La précampagne est marquée par des
réformes administratives importantes. Le Sénégal a
dorénavant dix régions (124)- contre huit auparavant - une
Casamance divisée en deux (Ziguinchor et Kolda), 31 départements,
90 arrondissements, 37 communes et 319 communautés rurales. La
région du Cap Vert, renommée Dakar, est aussi profondément
modifiée, étant à présent éclatée en
trois communes : Dakar, Pikine et Rufisque-Bargny, auxquelles il faut rajouter
deux communautés rurales, Sébikhotane et Sangalkam 82
. Cette réforme répond à l'accroissement de
l'agglomération dakaroise, causé par l'exode rural.
Pour ces élections, le PS se retrouve seul en lice
dans 26 communes, 16 départements et 285 communes. Le ministre de
l'Intérieur, certainement avec une pointe de cynisme, affirme pourtant
que "rien n'est joué d'avance" 83 . Les autres
partis, par manque de moyens mais aussi de candidats, sont beaucoup moins
représentés. La LD/MPT et le PLS sont présents dans 4
communes et 22 communautés rurales alors que le PIT privilégie
les grandes localités, en s'alignant dans 2 communes et 12
communautés rurales.
De ce fait, seules 3 communes sont prisées par les 4
partis en compétition : Dakar, Pikine et Saint-Louis. Rufisque a droit
à trois partis (PS, PIT et LD/MPT), tout comme Thiès (PS, PIT et
LD MPT). Le choix des petits partis s'oriente donc vers les villes ayant un
poids historique et/ou démographique important. La campagne
électorale est quant à elle limitée à 15 jours, la
propagande étant assurée par des meetings ou des
affiches. La persuasion électorale via la télévision ou la
radio est quant à elle catégoriquement... prohibée. Ces
interdictions sont gênantes car les petits partis, sans réels
moyens financiers, s'appuient le plus souvent sur la
radiotélédiffusion pour faire passer leurs messages auprès
des électeurs.
Les objectifs diffèrent selon les partis. Pour le PS,
la victoire étant quasiment partout acquise avant même le coup
d'envoi de la campagne, les luttes électorales ont commencé
durant le renouvellement des instances de base du PS. Chacun voulant s'assurer
une place dans le futur conseil municipal, on assiste parfois à des
luttes sanglantes 84.
Pour les autres partis, il s'agit surtout, comme le souligne
Abdoulaye Bathily (LD/MPT), "de contester au PS le monopole du discours
électoral" 85 . Il est vrai qu'ils profitent d'une
couverture médiatique assurée par Le Soleil
incomparablement supérieure à celle qu'ils connaissent
habituellement. Ils peuvent donc pendant ces 15 jours de campagne exposer leurs
idées mais surtout critiquer largement la politique menée par le
parti au pouvoir. Le PLP stigmatise ainsi le code électoral en vigueur
dans les colonnes du journal gouvernemental et souligne "les graves risques
qui pèsent sur les institutions et sur l'embryon de démocratie
qui
82 "La campagne est ouverte", Le Soleil, 1er novembre
1984.
83 Idem.
84 Entre le 15 septembre et le 6 octobre 1984, période
de renouvellement des instances de base du PS, on dénombre deux morts,
à Kaffrine et à Bignona. François Zuccarelli, La vie
politique sénégalaise (1940-1988), pp.171, Paris,
Publication du Cheam, 1988.
85 "La LD/MPT en lice", Le Soleil, 21 octobre 1984.
existe" 86 . Les trois partis
d'opposition se plaignent également des coûts de
l'élection, du nonremboursement de l'impression des bulletins de vote -
au frais des partis engagés - du changement des cartes
électorales de 1983 annoncé au dernier moment et de
l'impossibilité pour eux d'avoir accès aux médias d'Etat.
Ces multiples contraintes aboutissent au retrait du PIT dans certaines villes
87.
Les questions généralement soulevées par
l'opposition sont le plus souvent d'ordre national et non local. Lorsqu'ils se
rendent dans les communes, les petits partis promettent aux électeurs de
"rendre aux villes leur dignité et leur splendeur d'antan"
88, sans jamais proposer des programmes clairement
définis. Ce flou politique profite aux dirigeants socialistes. Sereins,
ils se permettent de déclarer à Kébémer, commune
où ils sont les seuls en liste : "camarades, la victoire serait
acquise même s'il n'y avait pas de meeting" 89.
Cette décontraction n'atteint pas Babacar Niang qui affirme :
"si tout se déroule normalement (...) nous pouvons l'emporter
quelque part".
En dépit de cette déclaration, le PS l'emporte
dans toutes les communautés 90,contrairement à 1978.
La participation est faible : elle se situe en dessous des 50%. Seules les
villes de Saint-Louis et Kaolack réussissent à avoir une forte
participation, entre 55 et 70%. Le PS recueille 97,77 % des voix, le PLP 1,40
%, la LD/MPT 0,80% et le PIT... 0,02%. Le PS est aussi très largement
devant si on ne prend en compte que les résultats communaux. Le PS
dispose alors de 95,39 % des voix, le PIT 4,36 %, le PLP 3,15% et la LD/MPT
2,89 %.
Ces scores, en plus de nuire à l'image
démocratique du pays 91 , ne révèlent pas grand
chose, excepté que sans l'indispensable PDS, le PS n'a pas d'adversaire
à sa mesure. Paradoxalement, ces résultats ne sont donc
bénéfiques qu'à un parti absent du scrutin. A partir de
fin 1984, il devient évident pour l'opposition que la présence
d'Abdoulaye Wade est requise pour assurer le succès d'une alliance
politique. C'est dans ces conditions que née l'ADS dans les premiers
mois de l'année 1985.