Les formations d'opposition ralliées à Abdoulaye
Wade exigent avant les élections l'adoption d'un nouveau code
électoral qui comprendrait les dix points suivants 134 :
- Une neutralité absolue du président du bureau de
vote
- La présence d'un assesseur de l'opposition dans le
collège de direction de chaque bureau de vote
- Le passage obligatoire des électeurs dans un isoloir
- La prise en charge des dépenses électorales par
l'Etat
- Le passage de la majorité de 21 à 18 ans
- Le droit de vote aux Sénégalais de
l'étranger
- Une meilleure répartition du temps d'antenne pendant
les élections dans les médias d'Etat
- La non-subordination de l'armée au PS le jour des
élections
- Des conditions normales de scrutin
- La publication des résultats par bureaux de vote
Comme en 1983, le PS refuse de toucher au code
électoral. Abdou Diouf maintient que l'isoloir ne peut être
obligatoire, puisque la tradition sénégalaise pousse à
montrer ostentatoirement ses choix politiques, "à porter les
couleurs de son candidat" 135 . Si ces explications sont de plus en plus
mal perçues par les observateurs internationaux, ces derniers notent
tout de même des améliorations notables quant à la
couverture générale des élections.
L'Etat sénégalais attribue 280 millions FCFA
aux médias pour qu'ils puissent suivre correctement la campagne : 180
millions pour l'ORTS (Office de Radiodiffusion et Télévision
Sénégalaise), 50 millions pour Le Soleil et 50 millions
à la direction de l'information et à l'APS (Agence de presse
sénégalaise) 136 . Si tout n'est pas parfait dans le traitement
de l'information, les médias d'Etat affichent une réelle
volonté de couvrir tous les meetings des candidats, dans le but
de recueillir leurs déclarations mais aussi leurs critiques à
l'égard du régime et... des médias d'Etat
137.
Abdou Diouf profite toutefois du couplage des
élections présidentielles et législatives pour avoir un
plus grand temps d'antenne que ses concurrents. Il jouit, en plus des 5 minutes
quotidiennes octroyées à chaque candidat, des 15 minutes
accordées au PS pour les législatives, alors que les autres
partis en lice n'ont que 3 minutes chacun (soit un total de 15 minutes pour
l'ensemble des partis de l'opposition). Durant la campagne, Abdou Diouf a donc
de façon "tout à fait légale" 12 minutes quotidiennes de
plus qu'Abdoulaye Wade pour expliquer son programme à la
télévision et à la radio. Malgré ces
problèmes récurrents, déjà présents en 1983,
les "petits candidats" à l'élection présidentielle ont la
possibilité de faire passer leur message à la population
sénégalaise. On en compte deux en 1988 : Landing Savané
d'And Jëf et Babacar Niang du PLP.
Landing Savané est présenté comme "le
candidat des laissées pour compte" 138 . Relativement jeune - il est
né en 1945 à Bignona (Casamance) - il fonde le parti marxiste And
Jëf en 1975 (Agir ensemble en wolof). Emprisonné un an sous Senghor
pour avoir distribué des tracts subversifs et publié un journal
clandestin, Xare Bi (La lutte en wolof), il est défendu au
cours
134 Francis Kpatindé, "La campagne électorale
bat déjà son plein" , Jeune Afrique, n°1404, 2
décembre 1987.
135 Jean De la Gueriviere, "Le Sénégal, oasis
de démocratie", Le Monde, 23 février 1988.
136 Sennen Andriamirado et Francis Kpadinté, "Les
élections au jour le jour", Jeune Afrique, n° 1415, 17
février 1988.
137 On peut lire dans Le Soleil du 15 février
1988 que Landing Savané compare les journalistes au Soleil à
"des perroquets au service de Diouf".
138 Elimane Fall et Francis Kpatindé, "Le candidat des
laissés pour compte", Jeune Afrique, n° 1412, 27 janvier
1988.
de son procès par Maître... Babacar Niang (240).
Statisticien de profession, Savané a un projet "alternatif" qu'il
résume en 18 points 139 . Voici ci-dessous les points les plus
significatifs :
Point 1 : Formation d'un gouvernement révolutionnaire
provisoire
Point 4 : Dénonciation des accords militaires avec la
France. Retrait des troupes françaises et démantèlement de
leurs bases militaires
Point 5 : Retrait des troupes sénégalaises de
Sénégambie
Point 6 : Amnistie générale pour les
détenus, en particulier ceux de Casamance
Point 7 : Dénonciation des accords avec le FMI et la
Banque mondiale
Point 13 : Mise en place d'une réforme agraire
Point 16 : Sénégalisation des emplois
occupés par les expatriés
Comme on s'en aperçoit, son appartenance au marxisme
révolutionnaire ne fait aucun doute. De plus, ses origines le poussent
à s'investir sur le terrain casamançais. Même s'il
condamne
les violences perpétrées par le MFDC, le PS est
pour lui l'unique responsable de la situation sanglante dans la région.
Il critique aussi au cours de sa campagne la confiscation des médias
d'Etat par la formation socialiste. A la tête d'un parti
peu implanté sur l'ensemble du territoire sénégalais - And
Jëf ne s'aligne d'ailleurs pas aux législatives - Landing
Savané profite des
présidentielles pour se faire connaître du grand
public. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre son slogan : "je suis un
candidat sans illusion" 140.
Contrairement au fondateur d'And Jëf, Babacar Niang nourrit
de grandes ambitions en 1988.
Depuis son installation à
l'Assemblée nationale, l'avocat de profession s'est fait remarquer par
son port récurrent du boubou - le costume de ville est habituellement
d'usage au Parlement - et
son emploi quasi-exclusif du wolof lors des débats
parlementaires. Cette attitude singulière agace, d'autant plus que Niang
est un fervent partisan d'une remise en cause de la laïcité
"senghorienne". Il souhaite en effet un enseignement
religieux dans les écoles publiques, car "les chefs religieux
exercent des fonctions sociales et d'encadrement et de protection des masses"
141 . Si comme Landing Savané, Babacar Niang a connu la prison
après la dissolution
du PAI en 1964, on retient surtout de son passé
politique sa rupture avec Cheikh Anta Diop.
Or, ce dernier connaît depuis sa mort en 1986 une
popularité croissante au Sénégal, relayée par les
politiques, les médias d'Etat et son adversaire d'autrefois...
Léopold Sédar Senghor 142.
La réputation de Babacar Niang décroît ainsi
fortement après 1986 143 , l'image du "traître" lui collant
à la peau.
D'autres formations d'opposition se manifestent au cours des
trois semaines de campagne. En
dépit de leur soutien à Wade,
la LD/MPT et le PIT s'inscrivent aux législatives dans le but de
profiter de la couverture des médias. Le parti d'Abdoulaye Bathily
présente la liste jallarbi pour "permettre de traduire les
différences qui font la richesse de l'opposition" 144 .
Toutefois,
la plupart des meetings des deux partis se font en
commun, le plus souvent en compagnie du
PDS. Ils critiquent la chute du pouvoir d'achat, la nouvelle
politique agricole, la "dictature" du FMI et de la Banque mondiale et les
ndiguel prononcés en faveur de Diouf. Ils s'opposent
également aux "partis bidons" favorisés
par le PS, notamment le PDS/R, seul parti
139 Ideam.
140 Le Soleil, 15 février 1988.
141 Francis Kpatindé, "Babacar Niang, le cow-boy
solitaire", Jeune Afrique, n° 1413, 3 février 1988.
142 Voir l'hommage rendu par Senghor à Cheikh Anta Diop
dans Le Soleil du 8 février 1986.
143 Le PLP a connu des scores satisfaisants lors des
élections municipales de 1984. Dans certaines communautés
rurales, le parti de Babacar Niang a atteint 25% des suffrages. Ces scores
soulignent la bonne renommée du PLP avant la mort de Cheikh Anta Diop.
"Résultats définitifs et officiels des élections
municipales et rurales du 25 novembre 1984", Le Soleil, 28 novembre
1984.
144 "La LD/MPT/ soutient Wade", Le Soleil, 10 septembre
1987.
d'opposition inscrit aux législatives soutenant
ouvertement la candidature d'Abdou Diouf. Abdoulaye Wade lorgne quant à
lui vers le palais présidentiel et croit en ses chances. Grâce
à une campagne soigneusement préparée et coordonnée
par un jeune sénégalais de 28 ans,
Idrissa Seck, le fondateur du PDS adopte la même
attitude provocatrice que lors de la précampagne. Il tourne notamment en
dérision le couple présidentiel, qu'il surnomme "monsieur
forage et madame moulin ", en référence à la
propagande étatique qui a lourdement mis en avant les inaugurations de
puits au cours du quinquennat. Face au refus d'Abdou Diouf d'organiser un
face-à-face télévisé avec lui, il s'esclaffe :
"si Diouf ne veut pas débattre, qu 'il envoie
trois de ses ministres contre moi tout seul, je suis sûr que je gagnerai"
145.
De plus, Abdoulaye Wade emballe les foules avec de nombreuses
propositions jugées fantaisistes par le gouvernement PS : prix du riz
baissé de moitié à 60 FCFA, réintégration
des policiers radiés, semences et engrais gratuits pendant deux ans,
chômage des jeunes totalement résorbés, forages à
l'énergie solaire construits... 30 fois moins chers que ceux de Diouf
etc. Abdou Diouf est donc présenté par le camp libéral
comme un autocrate, mais aussi un mauvais gestionnaire, responsable d'avoir
contracté 615 milliards de dette rejetés sur les
générations futures à cause du
rééchelonnement 146.
Face à un adversaire surmotivé, Abdou Diouf
table sur ses qualités premières : modération, calme et
consensus. Le Président mise aussi sur les recettes de 1983, à
savoir un appui prononcé des confréries religieuses - en
dépit des "faibles" scores enregistrés en 1983 dans le Diourbel -
et un soutien sans faille de ses groupes de soutien.
Nonobstant le ndiguel du Khalife
général des Mourides, Serigne Abdou Lahat Mbacke,
l'unanimité autour de la candidature dioufiste n'est plus de mise au
sein de la confrérie. Pis, certains membres de la communauté
mouride appellent explicitement à voter Abdoulaye Wade, comme Serigne
Khadim Mbacke, Serigne Dame Mbacke (inscrit sur la liste PDS) et Dady Faty
Mbacke. Le premier nommé fait une déclaration fracassante
à la télévision le 9 février 1988 :
"quant à Abdou Diouf, il nous a privés de
travail et si Dieu veut le bonheur du peuple sénégalais, Abdou
Diouf ne sera pas réélu. Inutile de continuer à prier s
'il est réélu puisque Dieu nous aura abandonnés."
147.
Cependant, suite à de fortes pressions, il retire son
soutien officiel au candidat libéral le 13 février 1988. Cette
volte-face reflète le malaise mouride vis-à-vis du ndiguel
officiel. Certains fidèles s'en désolidarisent, comme en
témoigne "des lettres anonymes jetées par-dessus le mur
extérieur de la résidence du Khalife général des
Mourides" 148 . L'opposition profite de cette situation confuse pour
révéler une filiation entre Serigne Touba et... le père
d'Abdoulaye Wade. Le front en faveur du candidat PDS peut ainsi soutenir que
"ne pas voter Diouf ne cause en rien quelque dommage que ce soit aux
talibés dans ses rapports avec Serigne
145 Sennen Andriamirado, "La grande messe", Jeune
Afrique, n° 1417, 2 mars 1988.
146 "Je suis prêt à sacrifier ma vie", Le
soleil, 22 février 1988 et "Tout contrevenant à la
vérité n'est pas musulman", Le Soleil, 9 février
1988.
147 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ?
Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.
148 Hamad Jean Stanislas Ndiaye, "La communication politique
dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS(Parti
Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000",
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal).
Touba" 149.
L'effritement du ndiguel est de ce fait manifeste
pour les contemporains. Les autres grandes communautés religieuses -
tidjane et chrétienne - moins liées économiquement
à l'Etat socialiste, choisissent de ne pas donner de consignes
officielles de vote pour ne pas provoquer de mécontentements. Pour
contrer les méfaits électoraux de cette relative
désaffection des religieux, Abdou Diouf compte sur la vitalité de
ses comités de soutien.
Contrairement à 1983, ces associations sont plus
politisées, les tentatives de rapprochement entre Diouf et la
société civile ayant été peu concluantes. C'est
pourquoi le GRESEN, exemple type du groupe de soutien apolitique, se mue avant
les élections de 1988 en un mouvement politisé, Abdoo nu
dooy. Lors de son acte de naissance, le 12 septembre 1987, il compte 1 450
adhérents. Il y a des membres du gouvernement, des religieux, des
universitaires et... des anciens compagnons de Senghor 150.
Le groupe de soutien souhaite jouer un rôle dans la
campagne, et se donne les moyens d'occuper le terrain médiatique : il
crée un journal officiel, un film de campagne, un service publicitaire,
des sections dans des villes telles qu'Abidjan, Paris, Marseille ou Le Caire
etc. Abdoo nu dooy axe sa propagande sur la stabilité du
régime dioufiste, sa stature d'homme d'Etat et de confiance. Finalement,
il emploie les mêmes thèmes que la propagande socialiste, sans
pour autant se référer au PS. L'engagement d'hommes tels que
Habib Thiam, Alioune Badara Mbengue, Assane Seck, Babacar Bâ, Abdoulaye
Fofana, ou Iba der Thiam - fondateur d'Abdoo nu dooy - tous plus ou
moins bannis des zones d'influence socialistes, n'est pas le fruit du hasard.
Le comité de soutien a pour vocation d'aider Abdou Diouf sans pour
autant appuyer les initiatives socialistes. Les personnes qui composent
Abdoo nu dooy cherchent de ce fait à créer de nouvelles
filières clientélistes, sans passer par le parti gouvernemental
151. Il tente donc de s'approprier Abdou Diouf, et sa
future victoire, au dépend du Parti Socialiste. Ces "soutiens
mercenaires" irritent le PS qui, face à l'omniprésence
d'Abdoo nu dooy dans les médias, est relégué au
second plan lors la précampagne électorale.
Néanmoins, Abdoo nu dooy connaît un
terrible coup d'arrêt en janvier 1988, lorsque la Cour constitutionnelle
interdit toute campagne déguisée durant les trois semaines de
campagne officielle. Le comité de soutien se voit alors dans
l'obligation de laisser la main au PS. Abdou Diouf est ainsi privé d'un
des éléments qui a favorisé son plébiscite de 1983.
En lieu et place d'une organisation acquise à sa cause, le
Président sortant compose avec un PS incapable de répondre aux
attaques wadistes. Daouda Sow, président du Parlement et tête de
liste PS aux législatives, n'a pas le charisme nécessaire pour
venir "au secours" de son candidat. Sans appui unanime des Mourides et en
l'absence d'une organisation capable de le seconder, Abdou Diouf sombre
à l'approche du scrutin présidentiel "face à la furie
des dictateurs en herbe" 152.
Les sopistes misent en effet sur l'escalade verbale
en fin de campagne. L'image d'Abdou Diouf, autrefois en marge de
l'impopularité du PS, est en 1988 pleinement assimilé au
régime socialiste. Pis, ce n'est plus le socialisme qui est responsable
des maux du pays, mais le Président de la République
lui-même. Wade ne s'attaque donc plus à un parti, mais à un
homme. Diouf est notamment accusé d'avoir détourné des
fonds, placé des biens à l'étranger
149 Le soleil, 20 février 1988.
150 "Naissance d'un mouvement "Abdoo nu dooy" : occupation
du terrain politique", Le soleil, 12-13 septembre 1987.
151 M-C. Diop et M. Diouf, Le Sénégal sous
Abdou Diouf. Etat et société, Dakar, Codesria, Paris,
Karthala, 1990.
152 Terme employé par Le soleil pour
désigner les opposants au Président Diouf. "Abdou Diouf
candidat du PS : mobilisation pour préserver la démocratie",
Le soleil, 11 janvier 1988.
et mené... une politique ultra-libérale. Plus
grave, le PDS prône la violence physique en cas de fraudes
constatées. Boubacar Sall, numéro deux du PDS en 1988,
déclare aux militants libéraux : "ne faites pas de
provocations mais tuez tout comité d'action qui vous provoquera, j'en
prends l'entière responsabilité. Le changement est à ce
prix" 153, tandis que Wade préconise
"l'autodéfense ". Le Président sortant répond
à ces menaces en renchérissant : "si on m'offense, je
pardonne. Mais si on touche aux institutions de l'Etat, à l'unité
nationale, à l'intégrité nationale, on me rencontrera"
154 . La tension est à son paroxysme. Les permanences socialistes
deviennent les cibles des vandales et le cortège du couple
présidentiel est régulièrement attaqué par des
sympathisants PDS, le plus souvent à peine âgés de 18
ans155.
Pour retrouver un "état de grâce"
évaporé au cours de son quinquennat, Abdou Diouf essaie de
récupérer un semblant de popularité. Contrairement
à 1983, il tente de se présenter en héritier de
Léopold Sédar Senghor. Il multiplie les références
et les hommages au "Père de la nation". Le chef de l'Etat s'appuie aussi
lors de ses meetings sur des personnalités populaires et
connues au Sénégal. Il fait appel à Manga II,
véritable star de la lutte sénégalaise.
Pour ne vexer personne, le Président souligne aussi
tout au long de sa traversée du Sénégal - il tient en
moyenne trois meeting par jour, tout comme son concurrent libéral - sa
reconnaissance envers Jean Collin, "à qui il doit tout". Ce
dernier "honore" la confiance présidentielle en cherchant à
déstabiliser le PDS.
A quelques jours des élections, deux personnes
d'origine libyenne sont arrêtées avec des faux papiers à
l'aéroport de Dakar, en compagnie d'Ahmed Khalife Niasse,
surnommé "l'ayatollah de Kaolack" 156 . Celui-ci s'est rendu
célèbre en créant en 1979 l'éphémère
parti de Dieu, Hizboulahi, et en brûlant un drapeau
français lors de la visite officielle de François Mitterrand en
1982. L'image subversive du personnage, couplée à l'arrestation
d'hommes suspectés d'être en relation avec Wade - il est de
notoriété publique que le fondateur du PDS entretient des
rapports très étroits avec Kadhafi - jette le trouble sur les
intentions post-électorales du camp libéral. L'affaire est
cependant très vite étouffée par les médias d'Etat,
Wade réussissant à démontrer que les billets d'avion des
deux "agents libyens" ont été payés par... Jean Collin en
personne 157.
Cette affaire accentue le climat pesant qui règne au
Sénégal, d'autant plus que le pays connaît au cours des
trois semaines de campagne une nouvelle crise scolaire. En effet, à neuf
jours des élections, sur 26 établissements lycéens, un
seul est ouvert. Les jeunes sortent alors dans les rues, se rallient au
sopi et participent au désordre ambiant. Le 26 février
1988, à Thiès, durant un meeting d'Abdou Diouf, une
manifestation interdite dégénère. Les jeunes utilisent des
cocktails Molotov, des pierres et des haches, les forces de l'ordre
répondant à coups de gaz lacrymogène. Ainsi, "pendant
qu'Abdou Diouf parle, retentit de temps en temps la déflagration
violente de grenades offensives dans les quartiers périphériques
de la cité du rail" 158 . Le Président de la
République, excédé par ce climat apocalyptique, tient des
propos
153 Le Soleil du 15 février 1988.
154 Sennen Andriamirado, "La grande messe", Jeune
Afrique, n° 1417, 2 mars 1988.
155 "Pis, agités et encadrés par les nervis,
(les sympathisants PDS) ils se mettent à saboter les meetings et
manifestations du candidat au pouvoir et de son parti, le Parti socialiste
(Ps). Partout, le candidat Abdou Diouf essuie quolibets et jets de pierre".
Abdoulaye Ndiaga Sylla, "Voter Sénégal", Sud Hebdo, 25
février 1988.
156 "Arrestation d'agents libyens porteurs d'armes", Le
soleil, 22 février 1988 et "Interpellation d'Ahmed Khalife Niasse",
Le Soleil, 25 février 1988.
157 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.305-306, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
158 Le Soleil, 28 février 1988.
particulièrement durs à l'égard de la
jeunesse libérale 159 . Il parle de mauvaise herbe, de bandits de grand
chemin, et d'une pseudo jeunesse malsaine. Sa sortie de meeting est ce
jour là extrêmement difficile. Il subit la colère et les
jets de pierres de nombreux riverains.
Les discours qui clôturent la campagne
présidentielle s'apparentent à de véritables
déclarations de guerre. Devant 50 000 personnes, Wade propose de
refermer "une parenthèse de l'histoire du Sénégal"
le 28 février, alors que Diouf, qui déclare s'être
tromper sur les hommes avec qui faire la démocratie, menace ceux qui
"tentent de manipuler les enfants pour en faire de la chair à canon"
de les tenir pour seuls responsables en cas de violences
postélectorales 160.
La campagne pour les législatives n'a quant à
elle jamais véritablement débuté. Daouda Sow a
été incapable de s'affirmer en tant que tête de liste PS ;
Abdoulaye Wade, à la fois candidat au palais présidentiel et
tête de liste PDS, a largement plus insisté sur son utilité
au sommet de l'Etat et les partis uniquement inscrits aux législatives
n'ont eu qu'un rôle de militant, soit en faveur de Wade, soit en faveur
de Diouf. Les "lieutenants" des deux grands candidats n'ont ainsi pas pu, ni
voulu, tempéré un climat électoral violent,
engendré par la paupérisation accélérée de
la population depuis 1981, les provocations politiques, les craintes de fraude
et l'absence d'observateurs internationaux 161.