges)

- UDS/R : 12 635 soit 1,19 % (1siège)

On remarque que ces résultats sont similaires à ceux de mars 1993. Seul le taux de

participation diffère. Il passe de 51 à 40 %, soit une différence de 241 615 votants. Plusieurs partis connaissent ainsi d'importantes pertes d'électeurs. Le PS perd 155 140 voix, le PDS 93

710. La coalition Jappoo connaît la même mésaventure puisque les quatre candidats Jappoo de la présidentielle, qui constituent un ensemble de 82 320 électeurs, ne rassemblent pour les

législatives que 52 189 voix. Les seuls bénéficiaires de ce scrutin sont la LD/MPT, qui obtient

194 "Les paysans définitivement sur la touche", Le Soleil, 8 avril 1993.

195 Kgagne Demba, "Ah bon c'est parti ?", Le Soleil, 21 avril 1993. 196 "Wade dessine son futur gouvernement", Le Soleil 20 avril 1993.

12 671 voix de plus que son candidat à la présidentielle, et les partis qui ont soutenu Diouf précédemment : le PIT et l'UDS/R.

Tout comme son secrétaire général, le PS fait ses meilleurs scores à Louga (77,50 %) et Saint-Louis (68,43 %) et perd très largement dans la région de Dakar (36,32 %). Le PDS lui n'arrive pas à recueillir la majorité absolue dans la région dakaroise (47,28 %) mais obtient néanmoins des députés sur les listes départementales en gagnant à Dakar (47,98 %) et à Pikine (5 1,65 %). Ces deux victoires, l'une dans la ville même de Dakar, l'autre dans la banlieue désoeuvrée de la capitale, montrent le soutien dont bénéficie maintenant le PDS dans le centre économique, politique et social du Sénégal.

Grâce à une plus grande part de proportionnelle dans le scrutin, ces élections permettent une "colorisation" de la chambre parlementaire. Tous les partis en lice acquièrent des députés et vont pouvoir à présent s'exprimer dans le cadre solennel du Parlement. Toutefois, aucun parti ne se réjouit véritablement : le PS, qui a perdu 19 sièges, déclare que le PDS a triché à Dakar à l'aide d'ordonnances falsifiées 197 ; la LD/MPT exige une refonte du fichier électoral ; le PDS affirme s'être fait une nouvelle fois voler la victoire.

Le climat post électoral est tendu : des réseaux de contrefaçon d'ordonnances sont démantelés, le PDS n'accorde plus aucune confiance au Conseil constitutionnel et un journaliste de RFI est agressé par des militants libéraux à sa sortie du domicile d'Abdoulaye Wade. La situation dégénère complètement le 16 mai 1993, avec l'assassinat en plein jour à Dakar du vice-président du Conseil constitutionnel Babacar Sèye. L'ensemble de la classe politique s'indigne face à cette tuerie dans les colonnes du Soleil 198 . Seul le PDS ne s'exprime pas, Abdoulaye Wade ayant été placé en garde à vue 199 . Bien que rapidement relâché, l'interpellation de Wade ouvre une nouvelle crise au Sénégal.

197 "Mamadou Diop : des réserves importantes", Le Soleil, 16 mai 1993.

198 "Réaction de la classe politique", Le Soleil, 17 mai 1993. 199 Le soleil, 13 et 14 mai 1993.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery