1 Dans les années 1960-1970, on disait alors «
géographie tropicale ».
2.2 Les liens entre l'ethnologie et le développement
du concept dans la géographie des espaces tropicaux.
D'après Frémont A. (1980), les sociologues ont
fortement inspiré les écrits des géographes qui
travaillent au sein des sociétés industrialisées, mais
s'il est une influence à détacher des autres, c'est bien celle
des ethnologues (Lévi-Strauss et Nicolas, 1975) pour les
géographes tropicalistes: « Ils savent qu'ils ne sauraient ignorer
les travaux des ethnologues, même si ceux-ci ne se confondent pas
exactement avec leurs propres préoccupations » (Frémont A.,
1973).
L'analyse comparée des ethnologues (voir note 2),
permet de mettre en évidence les différentes perceptions et
représentations de l'espace entre les sociétés, appuyant
leurs raisonnements sur les facteurs culturels, mais aussi religieux, sexuels,
économiques et sociaux. Ils permettent ainsi de révéler
dans l'espace des sociétés du Sud une dimension cachée et
non explorée par les géographes qui, à travers les images
qu'elle produit, contribue à façonner leurs territoires* et leurs
paysages. Bien que la vision des ethnologues soit plus centrée sur
l'homme lui-même comme objet d'étude que sur l'espace, leurs
préoccupations vont dans le sens de celles des géographes
tropicalistes. Anthropologue de l'espace ou géographe des
représentations, la frontière paraît mince.
Dans le cadre de la géographie des espaces
tropicaux1, Gallais J. et « l'équipe de Rouen »,
à travers leurs multiples études en Afrique (Gallais J., 1968,
1973, 1976) en Amérique du Sud (Vergolino et Gallais, 1971 ; Gervaise,
1976), et en Inde (De Globéry, 1976 ; Choët, 1977), ont
effectué une comparaison entre les principaux aspects de l'espace
vécu dans les civilisations du monde tropical. Ils mirent en
évidence que, dans les sociétés tropicales, les recherches
sur l'espace vécu doivent s'adapter à tous les particularismes de
l'humain, que ceux-ci s'expriment par les langues ou par les psychologies
individuelles et collectives. Ces recherches furent le moyen de
développer de nouvelles techniques d'enquêtes destinées
à décrypter les comportements, induits par les perceptions et les
représentations des individus, et leurs implications spatiales.
2.3 L'introduction progressive de la subjectivité
dans l'analyse géog raph iq ue
Fortement impulsée par la
phénoménologie, et la psychologie cognitive*, l'étude des
perceptions et des représentations sociales amène les
géographes à remettre en question leurs modes d'analyse. Les
théories déterministes et
béhavioristes*, fondamentalement positivistes*,
laissent place au centre des sciences sociales et de l'homme à de
nouveaux mode d'analyses, notamment structuralistes* et systémique*, qui
s'ouvrent largement aux images mentales*. Malgré des points de vue
différents, voire divergents, la science géographique
élargi son champ de vision : « l'espace, la région, les
lieux, ne peuvent plus être considérés uniquement comme des
réalités objectives » (Frémont, A., 1973), et
l'objectivation des comportements revêt une complexité et une
incertitude jusque là sous-estimées.
Les lectures matérialistes de l'espace par la
géographie dite classique ou parfois même par celles d'influence
marxiste*1 montrent leurs limites à travers les travaux des
géographes ayant recours aux représentations
spatiales2. Dans la science géographique, l'étude des
représentations individuelles et collectives, influencent directement ou
indirectement sur la construction d'un espace ou concernant cet espace
lui-même, questionne la totalité des problématiques
géographiques ; elle ne peut plus se concevoir comme une étude de
cet espace qui serait parallèle aux autres. Les images mentales et leur
pouvoir de façonnement territorial nécessitent l'adoption d'un
nouveau paradigme géographique et la redéfinition de concepts
centraux de la discipline (sur lesquels nous reviendrons plus tard).
« Il s'agit en effet d'une véritable rupture
épistémologique » (Bailly S. et Debarbieux B., 1995). La
nécessité de prendre en compte la subjectivité de l'espace
impose aux géographes un changement complet d'attitude, avec de nouveaux
matériaux, de nouvelles méthodes, de nouvelles perspectives.
Ainsi, deux « référentiels d'observation et d'analyse »
(Pailhous J.,1970) de l'espace s'apparentent à la démarche
géographique, un égocentré3 et l'autre
exocentré4, et amènent les géographes à
redéfinir les concepts de distance, espace et territoire en y
intégrant la subjectivité des individus et des
sociétés.
Cette remise en cause est d'autant plus nécessaire
dans les espaces tropicaux où l'application de ces concepts,
réfléchis, élaborés, et le plus souvent
confrontés à la réalité en Occident, ne
s'appliquent que rarement, en témoigne l'expérience de Gallais J
: dans le Delta intérieur du Niger, ce dernier remarque à travers
la diversité des perceptions de l'espace et les différentes
appropriations que les sociétés font du site, que la
région, cette unité spatiale de référence
privilégiée par de nombreux géographes, n'y existe pas
(voir note 3).
1 Qui expliquent l'organisation de l'espace par les conditions
de l'environnement biophysique ou socioéconomique.
2 Qui intègrent cet environnement complexe
(voir3) par l'intermédiaire des images que les acteurs
sociaux s'en font.
3 Correspond à la conception d'un espace construit autour
du sujet, à partir de l'image d'un trajet ou d'une série de
trajets ou d'expériences individuelles.
4 Correspond à une conception de l'espace
indépendante du sujet, créé par autrui.
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