Enfin, il existe un dernier courant de pensée dans
l'étude des représentations en géographie, le courant
phénoménologique* et néo-humaniste*. A l'opposé de
l'approche critique (Relph, 1976), le courant
phénoménologique3 développe
délibérément une approche idéaliste, où la
sensibilité et les attitudes de l'homme sont mises en avant. Depuis
Wright (Terrae incognitae, 1947), ce courant géographique fait
place à l'imagination dans la pensée géographique
(Lowental, 1961 ; Tuan, 1961). Dans la démarche intellectuelle humaniste
l'influence de la culture prévaut sur les représentations
mentales (Appleton, 1975 ; Seamon, 1979 ; Frémont, A., 1981, Podock,
1984). Le courant humaniste, en s'appuyant sur la pensée
phénoménologique et sur la psychologie des individus, tente de
mettre en évidence la dialectique sujet-objet,
intériorité/extériorité. Pour cela, les signes dans
le paysage et la lecture et l'interprétations d'oeuvres
littéraires sont les principaux supports. Cette vision idéaliste
est notamment remis en question pour son manque de perspective globale par les
marxistes et les néo-positivistes.
Il convient de préciser que cette classification, par
son catégorisme, ne peut être considérée comme un
modèle. Néanmoins la clarté qu'elle apporte au
débat complexe sur les représentations présente des
intérêts méthodologiques.
1 Leurs travaux sont influencés par les travaux des
sociologues marxistes* (Castells, 1972 ; Ledrut, 1973)
2 Notamment dans les pays anglo-saxons, où le terme de
« marxiste »à une connotation péjorative. 3 Qui devient
humaniste* à la fin des années 1970.
LES RAPPORTS DE L'ÊTRE HUMAIN À
L'ESPACE
Source: Di Méo, (1991)
DOCUMENT 1
21 bis
Tout d'abord, l'évocation d'une classification, aussi
réductrice soit-elle, apparaît déjà significative de
convergences, de recherches approfondies, et donc d'un intérêt
certain pour ce que les images mentales représentent dans la
géographie. Qu'il s'agisse de représentations sociales (Etat,
institution,... etc.), de phénomènes (catastrophe climatique,
érosion... etc.) ou de l'espace géographique (région,
territoire... etc.), le consensus sur leur rôle prédominant dans
les dynamiques socio-spatiales montre qu'il n'y a pas d'activité humaine
sans représentation : l'analyse des représentations produites et
véhiculées par les groupes sociaux, par les instances
politico-économiques ou encore par le chercheur, sont résolument
des moyens de parvenir à une meilleure connaissance des enjeux dont
l'espace est l'objet et le support (Bailly, S. et Debarbieux, B., 1995). Quelle
que soit notre culture, notre aire de résidence, notre place dans la
société, la subjectivité de chacun influence nos actes
spatialisés : « Nous baignons dans nos représentations
» (Di Méo, G., 2000).
La présente classification met ainsi en
évidence la richesse du concept à travers les divergences des
fondements, objectifs et démarches de chaque courant de pensée.
Le débat idéologique y occupe une place importante ; il
détermine l`axiomatique de chaque théorie dans ses influences
philosophiques, culturelles, voire même politique. Nous avons vu que les
méthodes (voir doc.1) et les perspectives d'analyse qui reposent sur ces
bases varient également. En témoignent les divergences portant
sur les différentes échelles d'approche des
représentations : le sujet d'étude des pensées marxistes
et structuralistes, le groupe social, s'oppose à celui de la psychologie
cognitive*, de la phénoménologie* et du néo-humanisme,
l'individu. Malgré leurs différences, les différentes
approches offrent chacune un intérêt à la
compréhension des logiques spatiales, en s'appuyant sur les perceptions,
l'imagination et les interprétations que se font les individus de la
réalité, pour en faire leur réalité. La
finalité des recherches dégage des objectifs distincts: ainsi, de
l'intégration des représentations dans la mise en place de
programmes d'aménagement, à l'étude fondamentale de
représentations d'un pasteur africain, on peut cerner des orientations
et des motivations contrastées.
La difficulté d'aborder la construction des
représentations réside dans la variété des
disciplines concernées qui travaillent avec des points de vue
différents sur des objets ou sur des pratiques semblables. En effet
l'ouverture que permet l'étude des représentations au sein des
sciences humaines et sociales engendre une multitude de voies, de
réflexions, aux fondements idéologiques et théoriques
variés ; cependant malgré un effort de clarification de la part
de nombreux auteurs, la confusion sur cette thématique peut
déconcerter le géographe. Quelle voie adopter face à cette
divergence méthodologique ?
Nous venons d'aborder le rôle des
représentations dans les approches géographiques de l'espace.
Mais quelle est la portée, le poids des représentations dans les
activités et les comportements spatiaux des hommes ? Le débat
offre de
multiples perspectives, divers points de vues, un large
éventail de visions géographiques sur la question. Pour clarifier
la démarche qui sera la notre dans l'appréhension des
représentations sur les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique
Centrale, il s'avère également utile de cerner la
méthodologie que nous utiliserons. Nous pensons qu'une analyse des
représentations peut s'inspirer de plusieurs courants de pensée,
de plusieurs démarches, favorisant une approche synthétique,
multisectoriel le ; une approche géographique.
Cette approche historique, sur les fondements philosophiques
et idéologiques des recherches s'attachant à la
compréhension des représentations, met en évidence un axe
de recherche novateur. L'approfondissement du concept passe d'abord par une
meilleure connaissance des sciences humaines et sociales, en se
référant à des auteurs comme Marx, Freud ou encore
Lévi-Strauss, dont les travaux éclairent ou renouvellent la
pensée géographique. Les multiples applications possibles sur la
thématique des représentations dégage non pas un, mais
plusieurs concepts ou théories ; y compris au sein de la discipline
géographique où le débat autour du thème enrichit
les connaissances et les approches de la dialectique sociétés -
espaces. De plus, on constate à travers le biais des
représentations sociales et spatiales, que les connaissances sur les
logiques des sociétés tropicales sont alors remises en
question.
L'étude des représentations apparaît pour
le géographe comme un axe fondamental dans l'analyse de l'Homme, de ses
comportements (sociaux, économiques, politiques, culturels) et de leurs
répercussions spatiales. Il paraît maintenant intéressant
de se plonger sur la manière dont sont produites les
représentations et sur les différentes clés
d'entrées théoriques utilisées pour les aborder.
Il nous sera alors possible de nous positionner sur la voie
méthodologique que nous avons choisie pour apprécier
l'implication des représentations dans les logiques spatiales des
sociétés du Sud, car « découvrir les
représentations en construction peut constituer l'objectif
intermédiaire d'une recherche géographique mais doit surtout
armer la réflexion sur l'organisation de l'espace. »
(Retaillé, D., 1995)
Dans le cadre des divers projets de développement et
de gestion de l'environnement qui se succèdent dans les pays « dits
» sous-développés, nous pourrons alors dégager les
insuffisances de ceux-ci dans l'appréhension de logiques
socio-spatiales, en ayant l'idée de poser les représentations
comme un outil fondamental pour les appréhender. Il s'agit donc de
réintégrer ce concept de manière concrète,
appliquée, ou plutôt impliquée (R. Brunet 1992).