C'est dans un climat de forte tension que commence le
deuxième quinquennat d'Abdou Diouf. Après sa prestation de
serment le 4 avril 1988, il forme une nouvelle équipe gouvernementale,
largement renouvelée (13 rentrées, 11 sorties), qui s'articule
autour des principaux ministres restés en place : Ibrahima Fall
(Affaires Etrangères), Medoune Fall (Forces Armées), Seydou
Madani Sy (Justice) et André Sonko (Intérieur), tous plus ou
moins liés à Jean Collin, qui siège lui-même au
gouvernement en tant que ministre d'Etat et secrétaire
général de la présidence.
Les départs les plus remarqués sont ceux de la
société civile. Ils tournent définitivement la page du
"consensus national", thème largement employé par le chef de
l'Etat entre 1983 et 1988, dont les ministres de la société
civile étaient les symboles. Devant l'impopularité de la
politique économique gouvernementale, les deux promoteurs de la
politique d'ajustement - Mamadou Touré, ministre des Finances, et Cheikh
Kane, ministre du Plan et de la Coopération - servent de "fusibles".
Cette initiative a pour "avantage" de désigner des coupables et
dédouaner le PS des choix économiques décidés
durant le précédent quinquennat.
Iba der Thiam quitte également le gouvernement.
Pourtant, il s'est largement impliqué dans la campagne dioufiste. Il
paie en fait l'agitation scolaire et universitaire des années 1987-1988,
le ralliement très visible de la jeunesse à Abdoulaye Wade mais
surtout son entêtement à vouloir rester en marge du PS et de Jean
Collin. Le ministère de l'Education Nationale et de l'Enseignement
Supérieur, qui avait été mis sur pied en 1986 pour
permettre à Iba der Thiam d'avoir les pleins pouvoirs sur
l'enseignement, est scindé en deux après 1988. L'Education
Nationale revient à Ibrahima Niang et Sahir Thiam hérite de
l'Enseignement Supérieur. Les deux ministres, deux enseignants de
formation - l'un professeur certifié de mathématique, l'autre
professeur agrégé de mathématique - ont pour
première mission... de mettre fin à la grève qui a
débuté au cours de la campagne électorale. Ils y
arriveront au bout... de 7 mois 1.
Quelques autres membres du gouvernement sont peu
marqués politiquement, comme El Hadj Malick Sy (inspecteur des
impôts) ou Ndioro Ndiaye (professeur agrégé de
médecine). Cependant, la grande majorité des ministres sont issus
du sérail socialiste, comme on le constate ci-dessous 2 :
- Jean Collin : Ministre d'Etat, Secrétaire
Général de la Présidence de la République
- Médoune Fall : Ministre des Forces Armées
- Seydou Madani Sy : Ministre de la Justice Garde des Sceaux
- Ibrahima Fall : Ministre des Affaires Etrangères
- André Sonko : Ministre de l'Intérieur
- Serigne Lamine Diop : Ministre de l'Economie et des
Finances
- Djibo Kâ : Ministre du Plan et de la
Coopération
- Robert Sagna : Ministre de la Communication
1 Après avoir annulé l'année scolaire
1987-88, l'Etat fait de considérables efforts pour mettre fin à
cette grève. Le gouvernement d'Abdou Diouf promet l'augmentation des
bourses, la création de lycées, la réfection de nombreux
bâtiments et le déblocage de 10 milliards FCFA pour la seule
université de Dakar. Mais faute de moyens, ces promesses ne sont pas
tenues, ce qui provoque une nouvelle crise scolaire et universitaire...
l'année suivante. Francis Kpatindé, "Rentrée scolaire
incertaine", Jeune Afrique, n° 1448, 5 octobre 1988.
2 Elimane Fall, "Le gouvernement de la décrispation
?", Jeune Afrique, n° 1424, 20 avril 1988.
- Sakhir Thiam : Ministre de l'Enseignement Supérieur
- Ibrahima Niang : Ministre de l'Education Nationale
- Alassane Djaly Ndiaye : Ministre de l'Equipement
- Cheikh Abdoul Khadre Cissokho : Ministre du
Développement Rural
- Ibrahima Famara Sagna : Ministre du Développement
Industriel et de l'Artisanat
- Seydina Omar Sy : Ministre du Commerce
- Samba Yéla Diop : Ministre de l'Hydraulique
- Mme Thérèse King : Ministre de la Santé
Publique
- Abdoulaye Mactar Diop : Ministre de la Jeunesse et des
Sports
- Moussa Ndoye : Ministre de la Fonction Publique, de l'Emploi
et du Travail
- El Hadj Malick Sy : Ministre du Tourisme
- Moustapha Kâ : Ministre de la Culture
- Ndioro Ndiaye : Ministre du Développement Social
- Abass Bâ : Ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat
- Cheikh Cissoko : Ministre de la Protection de la Nature
- Mme Fatou Ndongo Dieng : Ministre délégué
auprès du Président de la République chargé des
Emigrés
- Mme Farba Lô : Ministre délégué
auprès du Président de la République chargé des
Relations avec les Assemblées
- Moussa Touré : Ministre délégué
auprès du Ministre de l'Economie et des Finances
- Mbaye Diouf : Ministre délégué
auprès du Ministre du Développement Rural chargé des
Ressources animales
- Moctar Kébé : Ministre
délégué auprès du Ministre du Développement
Rural chargé de la Protection de la Nature
A l'instar du gouvernement, le Parlement est à
très forte coloration verte 3. Les socialistes
sont au nombre de 103 et n'ont face à eux que 17 opposants, tous issus
du PDS. Cette faible
présence ne favorise pas une opposition qui n'a pas vu une
seule de ses propositions de loi aboutir lors de la précédente
législature 4. Toutefois, le parti libéral,
disposant de plus de 15
députés, peut à présent former un
groupe parlementaire, siéger au bureau de l'Assemblée nationale,
participer aux commissions parlementaires etc.
La composition de la chambre est assez similaire à celle
de 1983. On note touj ours l'absence de députés issus de la
paysannerie, alors que l'on trouve un ouvrier de travaux public et un
conducteur d'autobus dans la liste des députés
socialistes. Le PDS a quant à lui fait élire pour la
première fois un marabout, de surcroît mouride. L'élection
de Serigne Dame Mbacke, placé
dixième sur la liste nationale du PDS, défie donc
le ndiguel prononcé en faveur d'Abdou Diouf par le Khalife
général des Mourides 5.
Comme en 1983, l'Assemblée consacre "la
République des enseignants". On en dénombre 24 dans les
travées de la place Soweto, 19 faisant partis du PS. La deuxième
profession la plus
représentée est celle des administrateurs civils,
mais on en compte que 9 (6 au PS, 3 au PDS). La représentation des
femmes est quant à elle en très légère
augmentation, puisqu'on recense
18 femmes en 1988, contre 13 en 1983. Alors que le PDS a
été un pionnier en matière de féminisation de
l'Assemblée lors de sa première législature - il y avait 4
femmes sur 18
députés PDS en 1978, contre 3 femmes pour 82
députés PS - le parti d'Abdoulaye Wade n'a en 1988... que deux
femmes parmi ses 17 députés. Ceci est d'autant plus surprenant
qu'Abdoulaye Wade avait fait de la féminisation du monde
politique l'un des thèmes centraux de sa précampagne
électorale 6 . Quant aux 16 femmes socialistes, on compte
notamment 6
3 Le vert est la couleur du Parti socialiste
sénégalais.
4 Jean de la Guérivière, "Le
Sénégal, oasis de démocratie", Le Monde, 23
février 1988.
5 Francis Kpatindé, "Deux partis sur six sont
représentés", Jeune Afrique, n° 1420, 23 mars 1988.
6 Il critique notamment lors du deuxième
congrès des femmes PDS le fait "qu'Abdou Diouf réduise la
femme au rôle de décor folklorique et d'applaudimètre de
meetings politique ". Marie-Roger Biloa, "Promesses électorales
à tout va", Jeune Afrique, n° 1381, 24 juin 1987.
institutrices, 2 secrétaires, 2 sages femmes et 1
coordinatrice régionale 7.
Le paysage parlementaire sénégalais reste donc
assez stable. Il est néanmoins amputé du chef
de l'opposition parlementaire, Abdoulaye Wade, emprisonné
à Rebeuss et dans l'attente avec ses compagnons de cellule d'être
jugé pour son rôle dans les débordements
post-électoraux
dakarois.