L'Alliance Démocratique Sénégalaise
(ADS) se forme dans le courant du mois de juillet 1985. Elle se compose de huit
partis, mais s'articule autour du trio PDS - And Jëf - LD/MPT. Lors de sa
première conférence de presse, Abdoulaye Bathily la
présente en quelques mots.
"L'ADS est une alliance dont le degré et la forme
d'organisation paritaire respectent l'égalité de toutes ses
composantes autant que leur identité et choix politique respectif"
92.
En définissant l'ADS de la sorte, le leader de la
LD/MPT clôt la polémique naissante sur l'association contre nature
du parti libéral PDS avec des formations d'extrême gauche.
L'absence d'une prédominance partisane est également vivement
soulignée, même si la très nette influence du parti de Wade
est indéniable. On se souvient que c'est l'absence d'une
présidence tournante au sein des coalitions formées par Mamadou
Dia qui avait déplu à des
86 "Quatre partis à Kaolack" Le Soleil, 25
octobre 1984.
87 "Le PIT se retire des municipales", Le Soleil, 16
novembre 1984.
88 Ibrahima N'diaye, "Rendre à la ville sa
dignité", Le Soleil, 21 novembre 1984.
89 Babacar Dieng, "Même sans campagne
électorale", Le Soleil, 20 novembre 1984.
90 "Raz de marée socialiste", Le Soleil, 27
novembre 1984.
91 Sophie Bessis, "Trois défis pour Diouf", Jeune
Afrique, n° 1254, 16 janvier 1985.
92 "Cinq partis d'opposition forment l'Alliance
démocratique sénégalaise ", Le Soleil, 26 juillet
1985.
partis tels que le PDS ou la LD/MPT. Me Wade, Bathily mais
aussi Landing Savané, jeune leader de la formation marxiste And
Jëf, ont dorénavant un cadre pour mener des actions contre le
gouvernement d'Abdou Diouf.
Ils s'approprient alors un thème largement
employé par Abdou Diouf, récemment élu à la
tête de l'OUA : la lutte contre l'apartheid. Une marche est
organisée à ce sujet le 22 août 1985. Les opposants
prévoient à la fin de cette journée de remettre au chef de
l'Etat une motion pour protester contre le régime sud-africain
93.Abdou Diouf, qui reçoit le même jour le
Maréchal Mobutu, juge inopportune cette marche. La manifestation est de
ce fait interdite, par décret du gouverneur de Dakar. Abdoulaye Wade
prend acte de cette décision et tient à la place une
conférence de presse.
Toutefois, quelques opposants outrepassent l'interdiction.
Ils effectuent la marche et distribuent des tracts critiquant... à la
fois Diouf et le régime politique zaïrois. Le Soleil ne se
prive pas le lendemain pour vilipender l'initiative de l'ADS. On peut lire dans
les colonnes du journal que le but noble de cette marche n'était en fait
qu'un acte de diversion pour mettre à mal le Président Diouf sous
les yeux d'un homologue africain 94. Les médias
d'Etat jouent ainsi sur la confusion de la situation pour muer une
manifestation d'une cinquantaine de personnes en un rassemblement pro-PDS avec
à sa tête Abdoulaye Wade.
L'action policière et judiciaire emboîte le pas.
Le 26 août 1985, une vingtaine de personnes, dont Abdoulaye Wade, sont
arrêtés pour "trouble en flagrant délit sur la voie
publique" 95. Pour la première fois depuis la prise de
fonction d'Abdou Diouf, des hommes politiques sont emprisonnés, ce qui
confirme le raidissement du pouvoir à l'égard de l'opposition
constaté depuis mai 1985 96 . "L'embastillement" de Wade dure
une semaine. Il est suivi d'une deuxième vague d'arrestation, suite
à une manifestation pour... la libération de Wade. On compte
parmi les nouveaux locataires de la prison de Rebeuss Doudou Ndoye,
numéro deux du PDS, et Abdoulaye Bathily.
Pour son procès, Abdoulaye Wade fait appel à ses
relations françaises. Le RPR lui fournit ainsi des avocats
français pour assurer sa défense. Grâce à ces
soutiens, Wade met très vite en évidence les faiblesses du
dossier. Le PS n'a pour seul argument... "qu'Abdou Diouf n'a de
leçon à recevoir de personne concernant la lutte anti-apartheid"
97, tandis que le commissaire de police qui a
rédigé le procès verbal de Wade reconnaît au cours
de son intervention à la barre... que le secrétaire
général du PDS n'a jamais été présent sur
les lieux du "délit". Dès le 30 août 1985, le verdict du
tribunal innocente tous les prévenus. Il conclut qu'il n'y a jamais
eu... une quelconque manifestation de l'ADS 98.
Cette décision grandit la justice
sénégalaise, Elle démontre à cette occasion une
certaine indépendance. Le jugement bénéficie surtout
à l'ADS, qui a réussi, sans véritablement s'employer,
à montrer aux yeux du monde entier le raidissent du régime
dioufiste. L'ADS se
93 "Me Wade arrêté", Le Soleil, 27
août 1985.
94 Idem.
95 "Le trouble en flagrant délit sur la voie publique
", article 97 du Code pénal sénégalais, est le seul
moyen de passer outre l'immunité parlementaire. "Me Wade
arreté", Le Soleil, 27 août 1985.
96 "Le PS se battra désormais contre l'agitation,
le spectaculaire et le mensonge (...) ils (les opposants) ne sauraient franchir
un certain seuil sans appeler de sa part une réaction ferme (...) ce n
'est pas une menace, mais une mise en garde" (113). "Les mises en
garde du chef de l'Etat : l'agitation ne passera pas", Le Soleil, 13 mai
1985.
97 Elisabeth Nicolini, "Un grand procès pour pas
grand chose",Jeune Afrique, n° 1288, 11 septembre 1985.
98 "Tous relaxés", Le Soleil, 1er septembre
1985.
sent donc "pousser des ailes" et propose au cours d'une
conférence de presse la formation d'une alliance avec le Suxxali
Rewni, le PLP et le PIT car "la dynamique unitaire de l'opposition est
devenue aujourd'hui une donnée irréversible de la vie politique
sénégalaise"99. Abdoulaye Wade annonce
alors "son divorce total avec le PS" et rend par la même
occasion sa carte de député.
Cette période d'emprisonnement a donc tissé des
liens entre les différents membres de l'opposition. En outre, les
opposants ont pu au cours de leur passage à Rebeuss nouer des liens
directs avec les séparatistes casamançais et notamment
l'abbé Diamacoune, condamné à cinq ans de prison lors de
son procès en décembre 1983 100.
En dépit d'une accalmie des violences dans la
région casamançaise à la fin de l'année 1985, l'ADS
demande... une libération immédiate des tous les détenus
casamancais. Les revendications gênantes de l'ADS poussent le PS à
faire dissoudre la coalition.
L'espace de quelques mois, l'opposition a goûté
aux avantages certains de l'unité. Quelques tentatives sont alors mises
en oeuvre pour conserver une certaine cohésion. L'opposition organise en
mars 1986 une table ronde sur "les libertés publiques au
Sénégal", abordant à cette occasion les tares du code
électoral sénégalais. Néanmoins, l'absence d'enjeux
électoraux proches dilue l'esprit unitaire et combatif des opposants.
Cette passivité relative contribue à l'instauration d'une
trêve politique.