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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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4.2. Les crises universitaires :

Abdou Diouf a débuté en 1981 sa présidence par la résolution d'une importante crise scolaire, en organisant les "états généraux de l'éducation". La propagande gouvernementale promettait alors la fin de tous les problèmes répertoriés, l'instauration d'une "nouvelle école" plus juste, mieux adaptée aux réalités sénégalaises etc. En 1988, ce doux rêve n'est plus à l'ordre du jour. L'éducation Nationale est touj ours l'un des ministères les plus sensibles et les conditions de travail des étudiants se sont détériorés. Le mécontentement est général : les élèves, les enseignants et les étudiants étrangers protestent. Les grèves se multiplient, ainsi que les années blanches. En 1988, l'année est annulée par le gouvernement après plus de cinq mois de blocage. L'année suivante, alors que l'Etat adopte des dispositions prenant en compte les souhaits des différents syndicats, l'université sénégalaise se met trois mois de grève.

A l'indépendance, l'université de Dakar est la plus ancienne et la plus réputée d'Afrique noire francophone, la plupart des dirigeants africains y ayant fait une partie de leurs études. Trente ans plus tard, la situation est désastreuse. Alors que l'université de Dakar - devenue en 1986 université Cheikh Anta Diop - a été conçue pour accueillir 3 500 étudiants, on en compte en 1990... 24 000. Depuis 1960, les effectifs ont été multipliés par 30. Il y a donc une surpopulation universitaire, alors qu'à peine 2 % de la population sénégalaise fait des études supérieures 69.

Le budget alloué à l'Education Nationale est pourtant relativement important pour un pays d'Afrique noire (16,5 % du budget total du Sénégal contre 15 % en moyenne pour ses voisins). Ce sont les orientations budgétaires que conteste la Banque mondiale. Dans un rapport, elle affirme que "l'université de Dakar dépense vingt fois plus d'argent pour nourrir les étudiants que pour acquérir des livres et des périodes de bibliothèques (...) l'expansion quantitative a pris le pas sur les aspects qualitatifs ". La bibliothèque "prestigieuse" de Dakar comprenait 400 000 livres en 1960. Or, le budget pour le rachat de livres représente au début des années 1990 à... 0,6 % du budget total de l'université, contre les 5 % normalement requis70.

L'argent va par conséquent presque exclusivement dans le paiement des bourses universitaires, qui fournissent leur lot de prestations sociales (logement, nourriture, soins médicaux etc.). Le problème est que les deux tiers des étudiants sénégalais disposent d'une bourse. Ceci révèle pour l'ancien ministre de l'Education Nationale Iba der Thiam "la mauvaise conscience de l'Etat". De plus, la bourse n'est pas remise en cause en cas de redoublement, bien que le taux d'échec des premières années soit de... 87 %, et que seuls 30% des élèves qui finissent leurs études n'ont redoublé que deux fois 71.

Avec des bourses renouvelables à l'infini et un chômage quasi certain après l'obtention d'un diplôme, l'université Cheikh Anta Diop s'apparente pour la jeunesse sénégalaise à un el dorado, ou pis, à "une vache à lait". Face à des classes surbondées - entre 600 à 1 000 élèves par cours lors des deux premières années - les enseignants n'ont pas les moyens de faire correctement leur travail. En outre, ils sont moins bien formés et plus inexpérimentés qu'autrefois. Pour des raisons d'économies budgétaires, les maîtres assistants forment 58% du

69 Michèle Aulagnon, "L'angoisse d'une année blanche au Sénégal", Le Monde, 7 janvier 1993.

70 Idem.

71 Michèle Aulagnon, "L'angoisse d'une année blanche au Sénégal", Le Monde, 7 janvier 1993.

corps enseignant universitaire. Ils obtiennent leur titularisation au bout d'une seule année, alors que cinq ans étaient requis auparavant. L'Etat, qui voit dans l'université un moyen de canaliser le mécontentement de sa jeunesse, tente à peine de trouver des remèdes à cette situation critique. Pis, il répond très souvent favorablement aux requêtes des syndicaux, ce qui ne fait qu'accroître à long terme les difficultés.

Les propositions de la Banque mondiale, condensées dans un rapport de 1992, "Revitalisation de l'enseignement supérieur au Sénégal" 72, sont pourtant multiples : sélection à l'entrée de l'université ; augmentation du niveau du baccalauréat ; amélioration de la formation des enseignants ; valorisation des formations courtes, mieux adaptés aux demandes du monde du travail ; limitation des reconductions d'aides financières en cas de redoublement etc.

Ces propositions ne sont pas prises en compte par l'Etat, effrayé à l'idée d'affronter une fronde estudiantine. Abdou Diouf préfère céder à chaque crise universitaire pour s'as surer une paix sociale relative. Cette politique n'empêche pas la prolifération des conflits scolaires et universitaires durant les années 1990, comme l'atteste... l'année blanche de 1994 73. Le pouvoir contribue donc à maintenir un système coûteux et improductif, qui n'apaise pas les mécontentements. Une étincelle peut ainsi enflammer la poudrière sociale à tout instant, comme le démontre les événements tragiques qui opposent Sénégalais et Maures en plein Dakar en avril 1989.

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