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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3.2. Une opposition désordonnée :

L'opposition adopte suite à l'élection d'Abdou Diouf une position cohérente. Elle crée un "front du refus" en mars 1983, articulé autour du PDS et du RND. Il a pour principale revendication l'annulation des élections et l'organisation d'un nouveau scrutin transparent. Pour manifester leur opposition au régime dioufiste, les partis élus place Tascher annoncent leur intention de ne pas siéger au Parlement. Cependant, le front se fissure en juillet 1983, lorsque Abdou Diouf annonce sa disposition à recevoir les chefs de l'opposition pour trouver un dénouement à cette crise. Si Cheikh Anta Diop refuse de négocier, Abdoulaye Wade, après une entrevue avec le chef de l'Etat, accepte que le PDS revienne siéger à l'Assemblée nationale 70. Ce retour offre à Diouf une accalmie politique, puisque Me Wade cesse alors sa campagne "d'information" sur le véritable état de la démocratie sénégalaise dans les médias étrangers.

Une fois de retour dans l'hémicycle, le PDS maintient une certaine pression sur le PS et Diouf. A plusieurs reprises, Wade dénonce les discriminations que subissent les électeurs PDS 71 et les nouvelles politiques dioufistes. Ces prises de position, toujours a contre-courant de la politique socialiste, engendrent les diatribes du journal gouvernemental Le soleil 72.

Le secrétaire général du PDS manie également avec un certain succès l'exil politique volontaire. Cette attitude consiste à se retirer, après une crise politique majeure, de la scène politique sénégalaise pendant un lapse de temps plus ou moins long. Il prive ainsi Abdou Diouf de son principal interlocuteur et fait de chaque retour un événement politique majeur. C'est ce qu'il fait en 1984, en stationnant plusieurs mois en France. La fin de cette période d'abstinence politique est marquée par un long entretien accordé à Jeune Afrique. Wade qualifie à cette occasion Abdou Diouf "de dictateur, en particulier depuis qu'il a supprimé le poste de Premier ministre" 73, mais chose nouvelle, ses propos les plus acerbes sont réservés à Jean Collin 74. Face à ce duo "dictatorial", Wade se pose en candidat du peuple : "je ne les (les populations) inciterai pas à l'émeute, mais je ne les freinerai pas non plus ".

Il mène après cette interview de nombreuses actions populistes, qui renforcent son aura parmi les couches les plus défavorisées. Il demande en mai 1985 à tous ses partisans de cesser le travail le mardi, jour de réunion du conseil des ministres, "pour aller à la mosquée et demander à Dieu de mettre un terme à l'actuel pouvoir" 75. Si dans un premier temps, la propagande socialiste répond mollement aux provocations wadistes - la formule "tout ce qui excessif est insignifiant" 76 est utilisée presque quotidiennement par Le Soleil - les dirigeants socialistes se résolvent ensuite à réagir plus fermement aux déclarations de "l'oublié des Sénégalais ". Le Soleil fustige alors "le farceur du changement" qui crée selon le journal un désordre intentionnel qui va à l'encontre de l'ordre et de la paix sociale. Abdou Diouf, jusque là magnanime avec les opposants, change lui aussi de ton :

70 Voir Le Soleil du 25, 26 juillet et 4 et 7 août 1983.

71 Il affirme en août 1983 que les agriculteurs votant pour le PDS ne reçoivent pas correctement leurs engrais et leurs semences. "Wade s'explique", Le Soleil, 4 août 1983.

72 "Le riz du PDS : une escroquerie politique", Le Soleil, 30 septembre 1983.

73 Mohamed Selhami, "Me Wade rompt le silence", Jeune Afrique, n° 1233, 22 août 1984.

74 "Il se comporte en super Premier ministre. Ses attributions empiètent sur tous les ministres. Non seulement, il est le chef de la sécurité, mais sa qualité de secrétaire général du bureau politique du PS chargé des conflits le place au-dessus de tout le monde. Sachez-le, les fonds du Sénégal ne sont pas gérés par le ministre des Finances mais par Jean Collin, et ce, par décret présidentiel". Mohamed Selhami, "Me Wade rompt le silence", Jeune Afrique, n° 1233, 22 août 1984.

75 Abdelaziz Dahmani, "Comment sortir de la crise ? ", Jeune Afrique, n° 1275, 12 juin 1985.

76 Djibo Kâ, "Tout ce qui est excessif est insignifiant", Le Soleil, 24 avril 1985.

"Comme si le pouvoir divin n 'était pas en mesure d'identifier lui-même les fossoyeurs de la nation et distinguer le grain de l'ivraie... il faut être deux pour réaliser un minimum de consensus. Le PS se battra désormais contre l'agitation, le spectaculaire et le mensonge (...) ils (les opposants) ne sauraient franchir un certain seuil sans

appeler de sa part une réaction ferme (...) ce n'est pas une menace, mais une mise en garde" 77.

Le Président de la République n'a cependant pas à se soucier d'une quelconque action subversive du RND. Le parti de Cheikh Anta Diop connaît après son score très décevant des législatives d'importants remous internes. Cette situation s'explique par les conditions de création de la formation nationaliste dans les années 1960. Au cours d'une époque marquée par le démantèlement de tous les partis opposés à Léopold Sédar Senghor, Anta Diop, égyptologue dont la réputation est grandissante dans les milieux intellectuels panafricains, lie dans un même rassemblement clandestin les membres issus de son engagement nationaliste et des marxistes provenant du PAI. Dès son origine, l'organisation politique de Cheikh Anta Diop s'apparente plus à un rassemblement politique, militant pour une démocratisation du régime senghorien, qu'à un parti fondé sur une idéologie cernée et cohérente 78.

Le RND s'appuie de très nombreuses années sur son opposition au régime de Senghor pour maintenir sa cohésion. On parle alors "d'ivresse militante ". Mais le départ du "Père de la Nation", conjugué à l'abolition du quadripartisme, met à mal la "cohabitation" entre les nationalistes et les marxistes. Les divergences d'opinion éclatent au grand jour après le soutien officiel de Cheikh Anta Diop au candidat Abdou Diouf. "Le parti martyr" des années Senghor s'est mué en un parti de collaboration. Le faible score obtenu par la liste RND aux législatives (29 271 voix) et les fraudes généralisées constatées convainquent les "marxistes" que Cheikh Anta Diop a fait le mauvais choix. Le divorce est inévitable.

En juin 1983, 10 membres du bureau politique du RND, considérés comme faisant parti de l'aile marxiste, quittent le rassemblement pour former le Parti pour la Libération du Peuple (PLP). Son secrétaire général, Babacar Niang, égratigne quelque peu Anta Diop à l'occasion de sa première conférence de presse, en déclarant avoir crée "un parti sain avec des hommes sains, décidés à lutter pour un Sénégal nouveau, réellement indépendant, démocratique, non aligné et prospère ". Pour lui, le RND ne représente "plus un cadre de lutte valable" 79.

Babacar Niang n'oublie cependant pas l'essentiel, puisque profitant du refus de Cheikh Anta Diop de siéger à l'Assemblée nationale, il s'installe au Parlement en tant que... numéro deux de la liste nationale du RND. L'égyptologue ne s'oppose pas à cette initiative, et délaisse peu à peu la vie politique, déçu par les "procédés électoraux" qu'il a observé en 1983. Pour preuve de son désintéressement, lors de son dernier entretien accordé au journal Le soleil, publié le 9 et le 10 mars 1985, il ne fait aucune référence à son action politique passée 80 . A sa mort, le 7 février 1986, Cheikh Anta Diop laisse un RND cliniquement mort.

La situation est aussi très pénible pour les partis à consonance marxiste. La LD/MPT change de secrétaire général, Abdoulaye Bathily remplaçant Babacar Sané, tandis que les autres partis d'extrême gauche tentent timidement de former en août 1983 une nouvelle alliance, Suxxali Rewni (Sauver le pays). Ce front anti-impérialiste regroupe la Ligue Communiste Révolutionnaire, le MDP, le PAI et le PPS. La présidence est assurée par le seul Mamadou Dia, alors que la LD/MPT avait fixé comme condition d'entrée une présidence tournante 81. Cet effort louable d'unité est très vite condamné à l'insuccès, suite au refus du PIT mais surtout du PDS d'intégrer ce cadre de lutte.

77 "Les mises en garde du chef de l'Etat : l'agitation ne passera pas", Le Soleil, 13 mai 1985.

78 Babacar Sine, "Ou va le RND ? Ou la dialectique d'un parcours" Le Soleil, 14 juin 1983.

79 "Des dissidents du RND veulent créer le 15eme parti", Le Soleil, 21 juin 1983.

80 "Entretien avec le Pr Cheikh Anta Diop", Le Soleil, 9-10 mars 1985.

81 Chérif Elvalide Seye, "Une unité improbable", Le Soleil, 10 août 1983.

Nonobstant cet échec, la majeure partie de l'opposition décide après concertation de ne pas participer aux élections municipales et communales de 1984, le PS ayant refusé de modifier le code électoral. Seuls le PIT, le PLP et la LD/MPT prennent part aux consultations dans certaines communes aux cotés de la formation gouvernementale.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite