TROISIÈME PARTIE :
TENTATIVE D'APPROCHE DES REPRÉSENTATIONS
POUR UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION DES
LOGIQUES SOCIO-SPATIALES: UNE CARENCE DE
L'INTERVENTIONNISME DES STRUCTURES
EXOGÈNES.
Barrage de Foduyé envasé, sur les hauts
plateaux centraux du Fouta-Djalon (Labé-Timbi), construit par un projet
pour irriguer des parcelles ; quelques années après la
départ du projet, le barrage et les canaux sont progressivement
abandonnés. Miné par le manque de moyens pour entretenir la
structure et par les tensions sociales internes aux participants, le
développement voulu par le projet n'aura pas été durable
du tout..
INTRODUCTION
« Penser le Sud quand on est du Nord, penser le Nord
quand on est du Sud, [...] cela suppose une rupture
épistémologique et un renversement de problématique qu'une
grande majorité de politiques, de banquiers, de développeurs et
de chercheurs ne sont pas encore près à assumer » (Bertrand,
G., 20001). La pensée globale des phénomènes,
qu'ils soient politiques, socio-économiques ou géographiques
apparaît aujourd'hui limitée, décalée par rapport
à leurs réalités multiples et changeantes. Chaque
société, chaque territoire ne peut plus être abordé
de manière générale, avec des outils conceptuels qui
émanent d'une vision ethnocentrée d'inspiration occidentale. La
compréhension des logiques sociospatiales des hommes s'affirme comme une
optique incontournable à l'accompagnement des sociétés
dans leur développement, car « ne pas voir le même espace
lorsqu'on travaille ensemble est une difficulté majeure, c'est ne pas
parler le même langage. » (Rossi, G., 2000).
Nous allons montrer que, jusqu'à présent, la
majorité des politiques institutionnelles, mises au point dans des
visions globales du développement et de la gestion de l'environnement,
s'affranchissent toujours des représentations des hommes, vecteurs des
logiques socio-spatiales. Pour cela, nous proposons ici une grille de lecture
des représentations que peuvent avoir les sociétés de leur
sphère endogène, à savoir leurs rapports sociaux internes
et leurs rapports au milieu, mais également de la sphère
exogène, le monde extérieur et plus particulièrement les
acteurs institutionnels politiques et économiques, nationaux et
internationaux. Ainsi, nous orienterons dans un premier temps la
réflexion sur l'approche locale des sociétés et de leur
environnement, qui reste aujourd'hui la forme de territorialisation des
individus la plus aisément observable sur notre terrain d'étude ;
nous élargirons ensuite l'échelle des observations.
Cette tentative de trouver des pistes, des faisceaux de
représentations des sociétés ne se veut pas exhaustive ;
il s'agit plutôt d'une tentative méthodologique d'approche,
argumentée d'exemples concrets, le plus possible en rapport avec
l'interventionnisme des structures exogènes dans les
sociétés et leurs territoires. Identifier les
représentations des individus et des sociétés dans un
contexte socioéconomique connu facilite la compréhension des
logiques socio-spatiales et leurs dynamiques paysagères. Nous pensons
que ce type de démarche, si elle était adaptée à la
préparations de politiques et de projets dans les pays du Sud,
viabiliserait les actions menées. Utopie ?
1 In Rossi, G., 2000
CHAPITRE 1 :
SUR LES TRACES DU TERRITOIRE, LES REPRÉSENTATIONS DE L'HOMME ET DE LA
VIE SOCIALE.
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Dans cette tentative de mise en évidence de pistes de
recherche pour l'identification et l'interprétation des
représentations, nous avons tout d'abord choisi de nous
intéresser aux images mentales qui sont construites par l'individu sur
luimême (sur lesquelles nous nous attarderons peu) , ainsi que celles
émanant de la société à laquelle il appartient,
dans sa structure et ses rapports sociaux. En effet, sur les hautes terres
d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale, il apparaît que la dynamique
et la gestion des paysages des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique
Centrale s'associent étroitement à l'ensemble du contexte
socio-culturel.
Il s'agit ici de « rendre compte de ce qui, dans les
attitudes et les comportements des personnes réelles, échappe
à la logique agrégative du marché, à l'interaction
mécanique des stratégies individuelles et à la recherche
rationnelle de l'intérêt personnel, pour s'orienter par
référence à la croyance dans l'existence d'une personne
collective. » (Di Méo, G., 1991) . Dans cette démarche, Nous
nous appuierons sur des exemples de notre terrain d'étude, pour montrer
que les représentations, ciment des sociétés et de leur
culture, sont trop souvent négligées dans les interventions des
projets et des politiques exogènes alors qu'elles facilitent la
compréhension de logiques socio-spatiales.
Le bocage est à la fois un mode de gestion de
l'agriculture et de l'élevage sur les terroirs peuplés, et un
mode de vie, un cadre de vie construit autour de la protection. Ce choix
technique motivé par la promiscuité du bétail et des
cultures exprime aussi certaines tension sociales exacerbées par la
promiscuité des hommes entre eux et les enjeux fonciers. L'habitat ne se
conçoit pas sans clôture.
Ainsi, outre la compréhension d'un système
d'agroélevage, l'étude des îlots de bocages apporte un
éclairage sur les représentations et sur le fonctionnement
interne de la communauté rurale (voir carte men-tale ci-contre). Le
social et le symbolique se révèlent ici aussi par le
géographique (Bonnemaison, 1992). Inversement, le géographique se
comprend par le symbolique. Les fonctions symboliques des clôtures
contribuent, de manière invisible, à fonder une organisation de
l'espace quand à elle bien observa- ble.
Nombre d'observateurs peu attentifs confondent aujourd'hui
encore les palissades du Fouta-Djalon avec des clôtures mortes, ne
voulant décidément pas voir ou admettre que c'est
précisément l'installation de palissades en piquet qui a abouti
à la création de forêts réticulaires favorisant
à leur tour toute une dynamique naturelle d'enrichissement floristique.
Certains projets environnementaux enfermés sur les problèmes de
déforestation proposent, sans grand succès, du fil de fer et du
grillage pour remplacer les palissades, ignorant que ce changement technique
pourrait amorcer la disparition du bocage (voir ci-contre). Absorbés par
la question du bois de feu, certains forestiers ont tendance à occulter
le rôle des ligneux de la haie qui satisfont les besoins domestiques.
DOCUMENT 15
PRATIQUES ET REPRÉSENTATIONS DE LA HAIE DANS LE
FOUTA-DJALON (1)
PRATIQUES ET REPRÉSENTATIONS DE LA HAIE DANS LE
FOUTA-DJALON (2)
Quand un individu qui réussit redoute les jalousies de
ses semblables et souhaite en particulier se prémunir de son entourage,
il s'adresse à un marabout. Il prie le karamoko de l'enclore;
aux barrières matérielles que constituent la clôture et la
case, on ajoute une clôture symbolique autour du corps, Le
hoggugol bandu.
Le karamoko récite alors une formule magique,
le coorawol, ou il est question d'un haie contre les sorciers; le
karamoko entoure ainsi le plaignant d'un enveloppe symbolique
isolante. C'est une véritable barrière, invisible mais
bâtie comme un rempart, que le karamoko dresse autour de l'individu pour
le protéger des attaques de la sorcellerie.
Le hoggugol bandu mis en place, un sorcier est dans
l'incapacité d'exercer son influence maléfique. Jusqu'alors, les
clôture matérielles ne pouvaient rien contre le mangeur
d'âme. Une simple coorawol entourant celui qui se sent
convoité d'un filtre protecteur magique aura suffi à rassurer ce
dernier. Ainsi, la clôture se révèle ici aussi comme la
pièce maîtresse du corpus des protections magiques. Aussi
invisible soit elle, la clôture du corps donne lieu à une
représentation réaliste
Textes et documents d'après Lauga-Sallenave, C.,
1996
« Construit d'abord ta clôture
»
DOCUMENT 16
A travers les clôtures et les barrières de
protection symbolique, la société du Fouta-Djalon nous livre les
représentations qu'elle se fait de son environnement et des forces
invisibles qui l'animent. La multiplicité des haies et l'installation
d'autres barrières matérielles et symboliques dans les jardins
enclos permettent à chacun de neutraliser tout danger extérieur
et de s'isoler de son proche entourage, de ses voisins, de ses parents... La
clôture, le toit, la porte, la serrure, en sont des signes. On les
retrouve dans la terminologie hoggo et tapade [concession d'un
ménage] expriment une volonté de fermeture, et uddidugol,
mot pour dire « ouvrir » qui se traduit par « fermer
à l'inverse », ainsi que dans certains gestes de la vie quotidienne
(verrouillage systématique des portes, empressement à
enclore...). Ils révèlent plus discrètement un état
d'esprit de fermeture. Derrière les protection matérielles, se
révèlent enfin des barrières symboliques dont le
hoggugol bandu (ci-dessus), la clôture reste la pièce
maîtresse, la clé de voûte, du dispositif de protection.
Le bocage est un dispositif de protection qui associe le clos
et l'ouvert et un dispositif de protection qui associe des barrières
visibles et des barrières symboliques. Les barrières symboliques
sont aussi nécessaires à la culture intensive. Qu'elle soit
matérielle ou virtuelle, la clôture est une protection contre les
menaces naturelles et surnaturelles et même quand elle apparaît
tout d'abord un solide rempart contre le bétail. La boucle est
bouclée. Le réalisme et le symbolisme forment un système.
L'imaginaire paysan s'ancre profondément dans la réalité;
une réalité qui est construite et non léguée par la
nature puisque les protections magiques sont techniques. On protège ses
cultures comme on protège son corps du sorcier et on protège son
corps comme on protège ses cultures de la dent du bétail. On ne
saurait dire si la violence symbolique de la sorcellerie a la même force
qu'autrefois. Toujours est-il que la clôture individuelle exprime encore
très souvent l'enracinement d'une certaine peur de l'autre.
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