En dépit de ses 71% obtenus aux législatives,
le PS est groggy. Les nets reculs constatés en Casamance mais surtout
dans la région dakaroise inquiètent les dirigeants du parti
gouvernemental. Comme en 1983, le PS se cherche des coupables. Les premiers
désignés sont les ministres de la société civile du
précédent gouvernement : Mamadou Touré, Cheikh Kane et Iba
der Thiam. L'ancien ministre de l'Education Nationale et de l'Enseignement est
particulièrement visé, en raison de son implication dans le
comité de soutien Abdoo nu dooy, qui a court-circuité
tout au long de la précampagne les initiatives socialistes. Les
critiques les plus virulentes proviennent du GER. Le groupe de recherche pointe
du doigt l'incapacité dont à fait preuve Abdoo nu dooy,
et les autres comités du soutien, pour fédérer la
population sénégalaise autour du projet dioufiste. Ceci s'est
manifesté pour le GER par "un discours resté trop classique
(...) qui renforce l'image d'un PS vieux parti, alors qu'en face l'opposition
montre un nouveau visage, qui fait preuve de sang neuf"
30. Le GER appelle la formation gouvernementale
à opter pour "une nouvelle voie", via des changements d'hommes, dans le
but de mettre fin au clientélisme et au conservatisme
idéologique. Le GER souhaite ainsi prendre la tête de la
"Rénovation" 31.
Abdou Diouf parait accorder sa confiance aux "jeunes loups".
Durant le congrès extraordinaire socialiste du 30 juillet 1988, il
insiste sur les changements qui doivent être menés par l'ensemble
des dirigeants socialistes : "il nous faut accorder une attention
particulière à la communication pour convaincre de la justesse de
nos options (...) il faut un langage de vérité vers les masses et
répudier les communiqués pour le dialogue" 32.
Profitant de ce "souffle nouveau", certains cadres PS
remettent en cause la prédominance de Jean Collin. Daouda Sow,
président de l'Assemblée nationale et tête de liste PS aux
législatives de 1988, suggère une réforme du bureau
politique. Il propose le rétablissement d'une hiérarchie au sein
du parti, afin que le secrétaire chargé de la vie politique -
généralement le président du Parlement
sénégalais - redevienne le numéro deux officiel et
reprenne en main les débats au sein du bureau politique. La fonction de
Jean Collin - secrétaire national chargé des règlements
des conflits - serait alors éclatée en... 15 corps, tous
coordonnés par le secrétaire général chargé
de la vie politique, via une commission de contrôle du parti
33. Abdou Diouf offre alors des garantis à Daouda
Sow pour mener à bien son projet. En donnant son approbation, le chef de
l'Etat tente de reprendre les rênes d'un parti qu'il a laissé
depuis 1984 à son fidèle ministre d'Etat. Pour confirmer sa
volonté de reprise en main, il affirme lors du congrès
extraordinaire PS être le seul chef du parti : "ce que le
secrétaire général proclame haut et fort (...) doit
être respecté" 34.
Face à la constitution d'un front anti-Collin, plus ou
moins toléré - voire appuyé - par le Président de
la République, Jean Collin réagit et se rapproche des ambitieux
membres du GER. Ces derniers, en manque de réseaux et de
clientèles, ont tout intérêt à s'allier avec
l'influent secrétaire général de la présidence de
la République. Un pacte est conclu entre les
30 Albert Bourgi, "Diouf et Wade peuvent s'entendre mais...
", Jeune Afrique, n° 1437, 20 juillet 1988.
31 Le terme de "Rénovation", déjà
employé en 1976 lors du Congrès qui installe les pro-dioufistes
au sein de l'UPS/PS, est utilisé par le parti pour annoncer non pas des
changements idéologiques majeurs, comme l'affirme la propagande
étatique, mais des changements ou des confirmations de monopole de
direction assuré par un groupe de personnes au dépend d'un
autre.
32 "Congrès extraordinaire du PS", Le Soleil,
1er août 88.
33 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.375, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
34 "Congrès extraordinaire du PS", Le Soleil,
1er août 88.
deux partis pour s'assurer le contrôle du bureau
politique PS, au profit des "conservateurs", menés par Daouda Sow.
Jean Collin profite de ses nombreux soutiens à
l'Assemblée nationale pour déstabiliser le deuxième
personnage de l'Etat. Une soixantaine de députés accuse Sow
à partir de novembre 1988 de "mal gérer" les fonds
spéciaux du Parlement et de préparer un coup de force au sein du
bureau politique. La tension est si forte entre les deux camps que la vie
parlementaire sénégalaise est bloquée durant un mois. La
lutte est indécise et personne n'ose véritablement prendre
position au sein "des non-alignés", de peur d'en subir les
conséquences en cas de mauvais choix. C'est ainsi qu'on explique le
silence observé par Le Soleil, qui évoque pour la
première fois la crise parlementaire le... 11 décembre 1988, soit
cinq jours après la démission de Daouda Sow 35.
Le Président de l'Assemblée nationale n'a donc
pas résisté à l'action menée par les proches de
Jean Collin. En ayant tenté de s'opposer au puissant ministre d'Etat,
Daouda Sow a été victime du "syndrome Habib Thiam". Tête de
liste aux législatives, deuxième personnage de l'Etat, proche du
Président de la République, il n'a cependant pas pu
empêcher le ralliement massif des parlementaires à Jean Collin.
Après une rencontre avec Abdou Diouf le 6 décembre 1988, Sow
démissionne du perchoir de l'Assemblée nationale, mais
contrairement à Thiam en 1984, il conserve son mandat de
député. Pour le remplacer, Jean Collin choisit un allié
fidèle, inconnu du grand publique : Abdoul Aziz Ndaw 36 .
Député-maire de Mekhe, présenté comme un socialiste
de la première heure, il est élu par 86 députés le
10 décembre 1988. Sur les députés présents ce jour
là, seul... Daouda Sow ne vote pas en sa faveur. Les
députés PDS, agacés par cette guerre interne, quittent
l'hémicycle avant le vote en déclarant par l'intermédiaire
de Boubacar Sall : "nous ne sommes pas à la maison du PS"
37.
Jean Collin retrouve de ce fait sa prédominance.
Absent du bureau politique depuis avril 1988, le ministre d'Etat le
réintègre suite au départ de Sow. Il favorise
l'intégration du GER et prend la tête du bureau exécutif
chargé de préparer le Congrès extraordinaire PS dit de
"rénovation". Pour mettre fin "aux luttes de clan (...) qui
entraînent des blocages néfastes au détriment de la
cohésion du parti" 38 , Abdou Diouf a en effet dissout
le comité central. Jean Collin est par conséquent seul aux
commandes du PS. Parmi les dix autres membres du bureau exécutif, on
retrouve des "rénovateurs", tels que Moustapha Kasse, Khalilou Fall,
Madia Diop ou Babacar Sine. D'une manière générale, les
dix sont tous très étroitement liés au secrétaire
général de la présidence.
Pour favoriser le dialogue et "la rénovation", les
innovations socialistes prolifèrent. La première
université d'été du PS se tient en septembre 1989, le GER
multiplie les antennes régionales, Abdou Diouf se penche sur les
réformes du code électoral. Le PS change et désire le
montrer. Toutefois, Jean Collin pose problème. Dans les rangs
socialistes, on ne s'embarrasse plus d'aucune politesse :
35 "Un nouveau Président aujourd'hui", Le
Soleil, 11 décembre 1988.
36 Au contraire, Daouda Sow a un passé politique
conséquent. Député depuis 1963, il a été
ministre de la Santé (1970-1973), ministre de l'Information, des
Télécommunications et des Relations avec les Assemblées
(1973- 1980) et ministre des Forces Armées (1981-1983). "Un nouveau
Président aujourd'hui", Le Soleil, 11 décembre 1988.
37 "Abdoul Aziz Ndaw installé", Le Soleil 12
décembre 1988.
38 "Contribution préliminaire du camarade Abdou
Diouf" , Le Soleil, 16 février 1989.
"si le Président se sépare de Jean Collin, il
réglera 50% des problèmes. Il est devenu trop impopulaire.
Même les ministres font semblant de s'écraser, mais on ne l'aime
pas. Il a tout accaparé" 39.
Nombreux sont ceux qui conseillent à Abdou Diouf de
mettre fin à sa collaboration avec son éminence grise. En plus
d'être peu aimé, Collin incarne à lui seul l'image d'un PS
manipulateur et frauduleux dont Abdou Diouf tente
désespérément de se dissocier.
Au début du mois de mars 1990, rien ne laisse
présager "la révolution" qui est en cours de préparation.
Jean Collin préside l'assemblée générale du GER. Il
est à cette occasion très bien entouré, puisque toutes les
"étoiles montantes du parti" - Djibo Kâ, Ousmane Tanor Dieng,
Moustapha Kâ - s'arrangent pour figurer en photo à ses
cotés 40. La lecture du Soleil montre que
le quotidien relate toujours avec autant de frénésie ses
apparitions, ses discours, ses prises de positions et le soutien de ses "amis".
Son comité de soutien - "les amis de Jean Collin" - inonde en effet les
pages du journal gouvernemental. Une semaine avant la retraite forcée du
ministre d'Etat, le comité prône encore l'unité autour de
Collin 41.
Ces faits montrent que le sort du secrétaire
général à la présidence est scellé dans le
plus grand secret. Les réseaux sénégalais et les
connexions avec la France dont dispose Jean Collin inquiètent
l'entourage présidentiel. Abdou Diouf prend toutes les dispositions
nécessaires pour permettre une "transition" en douceur. Il s'assure
notamment auprès de Medoune Fall, ministre des Forces Armées, que
Jean Collin ne puisse avoir aucun moyen de riposte après "sa mise en
congés". Selon les contemporains, Jean Collin est à l'annonce de
son renvoi médusé par la "traîtrise" d'Abdou Diouf 42
. Il quitte ses fonctions le 27 mars 1990, avant d'être
"remercié" du PS en avril de la même année.
Plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer
la chute brutale de Jean Collin. Certains écrits laissent entendre qu'il
était un frein à l'ouverture du gouvernement à
l'opposition. Si cette affirmation peut être considérée
comme exacte, on constate néanmoins qu'après mars 1990, Abdou
Diouf ne fait pas appel dans un premier temps au PDS. Il déclare
même dans une conférence de presse en mai 1990 qu'il ne songe pas
à une réinstauration de la Primature 43. Le
Président souligne au cours de la même période sa
volonté de voir une majorité qui gouverne et une opposition qui
s'oppose. On pense par conséquent que le revirement constaté avec
l'entrée du PDS dans le gouvernement en avril 1991 n'est pas dû
principalement au limogeage de l'ancien ministre d'Etat mais plutôt au
camouflet que connaît Diouf lors des municipales de 1990.
De ce fait, d'autres facteurs sont pris en compte pour
comprendre la destitution de Collin. On sait tout d'abord que le "toubab de
la négritude" 44 est un homme malade, qui se rend
régulièrement en France depuis le milieu des années 1980
pour se soigner. Outre sa santé déclinante, Jean Collin est
depuis son passage temporaire au ministère de l'Intérieur, une
cible presque quotidienne de l'opposition. Déjà malmené
depuis 1984, le ministre d'Etat est accusé
39 Sennen Andriamirado, "Petite fraude et combat des chefs",
Jeune Afrique, n° 1455, 23 novembre 1988.
40 Voir la photo de l'article "Le GER en Assemblée
générale", Le Soleil, 5 mars 1990.
41 "Les amis de Jean Collin prêchent l'unité ",
Le Soleil 20 mars 1990.
42 "Et puis un jour, il (Jean Collin) commit l'erreur de
présenter, une nouvelle fois, sa démission. Abdou avança
alors, et le mit "échec et mat" avec une telle rapidité et une
telle maîtrise que certains en furent comme foudroyés (...) le
ministère de l'Intérieur avait pris toutes ses
responsabilités. Une page de l'histoire du Sénégal venait
d'être tournée". Habib Thiam, Par devoir et amitié,
pp.101, Paris, Rocher, 2001.
43 "Abdou Diouf face à la presse des Etats-Unis : Pas
de Premier ministre", Le Soleil, 18 mai 1990.
44 Jean de la Guérivière, "Jean Collin, le
toubab de la négritude", Le Monde, 7 avril 1988.
après 1987 d'être le principal responsable des
maux qui touchent le pays (fraudes électorales, durcissement du
régime, relations tendues avec l'opposition, corruption
généralisée etc). Cette situation, si elle est
pénible pour Collin, décharge Diouf d'un poids, lui qui est sur
les devants de la scène politique intérieure en permanence depuis
la suppression de la Primature. Mais les cabales à
répétition nuisent à la bonne marche de l'Etat et
altèrent l'image d'homme droit et intègre dont a
bénéficié Collin autrefois. Les violences urbaines de
1988, ajoutées à la crise mauritanienne de 1989, font donc de
Jean Collin un bouc émissaire idéal. L'homme qui "fascinait
parce qu 'il ne disait rien, mais qui pour la plupart des
Sénégalais, pouvait tout et faisait tout", qui a fait Abdou
Diouf... est donc défait par sa création. Le mentor est devenu
fusible 45.
Après des "remerciements polis" de la part d'Abdou
Diouf, qui salue le travail effectué par son ancien bras droit, Jean
Collin quitte la scène politique sénégalaise. Son nom ne
réapparaît dans les médias officiels qu'après
l'annonce de sa mort, en octobre 1993. L'ancien ministre d'Etat est alors
enterré dans le village natal de sa seconde femme, à Ndaffate. Si
le conseil des ministres ne lui rend pas un hommage officiel, Abdou Diouf et
Habib Thiam - redevenu Premier ministre - l'accompagnent discrètement
jusqu'à sa dernière demeure, sans faire de déclarations.
La grande couverture des funérailles par le Soleil et les
titres élogieux qui accompagnent les articles - Digne fils du
Sénégal ; Grand commis de l'Etat ; Un sens aigu de l'Etat ;
Collin, venu en colon, colonisé par l'africain et adopté par le
Sénégal 46 - traduisent cependant l'énorme
influence qui a été celle de Jean Collin durant presque trois
décennies au Sénégal.
Une page se tourne donc avec la chute du secrétaire
général de la présidence. On croit alors que cette
destitution "provoque une importante restructuration au sein de la
direction politique et administrative de l'Etat" 47.
Si elle est exacte au sein du PS - comme le désirait Daouda Sow en
1988, le secrétaire national chargé de la vie politique reprend
la direction du bureau politique - il n'en va pas de même pour ce qui est
du gouvernement. En effet, on constate lors du remaniement ministériel
du 27 mars 1990 l'apparition d'Ousmane Tanor Dieng, qui se voit octroyé
la fonction de... ministre-directeur de cabinet. Même si André
Sonko succède officiellement à Collin au poste de "ministre,
secrétaire général de la présidence de la
République", c'est bel et bien Ousmane Tanor Dieng qui, petit à
petit et en toute discrétion, reprend à son compte les dossiers
auparavant confiés au toubab de la négritude.
Néanmoins, cette "substitution" est à peine
relevée par les contemporains, qui préfèrent insister sur
le départ de Collin et sur la création de cinq
"super-ministères" 48 . Les vedettes de ce remaniement sont
Moussa Touré, ministre de l'Economie et des Finances ; Djibo Kâ,
ministre de l'Education Nationale ; Robert Sagna, ministre de l'Equipement, des
Transports et du Logement ; Assane Diop, ministre de la Santé et de
l'Action Sociale et Moustapha Kâ, ministre de la Culture et de la
Communication.
Ces changements sonnent le glas de l'influence des
"rénovateurs" sur la vie politique sénégalaise. Ces
derniers, légions au bureau exécutif du PS, n'ont pas un seul
représentant au gouvernement. Quant au GER, qui milite depuis 1988 pour
une entrée massive de ses cadres
45 Jacques Foccart écrit à propos : "A-t-il
été le mentor de Diouf comme on l'a dit, ou surtout son fusible ?
Sans doute un peu des deux". Jacques Foccart, Foccart parle,
entretiens avec Philippe Gaillard, tome 2, pp.292, Paris, Fayard, 1997.
46 Voir Le Soleil du 19, 20, 24 et 25 octobre 1993.
47 M-C. Diop, M. Diouf et A. Diaw, "Le baobab a
été déraciné : L 'alternance au
Sénégal", PoA 78, juin 2000.
48 "Fenêtre sur quatre super-ministères",
Le Soleil, 30 mars 1990.
dans l'équipe ministérielle, ne voit incorporer
que ses membres les plus proches du Président, à savoir Moustapha
Kâ, ancien directeur de cabinet du Président (1981-1988), et
Jacques Baudin.
Avec ce gouvernement très "dioufiste", le
secrétaire général du PS a les moyens de "nettoyer" les
instances dirigeantes socialistes. La composition du bureau exécutif
provisoire, largement favorable à Jean Collin, est devenue caduque
depuis le départ de ce dernier. Les intellectuels du GER, sans base ni
réseaux, ne réussissent pas à s'imposer lors des
renouvellements dans les unions départementales PS.
En 1990, l'élection des dirigeants locaux socialistes
se veut plus démocratique que les précédentes. Selon les
désirs d'Abdou Diouf, les compositions des instances de bases doivent
refléter la volonté des militants. Les enjeux de ces
renouvellements sont cependant très importants, les personnes en lice
ayant la possibilité de se constituer une clientèle et
d'accéder aux ressources sociales et économiques du pays
49. Les débats sont donc houleux, heurtés
et parfois violents. Plusieurs rappels à l'ordre sont formulés
par le bureau politique pendant cette période, donc celui-ci,
daté de juin 1990 : "le bureau exécutif a tenu à
condamner les violences constatées dans certaines coordinations comme la
septième de Dakar et a demandé que toute la clarification leur
soit fait sur les auteurs et les commanditaires" 50.
Les blindages et blocages étant nombreux,
l'élection des unions régionales PS prend plusieurs mois de
retard. C'est en juin - juillet 1990 qu'on obtient finalement le nom des
présidents généraux d'union régionale PS 51 :
- Dakar : Lamine Diack
- Diourbel : Jacques Baudin
- Fatick : Moustapha Kâ
- Kaolack : Abdoulaye Diack
- Kolda : Amath Cissé
- Louga : Abdourahmane Sow
- St-Louis : Cheikh Amidou Kane
- Tamba : Cheikh Cissokho
- Thiès : Abdoul Aziz Ndaw
- Ziguinchor : Landing Sane
On s'aperçoit que les hommes élus sont
d'actuels ou d'anciens ministres. Si tel n'est pas le cas, on leur
reconnaît un solide passé de militant. Pour être
désigné, certains ont du faire campagne contre des hommes
politiques influents. C'est le cas à Dakar pour Lamine Diack,
opposé Mamadou Diop ou à Ziguinchor pour Landing Sané,
opposé à Robert Sagna. Dans un tel contexte, les
rénovateurs, fraîchement apparus dans le paysage socialiste et
sans véritable base, n'ont pas fait le poids.
En s'appuyant sur ces nouveaux présidents d'union
régionale, Abdou Diouf essaie de rassembler la famille socialiste pour
mettre fin aux clivages récurrents depuis sa prise de fonction en 1981.
Abdou Diouf choisit donc les membres du bureau politique, plaçant des
hommes de confiance et d'expérience. Les rénovateurs sont ainsi
les grands perdants du congrès socialiste de 1990, puisque la grande
majorité d'entre eux sont invités à rejoindre... les
centaines de membres du comité central. Les plus "chanceux"
accèdent à des postes de second rang. Le cas de Babacar Sine est
exemplaire. Considéré à la fin des années 1980
comme l'un
49 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ?
Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.
50 "Préparation minutieuse du congrès",
Le Soleil, 1er juillet 1990.
51 "Les secrétaires généraux des unions
régionales", Le Soleil, 24 juillet 1990.
des principaux idéologues du GER, il fait parti du
prestigieux bureau exécutif provisoire de 1989. Toutefois, avec le
départ de Collin, il perd son principal promoteur. En 1990, Sine ne
figure plus qu'en... 26ème position dans le bureau politique PS, avec la
fonction peu glorieuse "d'adjoint du secrétaire national chargé
des questions scolaires et universitaires" 52.
En favorisant des dirigeants nommés par les militants
- les dix présidents d'union régionale siègent au bureau
politique - Abdou Diouf lance un message fort à la base. Il clame que le
PS s'est démocratisé et a compris ses erreurs passées.
Devant un tel discours, il est étonnant de noter que le
secrétaire général du PS est reconduit... par acclamation,
et non pas par la voie démocratique. De plus, si Abdou Diouf donne
à la base le pouvoir d'élire ses représentants au
congrès, les membres du bureau politique sont choisis uniquement par
Diouf. La hiérarchie étant une nouvelle fois supprimée -
elle avait été rétablie lors de la constitution du bureau
exécutif de 1989 - le secrétaire général retrouve
une toute puissance au sein de son parti qu'il avait délaissé
depuis 1984.
Cependant, Diouf délègue au numéro deux
officieux du PS - Abdoul Aziz Ndaw, secrétaire national chargé de
la vie politique - la présidence du bureau politique. Il s'appuie aussi
sur des personnes en qui il fait totalement confiance. On pense à Djibo
Kâ, secrétaire national chargé des élections,
Ousmane Tanor Dieng, secrétaire national chargé des relations
internationales et Moustapha Kâ secrétaire nationale chargé
de la formation permanente. D'autres fidèles d'Abdou Diouf composent ce
bureau politique : André Sonko, Lamine Diack, Jacques Baudin, Abdoul
Khadre Cissokho, Landing Sané, Robert Sagna, Cheikh Amidou Kane etc.
53
En s'entourant d'hommes dévoués, Abdou Diouf
s'offre un soutien sans faille dans son entreprise de "démocratisation",
qui doit être couronnée par la réussite des
élections municipales de 1990. Mais prenant conscience du risque
d'assister à la constitution d'un front hostile au sein du comité
central, Diouf appelle les "barons" à former "un corps de
contrôleurs composé d'hommes détachés des affaires
politiques de la base" 54. Les compagnons de
Senghor, présentés jadis comme corrompus et anti-dioufistes, sont
à présent loués pour leur sagesse et leur...
déontologie. Ce retour au passé n'est pas une première
pour Abdou Diouf, puisqu'en 1988, face à l'agitation grandissante de la
jeunesse, il n'a pas hésité à rendre hommage plusieurs
fois à Léopold Sédar Senghor.
Ce changement d'attitude n'est pas
désintéressé. A une période où le PS fait
face à une impopularité croissante, les années
senghoriennes ne sont plus assimilées à un temps où
régnait le monopartisme mais à une période heureuse, faite
de providence, de plein emploi et de bien-être. Abdou Diouf juge donc que
le parti gouvernemental n'a plus aucun intérêt à renier ce
passé. Au contraire, il doit l'entretenir et le louer. C'est pourquoi
après 1990, les "barons" deviennent... "les sages". Ils forment à
présent un cortège d'observateurs avisés de la vie
politique interne du comité central, rattachés directement
à Diouf. Au nombre de douze, on retrouve : Alioune Badara Mbengue,
Assane Seck, Aboubacry Kane, Ibra Mamadou Wane, Aboulaye Fofana, Adrien
Senghor, Babacar Bâ, Magatte Lô, Mme Caroline Diop, Moustapha
Cissé, Abdoul Aziz Diagne et Papa Amath Dieng.
Avec ce congrès, Abdou Diouf s'assure le
contrôle du PS. Il a installé ses hommes, et peut maintenant
compter sur le soutien de ses "camarades" pour remporter les élections
municipales de novembre 1990. Toutefois, privé de Jean Collin, Abdou
Diouf est dorénavant
52 Le Soleil, 27 juillet 1990.
53 "Le bureau politique", Le Soleil, 30 juillet
1990.
54 "Le PS dans le vent de l'histoire", Le Soleil, 30
juillet 1990.
en première ligne et prend le risque d'essuyer les
critiques de son propre camp. Il prend de surcroît la
responsabilité de devoir choisir assez rapidement un homme pour le
seconder, qui apparaîtra forcement tôt ou tard comme un successeur
potentiel, avec le risque bien évident de susciter des jalousies et des
dissensions internes.
Abdou Diouf ne voit pourtant après le congrès
que les bénéfices à court terme d'une telle reprise en
main. Il dispose d'un socle solide sur lequel s'appuyer pour mettre un terme
aux crises qui se sont multipliées au Sénégal entre 1988
et 1990.