2.2 La diversité des héritages historiques et
des évolutions socio-économiques
Les dynamiques de peuplement des hautes terres d'Afrique de
l'Ouest et d'Afrique Centrale sont multiples. Elles ont évolué
également selon les vicissitudes de l'histoire et selon les logiques et
les stratégies socio-économiques des populations, aux nombreux
particularismes locaux sur lesquels nous ne pouvons nous attarder dans le
détail. Peut-on toutefois y trouver des caractéristiques communes
pouvant nous aider à cerner les représentations des individus
?
Tout d'abord, les montagnes d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique
Centrale furent des sites refuges et de protection pour certaines populations.
Lassère G. (1983) et Morin S. (1996), soulèvent cette fonction
d'abri et de repliement qui, au cours de l'histoire mouvementée de
Afrique de l'Ouest et de l'Afrique Centrale, ont amené les populations
à s'installer sur les hauteurs, qui les protégèrent ainsi
des menaces et des razzias des peuples esclavagistes basés sur les
basses terres périphériques. De nombreuses populations se sont
ainsi réfugiées sur les sites défensifs des hautes terres
par vagues successives2, dont les systèmes de protections
végétaux et
1 Les « massifs évoqués sont les Monts
Mandara (dorsale camerounaise)
2 Ces faits de peuplement par vagues révèlent la
complexité de ses origines, tant ces populations montagnardes ont
été capables d'assimiler des nouveaux venus et de s'adapter
à la présence de peuples ennemis dans la plaine.
minéraux marquent encore de leurs stigmates les
paysages (voir doc.12) : les Bamiléké des Hautes Terres de
l'Ouest, Les Kabyé du Togo, les Somba du Bénin, ou encore les
peuples des Monts Mandara (voir docs.1 1 et 14). La fonction de refuge,
s'inscrit également dans l'époque contemporaine, avec la
colonisation européenne, puis avec les Etats indépendants, dont
les administrations ont toujours voulu accentuer le contrôle territorial.
N'est-ce pas là le témoignage d'une identité forte ?
Cette notion de refuge doit cependant être
nuancée. Elle ne signifie pas forcément l'isolement total, car ce
repli ne fut pas systématique, comme dans l'Atacora béninois et
le Fouta-Djalon pour se protéger de la pression Peule ; ou dans certains
massifs de la dorsale camerounaise, où cette fonction ne fut qu' «
accidentelle et épisodique » (Morin, S., 1996), s'effectuant en
fonction des contextes historiques, socio-politiques et économiques dans
une région donnée.
Nous pouvons alors plutôt parler de berceaux de
civilisations, de communautés ethniques et culturelles originales.
Recherchés pour leur compartimentage et pour les potentialités de
leurs milieux, les sites montagnards ont été des espaces
privilégiés pour le développement de foyers de peuplements
humains. L'ancienneté de ces civilisations remonte parfois au
néolithique, comme pour les Hautes Terres de l'Ouest du Cameroun ;
d'autres, comme « le château fort Peul » du Fouta-Djalon, sont
plus récentes (à partir du IXème
siècle).
Il s'agit ainsi de considérer ces
sociétés montagnardes comme des systèmes ouverts, en
relation entre eux et avec les bas reliefs environnants. Cette notion de
complémentarité spatiale s'étend à de nombreux
espaces montagnards, où les connexions amont-aval sont fréquentes
à travers les mouvements de population et les échanges
commerciaux. Les Peuls du Fouta-Djalon ne sont-ils pas de grands
commerçants entre le Sénégal, le Mali et la Guinée
? L'Adamaoua, véritable barrière orientée W-E, n'est-il
pas un lieu de passage obligé du commerce au Cameroun ? On pourrait
ainsi multiplier les exemples qui relativisent la situation de montagnes
refuges, enclavées et isolées.
Bien qu'elles soient des « conservatoires de
civilisations traditionnelles » (Lassère, G., 1983), ces
communautés montagnardes ont intégré au fil du temps, des
échanges et de l'assimilation de nouveaux venus, des techniques
nouvelles qu'elles se sont appropriées et qu'elles ont
intégré à leur système de production, notamment
durant les périodes de paix. Parfois, elles ont même
étendus leurs espaces productifs aux marges des massifs, comme les Peuls
de Télimélé dans les basses terres que dominent les
contreforts du Fouta-djalon, ou encore les Akebou et les Akposso (Monts Togo)
dans celles de Litimé, et les Mofou (Monts Mandara) dans la plaine
voisine. Ces mouvements de colonisation s'accompagnent de migrations, qui
constituent de véritables régulateurs démographiques et
sociaux des populations montagnardes. Elles s'intègrent dans les
stratégies de gestion de la ressource et de la cohésion sociale :
le plus souvent, ces mouvements sont le fait de jeunes et de marginaux.
L'époque contemporaine, avec son flot de croissance
démographique, le poids de ses politiques administratives, et ses enjeux
économiques certains, a
profondément transformé la réalité
des sociétés montagnardes en Afrique de l'Ouest et en Afrique
Centrale.
Ces connexions des espaces montagnards avec la « plaine
» dépendent de multiples facteurs locaux et du contexte
socio-économique à une échelle plus large, dont la
pénétration dans les logiques socio-spatiales autochtones varie
d'un massif à l'autre. On peut pourtant retenir l'importance de la
dimension structurale des reliefs, de la situation géographique des
populations à l'intérieur même d'un massif, des
stratégies socio-économiques des sociétés, et des
contextes historiques.
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