1 L'HOMME : SES ORIGINES, SES CROYANCES.
Nous l'avons vu en première partie, dans la
construction des images mentales, l'individu est un élément
central et déterminant. Dans ses déplacements, ses
activités de production, dans sa vie sociale, l'homme (voir note 21)
subit les interférences psychologiques et culturelles de la vision qu'il
a de lui-même, de sa place dans le monde et dans sa
société. S'agit-il d'une entité autonome et
responsable de ses actes ? Est-il mû par des forces extérieures ou
supérieures ? Quels sont ses objectifs socio-économiques propres
? Existe-il des interdits, des craintes ou des limites que se fixe l'homme dans
son rapport à l'espace ?
S'intéresser à l'homme en tant qu'Être de
conscience, de réflexion et d'imagination1, pose les bases
des représentations qu'il crée et qu'il transforme ensuite dans
le temps. « Posséder le Je dans sa représentation :
ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres
êtres vivants sur la terre. Par-là, il est une personne ; et
grâce à l'unité de la conscience dans tous les changements
qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c'est
à dire un être entièrement différent, par le rang et
la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison,
dont on peut disposer à sa guise. » (Kant, 17982).
Les représentations que l'homme se fait de
lui-même peuvent s'avérer être un facteur induisant des
pratiques spatiales particulières (voir doc.15 et 16). Dans ce sens, les
croyances peuvent être mises en avant car elles conditionnent l'individu
dans la vision de sa propre personne. Ainsi, les religions animistes
polythéistes, dominantes dans notre terrain d'étude, ne
considèrent pas l'individu de la même manière que la
religion islamique ou catholique. Cependant, il s'agit de ne pas s'aventurer
dans un « psychologisme individuel » démesuré, car dans
le cadre de la géographie et plus largement dans l'application de
politiques ou de projets, tenir compte des logiques subjectives de chaque
individu dans la complexité de sa conscience paraît
évidemment illusoire. L'individu est-il en permanence
l'expression d'un groupe sans lequel il n'existerai pas ? En tout cas
notre démarche ne peut se passer d'individus socialisés.
Identifier et cerner les représentations de la place
qu'occupe l'homme dans son environnement socioculturel -moteurs de sa logique
individuelle et de ses stratégies pour y parvenir- nous amène
à considérer l'individu à l'intérieur de sa
communauté : « L'homme est double. En lui, il y a deux êtres
: un être individuel qui
1 « L'imagination est le pouvoir de se représenter
dans l'intuition un objet même en son absence » (Kant, Critique
de la raison pure, 1781, Introduction, III). Si l'on reprend la
définition contemporaine du terme représentations, il semble
qu'aujourd'hui la représentation est une production de notre
imagination.
2 Anthropologie du point de vue pragmatique, librairie
J. Vrin, p. 17
a sa base dans l'organisme et dont le cercle d `action se
trouve, par cela même, étroitement limité, et un être
social qui présente en nous la plus haute réalité, dans
l'ordre intellectuel et moral, que nous puissions connaître par
l'observation, j'entends la société. » (Durkheim,
19251).
Cela dit il s'agit cependant de ne pas minimiser le rôle
de l'individu, qui constitue la diversité interne de chaque population,
puisque aujourd'hui, dans le cadre de projets, on voit apparaître de plus
en plus de micro-réalisations favorisant le soutien d'un individu.
Par exemple, cette stratégie est celle l'ONG «
ESSOR » dans le cadre du programme « concilier l'Environnement et le
développement économique en République de Guinée -
volet agroforesterie ». Basé notamment à Labé et
à TimbiMadina (Fouta-Djalon), le programme cherche à valoriser
les jachères par l'arbre (plantations d'eucalyptus), et à
favoriser le développement de haies vives monospécifiques en les
substituant à la palissade en bois mort. La démarche consiste
à trouver des personnes motivées et à financer le
lancement de l'exploitation, à savoir les premiers achats de plants et
la mise en place de pépinières destinées à
approvisionner les plantations. Ce choix de s'adresser à des individus
permet à l'ONG des investissements raisonnables et limite les
gaspillages en cas d'échec ; de plus ce choix est également
tactique : la réussite d'un exploitant donne des idées à
ses voisins qui démarchent eux-même auprès de l'ONG. Mais,
en favorisant la réussite individuelle, l'ONG crée des situations
de convoitise, car les élites locales peules voient d'un mauvais oeil
celui qui par sa réussite remet en cause la hiérarchie
traditionnelle ; d'autant plus s'il s'agit d'un ancien captif. On assiste
à une confrontation de stratégies socio-économiques
différentes provoquée par un projet, qui peut entraîner des
conflits sociaux localisés.
Parmi les erreurs de réalisation dans ces
micro-projets, par manque d'appréciation des représentations de
l'individu qui en est responsable et par manque de compréhension des
objectifs de ce dernier, nous pouvons exposer un cas qui nous concerne
directement. Lors de notre séjour à Labé (Fouta-Djalon,
2000), nous avons décidé de monter une entreprise avicole que
nous laisserions en gestion à notre famille d'accueil. Avant notre
départ, toute la logistique était
opérationnelle2 et la gestion tracée sur
l'année à venir : l'objectif fixé était le
doublement de la capacité du poulailler en 18 mois. Cette exploitation
représentait pour nous un gage de revenus à long terme pour M.
Baldé et sa famille. Au vu des résultats, nous constatons que
pour ce dernier le poulailler représentait plus un « cadeau »
de départ, une forme d'épargne familiale qu'il pouvait
gérer à sa manière et en fonction du contexte
socio-économique, qu'un véritable investissement reproductible
sur le long terme.
1 Les formes élémentaires de la vie religieuse,
Alcan, 1925, p.23
2 L'opération d'aménagement et d'équipement
du site, le financement de la nourriture, l'achat des poulets et le suivi
vétérinaire.
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