La Gambie est une enclave au sein du Sénégal,
exceptée sur sa façade atlantique, large d'une cinquantaine de
kilomètres. Ancienne colonie britannique jusqu'en 1965, elle est
peuplée en 1981 d'environ 600 000 habitants. Sa population est semblable
à celle du Sénégal, puisque outre les mandingues, on
compte de nombreux wolof. Sur le plan économique, les similitudes sont
aussi frappantes, les Gambiens vivant eux-aussi quasi exclusivement de
l'arachide. Les rapports entre les deux pays sont donc forcément
très étroits.
Après une première intervention militaire en
novembre 1980, le Sénégal franchit de nouveau la frontière
le 30 juillet 1981 pour remettre au pouvoir le Président Dawda Jawara,
présent à la tête de l'Etat depuis 1974. Kukoï Samba
Sanyang, diola de 28 ans, formé de longues années en URSS, a
renversé le Président gambien alors que celui-ci était en
visite officielle en Angleterre à l'occasion... du mariage de Charles et
Diana. Aidé par la seule force militaire du pays, les Fields Forces,
le chef des putschistes crée dans la foulée un Conseil
suprême de la révolution pour instaurer en Gambie un socialisme
révolutionnaire.
Respectant l'accord bilatéral de
sécurité et de défense signé le 18 février
1965 à Banjul, et sur demande du Président Jawara, Abdou Diouf
ordonne à son armée d'entrer à Banjul. Dans cette
opération, le Sénégal perd 24 hommes et compte une
quarantaine de blessés. Après avoir pacifié le pays, les
militaires sénégalais retrouvent des armes et des
véhicules importés du bloc soviétique. La filiation entre
les putschistes et Moscou apparaît de ce fait possible 14 .
Ceci explique la vive réaction de l'opposition marxiste
sénégalaise, qui condamne unanimement l'ingérence du
Sénégal chez son voisin. Abdou Diouf, dans une allocution
radiotélévisée adressée à la nation le 2
août 1981, déclare ne pas prendre en compte les remarques
"d'une certaine opposition" et affirme que "l'action militaire
était légitime et nécessaire " , la menace marxiste
et le respect des engagements pris auprès de Jawara étant pour
lui des motifs suffisants pour s'immiscer dans les affaires gambiennes
15.
Un rapprochement entre les deux nations s'opère alors.
On remarque que c'est Jawara qui prend l'initiative d'entamer les
négociations avec Abdou Diouf, voulant garantir le maintien de
l'armée sénégalaise dans son pays. Après avoir
annoncé le 10 août 1981 une intégration des services de
sécurité des deux pays, il demande solennellement le 20
août 1981 la formation d'une Confédération. Si le PDS ne
l'approuve qu'à demi mot, le RND, par la voix de Cheikh Anta Diop, se
félicite de ce dénouement : "nous pensons également
que l'avenir bien compris de la Gambie réside dans une
fédération avec le Sénégal"
16. Quant à la France, par
l'intermédiaire de Pierre Bérégovoy, secrétaire
général de l'Elysée, elle déclare "qu 'entre la
France attachée au progrès et à la démocratie et le
Sénégal qui construit une société moderne, il ne
peut y avoir l'ombre d'un nuage" 17 . Paris approuve ainsi
l'entreprise commune de Diouf et Jawara, tout comme Londres.
Dès le 14 novembre 1981, un accord est trouvé. La
Confédération comprend une union militaire,
14 La plus grande crainte du Sénégal est que
l'armée cubaine, stationnée en Guinée-Bissau, s'immisce
très rapidement dans les affaires du nouveau pouvoir gambien. Habib
Thiam, Par devoir et amitié, pp.73, Paris, Rocher, 2001.
15 "Abdou Diouf : Notre action est légitime, elle
était nécessaire", Le soleil, 4 août 1981 et "Que
font les Sénégalais en Gambie ?", Jeune Afrique, n°
1076, 19 août 1981.
16 "Conférence de presse de Cheikh Anta Diop", Le
Soleil, 12 août 1981.
17 "La Confédération de
Sénégambie est entrée en vigueur le 1er février",
Le Monde, 2 février.
économique et monétaire. Les relations
extérieures et la communication sont également jumelées.
La Sénégambie souhaite s'inspirer de la réussite
tanzanienne - qui a vu la fusion rapide du Tanganyika et de l'archipel de
Zanzibar - et au contraire éviter l'échec que connu Senghor avec
la Fédération du Mali. De nombreux projets sont envisagés,
mais les deux protagonistes choisissent d'opérer de façon
graduelle, de manière à ne pas heurter les "sensibilités
nationalistes" des deux populations. En décidant de mettre fin à
une absurdité géographique causée par les
intérêts coloniaux, Diouf et Jawara veulent "oeuvrer à
l'unité africaine" et espèrent être imités par
d'autres Etats africains dans un futur proche. Le traité
définitif est signé à Dakar le 17 décembre 1981,
avant d'être ratifié par les deux parlements le 29 décembre
de la même année. Après une première
expérience "sénégambienne" de 1763 à 1783, la
Sénégambie redevient une réalité.
Le Sénégal, pays beaucoup plus riche et
peuplé que la Gambie (6 millions d'habitants contre 600 000), a une
certaine prééminence dans la Confédération mise en
place. Le Président de l'organisation est Abdou Diouf, tandis que Jawara
est nommé Vice-Président. De surcroît, l'Assemblée
confédérale comprend deux tiers de députés
sénégalais, choisis parmi les membres de l'hémicycle de
Dakar. Il est prévu qu'elle soit rassemblée tous les deux ans ou
sur demande du Président sénégalais ou gambien. Le premier
cabinet confédéral, formé le 4 novembre 1982, est
constitué quant à lui de cinq sénégalais et quatre
gambiens. Les postes clés sont cependant équitablement
répartis, comme on peut le constater ci-dessous 18 :
- Président de la Confédération : Abdou
Diouf (Sénégal)
- Vice-Président de la Confédération :
Dawda Jawara (Gambie)
- Ministre confédéral des Relations
extérieures : Moustapha Niasse (Sénégal)
- Ministre confédéral délégué
auprès du Ministre confédéral des Relations
extérieures : Lamin Kiti Jabang (Gambie)
- Ministre confédéral de la Défense :
Daouda Sow (Sénégal) - Ministre confédéral de la
Sécurité : Medoune Fall (Sénégal)
- Ministre confédéral délégué
auprès du Ministre confédéral de la Sécurité
: Alieu E.W. Badji (Gambie)
- Ministre confédéral des Finances : Sherif Saikula
Sisay (Gambie)
- Ministre confédéral des Affaires
étrangères : Momodou S.K. Manney (Gambie)
- Ministre confédéral des Transports : Assane Seck
(Sénégal)
- Ministre confédéral de l'Information et des
Télécommunications : Djibo Kâ (Sénégal)
A cette liste, on rajoute le rôle important de Pierre
Diouf. Il cumule les fonctions de secrétaire exécutif du
comité sénégalo-gambien et secrétaire
général de la Confédération
sénégambienne. Il est considéré comme l'homme fort
de la coordination entre les deux pays.
La formation de cette institution - oeuvre de paix -
contribue grandement à la renommée de Diouf, aussi bien en
Afrique qu'en Occident. Concernant Jawara, elle lui permet - par la
présence de troupes sénégalaises sur le sol gambien -
d'assurer la pérennité de son pouvoir. Les deux pays doivent
également tirer des bénéfices économiques, puisque
divers accords sont trouvés pour mettre en valeur les fleuves
Sénégal et Gambie. Abdou Diouf est au summum de sa
popularité. Il a offert à son peuple l'image d'un chef des
armées efficace et d'un Président responsable. Toutefois, les
problèmes en Basse-Casamance, qui émergent à partir de
1982, viennent ternir ce tableau idyllique.
18 "Sénégambie : Neuf ministres dans le
cabinet confédéral", Le Soleil, 5 novembre 1982.