WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les représentations dans la géographie : une approche à valoriser dans les pays du Sud (l'exemple des hautes terres d'afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale

( Télécharger le fichier original )
par David Leyle
Université Bordeaux 3 - DEA de géographie 2001
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.3 Des unités socio-spatiales distinctes ?

« Les montagnes sont le lieu de vie du plus grand nombre de groupes ethniques, gardiens de leurs traditions culturelles, de leurs connaissances de l'environnement et de leurs facultés d'adaptation » (Messerli, B., et Yves, J-D, 1999). En fonction de leurs milieux, de leurs stratégies de reproduction du groupe et de leur évolution historique, les sociétés des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale ont ainsi développé, des cultures, des organisations sociales, et des modes de productions originaux, qui s'expriment à travers les structures territoriales et leurs témoins, les paysages.

L'outil paysage, caractérisant l'interface entre l'homme et son milieu, permet au géographe de soulever des interrogations, des hypothèses par rapport aux structures territoriales des sociétés (voir note 18). Interfaces dynamiques, ils portent la marque spatiale et temporelle du rapport des sociétés à leur espace. Pour Rossi G. (2000) et Berque A., (1986) les paysages sont l'empreinte et la matrice de la culture : ils expriment les conceptions, les rapports, de la représentation qu'ont les groupes et les individus de leur milieu et de leur territoire, des pratiques de gestion et des comportements qu'ils adoptent.

Ainsi, si on s'attarde sur la structure des paysages sur les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale, y déceler des points communs, des convergences socioculturelles apparaît bien difficile ; l'aire géographique étudiée, dans sa dimension humaine et historico-économique semble bien trop contrastée pour qu'on puisse mettre en évidence de manière objective des permanences sociales dans les paysages montagnards ; d'autant plus que de nombreuses informations nous manquent afin d'établir des liens solides entre ses différentes composantes. Bien au contraire, la diversité ethnique et culturelle à construit au long de leur histoire les paysages des massifs, véritables unités socio-spatiales.

L'adaptation humaine aux caractères montagnards nécessite des modes de production particuliers (stratégies répondant aux logiques socio-économiques de

chaque groupe humain localisé) qui suivent les objectifs de la reproduction du groupe et du maintien de la ressource. Si on se penche sur les modes de mise en valeur agricole, on constate alors que les pratiques de gestion des risques, certes multiples et variées, répondent non seulement aux caractères du milieu biophysique évoqués plus haut (verticalité, altitude, potentialités agronomiques, érosion, natures et variations climatiques) (voir doc.10), mais aussi aux humanités endogènes (culture, rapports sociaux, dynamisme géographique) et exogènes (contexte économico-administratif et ethnico-social).

Les déclinaisons paysagères en fonction de ces grappes de facteurs sont nombreuses. Même si certaines pratiques, principalement productives et défensives, marquent le paysage de leur empreinte, la gestion de l'environnement en milieu montagnard ne dépend pas seulement des potentialités écologiques « naturelles » ; elle est également, et même surtout, sociale et culturelle.

Certes la réalité de « l'étagement » biophysique est prise en compte par les sociétés dans l'aménagement de leur territoire, dans la gestion des espaces de culture qui occupent de préférence les sols les plus fertiles, ou l'organisation des espaces pâturés qui varient en fonction des saisons1. Mais cette gestion répond rarement aux mêmes logiques, aux mêmes rationalités, et aux mêmes représentations que dans nos montagnes occidentales.

L'étagement qu'on peut observer sur la grande majorité des versants du Fouta-Djalon traduit la hiérarchie sociale dans le paysage. La période de l'Empire Théocratique peul du XVIIIème siècle a vu la mise en place d'un régime esclavagiste, au détriment des Dialonkés, descendants des premiers occupants du massif. Cette ségrégation sociale est à l'origine de la ségrégation spatiale. Les gens de classe vivent dans des villages à l'écart des villages peuls (misiide et foulaso), dans les runde (voir note 19) : « les foulaso se juchent de préférence sur les hauteurs et les runde dans les bas-fonds2 » (Richard-Molard, J., 1952).

Ce commandement direct se retrouve dans les massifs à tendance sèche de la dorsale camerounaise (Monts Alantika, Monts Mandara), où le haut des reliefs est le siège de la puissance : pour les Ouldémé (Monts Mandara), « habiter en haut, c'est demeurer près du ciel, près de la pluie et dominer les autres » (Morin, S, 1996) (voir note 20); l'étagement montagnard correspond ici à la stratification de la population historique : les premiers occupants ont abandonné les bas de versants aux derniers arrivés.

Ainsi, à l'inverse, Morin, S., relève que « la position des concessions selon l'altitude inscrit dans l'espace montagnard la hiérarchie sociale entre les divers clans*, lignages et individus » (Morin, S., 1996). Dans les Grassfields et les Bamiléké, l'étagement social est inverse : plus l'individu ou son clan réside en

1 le plus souvent sur les hauteurs après la saison des pluies (bowés du Fouta-djalon), et pour les massifs à longue saison sèche, la descente vers les bas-fonds permet aux bestiaux de trouver des espaces apetables

2 « Dans le Fouta-Djalon, les bas-fonds sont traditionnellement des espaces marginalisés, car réputés insalubres. Domaine du paludisme et de l'onchocercose pendant la saison pluvieuse, ce sont des espaces qui sont perçus par les Peuls du Fouta-Djalon comme des espaces à risques. » (Beuriot, M., 2000)

altitude, moins il occupe un rang élevé dans la société ; la concession du roi (Mfo) s'établit donc en bordure des bas-fonds, au contact des riches terres du bas.

Mais, dans le contexte politique et socio-économique actuel et ses traductions spatiales (voir annexes 9, 10, 11 et 12), notamment par des structures exogènes supérieures (Etats, régions administratives, cantons,... etc.), des mutations paysagères apparaissent, modifiant voire parfois déstructurant les organisations traditionnelles des massifs. En effet, la période contemporaine, de la colonisation à nos jours, a véhiculé des dynamiques nouvelles dans les sociétés des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale. Le déploiement de structures administratives par les colons européens a été repris par les Etats indépendants dans la deuxième moitié du XXème siècle. La mise en place d'organismes de développement, de coopération et de gestion de l'environnement exogènes aux populations des massifs, a fortement perturbé ou transformé les dynamiques sociospatiales de leurs territoires ; de ce fait, elle a aussi modifié les paysages. S'ajoutant à la croissance démographique endogène, les leitmotivs de ces différentes politiques et leur application sur le terrain -à savoir l'ouverture à l'économie de marché, la modernisation, le désenclavement des espaces montagnards et la gestion rationnelle des ressources- sont à l'origine de mutations paysagères contemporaines dans notre terrain d'étude. Dans l'appréciation de ce contexte politique général, il s'avère nécessaire de tenir compte la vigueur des conflits ethniques et religieux sous-jacents de manière permanente dans l'exercice du pouvoir au niveau national ; ce dernier devient souvent l'instrument de certaines ethnies aux détriment d'autres.

Par exemple, le développement des cultures de bas-fonds dans le massif du Fouta-Djalon, favorisé par les projets de développement des institutions guinéennes et des ONG, influence aujourd'hui les choix culturaux des paysans. Tous ont très vite saisi leur intérêt à pratiquer ces cultures : les exploitants, qui s'investissent dans les bas-fonds, concentrent leur énergie sur le maraîchage qui apparaît fortement rémunérateur. Leur intérêt n'est pas seulement financier, et les agriculteurs les plus dynamiques, issus des populations anciennement soumises, l'ont bien compris. Le bas-fond est l'instrument de la revanche économique et sociale des anciens captifs sur leurs maîtres et de l'émancipation des femmes. Les bas-fonds sont des instruments au service de la joute sociale et de la récurrence des conflits : le développement c'est la compréhension, l'acceptation c'est une toute autre histoire. De plus, à ce point attractif dans les zones de forte concentration humaine (périphérie des marchés), l'écosystème bas-fonds montre déjà des signes de faiblesse attestant d'une dégradation environnementale préjudiciable à son bon fonctionnement (D'après Beuriot, M., 2000).

Un autre exemple peut être mis en évidence avec les mutations paysagères dans la dorsale camerounaise. En pays Bamiléké, l'ouverture à l'économie de marché par les cultures de rente (café) depuis la colonisation a engendré de profondes mutations socio-économiques et joue donc un rôle important dans les dynamiques contemporaines du paysage. Le développement d'une agriculture

spéculatrice dans un contexte foncier limité1, a provoqué le délaissement progressif des stratégies agraires traditionnelles : abandon progressif du bocage protecteur des sols, ainsi que les modifications du système jachère dont les rotations ont été accélérées sur les terroirs. Dans les Mandaras, il s'agit par contre de l'obligation de cultiver le coton qui est à l'origine des dysfonctionnements des systèmes culturaux. Ainsi, la stérilisation et l'érosion des sols, accentuées par les caractéristiques montagnardes des systèmes de versants et de la dénivellation, sont les conséquences directes de l'introduction des cultures de rente et de la modernité (D'après Morin, S., 1996)

Souvent inadaptées, car inadéquates dans les logiques, dans le temps et dans l'espace, ces mutations contemporaines véhiculées par des acteurs exogènes aux sociétés ont provoqué chez les populations des massifs d'Afrique de l'Ouest et Centrale des résurgences identitaires, celles-ci dépassant parfois même la réalité sociale. Par le refus de l'innovation et de la transformation d'un système de gestion de la ressource devenu obsolète sous des pressions extérieures, le repli identitaire de certaines populations occulte de nombreuses perspectives d'avenir et accentue souvent les situations de crise. Nous pouvons ainsi constater que les conséquences de la mise en place de projets et de politiques sont à l'origine d'une image négative de l'interventionnisme exogène. De nouvelles formes de représentations apparaissent alors face à l'intervention de ces acteurs « étrangers >>.

Les paysages des hautes terres étudiées se distinguent donc par leur originalité, dans les modes de mise en valeur, aux adaptations subtiles aux aptitudes du milieu, mais également par la force constructive des facteurs culturels où les représentations occupent une place majeure, qu'elles se basent sur une réalité biophysique, socioculturelle, ou économique.

De toute évidence, l'organisation de l'espace n'est pas imposée ou déterminée par les contraintes du milieu ; elle laisse apparaître de multiples facettes sociales et culturelles : « L'aménagement sur les versants est donc fonction des représentations sociales >> (Morin, S., 1996). Les multiples formes de paysages observées sur notre terrain d'étude sont, avant tout, des constructions des individus et des représentations qu'ils se font de leur société, auxquelles les communautés des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale sont fortement attachées. Ce sentiment d'identité spatiale et culturelle, qu'on perçoit dans les structures paysagères, ne trouve pas toujours ses fondements dans les caractères montagnards. Ces derniers sont plus conséquents sur les comportements sociospatiaux dans la dorsale camerounaise2 que sur certains hauts plateaux tabulaires de la dorsale guinéenne et de la chaîne de l'Atacora ; mais ce sentiment identitaire qu'on retrouve dans tous les massifs est significatif d'unités socio-spatiales distinctes, avec des fonds socioculturels communs. Ils nous permettent maintenant d'aborder les systèmes de représentations en géographie sur des bases territoriales valables.

1 « l'espace [Bamiléké] est fini >> (Morin, S.)

2 « Ces montagnes constituent de vrai systèmes socio-spatiaux. >> (Morin, S., 1996)

« La recherche d'une définition de la montagne est une chimère » (Messerli, B., et Yves, J-D., 1999). Cette complexité de cerner le « fait montagnard » se pose donc dans l'étude des représentations des individus et des sociétés qui y vivent. Dans un souci de compréhension des logiques socio-spatiales sur notre terrain d'étude, nous ne pouvions occulter ou contourner ce problème.

Dans notre démarche, nous avons choisi une approche « classique » du problème montagnard, non par volonté de dissocier le physique de l'humain, mais plutôt en raison des spécificités des milieux physiques par rapport aux reliefs alentours; de ce point de vue, les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale sont des montagnes, réalités biophysiques appréciables selon certains gradients. Par contre, l'approche des spécificités sociales est à traiter avec plus de prudence, au vu des multiples humanités, dont les cultures, les trajectoires historiques et les contextes socio-économiques apparaissent contrastés : « autant certaines visions globales sont possibles sur les caractéristiques biophysiques des montagnes, autant la multiplicité et parfois la complexité des humanités montagnardes rendent périlleuses toutes formes de généralisation » (Lassère, G., 1983).

La spécificité des environnements1 montagnards, des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale, nous semble bien difficile à affirmer et offre de diverses formes de territorialité : les systèmes montagnards sont le lieu de vie d'un grand nombre de groupes ethniques, gardiens de leurs traditions culturelles, de leurs connaissances du milieu et de leurs facultés d'adaptation. Pour cela, même s'il importe de connaître les interactions entre les sociétés et leur milieu pour comprendre les représentations et leurs implications spatiales, nous essayons de considérer les espaces montagnards non pas comme des objets d'étude, mais plutôt comme un cadre d'étude, contenant de pratiques sociales étudiées indépendamment du contexte.

Toutefois, nous pensons que les populations au contact, parfois multiséculaire, de ces milieux biophysiques, ont intégré certaines des images ou représentations qu'ils véhiculent, pour les sociétés mais aussi pour le chercheur ou l'observateur. Nous ne saurons pourtant dire si l'intensité et la force de ces représentations peuvent être corrélées avec les gradients physiques de vigueur, de massivité et de commandement. Pour cette raison, même si nous venons de montrer que ces milieux originaux en influencent la formation et la construction mentale et sociale, la notion de représentations montagnarde2 n'a guère de signification en soi, tellement diverses sont les conditions offertes aux hommes par ces écosystèmes, ainsi que leurs perceptions et leurs formes d'adaptations au milieu.

Nous pouvons seulement pour l'instant constater que les représentations participent à la construction des paysages et nous permettent de cerner plus

1 La notion d'environnement au sens large incluant (évidemment) les sociétés y vivant.

2 catalogue générique des représentations des sociétés au contact de leur milieu montagnard.

précisément les logiques socio-spatiales des individus et des sociétés. Les caractères implicites de la montagne mettent en lumière des facteurs culturels et spirituels qui influencent profondément la manière dont les hommes voient et traitent l'environnement. Ces valeurs et croyances déterminent dans une grande mesure les ressources et les éléments du milieu que les hommes veulent exploiter et ceux qu'ils se sentent profondément déterminés à protéger (D'après Messerli, B., et Yves, J-D., 1999).

Même si cette analyse de la dialectique représentations-environnements montagnards tente de montrer des pistes, de poser des questions ; cette étape nous permet maintenant d'élargir cette vision pour tenter de mettre en évidence des faisceaux de représentations qui interviennent dans les logiques spatiales endogènes et leur confrontation à celle des projets, encore fondamentalement exogènes. Car même si depuis la fin des années 1970, se développe un mouvement critique de l'interventionnisme dans les pays du Sud, et que les organismes et les institutions affichent leurs bonnes intentions1, la réalité dans les motivations, la conception et l'application des politiques et des projets n'a que trop peu évoluée.

Hier encensés par les naturalistes, les milieux montagnards centralisent aujourd'hui l`attention des organisations de développement et de protection de l'environnement, relayées par les institutions nationales : conserver ces « patrimoines de l'humanité » est une source d'enjeux non négligeables (pharmacie, bois, eau, génétique...). D'après l'O.N.U., « le développement durable des montagnes est une priorité planétaire » (voir note 11).

Nous allons maintenant voir, au moyen d'exemples concrets que, jusqu'à présent, la majorité des politiques institutionnelles mises au point dans des visions globales de la dialectique développement-environnement, s'affranchissent toujours des logiques locales et des représentations des hommes.

1 "la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés au niveau qui convient" (principe 10) déclaration de Rio, 1992.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon