Le 26 décembre 1982 à Ziguinchor, capitale de
la Casamance, une manifestation séparatiste menée par
l'abbé Augustin Diamacoune Senghor est "écrasée" par les
autorités sénégalaises. Le meneur et des journalistes de
la revue Kemilak (l'heure est grave), sont arrêtés. Ils
ont essayé de remplacer le drapeau sénégalais par un
étendard casamançais. Cette initiative est
considérée comme inacceptable par l'Etat, qui tente depuis
l'indépendance de maintenir l'unité de la Nation et de nier
toutes les exceptions culturelles régionales ou ethniques. Pour endiguer
l'agitation dans la région, le dispositif militaire aux alentours de
Ziguinchor est immédiatement renforcé tandis que l'abbé
Senghor et une cinquantaine de sympathisants du Mouvement des Forces
Démocratiques de Casamance (MFDC) sont présentés devant la
Cour de sûreté de l'Etat.
En réaction, le PS organise le 29 décembre 1982
à Ziguinchor une contre-manifestation pour montrer l'attachement des
habitants de la région à l'unité
sénégalaise. On observe à travers cet
événement une certaine "union sacrée", le PDS se
déclarant solidaire de l'action socialiste et participant même au
défilé. Quant à Abdou Diouf, il réitère au
cours de son message de fin d'année sa volonté "de maintenir
l'unité du pays" 19.
Pourquoi une telle révolte dans un pays
réputé depuis son indépendance sage et unifié ? La
Casamance n'a été rattachée à l'espace
sénégalais que le 12 mai 1866, suite à un échange
territorial entre le Portugal et la France. Outre l'aspect colonial, la
Basse-Casamance se différencie du reste du territoire par sa population
(on compte des diolas, baïnocks, mandingues, mancagnes etc..) et sa
religion (animiste ou chrétien). Elle est constituée d'immenses
forêts et de rivières, rendant son climat presque similaire
à celui de la Guinée-Bissau. Enfin, son particularisme est
accentué par sa géographie. Effectivement, la Basse-Casamance
n'est que très peu reliée au reste du Sénégal,
étant prise en étau entre l'enclave gambienne anglophone et la
Guinée-Bissau lusitanophone.
Regroupant des communautés solidaires, vivant en
autarcie grâce à la culture intensive du riz, la Basse-Casamance
subit après la seconde guerre mondiale les "contrecoups" de la
poussée démographique du nord et du centre. Des "pauvres"
sérères, toucouleurs et wolofs s'installent dans la région
dans le but d'y cultiver l'arachide, plus rentable que le riz. Il y a alors une
déforestation intensive, qui nuit peu à peu aux cultures
traditionnelles des casamançais de souche. Ils se sentent de ce fait
"coloniser". Le pouvoir PS, qui ne dispose d'aucun dirigeant originaire de la
contrée, n'a pas d'intermédiaire capable d'infléchir sur
ce malaise. Ce désarroi socialiste, on le remarque dans les propos tenus
par l'un des cadres du parti , Boubacar Obèye Diop.
"Il ne faut pas se dissimuler. La réalité de
la spécificité casamançaise est une donnée
permanente de notre histoire politique. Il faudra être très
attentif aux perturbations psychologiques que peuvent véhiculer dans
notre belle et prometteuse région du sud des sentiments de frustration,
de peur ou de doute, exploitables à des fins malsaines"
20.
Ce sentiment de "colonisation" est
récupéré par des intellectuels. Ces derniers, qui
n'hésitent pas à prôner l'indépendance, viennent des
hautes sphères de la population. Il n'est donc pas étonnant que
ce soit un ecclésiastique qui prenne la tête de la
rébellion, en l'occurrence l'abbé Diamacoune
19 Pierre Biarnès, "Dakar reste confronté
à l'irrédentisme casamançais",Le Monde, 4 janvier
1983.
20 Le Soleil, 31 décembre 1982.
Senghor. Si la légitimité de la présence
sénégalaise, et par conséquent l'autorité d'Abdou
Diouf, est remise en cause en Casamance à partir de 1982, ceci
n'altère en rien les chances de victoire des socialistes pour les
élections de 1983.