5. Discussions sur les concepts
Ces données chez les enfants autistes posent questions.
En effet, le développement de la théorie de l'esprit chez les
enfants autistes semble différent de celui des enfants normaux.
Il semblerait y avoir deux types de profil : un profil
minoritaire correspondant à celui des enfants normaux et un majoritaire
étant l'inverse. Cependant, ceci est à nuancer. On ne peut
à l'heure actuelle parler de renversement car notre protocole ne nous
permet pas de constater si ces enfants seront un jour performants aux deux
épreuves. La seule certitude repose sur le fait que la manipulation
d'états mentaux semble plus efficiente que leur compréhension
chez une majorité de ces enfants. Or la manipulation nécessite,
selon Yirmiya et al (1996), la compréhension de ces états
mentaux : pour être acteur, il est nécessaire d'être
compétent dans le rôle de spectateur.
Or ces enfants sont aptes à manipuler des états
mentaux sans pour autant les comprendre. L'enfant n'est pas à même
de comprendre que « Sally ne sait pas qu'Anne a changé le Lego
de place », mais comprend que « le chasseur ne sait pas
où est partie la biche », ce qui lui permet alors de le
tromper. L'enfant peut tromper quelqu'un mais ne perçoit pas la
tromperie de l'autre.
En effet, le test de Sally et Anne peut également
être considéré comme un test de tromperie, Anne trompe
Sally. Dans le test des Smarties, c'est l'expérimentateur qui trompe un
autre enfant. Ce n'est pas l'enfant qui trompe. A partir de ce postulat, toutes
les épreuves proposées peuvent être considéré
comme des épreuves de tromperie. Soit c'est à l'enfant de
tromper, soit c'est un autre personnage ou l'expérimentateur qui trompe
quelqu'un d'autre. L'enfant est soit acteur d'une tromperie, soit spectateur
d'une tromperie. Il semblerait plus justifier de revoir ces résultats au
vu cette supposition. Ceci permettrait de spécifier notre
hypothèse quant à la dissociation du module ToMM en deux sous
modules.
Cependant cette supposition remet en cause
l'interprétation de nos résultats lors de notre
précédent travail.
REFLEXION CRITIQUE
Il est difficile à l'heure actuelle de conclure sur le
développement de la capacité de théorie de l'esprit chez
les enfants atteints d'autisme de haut niveau. Il y a deux raisons principales
à cela.
Notre échantillon, bien que plus conséquent que
précédemment, reste faible. Part ailleurs, il est
hétérogène au niveau de l'âge mais également
au niveau du stade de pensée atteint. Cela nous a permis de
prédire un profil de développement en fonction de ces deux
variables. Néanmoins, en raison du faible nombre d'enfants par
catégorie, il est difficile de se fier outre mesure à ces
résultats. Un prochain projet se verrait dans l'obligation de comporter
un effectif conséquent dans chaque groupe d'âge et de stade de
raisonnement, pour pouvoir permettre une analyse pertinente des
résultats et ainsi dégager un ou des profils de
développement de manière plus pertinente.
Par ailleurs, l'échelle utilisée n'a pas permis
une dissociation assez fine des groupes. En effet, nous avons
séparé notre groupe en deux, préopératoire et
concret. Or, Piaget (1947) distingue deux sous-stades dans le stade
préopératoire : un stade de la pensée symbolique
recouvrant la période 2-5ans et un stade de la pensée intuitive
recouvrant la période 5-7 ans. Cette division en trois groupes aurait
permis une analyse bien plus fine de nos résultats. L'échelle
U.P.L semblait de ce fait plus adaptée que l'E.P.L.. Elle permettrait de
mieux spécifier les différents groupes d'enfants autistes selon
le stade de raisonnement logico-mathématique atteint et ainsi de
permettre d'établir un profil de développement de la
capacité de théorie de l'esprit selon le stade de pensée
logique acquis (Bradmetz, 1999). Ceci est indispensable pour vérifier
notre hypothèse d'un développement en deux temps,
dépendant de l'activation de deux sous-modules, ToMM-S et ToMM-A,
hiérarchiquement positionnés.
Afin de valider ce modèle, nous nous sommes restreints
à deux types de tâches de théorie de l'esprit, soit
à deux états mentaux. Or la théorie de l'esprit rassemble
de nombreux états mentaux. Ce travail devra s'accompagner d'une
définition plus approfondie et plus méticuleuses de tous ces
concepts notamment avec l'apport d'auteurs comme Bradmetz (1999). Ceci
permettra de catégoriser les différents états mentaux
selon le type de processus mis en jeu d'un point de vue cognitif.
En outre, le protocole utilisé doit être revu.
Les huit tâches n'ont pas paru aussi équivalentes au niveau de la
charge mentale lors de la passation. L'analyse statistique a permis de
vérifier que certaines comme « La pomme » et
« La boîte de Smarties » sont d'un niveau de
compréhension plus simple que les autres, elles ne demandent pas autant
d'aptitudes cognitives. Ces tâches ne sont pas aussi discriminantes que
les autres tâches de fausses croyances. Elles ne sont pas assez
prédictives. Ces tâches sont plus des tâches de distinction
apparence-réalité que des tâches de fausses croyances.
Enfin, bien que cette étude ait permis de confirmer nos
précédents résultats, elle n'a pu nous permettre de les
expliciter clairement. Un prochain projet aurait pour objectif de
spécifier plus précisément le développement de la
théorie de l'esprit chez les enfants autistes mais également de
vérifier différentes hypothèses explicatives de ce
fonctionnement particulier.
.BIBLIOGRAPHIE
Astington, J.W., & Gopnick, A. (1991). Theoretical
explanations of children's understanding of the mind. British Journal of
Developmental Psychology, 9, 7-31.
|
Baron-Cohen, S. (1990). Autism: a specific cognitive disorder
of «mind-blindness». International Review of Psychiatry,
2, 79-88.
|
Baron-Cohen, S. (1992). Out of sight or out of mind? Another
look at deception in autism. Journal of Child Psychology and
Psychiatry, 33, 1141-1155.
|
Baron-Cohen, S. (1995). Mind-blindness: an essay on autism
and Theory of mind. Cambridge, MIT Press.
|
Baron-Cohen (2000). Is asperger syndrome/high functioning
autism necessarily disability? Development and Psychopathology,
12, 489-500
|
Baron-Cohen, S., Frith, U. & Leslie, A.M. (1985) Does the
autistic child have a «theory of mind». Cognition,
21, 1, 37-46
|
Bradmetz, J., & Schneider, R. (1999). La
théorie de l'esprit dans la psychologie de l'enfant de 2 à 7
ans. Besançon, Presse universitaire franc-comtoise.
|
Bronner, G. (2003). L'empire des croyances. Paris,
Presse Universitaire de France.
|
Bruner, J. (1972). The nature and uses of immaturity.
American Psychologist, 27, 687-708.
|
Chandler, M. J., Fritz, A.S., & Hala, S. (1989). Small
scale deceit: Deception as a marker of 2-, 3-, and 4-year olds' early theories
of mind. Child Development, 60, 1263-1277.
|
Coggin, T.E., Carpenter, R.L., & Owings, N.O. (1983).
Examining early intentional communication in Down's syndrome and nonretarded
children. British Journal of disorders in Communication, 18,
98-106.
|
De Meyers, M.K., Barton, S., Alpern,G.D., Kimbrlin, C., Allen,
J., Yang, E., & Steele, R. (1974). The measured intelligence of autistic
children. Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, 4,
42-60.
|
Flavell, J.H. (1992). Perspectives on perspective
taking. In H. B. Beilin & P. Pufall (Eds.), Piaget's theory:
Prospects and possibilities (pp.107-134). Hillsdale, NJ: Erlbaum.
|
Fodor, J.A. (1986). La modularité de l'esprit.
Paris : Les éditions de minuit.
|
Frith, U. (1982). Psychological abnormalities in early
childhood psychoses. In L. Wing & J.K. Wing (Eds.), Handbook of
psychiatry Vol. 1. Cambridge: Cambridge University Press.
|
Gibson,D. (1978). Down's syndrome: the psychology of
mongolism. Cambridge: Cambridge University Press.
|
Gopnick, A. (1993). How we know our minds: the illusion of
first person knowledge of intentionality. Brain and Behavioural
Sciences, 16, 1-14.
|
Hala, S., Chandler, M., & Fritz, A.S. (1991). Fledging
theories of mind: deception as a marker of three-year-olds' understanding of
false beliefs. Child Development, 62, 83-97.
|
Happé, F. G. E. (1991). Theory of mind and
communication in autism. In B. Sodian & U. Frith. (1992) Deception and
sabotage in autistic, retarded and normal children. Journal of child
psychology and psychiatry and allied disciplines,
33, 591-605.
|
Harris, P.L. (1991). The work of imagination. In A. Whiten
(Ed.), Natural Theory of Mind (pp 283-304) England: Oxford.
|
Hermelin, B. & O'Connor, N. (1970). Psychological
experiments with autistic children. Oxford : Pergamon press
|
Hughes, C. (1998). Executive function in preschoolers: link
with theory of mind and verbal ability. British Journal of Developmental
Psychology, 16, 233-254.
|
Leslie, A.M., & Frith, U. (1988). Autistic children's
understanding of seeing, knowing and believing. British Journal of
Developmental Psychology, 6, 315-324.
|
Longeot, F. (1969). Psychologie différentielle et
théorie opératoire de l'intelligence, Paris, Dunod.
|
Longeot, F. (1975). L'Echelle de pensée logique de
Longeot.
|
Muris, P., Steerneman, P., Meesters, C., Meerckelbach, H.,
Horselenberg, R., Van Den Hogen, T., & Van Dongen, L. (1999). The TOM Test:
A new instrument for assessing theory of mind in normal children and children
with pervasive developmental disorders. Journal of Autism and Developmental
Disorders, 29, 67- 80.
|
Nicolich, L.M. (1977)). Beyond sensorimotor intelligence:
assessment of symbolic maturity though analysis of pretend play.
Merril-Palmer Quaterly, 23, 89-99.
|
Oswald, P.D., & Ollendick, T.H. (1989). Role taking and
social competence in autism and mental retardation. Journal of Autism and
Developmental Disorders, 19, 119-127.
|
Papin, S. (2006). Le développement de la
théorie de l'esprit - apport du fonctionnement autistique.
Mémoire de Maîtrise. Angers.
|
Piaget, J. (1947). La psychologie de l'intelligence.
Paris, Armand Colin.
|
Piaget, J. (1962). Play, dreams and imitation in
childhood. New York: Norton.
|
Premack, D., & Woodruff, G. (1978). Does the chimpanzee
have a theory of mind? Behavioural and Brain Sciences, 4, 515-526.
|
Ruffman, T., Olson, T., Ash, T., & Keenan, T. (1993). The
ABCs of deception: Do young children understand deception in the same way as
adults? Developmental Psychology, 29, 74-87
|
Russell, J., Mauthner, N., Sharpe, S. & Tidswell, T.
(1991). The windows task as a measure of strategic deception in preschooler and
autistic children. British Journal of Developmental Psychology,
9, 331-349.
|
Rutter, M. (1983). Cognitive deficits in the pathogenesis of
autism. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 24, 513-531.
|
Sodian, B., & Frith, U. (1992). Deception and sabotage in
autistic, retarded and normal children. Journal of Child Psychology and
Psychiatry and Allied Disciplines, 33, 591-605.
|
Sparrow, S., Balla, D.A., & Cichetti.D.V. (1984)
Vineland adaptive behaviour scales.
|
Taylor, M. (1996). Social Cognitive development from a theory
of mind perspective. In R. Gelman, T. Au, E. C. Carterette (Gen Ed.), & M.
P. Friedman (Gen Ed.), Handbook of perception and cognition: vol. 13.
Perceptual and cognitive development (pp 283-329). San Diego, CA: Academic
Press.
|
Wimmer, H. & Perner, J. (1983). Beliefs about beliefs:
representation and constraining function of wrong beliefs in young children's
understanding of deception. Cognition, 13, 103-128.
|
Wing, L. & Gould, J. (1979). Severe impairment of social
interaction and associated abnormalities in children: epidemiology and
classification. Journal of Autism and Developmental Disorders,
9, 11-29.
|
Yirmiya, N., Solomonica-Levi, D., & Shulman, C. (1996).
The ability to manipulate behaviour and to understand manipulation of beliefs:
A comparison of individuals with autism, mental retardation and normal
development. Developmental Psychology, 32,
62-69.
|
Yirmiya, N., Erel, O., Shaked, M., Solomonica-Levi, D. (1998).
Meta-analyses comparing theory of mind abilities of individuals with autism,
individuals with mental retardation and normally developing individuals.
Psychological Bulletin, 124, 283-307.
|
ANNEXES
Annexe 1 : Définition de l'autisme selon
le DSM IV
Annexe 2 : Le test de Sally & Anne (Wimmer
& Perner, 1983)
(FC 1)
Annexe 3 : Le test des Smarties (Leslie &
Frith, 1988) (FC 2)
Annexe 4 : Un jouet dans la mauvaise
boîte (FC 3)
Annexe 5 : La fausse pomme (FC 4)
Annexe 6 : La tâche de tromperie.
(T1)
Annexe 7: Tâche des deux boîtes (T
2)
Annexe 8: Le parcours de la biche. (T 3)
Annexe 9 : Le salon de Maya (T
4)
Annexe 10 : E.P.L : Présentation
des épreuves
Annexe 11 : E.P.L : notation et
interprétation des épreuves.
Annexe 12 : lettre de consentement des
parents
Annexe 13 : tableau dé résultats
épreuve de Théorie de l'esprit
Annexe 14 : résultats bruts des enfants
atteints d'autisme de 7 à
13 ans 6 mois et des enfants contrôles
appariés
Annexe 4a : résultats bruts des
enfants atteints d'autisme
Annexe 4b : résultats bruts des
enfants contrôles
Annexe 15 : Tableaux récapitulatifs des
scores des enfants atteints d'autisme de 7 ans à 13 ans six mois et des
enfants contrôles appariés.
Annexe 15a : Tableau récapitulatif des
scores des enfants atteints d'autisme
Annexe 15b : Tableau récapitulatif des
scores des enfants contrôles
Annexe 16 : résultats des enfants
à l'E.P.L
|
|