Abdou Diouf a débuté en 1981 sa
présidence par la résolution d'une importante crise scolaire, en
organisant les "états généraux de l'éducation". La
propagande gouvernementale promettait alors la fin de tous les problèmes
répertoriés, l'instauration d'une "nouvelle école" plus
juste, mieux adaptée aux réalités
sénégalaises etc. En 1988, ce doux rêve n'est plus à
l'ordre du jour. L'éducation Nationale est touj ours l'un des
ministères les plus sensibles et les conditions de travail des
étudiants se sont détériorés. Le
mécontentement est général : les élèves, les
enseignants et les étudiants étrangers protestent. Les
grèves se multiplient, ainsi que les années blanches. En 1988,
l'année est annulée par le gouvernement après plus de cinq
mois de blocage. L'année suivante, alors que l'Etat adopte des
dispositions prenant en compte les souhaits des différents syndicats,
l'université sénégalaise se met trois mois de
grève.
A l'indépendance, l'université de Dakar est la
plus ancienne et la plus réputée d'Afrique noire francophone, la
plupart des dirigeants africains y ayant fait une partie de leurs
études. Trente ans plus tard, la situation est désastreuse. Alors
que l'université de Dakar - devenue en 1986 université Cheikh
Anta Diop - a été conçue pour accueillir 3 500
étudiants, on en compte en 1990... 24 000. Depuis 1960, les effectifs
ont été multipliés par 30. Il y a donc une surpopulation
universitaire, alors qu'à peine 2 % de la population
sénégalaise fait des études supérieures
69.
Le budget alloué à l'Education Nationale est
pourtant relativement important pour un pays d'Afrique noire (16,5 % du budget
total du Sénégal contre 15 % en moyenne pour ses voisins). Ce
sont les orientations budgétaires que conteste la Banque mondiale. Dans
un rapport, elle affirme que "l'université de Dakar dépense
vingt fois plus d'argent pour nourrir les étudiants que pour
acquérir des livres et des périodes de bibliothèques (...)
l'expansion quantitative a pris le pas sur les aspects qualitatifs ". La
bibliothèque "prestigieuse" de Dakar comprenait 400 000 livres en 1960.
Or, le budget pour le rachat de livres représente au début des
années 1990 à... 0,6 % du budget total de l'université,
contre les 5 % normalement requis70.
L'argent va par conséquent presque exclusivement dans
le paiement des bourses universitaires, qui fournissent leur lot de prestations
sociales (logement, nourriture, soins médicaux etc.). Le problème
est que les deux tiers des étudiants sénégalais disposent
d'une bourse. Ceci révèle pour l'ancien ministre de l'Education
Nationale Iba der Thiam "la mauvaise conscience de l'Etat". De plus,
la bourse n'est pas remise en cause en cas de redoublement, bien que le taux
d'échec des premières années soit de... 87 %, et que seuls
30% des élèves qui finissent leurs études n'ont
redoublé que deux fois 71.
Avec des bourses renouvelables à l'infini et un
chômage quasi certain après l'obtention d'un diplôme,
l'université Cheikh Anta Diop s'apparente pour la jeunesse
sénégalaise à un el dorado, ou pis, à "une
vache à lait". Face à des classes surbondées - entre 600
à 1 000 élèves par cours lors des deux premières
années - les enseignants n'ont pas les moyens de faire correctement leur
travail. En outre, ils sont moins bien formés et plus
inexpérimentés qu'autrefois. Pour des raisons d'économies
budgétaires, les maîtres assistants forment 58% du
69 Michèle Aulagnon, "L'angoisse d'une année
blanche au Sénégal", Le Monde, 7 janvier 1993.
70 Idem.
71 Michèle Aulagnon, "L'angoisse d'une année
blanche au Sénégal", Le Monde, 7 janvier 1993.
corps enseignant universitaire. Ils obtiennent leur
titularisation au bout d'une seule année, alors que cinq ans
étaient requis auparavant. L'Etat, qui voit dans l'université un
moyen de canaliser le mécontentement de sa jeunesse, tente à
peine de trouver des remèdes à cette situation critique. Pis, il
répond très souvent favorablement aux requêtes des
syndicaux, ce qui ne fait qu'accroître à long terme les
difficultés.
Les propositions de la Banque mondiale, condensées
dans un rapport de 1992, "Revitalisation de l'enseignement supérieur
au Sénégal" 72, sont pourtant
multiples : sélection à l'entrée de l'université ;
augmentation du niveau du baccalauréat ; amélioration de la
formation des enseignants ; valorisation des formations courtes, mieux
adaptés aux demandes du monde du travail ; limitation des reconductions
d'aides financières en cas de redoublement etc.
Ces propositions ne sont pas prises en compte par l'Etat,
effrayé à l'idée d'affronter une fronde estudiantine.
Abdou Diouf préfère céder à chaque crise
universitaire pour s'as surer une paix sociale relative. Cette politique
n'empêche pas la prolifération des conflits scolaires et
universitaires durant les années 1990, comme l'atteste... l'année
blanche de 1994 73. Le pouvoir contribue donc à
maintenir un système coûteux et improductif, qui n'apaise pas les
mécontentements. Une étincelle peut ainsi enflammer la
poudrière sociale à tout instant, comme le démontre les
événements tragiques qui opposent Sénégalais et
Maures en plein Dakar en avril 1989.