La trêve politique sénégalaise s'engage
lorsque Abdou Diouf, chef de l'Etat et du gouvernement, est élu à
l'unanimité par les chefs d'Etat africain le 18 juillet 1985 à
AddisAbeba, président de l'Organisation de l'Unité Africaine
(OUA). Cette élévation au rang de "Président de
l'Afrique"101 n'est pas le fruit du hasard.
Tout comme Senghor en son temps, Diouf est un fervent
militant de l'unité africaine. Lorsque l'OUA est au bord de l'implosion
en 1983 - l'organisation est divisée entre les pro et les antisahraouis
- Abdou Diouf fait figure de modéré. Il révèle lors
de cette crise, en plus de ses talents de négociateurs, un réel
attachement à l'OUA. Leader du groupe des
"modérés", le Président sénégalais arrive en
1983 - en proposant un calendrier sur l'autodétermination des Sahraouis
- a débloqué une situation figée depuis 1978. A son retour
du sommet, la propagande gouvernementale insiste sur le fait que "Abdou
Diouf a été la véritable cheville ouvrière d'une
rencontre historique sanctionnée par un éclatant succès
".
Cette élection à la tête de l'OUA
à l'unanimité parait donc être une sorte de remerciement
pour le travail accompli autrefois par le Président Diouf. Il est
également choisi pour "son pragmatisme et sa modération,
ainsi que son esprit de conciliation" 102 . Il appelle dès sa prise
de fonction à une nouvelle stratégie pour isoler l'Afrique du
Sud, dont les émeutes raciales récurrentes émeuvent le
monde entier. Il apporte aussi son soutien aux peuples palestiniens - le
Sénégal n'a plus de relations diplomatiques avec Israël
depuis la guerre du Kippour - et désire impliquer l'OUA dans la crise
tchadienne.
99 "L 'ADS fait le bilan ", Le Soleil, 8 septembre
1985.
100 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.217, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
101 "Abdou Diouf à la tête de l'OUA : le
Président de l'Afrique", Le Soleil, 19 juillet 1985.
102 "Abdou Diouf à la tête de l'OUA : le
Président de l'Afrique", Le Soleil, 19 juillet 1985.
Encouragé par la position française, qui a
été l'un des premiers pays à avoir
décrété un embargo commercial vis-à-vis de
l'Afrique du Sud, Abdou Diouf axe très largement sa présidence de
l'OUA sur le problème de l'apartheid. Il invite dès sa
prise de fonction les pays occidentaux à prendre des sanctions
économiques et commerciales à l'égard de l'Afrique du Sud
, "seules capables de ramener les tenants de l'apartheid à la
raison" 103 . Abdou Diouf mène aussi des actions symboliques au
Sénégal en changeant les noms de l'avenue Courbert et de la place
Tascher (lieu où siège l'Assemblée nationale), qui
deviennent respectivement l'avenue Nelson Mandela et la place Soweto.
Autre fait marquant : Abdou Diouf s'engage dans une
tournée des pays frontaliers de l'Afrique du Sud. Il se rend au
début du mois d'octobre 1985 en Zambie, au Zimbabwe, au Botswana, au
Lesotho, au Swaziland, au Mozambique, en Angola et en Tanzanie. Dans les
discours qu'il prononce, il fait à de multiples reprises le
parallèle entre l'apartheid et le nazisme et adresse au Président
sud-africain Pieter Botha quatre exigences : la fin de l'apartheid, la
libéralisation de Mandela, la reconnaissance des partis politiques tels
que l'ANC et la levée de l'état d'urgence 104 . Sa tournée
africaine est l'occasion pour Diouf de rencontrer des membres de l'ANC et la
SWAPO (parti indépendantiste namibien) et de survoler Johannesburg le 5
octobre 1985 en se rendant dans l'enclave du Lesotho. La photo d'Abdou Diouf
regardant par un hublot le township de Soweto restera d'ailleurs le
symbole de cette grande tournée à travers "les pays du front".
La deuxième partie de son mandat à la
tête de l'OUA est beaucoup moins engagée. Après avoir
laissé "les clefs de l'Etat" à Jean Collin, Abdou Diouf reprend
les rênes du pays, comme l'atteste l'important remaniement
ministériel de janvier 1986 qui touche un tiers des ministres. On
assiste à l'arrivée de Mantoulaye Guene au Développement
Social, Seydou Madani Sy à la Justice, Famara Ibrahima Sagna au
Développement Rural et de Makhily Gassana à la Culture. Du
coté des départs, on note celui de Doudou Ndoye, Maïmouna
Kane, Bator Diop, Hamidou Sakho, Abdel Kader Fall et de Moussa Daffé. Le
gouvernement de 1986 passe de 28 à 25 membres 105.
L'OUA est laissée définitivement de coté quand Abdou
Diouf annonce en février 1986 qu'il ne briguera pas un deuxième
mandat. Le chef de l'Etat sénégalais clôt, en quittant
cette présidence, "l'age d'or de la diplomatie
sénégalaise" 106.
Outre la présidence de l'OUA, la période
1985-1986 est marquée par les difficultés internes du PDS,
à la grande satisfaction des médias d'Etat 107.
Certains membres du parti libéral, dont le numéro trois
officiel Serigne Diop, remettent en cause la prépondérance
d'Abdoulaye Wade et tentent de le renverser. Serigne Diop publie une
déclaration le 13 octobre 1985 où il affirme que le fondateur du
PDS est "en rupture manifeste avec les principes fondamentaux qui ont servi
de fondement à la création du PDS" 108.
Après s'être étonné que
l'information soit parue si vite dans les médias d'Etat, Me Wade exclu
Serigne Diop le 27 octobre 1985 pour "activité fractionnelle visant
à déstabiliser et à paralyser le PDS" 109 . On compte
parmi les scissionnistes que... cinq individus. La faiblesse
103 "Abdou Diouf demande l'isolement de Pretoria", Le
Soleil, 20 août 1985.
104 "L'apartheid, c'est le nazisme", Le Soleil, 3
octobre 1985.
105 "Remaniement ministériel", Le Soleil, 3
janvier 1986.
106 Lamine Tirera, Abdou Diouf : biographie politique et
style de gouvernement, pp.166, Paris, l'Harmattan, 2006.
107 Durant les années 1980, il n'est pas courant pour
Le Soleil de relater avec une grande assiduité la vie politique
interne du PDS. Pourtant, la scission du parti libéral qui débute
en octobre 1985 est suivie par le journal gouvernemental avec un
intérêt "suspect". Voir Le Soleil du 18, 22, 28 et 29
octobre 1985.
108 "Remous au PDS", Le Soleil, 18 octobre 1985.
109 "Serigne Diop exclu du PDS", Le Soleil, 28 octobre
1985.
de ce nombre ne reflète pas l'ardeur que mettent les
"insurgés" pour s'octroyer le statut légal du PDS. Très
vite, Abdoulaye Wade dénonce le rôle tenu par le PS dans cette
contestation venue de nulle part. On a par conséquent pendant quelques
mois deux partis PDS, qui réclament leur appartenance au même
sigle, au même journal politique, à la même date de
création etc. Seules les adresses du siège politique
diffèrent. Finalement, "la guerre des deux épis" (le mil
étant l'emblème du PDS) tourne logiquement à l'avantage
d'Abdoulaye Wade, après une décision rendue par la justice
sénégalaise en mars 1986. La formation de Serigne Diop, vaincue
dans cette bataille "fratricide", se fait enregistrer par le ministère
de l'Intérieur sous le nom de PDS... Rénovation et prend ses
distances avec une certaine opposition "qui n'a que l'injure à la
bouche" 110.
Cette histoire convainc Abdoulaye Wade qu'un nouvel exil
volontaire lui serait salutaire. Il quitte alors un an le sol
sénégalais. Dès son retour au premier plan, lors du
congrès PDS du 15-16 janvier 1987, le fondateur du PDS est accusé
par la justice de "diffusion de fausses nouvelles" et "d'offense au chef de
l'Etat" pour des propos tenus... un an et demi auparavant111.
Après une trêve politique qui a duré plus d'une
année, "le point lumineux vers lequel se fixent les regards et qui
fait battre les coeurs de tous les hommes épris de
liberté
et de démocratie" 112 est
rentré de plein pied en précampagne électorale.