La deuxième moitié du XXème
siècle marque un profond renouveau dans les sciences sociales :
les questions spatiales deviennent une préoccupation croissante.
Profitant des recherches des sciences connexes, la discipline
géographique élargi ses champs d'applications et ses
méthodes d'approches du rapport de l'homme à l`espace. La
géographie humaine et sociale s'enrichi alors d'une clé
d'entrée culturelle, nettement plus valorisée qu'auparavant,
notamment sous l'impulsion des géographes tropicalistes. Elle
intègre progressivement « l'espace subjectif1 »
à sa démarche analytique : « Ce sont donc le sens et les
valeurs accordées aux lieux et à l'espace, plus que l'espace
lui-même, qui sont sollicités comme phénomènes
explicatifs. » (Bailly S. et Debarbieux B., 1995).
L'émergence des concepts d'espace vécu, de
perceptions et de représentations de l'espace rompt avec la
géographie paternaliste, sectorisée, déterministe;
cependant, la pensée géographique qui s'attache aux images
mentales des acteurs sociaux n'invalide pas forcément certains
résultats des analyses et recherches précédentes ; elle
peut certes les remettre en cause, mais elle peut également les
justifier ou les approfondir.
Durant les années 1950 -1970, les sciences humaines et
sociales apportent une contribution essentielle au débat. Dans les pays
anglo-saxons, les théories de l'économie spatiale, basée
sur les postulats de transparence du milieu et sur la rationalité des
choix (voir note 1), sont censées guider et déterminer les
actions productives de chacun des acteurs du système économique.
Ces principes normatifs d'économie spatiale ne se vérifient que
rarement et se retrouvent alors remis en cause. Dans la recherche de
théories plus efficaces, des courants de pensée alternatifs aux
théories de l'économie spatiale se développent autour de
l'étude des attitudes, des préjugés, des opinions,
montrent qu'il est essentiel de s'attacher à la subjectivité des
individus pour comprendre les comportements.
Parmi les nombreuses productions scientifiques des
géographes anglosaxons, on peut citer celles de Lynch K. (1960)
travaillant sur l'image* de la ville par les usagers ou encore Gould P.
(1966,1974), attaché à l'élaboration de cartes mentales*.
Nous retiendrons également Wright J.K., Lowental D. et Bowden M.J., qui
de 1961 à 1976 travaillent sur la géographie de l'imaginaire. Ces
recherches novatrices connaissent un écho en Allemagne, notamment avec
les travaux de Geipel. Au sein du vaste mouvement ascendant des sciences
humaines, l'espace, implicitement ou explicitement, est devenu un thème
« à la mode » (Frémont, A., 1980).
Mais, beaucoup plus que les géographes
étrangers, ce sont des ethnologues (Lévi-Strauss, 1955, 1958),
des psychologues (Piaget, 1947, 1948 et 1971; Moles et Rohmer, 1972), des
historiens (Ouzouf, 1971), des philosophes (Bachelard, 1957 et Bachelot, 1973)
et surtout des sociologues qui ont influencé les géographes
francophones s'attachant à décrypter l'espace vécu ; Morin
E . (1967), Rambaud P. (1969) et Bourdieu P. (1962 et 1964) se sont
penchés sur la sociologie des images de l'espace perçues par les
ruraux, alors que Choay F. (1965 et 1973), Ledrut (1968 et 1973), Lefebvre H.
(1959, 1962, 1968 et 1970) et Pailhous J. (1970) ont étudié la
perception de la ville par les citadins et les images qui en
découlent1.
Alimenté par les sciences humaines, un fort courant de
pensée géographique se manifeste alors dans la géographie
française, sous la plume de précurseurs comme Sorre M., Gourou
P., Georges P. et Beaujeu J., ouvrant la voie à leurs «
élèves », Gallais J., Frémont A., Metton A., Bertrand
M.-J., Piveteau J.-L., Claval P. et Bailly A..
1 « Sur le thème de la ville, la bibliographie des
sciences humaines devient un fleuve ». Frémont A. (1973).