Paradoxalement, les partis politiques s'adressent
principalement durant la précampagne aux... électeurs vivant hors
du Sénégal. Depuis la réforme du code électoral de
1992, les Sénégalais de l'extérieur ont le droit de vote.
Cette nouveauté engendre de nouveaux comportements chez les politiques,
qui tentent d'intéresser les expatriés aux enjeux de
l'élection.
Tous les partis font des démarches en ce sens à
partir de septembre 1992. Ils privilégient tous la France, ce choix
s'expliquant bien évidemment par les liens qui unissent les deux pays.
Pourtant les enjeux ne sont pas énormes : seulement 6 333 personnes sont
inscrites sur les listes électorales, alors qu'on recense
"officiellement" 45 000 sénégalais sur le sol français. On
explique ces chiffres par la faiblesse du nombre de bureaux de vote. En effet,
seules Paris et Le Havre, qui disposent de représentants diplomatiques
et consulaires, sont habilités à accueillir des centres
électoraux. Les Sénégalais de Marseille ou Bordeaux n'ont
donc pas la possibilité d'aller voter.
141 "Le PIT fidèle à ses positions", Le
Soleil, 7 septembre 1992.
142 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.151,
Paris, Rocher, 2001.
143 "Meeting régional du PDS : objectif la
conquête du pouvoir", Le Soleil, 6 juillet 1992.
144 "Plus malhonnête que Jean-Paul Dias, tu meurs !",
Le Soleil, 6 août 1992 et "Jean-Paul Dias
débouté", Le Soleil, 6 août 1992.
145 "COSAPAD à Thiès : Abdou Diouf le candidat
de l'avenir", Le Soleil, 7 octobre 1992.
146 "Le PDS quitte le gouvernement : Wade s'explique",
Le Soleil, 19 octobre 1992.
Si le réservoir électoral est faible en France,
les "amitiés" et les possibilités de financements de campagne
sont nombreuses. Wade inaugure un "quartier général du sopi"
à La Défense alors que les partis marxistes vont à la
rencontre des travailleurs émigrés. Bathily tient par exemple un
meeting à la bourse du travail de Montreuil 147 . Le PS
dépêche quant à lui son ministre des Affaires
Etrangères, mais aussi secrétaire national PS chargé des
élections, Djibo Kâ, pour qu'il promeuve la démocratie
sénégalaise. Il rend visite à des rédactions de
grands journaux installés à Paris, tels que Le Figaro,
Libération ou Jeune Afrique 148 . Il insiste lors de ces
entrevues sur la tradition démocratique sénégalaise et
l'ouverture du pays depuis 1988. Cette campagne de séduction
menée par le ministre vise avant tout à rassurer les bailleurs de
fonds et l'opinion publique française , sachant que contrairement
à 1988, Abdou Diouf appelle les observateurs internationaux à se
rendre nombreux au Sénégal pour le scrutin.
Sur le terrain sénégalais, le pouvoir met en
route sa propagande usuelle. Le chef d'Etat inaugure à tour de bras des
nouveaux bâtiments, organisant notamment un grand rassemblement... pour
l'inauguration d'un nouvel hôpital 149 . Aussi, les soutiens à
Diouf prolifèrent dans Le Soleil : on note la création
du comité de soutien Abdou Woor Corad, la réactivation
du COSAPAD, l'appui du très controversé Ahmed Khalifa Niasse ou
encore le "soutien massif" des chefs d'entreprises du Sénégal.
La presse gouvernementale insiste également sur le
ndiguel mouride accordé à Abdou Diouf en... 1988
150. En effet, les relations entre Abdou Diouf et le
Khalifat mouride se sont très nettement détériorés
depuis cette date. Le nouveau Khalife général des Mourides,
Serigne Saliou Mbacke, souhaite à présent "sauvegarder son
autonomie, préserver la confrérie des éventuels ravages du
factionnalisme politique, mais laisser aussi entendre que l'Etat n'est plus
à considérer comme la propriété d'un seul homme
politique, à savoir le Président toujours renouvelé" 151 .
On pense aussi que le Khalife fait payer à Abdou Diouf une certaine
liberté d'esprit, qui l'a notamment conduit à ne pas
écouter les désapprobations mourides au sujet du voyage papal en
1992 152.
La confrérie tidjane, première confrérie
en terme de fidèles, apporte quant à elle un soutien plus
marqué au Président, sans toutefois s'engager dans un ndiguel
formel. En fait, seuls les marabouts "secondaires" accordent des
consignes de vote en bon et du forme, ce qui assure tout de même à
Diouf une très bonne assise dans les campagnes
sénégalaises.
Abdoulaye Wade a lui aussi des soutiens religieux. Il compte
notamment à ses cotés des marabouts mourides et des associations
religieuses souvent composées très majoritairement de jeunes,
comme les Moustarchidines Wal Moustarchidates (les jeunes gens et
les jeunes filles gardiens de l'islam en wolof). Cependant, ces soutiens
ne sont pas relayés par la presse gouvernementale, ce qui tend à
montrer que le fondateur du PDS a encore des difficultés à se
faire entendre dans les médias d'Etat. En effet, depuis son
départ du gouvernement, il n'apparaît presque plus dans la presse
quotidienne, même si son congrès d'investiture à la
147 "Les leaders politiques à la conquête des
émigrés", Le Soleil, 10 septembre 1992 et "Les leaders
des partis politiques en France : campagne avant la lettre", Le Soleil, 2
décembre 1992.
148 Zyad Limam, "Les hommes de Diouf à Paris",
Jeune Afrique, n° 1672, 27 janvier 1993.
149 "Inauguration de l'hôpital El Hadj Ibrahim à
Niasse", Le Soleil, 25 octobre 1992.
150 "PS à Touba, le ndiguel ravivé", Le
Soleil, 16 novembre 1992 et "Le PS à Darou Mousty", Le Soleil,
1er janvier 1993
151 Hamad Jean Stanislas Ndiaye, "La communication
politique dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS
(Parti Socialiste) et de l'AFP (Alliance des Forces de Progrès) en l'an
2000", Université Gaston Berger de Saint-Louis
(Sénégal).
152 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005
présidence de décembre 1992 est relaté
correctement dans Le Soleil 153.
On peut ainsi lire que Abdoulaye Wade a le soutien de
quelques hommes politiques français, notamment Alain Madelin et Gilles
de Robbien, et qu'il organise un véritable show pour annoncer
sa candidature officielle, le meeting se tenant dans un stade
réunissant 15 000 personnes.
Outre les rassemblements préélectoraux,
l'actualité sénégalaise est centrée sur
l'intensification des troubles en Casamance. Depuis la visite de Jean Paul II,
la violence est réapparue.
Cette situation est due à la fragilisation interne du
MFDC, qui s'est scindé en deux suite au cessez-le-feu conclu à
Bissau en juin 1991. A partir de 1992, on compte deux, voire trois MFDC. Il y a
"le front nord", conduit par Sidi Badji, qui se déclare favorable
à la fin des hostilités et il y a le "front sud", qui rejette les
propositions formulées par le gouvernement. Les "sudistes" proclament la
fin de la trêve et se placent sous l'autorité de l'abbé
Diamacoune Senghor, même si ce dernier semble avoir de plus en plus de
mal à se faire entendre par "ses" troupes. Une troisième voix se
fait également entendre à partir des années 1990, une aile
radicale, localisée en France, qui se désolidarise de la position
prise par Badji et qui réclame la poursuite des hostilités
jusqu'à l'indépendance 154 . La multiplication des interlocuteurs
freine l'avancée des pourparlers. L'Etat ne sait plus avec qui
dialoguer, même si l'abbé Diamacoune Senghor apparaît touj
ours aux yeux du pouvoir comme la personne la plus écoutée au
sein du MFDC.
Le front sud reprend ses activités séparatistes
en mai 1992. Le 1 er septembre 1992, dans le village casamançais de
Kaguitt, on compte officiellement après un affrontement entre maquisards
et militaires 52 morts (2 soldats) et 69 blessés (dont 19 soldats)
155. La situation dégénère, la
Basse-Casamance devient une véritable zone de non droit. La
région est à présent le terrain de la contrebande, du
passage de drogue et "un partenaire commercial" privilégié pour
la Gambie. Le MFDC demande l'impôt révolutionnaire et des
cotisations sous forme de vivres à des populations soumises
également aux multiples pressions et actions de l'armée.
Face à cette dégénérescence de la
situation casamançaise, les politiques locaux n'ont aucune
possibilité d'action et risquent à tout moment la mort. Pour fuir
les violences, nombreux sont les habitants qui fuient en Gambien ou en
Guinée-Bissau 156.
En plus d'avoir des répercussions sur la vie politique
intérieure, cette intensification du conflit à une incidence sur
la vie économique sénégalaise, une localité
près du village touristique de Cap Skirring étant attaquée
le 26 octobre 1992. Si aucun touriste n'est touché par l'action
indépendantiste, on compte la mort d'une trentaine de locaux,
massacrés par les troupes du MFDC. Les répercussions sont
immédiates : les touristes pris de panique quittent la
région157. En quelques jours, le tourisme en Casamance est
bel et bien mort. Le secteur du tourisme sénégalais s'effondre,
ce qui entraîne de très graves pertes économiques pour le
Sénégal.
La Casamance pose de ce fait un problème politique et
économique majeur. Les contemporains se demandent s'il est bien
raisonnable d'organiser des élections dans une région aussi peu
tenue par le pouvoir central. Abdou Diouf, en tant que garant de
l'intégrité du territoire, ne peut pas se permettre la non tenue
d'élections dans une partie du Sénégal, "ce
qui
153 "Me Wade investi candidat", Le Soleil, 20
décembre 1992.
154 Assane Seck, Sénégal, émergence
d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique,
Paris, Karthala, 2005.
155 Sennen Andriamirado, "Casamance c'est la guerre !",
Jeune Afrique, n° 1653, 16 septembre 1992 et "un an et demi
après la signature d'un cessez-le-feu : Des affrontements en Casamance
entre l'armée et les indépendantistes ont fait cinquante-deux
morts", Le Monde, 4 septembre 1992.
156 "L'attaque d'un village en Casamance a fait huit morts",
Le Monde, 8 août 1992.
157 "Habitants et touristes ont fui le Cap-Skirring",
Le Monde, 30 octobre 1992.
constituerait une reconnaissance de facto de la partition
du territoire" 158 . Il décide donc d'employer les grands moyens en
déployant une grande partie de l'armée sénégalaise
dans la région casamançaise durant les élections. Les 1
500 soldats déjà présents sont ainsi rejoint par 1500
autres militaires, venus du Liberia où ils assuraient auparavant une
mission dans le cadre de l'ECOMOG. Ce déploiement a pour but d'assurer
la sécurité des personnes désirant aller voter et de
permettre à Abdou Diouf de débuter sa campagne
présidentielle à Ziguinchor.
Son premier meeting de campagne est par
conséquent un événement aussi bien au
Sénégal qu'à l'étranger 159 . Le candidat expose
à cette occasion sa conception de l'intégrité du
territoire et réaffirme son refus de voir une Casamance
indépendante. Il se pose en "protecteur" de la région, en homme
de paix et de démocratie.
Lors de ce premier rassemblement, il présente
également son programme électoral. Il promet "un contrat pour
l'avenir" jusqu'en 2000 fondé sur : une croissance oscillant entre 6 et
10 %, ; la création de 20 000 emplois annuels ; une
décentralisation des institutions et de la vie économique ; une
alphabétisation portée à 90% de la population. Toutefois,
les mesures à entreprendre pour atteindre tous ces objectifs sont flous.
Ceci s'explique par la crainte du Président sortant d'annoncer des
réformes douloureuses à une population qui le rejette
déjà massivement dans certaines parties du territoire
160.
Pour cette campagne, Abdou Diouf met en avant les formations
politiques qui le soutiennent. Contrairement à 1988, où seul le
PDS-R était présent aux cotés du Président, le chef
de l'Etat dispose en 1993 du soutien du PIT d'Amath Dansokho, de l'UDS/R de
Puritain Fall ou encore du MRS de Demba Ba. La présence de Majhemout
Diop (PAI) dans le camp dioufiste est plus surprenante. Ce marxiste a en effet
tout au long de sa vie combattu le régime socialiste. Il a connu l'exil
sous Senghor et a été l'un des plus virulents opposants à
Diouf lors de son accession au pouvoir. Pourtant, le PAI ne participe plus aux
élections depuis 1983. On pense que Majhemout Diop connaît une
profond résignation, une sorte de "syndrome Cheikh Anta Diop ".
Devant les blocages et les difficultés de la vie politique
sénégalaise, Abdou Diouf n'apparaît pas pour Majhemout Diop
comme le meilleur des candidats mais... comme le moins pire. C'est pourquoi
lorsqu'il parle du Président sortant, Diop n'évoque pas ses
réalisations politiques, mais son intégrité, son discours
de paix et la bonne image qu'il renvoie du Sénégal à
l'extérieur du pays.
Le PS insiste aussi sur les qualités dioufistes pour
"masquer" le mauvais bilan économique de son candidat. Contrairement
à 1988, Abdou Diouf bénéficie lors de cette
élection d'une véritable équipe de campagne. Pour la
diriger, le chef de l'Etat a dû pour la première fois depuis 1990
choisir un second au PS. Habib Thiam, toujours en retrait vis-à-vis du
parti malgré son retour à la Primature, ne fait pas figure de
candidat idéal. Finalement, le choix de Diouf se porte sur Ousmane Tanor
Dieng, personnalité en pleine accession au début des
années 1990.
Ousmane Tanor Dieng est né 1948 à
Nguéniène (département de Mbour). Il obtient, comme la
majorité des hommes politiques issus de la "génération
post-coloniale", un diplôme à l'Ecole Nationale d'Administration
et de Magistrature (ENAM) de Dakar. Diplomate de formation, il rentre en 1976
au sein de l'administration sénégalaise. Il gravit rapidement les
échelons. Il occupe les fonctions de conseiller chargé des
affaires internationales au ministère des
158 Hassane Drame, "Les défis de l 'élection
présidentielle en Casamance ", PoA 51, 1993.
159 Marie Pierre Subtil, "Sous la protection d'un important
dispositif militaire, le Président Diouf défie les
séparatistes de Casamance ", Le Monde, 31 janvier 1993.
160 Jérôme Gerard, "Election
présidentielle du Sénégal (février 1993):
»Sopi» pour la jeunesse urbaine", PoA 50, 1993.
Affaires Etrangères (1976-78) puis devient conseiller
diplomatique auprès du Président Léopold Sédar
Senghor (1978-81). Lors du départ de ce dernier en 1981, il rencontre
pour la première fois Abdou Diouf. Selon les dires d'Ousmane Tanor
Dieng, le nouveau chef d'Etat lui aurait alors dit : "le Président m
'a beaucoup parlé de vous. Je crois que nous ferons du bon travail
ensemble " 161.
Ousmane Tanor Dieng devient pendant sept ans le conseiller
diplomatique d'Abdou Diouf. Les deux hommes sont proches, apprennent à
se connaître. Une confiance mutuelle s'installe. Logiquement, il est
nommé en 1988 directeur de cabinet du Président de la
République. Il accède aux dossiers les plus secrets de l'Etat. Il
signe par exemple les accords qui mettent fin à la grève
universitaire de 1988. Il entretient des contacts journaliers avec le
Président (il le voit entre cinq et six par jour) et des rapports
très étroits avec Jean Collin, "qui lui apprend le
métier". C'est donc tout naturellement qui lui succède
officieusement en 1990. Après son entrée au gouvernement, la
propagande socialiste commence à façonner le portrait d'Ousmane
Tanor Dieng : il est présenté comme un homme compétent,
serviable, musulman pieux, entièrement dévoué à
Diouf. Pour Le Soleil et Jeune Afrique, il a toutes les
caractéristiques de l'homme de l'ombre, sa discrétion
étant sa qualité la plus mise en avant 162.
S'il bénéficie de l'appui de Diouf et de
l'appareil propagandiste de l'Etat, Tanor Dieng n'est que très
modérément apprécié au PS, n'ayant pas connu une
ascension traditionnelle. Il n'a pas milité au sein du parti durant sa
jeunesse - contrairement par exemple à Djibo Kâ - et n'est
entré au comité central qu'en 1988. Il n'a par conséquent
pas de base, et donc pour "les socialistes de souche", pas de
légitimité pour diriger le parti 163 . Entré en politique
"les pieds et poings liés ", simple secrétaire national
PS chargé des relations internationales depuis 1990, Ousmane Tanor Dieng
est propulsé à la tête du comité directeur de
campagne sur la seule volonté d'Abdou Diouf. Ce "parachutage" fait
polémique parmi les socialistes, en dépit des paroles rassurantes
du ministre-directeur de cabinet, qui proclame à de multiples reprises
ne vouloir assurer que la "coordination de la campagne" 164 . L'opposition elle
aussi commence à se préoccuper du cas Tanor Dieng. Elle critique
"sa double casquette" de directeur de cabinet et de directeur de campagne.
La désignation d'un numéro deux officieux au PS
facilite la mise en action de la machine électorale socialiste. Le
directoire de campagne est composé de 35 personnes, toutes reconnues
comme des fidèles du Président Diouf. Il y a Abdoul Aziz Ndaw,
Moustapha Kâ, Jacques Baudin, Djibo Kâ, Landing Sané,
Mamadou Diop, Abdoulaye et Lamine Diack, Madia Diop, Daouda Sow, Babacar Sine,
Robert Sagna et André Sonko 165.
161 Elimane Fall, "Les hommes de Diouf", Jeune
Afrique, n° 1619, 23 janvier 1992.
162 On lit dans Le Soleil qu'Ousmane Tanor Dieng a
"une discrétion qui confine à l'effacement. Cette vertu qui
habite les hommes d'équilibre a crédité le directeur de
cabinet du chef de l'Etat d'une réputation loin d'être surfaite.
Il préfère l'ombre du Président aux lampes de
l'actualité ! Mais jusqu 'à quand ? ". "Premier conseil des
ministres, OTD ministre directeur du cabinet du chef de l'Etat", Le
Soleil, 11 avril 1991
163 Ousmane Tanor Dieng le reconnaît lui-même
à demi-mots à l'époque. "Je suis un directeur de
cabinet inattendu. Alors que mes prédécesseurs sortaient du
sérail socialiste, j'avais ma carte de militant, mais je n 'y menais pas
d'activités particulières". Elimane Fall, "Les hommes de
Diouf", Jeune Afrique, n° 1619, 23 janvier 1992.
164 Alioune Drame, "Ousmane Tanor Dieng : "un formidable
challenge"", Le Soleil, 10 novembre 1992. 165 Le Soleil, 13
novembre 1992.
Ces hommes sont reparties dans différentes sections du
directoire, subdivisé en cinq commissions :
- Moyen Technique et Logistique : Aziz Ndaw et André
Sonko
- Organisation et Mobilisation : Abdoulaye Diack et Lamine
Diack
- Emigrés : Mamadou Diop et Landing Sané
- Communication et Thématique : Moustapha Kâ et
Djibo Kâ
- Relations avec les Mouvements de Soutien et de la
Société Civile : Mamba Guirassy et Madia Diop
En plus de ces commissions, le directoire a des antennes dans
tous les départements et toutes
les localités du pays. Le parti quadrille l'ensemble du
territoire. Abdou Diouf peut également s'appuyer sur le Haut
comité de conseillers politiques spéciaux du directoire national
de la
campagne présidentielle, qui compte trois membres
situés en dehors des sphères de décision du PS : Habib
Thiam, Moustapha Cissé et Moustapha Niasse.
Le retour en politique de ce dernier est discret : aucun article
dans Le Soleil ne le mentionne. En dissimulant la nouvelle, le
quotidien, pro-tanor, tente de ne pas éclipser l'ascension du
ministre-directeur de cabinet. En effet, Moustapha Niasse
représente à court-terme une menace pour Ousmane Tanor Dieng.
Contrairement à lui, il est doté d'un solide passé au
PS
et dispose de multiples réseaux politiques et financiers.
Depuis son départ du gouvernement en 1984, Niasse a fait fortune dans le
milieu des affaires et a tissé avec les monarchies du
Moyen-Orient et les pays occidentaux des liens extrêmement
solides.
Le PS associe aussi à la campagne les "sages", remis au
goût du jour depuis 1990. Cette présence est à la fois
symbolique et nécessaire, étant donné que les anciens du
parti ont
toujours une certaine influence dans le pays. On retrouve parmi
"les contrôleurs du parti" Babacar Bâ, Ibra Mamadou Wane, As sane
Seck, Adrien Senghor, Abdou Ndiaye, Abdoul
Aziz Diagne, Papa Amath Dieng, Moustapha Touré, Moustapha
Cissé et Abdoulaye Fofana166.
Tous ces conseillers spéciaux sont placés sous
l'autorité directe d'Ousmane Tanor Dieng. A
partir de 1992, ce
dernier prend une grande influence au PS, sur la volonté unique et
pressante d'Abdou Diouf. C'est ainsi que l'ensemble du parti gouvernemental
s'active pour défendre le
bilan du Président sortant et son programme, de
manière à assurer une victoire au premier tour.
La participation de ministres PDS au gouvernement a
indiscutablement affaibli la candidature
d'Abdoulaye Wade. Même s'il
affirme n'avoir rien pu entreprendre face aux blocages socialistes, la
population sénégalaise garde l'image d'un homme dansant avec
madame Diouf
ou appuyant les discours du Président de la
République. Cependant, le sopi est toujours attractif pour la
jeunesse.
Assisté d'Ousmane Ngom et Idrissa Seck, Wade traverse le
Sénégal en voiture décapotable, promett ant la
construction d'un Sénégal nouveau, plus démocratique et
moins corrompu. Il
rappelle à chacune de ses rencontres avec la population
qu'il a été le véritable vainqueur en 1988 et que rien ni
personne ne pourra l'empêcher d'accéder en 1993 au palais
présidentiel.
166 "Haut comité des conseillers spéciaux du
PS", Le Soleil, 3 mai 1993.
Pour séduire les foules, il propose un programme
alternatif, que l'on peut résumer avec les points suivants 167 :
- Formation d'un large gouvernement de transition en attendant
les élections législatives de mai 1993
- Promesse d'un large gouvernement d'union nationale
après les législatives, mais sans le PS
- Etablissement d'un régime parlementaire
- Indépendance complète des magistrats
- Maintien des acquis du code électoral de 1992 (carte
d'identité obligatoire, passage obligatoire dans l'isoloir,
majorité électorale à 18 ans, mandat présidentiel
de 7 ans renouvelable qu'une seule fois etc.)
- Création d'un statut pour le chef de l'opposition, qui
deviendrait un interlocuteur reconnu et protégé par la
Constitution (268)
- Création d'un Sénat, "une assemblée de
sages", dont la présidence pourrait être confiée
à... Abdou Diouf
Avec son slogan, "le Sénégal
prospère", Abdoulaye Wade remet en cause la politique
économique menée par Diouf depuis plus de treize années.
Il n'hésite pas à dire "qu 'Abdou Diouf, élève
de Senghor, a dépassé son maître, car la dette sous son
régime a atteint 1 250 milliards FCFA" 168.
Il promet, comme lors de son passage au gouvernement, une rediscussion
des accords financiers conclus avec le FMI et la Banque mondiale pour
alléger le poids des souffrances du peuple, tout en assurant
l'application d'un programme intérimaire pour mettre fin aux
déséquilibres financiers (en particulier en limitant les
importations de riz). Il estime aussi avoir les solutions pour ramener la paix
en Casamance. Il soutient qu'à son arrivée au gouvernement, il a
été sur le point d'arriver à un accord avec les
séparatistes quand Diouf l'a destitué du dossier
169. En cas de victoire, il jure de faire du dossier
casamançais sa priorité.
La Casamance est un thème central dans la campagne
d'Abdoulaye Wade. Dans la brochure présentant le programme du candidat
libéral, on peut lire que "Abdoulaye Wade est à moitié
d'origine casamançaise du fait de son ascendance maternelle mandingue"
et que "le PDS est majoritaire en Casamance pour avoir gagné
aux dernières élections tous les sièges de
députés du département de Bignona, le coeur de la
Casamance, malgré le trucage électoral"170.
Le champion du sopi se donne ainsi les moyens de
rééditer ses bons scores obtenus dans la région lors de la
précédente présidentielle.
Outre la Casamance, Wade insiste dans sa brochure sur ses
relations avec les confréries religieuses sénégalaises,
l'Arabie Saoudite et la France . Ces liens sont bien mis en évidence
à travers un "roman photo" - rassemblant les clichés de toute sa
vie politique - publié à 500 000 exemplaires et distribué
à travers tout le Sénégal 171.
Abdoulaye Wade montre par cette opération publicitaire qu'il
dispose d'assez de moyens pour faire face à la machine électorale
socialiste, ce qui est loin d'être le cas des autres petits candidats.
Si en 1988, le nombre de candidats a été peu
élevé, on recense en 1993 huit candidats. Cette augmentation
s'explique par la rupture du front commun de l'opposition et la
possibilité offerte par le nouveau code électoral d'avoir des
candidats de la société civile. Seule une
167 "Abdoulaye Wade : "quand je serai Président",
Jeune Afrique, n° 1653, 16 septembre 1992.
168 "Remettre les Sénégalais au travail",
Le Soleil, 1er février 1993.
169 Il est vrai qu'entre 1990 et 1993, le PDS jouit d'une
meilleure réputation que le PS auprès du MFDC. Marcel
Bassène (PDS) est d'ailleurs l'un des médiateurs les plus
écoutés et respectés au cours de la période. Les
avancées obtenues par ce proche de Wade ont engendré certaines
jalousies et certains blocages de la part du PS. Il est donc probable qu'un
succès de Wade sur le dossier casamançais aurait
été particulièrement mal vécu dans les rangs
socialistes. Me Wade : "un contrat avec la Casamance"", Le Soleil, 12
février 1993.
170 Lettre du continent, 11 février 1993.
171 "Le roman photo de Wade", Lettre du continent, 11
février 1993.
personne non affiliée à un parti se
présente à cette élection : Mamadou Lô. Les autres
candidats sont à la tête d'une formation politique, que ce soit
Landing Savané (And Jëf), Babacar Niang (PLP), Madior Diouf (RND),
Abdoulaye Bathily (LD/MPT) ou d'Iba der Thiam (CDP /Garab-Gui).
Mis à mal par la bipolarisation effective de la
politique sénégalaise, les petits candidats tentent tant bien que
mal de se faire remarquer pendant la campagne. Ainsi, Iba der Thiam se
coiffe... d'un chapeau de cow-boy 172 et s'engage à donner un
réfrigérateur et des matelas en mousse à tous les paysans
en cas de victoire. Pour se décoller l'image du pro-dioufiste qu'il
était dans les années 1980 173 , l'ancien ministre de l'Education
Nationale insiste en 1993 sur son passé de syndicaliste opprimé
des années Senghor et sur sa foi musulmane. Dans son programme, il
propose que les animateurs de la télévision
sénégalaise traitant de l'islam soient choisis par des marabouts
et que l'Etat aide financièrement toutes personnes désireuses de
faire le pèlerinage à la Mecque. Cette nouvelle politique
religieuse, bien éloignée des principes senghoriens de
laïcité, aurait pour but selon Iba der Thiam de "revaloriser
l'islam et le marabout qui sont bafoués et utilisés à des
fins partisanes ". Avec ce type de discours, l'ancien ministre vise
plusieurs électorats : les paysans, les musulmans et les jeunes, trois
catégories qui ont particulièrement souffert au cours du
deuxième quinquennat dioufiste.
Les autres candidats croient également à leur
chance. Babacar Niang (PLP) se considère comme le "Bill Clinton
sénégalais" 174 . Il pense, à la manière du
candidat démocrate, pouvoir renverser une administration en place depuis
plus d'une décennie. Néanmoins, ses idées sont floues,
voire risibles, comme l'atteste son slogan de campagne : "un
Président qui bosse et des ministres qui bossent".
Landing Savané (And Jëf) et Abdoulaye Bathily
(LD/MPT) ne se sont touj ours remis quant à eux de la "trahison" wadiste
et adoptent sensiblement les mêmes thèmes de campagne. Ils axent
principalement leurs discours sur le manque de couverture médiatique de
l'opposition sénégalaise. Ils critiquent ainsi le texte
législatif de 1992 qui "offre" à tous les partis 5 minutes
à la télévision et 10 minutes à la radio... toutes
les trois semaines 175 . Ils demandent aussi à Abdou Diouf de faire un
bilan précis de son quinquennat. Mais, dans le même temps, les
deux candidats d'extrême gauche sont dans l'incapacité de
présenter une politique alternative claire, d'autant plus qu'ils n'ont
plus de modèle de société à défendre depuis
l'implosion de l'URSS, la LD/MPT ayant par exemple renoncé en 1991 dans
ses statuts... à la dictature du prolétariat.
Enfin, Madior Diouf (RND) et Mamadou Lô n'arrivent pas
à se faire entendre. Madior Diouf - qui a hérité en 1992
d'un parti en ruine, sans base, sans idéologie et sans presse - vit dans
le souvenir du RND "influent" du début des années 1980 tandis que
l'indépendant Mamadou Lô propose "un vrai changement"... sans
véritablement proposer de choses concrètes.
Comme en 1988, Abdou Diouf s'est engagé à ce
que les élections soient équitables et que chaque candidat
dispose d'une assez bonne couverture médiatique. Chaque soir, pendant
trois semaines, entre 19 heures et 21 heures, les candidats
bénéficient de 5 minutes à la télévision,
où sont montrées des images des meetings de la veille ou
des déclarations enregistrées.
Si ils sont presque tous égaux sur la RTS - Diouf a
tout de même un traitement de faveur indéniable - il n'en va pas
de même en ce qui concerne les moyens financiers dont disposent
172 Iba der Thiam se justifie : "je voulais que les
paysans puissent me distinguer facilement des autres candidats". Voir la
photo de l'article "La CDP oeuvre pour le bonheur des
Sénégalais", Le Soleil, 13 janvier 1993.
173 Dans son premier discours de campagne
télévisé, Iba der Thiam reconnaît qu'avoir soutenu
Abdou Diouf de 1983 à 1988 a été "la grosse erreur de sa
vie". Le Soleil, 1er février 1993.
174 "Je serai le Bill Clinton sénégalais",
Le Soleil, 19 janvier 1993.
175 "Le rallye palais Dakar", Jeune Afrique, n°
1675, 17 février 1993.
les candidats.
Pour ce qui est d'Abdou Diouf, le budget de sa campagne est
estimé à 17 milliards de FCFA176. Cet argent sert
à financer la campagne d'affichage, les distributions importantes de
casquettes et T-shirts à l'effigie du candidat socialiste,
l'organisation des meetings, l'utilisation d'essence etc. Si Wade ne
bénéficie pas des mêmes ressources financières, il
concurrence son adversaire sur le "terrain de l'affichage". En effet, Diouf et
Wade ont leur visage placardé partout, avec des affiches de
différents formats et en couleur. Les autres candidats - excepté
Abdoulaye Bathily - emploient des affiches plus modestes, plus petites et
uniquement en noir et blanc 177 . Ainsi, le slogan de Diouf "suuf sunu
kömköm" ("construisons ensemble notre avenir" en wolof) et de
Wade "Sopi avec Ablaye : Sénégal en avant" sont visibles
à peu près partout durant trois semaines, alors que les affiches
des autres candidats apparaissent peu ou pas du tout, surtout en ville
178.
La presse internationale décrit dans son ensemble une
campagne présidentielle sans intérêt et sans passion. "La
vitrine démocratique sénégalaise" ne fait plus
rêver, les louanges d'autrefois ont laissé place à des
critiques acerbes. On raille les propositions d'Iba der Thiam et ses matelas
pour les paysans, on juge Abdoulaye Wade "grillé définitivement"
179 , tandis que Abdou Diouf est critiqué pour son bilan "plutôt
médiocre" et ses promesses électorales jugées fantaisistes
(notamment la promesse de 6 à 10% de croissance annuelle). Le monde
résume le quinquennat dioufiste de la façon suivante :
"le bilan est loin d'être satisfaisant : le conflit
casamançais n 'a pas été résolu, et surtout, le
pays s'est enfoncé dans une crise économique sans
précédent. La sécheresse n'explique pas tout : laxisme,
corruption, inertie de l'Etat" 180.
La presse occulte par conséquent dans le bilan d'Abdou
Diouf l'amélioration du code électoral, le consensus politique
trouvé suite aux troubles de 1988 et 1989 ou encore l'ouverture
manifeste des médias d'Etat à l'opposition. Diouf
n'apparaît plus à l'étranger comme un démocrate
africain exemplaire mais comme un mauvais gestionnaire, à la tête
d'un pays corrompu semblable à ses voisins. Ce pessimisme est
accentué lorsque le Sénégal rencontre des
difficultés pour annoncer les résultats de l'élection
présidentielle.
Tout est pourtant fait le jour de l'élection pour que
les problèmes soient minimes. En dépit de quelques erreurs
d'application, la décision de marquer chaque électeur à
l'encre indélébile évite les votes multiples qui avaient
été constatés en 1988. Les 102 observateurs
étrangers présents jugent le scrutin relativement transparent.
Tout semble ainsi se passer de façon à peu près
correcte.
Toutefois, le nouveau code électoral
génère un imbroglio imprévu. La commission nationale
chargée de publier les résultats provisoires est
composée de magistrats mais aussi de représentants des candidats
en lice. Or, ces derniers sont incapables de se mettre d'accord quant aux
résultats du scrutin. Le plus souvent, Mamadou Diop, représentant
d'Abdou Diouf, s'oppose dans cette commission "au front du refus", mené
par Ousmane Ngom, bras droit
176 Géraldine Faes, "Catalogue de la fraude",
Jeune Afrique, n° 1678, 10 mars 1993.
177 "Campagne de tous les excès", Le Soleil, 12
février 1993.
178 C'est logiquement en ville que la perception des slogans est
la plus importante, puisque c'est en milieu urbain que l'on trouve le plus de
lettrés.
179 "Le rallye palais Dakar", Jeune Afrique, n°
1675, 17 février 1993.
180 Marie-Pierre Subtil "Le premier tour de
l'élection présidentielle M. Abdou Diouf n'est pas assuré
de l'emporter", Le Monde, 20 février 1993.
d'Abdoulaye Wade. On se rend rapidement compte que le code
électoral n'a pas prévu la possibilité de
désaccords dans la commission. Sans consensus, la commission ne peut pas
rendre de résultats provisoires. Par conséquent, le
Sénégal est politiquement bloqué.
Les 8 200 procès verbaux envoyés par les
bureaux de vote sont scrupuleusement analysés et débattus. "Le
front du refus" souligne que dans certains bureaux, les votants sont plus
nombreux que les inscrits 181 . Le PS reproche quant à lui au PDS
l'emploi de multiples ordonnances, qui ont permis à des gens non
inscrits sur les listes électorales de voter.
Cependant, le PS veut mettre rapidement fin à ce
blocage, considérant que la commission n'a pour seul but que de donner
un avis sur les procès verbaux. Au contraire, les opposants
déclarent que la commission doit "entériner, modifier ou annuler"
les résultats avant de les transmettre au Conseil constitutionnel.
Désabusé, Kéba Mbaye, président du Conseil
constitutionnel, démissionne début mars 1993 de ses fonctions
après avoir envoyé ces quelques mots à Abdou Diouf :
"j'ai la conviction que le code à
l'élaboration duquel j'ai participé est un excellent code. On
commence à lui adresser des reproches qu 'il ne mérite pas. En
réalité, les reproches sont ailleurs. Les reproches sont dans son
application. Alors je me sens dans la position de quelqu 'un qui a
cautionné une chose par laquelle le mal est
arrivé" 182.
Cette démission est un terrible coup pour le
régime dioufiste, puisque cette lettre reconnaît implicitement que
les résultats ont été truqués 183.
Néanmoins, elle a le mérite d'accélérer la
procédure. Le 2 mars 1993, le Conseil constitutionnel donne un ultimatum
de 72 heures à la commission pour proclamer les résultats
provisoires. La commission se juge alors incompétente et donne cette
responsabilité... au Conseil constitutionnel. Wade, qui sait
déjà qu'il a gagné à Dakar, Pikine et Thiès,
demande la tenue d'un second tour et le jugement de l'affaire par un tribunal
arbitral, estimant le Conseil constitutionnel partisan 184 . Par mesure de
précaution, Diouf ne fait aucune déclaration durant cette
période et fait déployer à travers Dakar des
blindés, Wade ayant renoncé à son engagement de
modérer ses discours. Le 1er mars à Diourbel, il affirme
notamment : "j'aime la paix mais pas au point de laisser le voleur mettre
la main dans ma poche" 185 .
Cette situation abracadabrantesque trouve finalement son
épilogue le 13 mars 1993 avec la proclamation officielle des
résultats par le Conseil constitutionnel... 20 jours après la
tenue du scrutin. L'annonce d'une nouvelle victoire d'Abdou Diouf au premier
tour engendre quelques violences : des voitures sont brûlées, des
maisons de dirigeants socialistes attaquées, des barricades
dressées dans Dakar. Les actes de vandalisme n'atteignent cependant pas
le degré de violence de 1988.
181 Marie-Pierre Subtil, "Sénégal : le "
modèle " à l'épreuve" , Le Monde, 2 mars 1993.
182 "Démission de Kéba Mbaye", Le
Soleil, 3 mars 1993.
183 "Cette circonstance fut une des rares fois ou j'ai vu
Abdou connaître une défaillance (...) ce coup du sort, ce coup de
Jarnac, était ressenti comme une vraie trahison ". Habib Thiam,
Par devoir et amitié, pp.1 54-155, Paris, Rocher, 2001.
184 "Le Conseil constitutionnel n'est pas crédible
et n'a pas à interpréter l'élection. C'est l'affaire des
populations. Abdou Diouf était candidat. Il n'avait pas à nommer
le président du Conseil constitutionnel qui se trouve être son
homme". "Wade à Diourbel : procès du Conseil
constitutionnel", Le soleil, 2 mars 1993 et "Wade propose un tribunal
arbitral", Le Soleil, 3 mars 1993.
185 "Wade à Diourbel : procès du Conseil
constitutionnel", Le Soleil, 2 mars 1993.
Voici les résultats qui sont publiés par Le
Soleil le 14 mars 1993 :
- Electeurs inscrits : 2 549 699
- Votants : 1 312 154 (5 1,46 % de participation)
- Suffrages exprimés : 1 296 655
- Abdou Diouf (PS) : 757 311 soit 58,40 %
- Abdoulaye Wade (PDS) : 415 295 soit 32,08 %
- Landing Savané (AJ/PADS) : 37 787 soit 2,91 %
- Abdoulaye Bathily (LD/MPT) : 31 279 soit 2,41 %
- Iba Der Thiam (CDP /Garab-Gui) : 20 840 soit 1,61 %
- Madior Diouf (RND) : 12 635 soit 0,97 %
- Mamadou Lô : 11 058 soit 0,85 %
- Babacar Niang (PLP) : 10 450 soit 0,81 %
L'incompréhension dakaroise face à la victoire
au premier tour d'Abdou Diouf est compréhensible puisque dans la
région de la capitale, le Président sortant n'obtient que 41,45%
des voix, contre 5 1,21 % pour Abdoulaye Wade. "Cette alternance" dans la
capitale n'est pas appréciée à sa juste valeur par les
observateurs de l'époque. En effet, ce basculement de Dakar
reflète tout de même que les élections, aussi imparfaites
soient-elles, ont offert la possibilité à un parti d'opposition
de devenir légalement majoritaire dans une zone électorale
comprenant plus d'un tiers de la population totale. Cette victoire de Wade est
ainsi le symbole du déclin socialiste à Dakar mais aussi du
raffermissement de la démocratie sénégalaise.
Le candidat socialiste perd également dans la ville de
Thiès, ce qui laisse à penser qu'à partir de 1993, le
Sénégal est scindé en deux : un Sénégal
urbain, durement touché par la paupérisation, désireux
d'un changement et donc favorable à Wade et un Sénégal
rural, conservateur, "terreaux des réseaux clientélistes
socialistes", qui inquiet d'une possible "révolution wadiste", vote en
masse pour Abdou Diouf 186.
Comme lors des élections précédentes, le
candidat socialiste dispose de deux bastions, Louga et Saint-Louis. Il
recueille dans ces deux régions 79,04 % et 75,90 % des suffrages 187 .
Les autres régions - hormis Dakar - ont voté pour Diouf entre 55
et 63 %. Ce net recul du Président par rapport à 1988 ne
bénéficie par forcément à Abdoulaye Wade. S'il bat
Diouf par plus de 30 000 voix d'écart dans la région dakaroise,
Wade n'obtient la majorité dans aucune autre région, ses
résultats oscillant entre 15 % et 33 %. Le talon d'Achille de Wade est
bel et bien le monde rural, puisque par exemple dans la région
Thiès, en dépit de sa victoire dans la capitale régionale,
Wade est battu par plus de 45 000 voix d'écart par le candidat
socialiste.
Fait surprenant, le candidat libéral ne fait que 29,13
% à Ziguinchor, lui qui avait obtenu 47 % en 1988. Pourtant, la
situation casamançaise s'est empirée depuis cinq ans. En outre,
Abdoulaye Wade a mené comme on l'a vu une campagne de séduction
vis-à-vis de la région. Pour expliquer cet échec
électoral, on pense que dans l'esprit des casamançais, la peur a
supplanté l'espoir d'une alternance politique. En dépit des
nombreux renforts militaires durant la campagne, les actions des
séparatistes ont été nombreuses. Pour le seul jour du
scrutin, elles ont fait 28 morts. Dans ce climat de violence, voter le 21
février 1993 en Basse-Casamance a demandé un courage
extrême. Pour permettre à son candidat d'obtenir un
résultat satisfaisant, le PS a mobilisé son électorat - et
les ressources de l'Etat - et a fait acheminer par transports
186 Géraldine Faes, "Pourquoi les paysans ont
voté Diouf", Jeune Afrique, n° 1681, 31 mars 1993.
187 Abdou Diouf est également plébiscité
par les émigrés sénégalais. Sur 37 760 votants,
Abdou Diouf recueille 27 371 voix (72,48 %), alors qu'Abdoulaye Wade n'obtient
que 8 499 voix (22,50 %). Le Soleil, 26 février 1993.
collectifs les électeurs de Dakar originaires de
Basse-Casamance 188.
Le taux de participation reste cependant bien faible, puisque
sur 122 267 inscrits, seuls 49 502 ont voté, soit un taux de
participation de 40, 5 %. On constate un taux similaire dans l'autre
région casamançaise, Kolda, où le taux de participation
est de 44,7 %.
Les autres candidats ne peuvent qu'être
déçus de leurs résultats, même si le pôle
communiste peut s'orgueillir de représenter environ 5 % de
l'électorat sénégalais. Landing Savané fait
même de très bons résultats dans "sa" région
casamançaise, recueillant 8,15 % des voix à Ziguinchor et 6,22 %
à Kolda, alors que dans les autres régions
sénégalaises, le "troisième homme" ne culmine jamais
au-delà de 4 % 189 . Nonobstant ces pourcentages, les marxistes, qui ont
tenté pendant la campagne d'employer des termes alternatifs au sopi
de Wade - le folly (destitution) pour Savané et le
jallarbi (alternance) pour Bathily - n'ont pas réussi
l'objectif qui étaient le leur : contrarier le leadership
contestataire wadiste.
Quant à Iba der Thiam, il obtient ses meilleurs scores
dans les régions fortement islamisés (Diourbel et Kaolack)
où il se positionne derrière le duo Diouf-Wade. Cependant, ses
résultats sont dans l'ensemble très décevants, comme ceux
de Madior Diouf, bien éloignés des... 2,71% obtenus par la liste
RND aux législatives de 1983. Il se place au coté de Mamadou
Lô, qui malgré ses faibles moyens financiers, s'est formé
un petit électorat en multipliant les rencontres de proximité.
Cette démarche novatrice dans la politique sénégalaise est
saluée par les grandes formations politiques. Enfin, le score
insignifiant de Babacar Niang est à l'image de sa popularité.
Cette humiliation sonne le glas de ses ambitions présidentielles et
marque la fin de sa carrière politique 190.
Abdou Diouf reprend donc la main. En dépit de la
violence casamançaise, de l'imbroglio juridique au sein de la
commission nationale chargée de publier les résultats provisoires
et des réactions post-électorales dakaroises, sa victoire
n'est que très faiblement contestée par l'opposition. Le
Président réélu peut ainsi sereinement prêter
serment le 4 avril 1993 et att endre les élections législatives
de mai pour pouvoir reconduire un large gouvernement d'union nationale.