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Les représentations dans la géographie : une approche à valoriser dans les pays du Sud (l'exemple des hautes terres d'afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale

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par David Leyle
Université Bordeaux 3 - DEA de géographie 2001
  

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1.2 Images et représentations de la montagne sur les hautes terres d`Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale: un constructeur spatial ?

Les montagnes ont une nature évocatrice pour le géographe, mais surtout, elles ont influencé, voire conditionné, les représentations que se font les groupes humains de leur environnement. A travers leurs croyances et leurs pratiques, les sociétés des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale ont progressivement construit des images de la montagne qu`elles se sont appropriées et qui jouent un rôle fondamental dans leur culture*, ainsi que dans leur gestion de l'espace.

Les communautés vivant sur des hautes terres sont volontiers caractérisées par leur forte identité, par l'attachement à leur terroir et à leurs coutumes, par des formes de culture variées et profondément marquées par les montagnes. Quelle symbolique peut-on voir derrière le rapport des sociétés à leur milieux montagnards ? Nous attacher à ce rapport métaphysique entre les communautés montagnardes et leurs reliefs contribue certainement à mieux comprendre les dynamiques paysagères des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale.

« Qu'une société africaine soit organiquement attachée à son terroir n'a rien de très commun. » (Morin, S., 1996). Par exemple, les populations du Fouta-Djalon ou celles des Monts Mandara sont attachées à leur terre, celle de leur clan, de leur famille, ou de leur lignage. Mais de quelle nature est le rapport des peuls musulmans à leurs hauts plateaux1, et quel est le rapport des Kapiskis animistes à leurs inselbergs granitiques2 ? Peut-on rapprocher les systèmes de représentations que véhiculent ces liens avec la montagne?

Pour cela, il suffit de se plonger dans les facettes culturelles de chaque communauté, auxquelles elles s'identifient et qu'elles construisent au fil des générations et des contextes locaux, pour s'apercevoir que les rapports des hommes à leur environnement présentent des aspects multiples et contrastés. Et cela, même si parfois, en fonction des aires géographiques, il est possible de distinguer un fond socioculturel commun.

Nous ne pourrons ici aborder la totalité de ces éventails culturels, compte tenu du large terrain d'étude et du grand nombre de communautés qu'il regroupe. Il s'agit de saisir l'importance du fait montagnard sur les représentations des individus.

La relation des hommes à leur milieu biophysique est rarement matérialiste et fonctionnelle. Au-delà de l'économique et du technique, l'environnement montagnard et son influence sur l'organisation spatiale des activités est perçu et interprété de manière imagée, symbolique, comme nous le montre Morin S. au sujet des sociétés de la dorsale camerounaise. Dans un essai de généralisation3, l'auteur met en

1 voir illustration de la première partie (présentation)

2 voir illustration de la deuxième partie (présentation)

3 « [...]même si toute tentative de généralisation doit être menée avec précaution. » (Morin, S., 1996)

évidence des faisceaux culturels communs entre les sociétés et constate que certains sont fortement marqués par les milieux montagnards.

En ce qui concerne le rapport à la terre ou au terroir, toutes les communautés vouent un attachement à leur montagne bien plus que symbolique, même si celui-ci varie en fonction des ethnies. Morin, S., le qualifie d'organique, à l'image de la chefferie dans les Grassfields qui est « la traduction spatiale des structures sociales et des représentations propres aux habitants [...]. Ainsi, pour tous, la terre, c'est d'abord la montagne, le pays habité par une association de villages et de clans. Il existe une relation existentielle des sociétés montagnardes à leur milieu, et un attachement viscéral des populations à leur terroir et à leur village » -en somme, à leur territoire-. « Seul le massif est perçu par le montagnard comme sa vraie patrie » (Seignobos, C., 1982) .

On retrouve ce sentiment chez les migrants. Malgré leur exode vers la plaine ou la ville, ils restent imprégnés de leurs croyances vis à vis de la montagne d'origine. En pays Bamiléké se préserve et se cultive l'adhésion à un idéal commun : la valorisation de la chefferie d'origine, où l'on doit construire et investir, car le Bamiléké est mis en contact avec ses ancêtres dès sa naissance, et à sa mort, il y sera définitivement remis à sa terre (voir note 17) (D'après Tchawa, P., 1991 et 1997). Le même constat est valable pour les populations du Fouta-Djalon.

L'auteur souligne l'image de la panthère dans les massifs de la dorsale camerounaise, qui reste fortement présente et associée à la sorcellerie ainsi qu'au pouvoir. Sa furtivité et sa réputation de prédateur fait que « la panthère jouit d'une aura maléfique en même temps que d'une réputation de beauté et de puissance. En bref, elle résume les attributs d'un chef. » Malgré sa disparition progressive de la faune dans les zones fortement peuplées, elle demeure ainsi une figure emblématique des puissants (Grands, Princes et les Fon), et un lien avec les esprits des montagnes (les Margay). Elle joue donc un rôle social essentiel, qui « apparaît lié au pouvoir et à son origine : la terre ou la montagne ». Dans les croyances des communautés de ces massifs, aucun autre animal, même jouant un rôle comparable, « ne s'assimile à la montagne comme la panthère ».

Nous avons vu précédemment que les reliefs de la dorsale camerounaise influencent les régimes pluviométriques et hydrologiques. L'eau est également une source de représentations en fonction de son abondance, ou de sa rareté, et de ses rythmes saisonniers. Même si l'auteur souligne la banalité de ce fait dans les sociétés rurales africaines, il en souligne les spécificités montagnardes : là où l'eau est abondante, « elle est considérée comme source de fécondité et de puissance. Dans les montagnes sèches [...], ce sont les points hauts plus humides et le retour de la saison des pluies qui focalisent les attentions1 ». Dans les Monts Mandara, le Prince, Chef de pays, est également Chef de la pluie. Notwa C. (1976) remarque que dans les Grassfields, les rivières et les lacs sont de véritables mystères, source de fécondité, mais également de danger, lieux de réunions d'esprits maléfiques, de sorciers anthropophages ; pierres de pluies (Ksof), arc-en-ciel divins et faiseurs de

1 voir la céane du Mont Ziver (doc.10).

LA BOUCLE HISTORIQUE DES PEULS

Source: Pelissier P., 1995.

DOCUMENT 11

SYSTÈME DE DÉFENSE VÉGÉTAL ET MINÉRAL

DOCUMENT 14

Source: Seignobos, C., 1982.

« Des populations proches de celles des Mandaras méridionaux, comme les Mofou Mokong, placés sur une voie de pénétration facile, que favorisaient la présence des mayo (cours d'eau), avaient raffiné leur système de défense, face aux éventuels envahisseurs ou pilleurs, mais aussi face aux animaux sauvages (Seignobos, C., 1982)

pluie1 aux pouvoirs surnaturels témoignent des rapports mystiques des populations à l'eau.

L'élevage taurin présente un contraste racial avec celui des plaines. La recherche de pâturages viables serait même à l'origine du peuplement montagnard. Le pastoralisme s'intègre de différentes manières dans le système agraire, en fonction des espaces cultivables disponibles ; il pèse donc sur l'organisation territoriale. Au-delà de sa fonction pastorale, le bovin présente une marque sociale forte : il est une forme d'épargne et surtout, sacrifié lors de la fête de la Maray (Monts Mandara) ou Nàgnàppõ (Monts Alantika), il participe à une cérémonie essentielle de la vie sociale, qui précise les rapports entre les individus dans le cadre de la communauté. Le bovin représente une marque de prestige social dans toute l'Afrique de l'Ouest et Centrale, comme on peut le constater avec la boolatrie des peuls (ou fu l bés).

En témoigne le mil, les cultures agricoles sont également sujettes aux représentations populaires. Cette céréale n'est plus cultivée sur les Hautes Terres de l'Ouest, concurrencée par les tubercules et par les cultures de rentes. Mais dans les montagnes sèches, le mil participe toujours à l'autosuffisance alimentaire dans les associations de culture2, et surtout, « le mil est prince et commande les relations sociales >>. Il est utilisé comme monnaie d'échange (chez les Dowayo), comme matière première de la bière locale ; dans les Mandara, le Prince est maître du mil et assure la pérennité du groupe en cas de soudure alimentaire difficile. Ainsi, fondement du système agraire « le mil participe à un système socio-spatial quasi fermé qui fait de ces montagnes soudano-sahéliennes des entités homogènes et équilibrées capables de pratiquement vivre sur elles-mêmes3 [...]. >>

On retrouve l'importance des productions céréalières dans les représentations des groupes sociaux à travers la marque des greniers à grains, éléments centraux dans les concessions familiales puisque « le nombre et les dimensions des greniers indiquent le degré d'opulence de leur propriétaire >> (Maquet, 1962). « Leur présence révèle de ce fait les structures des sociétés devenues de ce fait inégalitaires et hiérarchisées >>.

Le cas des Peuls peut également être souligné, puisque l'histoire de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique Centrale (voir doc.11) montre que ces pasteurs sahéliens - dans leurs migrations vers le Sud- ont installés leurs parcours de pâture à la limite sud de la zone soudanienne en plaine, comme dans le Nord Togo, le Nord Bénin où le Nord Cameroun. Ils se sont parfois sédentarisés (ou semi-sédentarisés) sur les hautes terres, à la recherche de pâturages pour leurs bovins (Fouta-Djalon, Atacora, Adamaoua, plateau de Jos... etc.). On peut remarquer que leurs zones d'installations montagnardes se situent de préférence sur des hauts plateaux tabulaires. Pour ces populations il existe également un fond socioculturel commun, vecteurs d'images et

1 Méto'o Beng sur les Hautes Terres de l'Ouest, Bi Yam dans les Mandara.

2 L'ouverture contemporaine des montagnes les plus enclavées a amené la culture du maïs, qui, en terme de production alimentaire (« le plat et la sauce >>) concurrence progressivement celle du mil. 3 « Les projets de développement n'ont pas de prise sur la montagne. L'économie y connaît un tel degré d'efficacité qu'elle ne semble pas perfectible. >> (Seignobos, C., 1982)

de représentations sociales et spatiales. On peut suggérer que celui-ci trouve ses fondements principalement dans l'Islam, dans le rôle du pastoralisme, le commerce et l'importance des migrations dans les dynamiques spatiales. Et ce, même si lors des phases de peuplement chacune des communautés peules a intégré -rarement l'inverse- en partie les cultures trouvées sur place ; en effet, maraboutage et fétichisme local s'intègrent dans une certaine pratique de la religion musulmane.

Mais dans le cas de cette grande communauté de la zone soudanienne et sahélienne, l'influence de l'environnement écologique montagnard est bien plus difficile à cerner. Existerait-il des gradients dans les représentations des milieux montagnards, en corrélation avec ceux des environnements écologiques ? « La spécificité d'image trouve toujours quelque part une traduction matérielle. » (Debarbieux, B., 1989).

Malgré la diversité des milieux écologiques et les trajectoires historiques de chaque communauté, partout ont été élaborés des systèmes d'exploitation très savants, fondés sur des relations existentielles des sociétés avec la terre. Ces faisceaux culturels communs aux sociétés de la dorsale camerounaise, induisent des représentations -aux nombreuses déclinaisons locales- de leurs milieux montagnards. Par contre, étendre ce constat à l'ensemble du terrain d'étude serait hasardeux, non seulement par manque de matière bibliographique (notamment sur l'Atacora et les Monts Nimba), mais aussi car les fondements historiques et culturels des civilisations étudiées présentent de multiples variantes. L'exemple localisé de la dorsale camerounaise se veut révélateur de la force symbolique et mythique des milieux montagnards, mais il convient de ne pas généraliser ; l'exemple moins convainquant des peuls incitant à la prudence (même si ce dernier mériterait d'être approfondi) pour ne pas tomber dans l'environnementalisme ou le déterminisme à outrance. « Le facteur montagne en tant que milieu biophysique n'importe-t-il pas moins que le contexte social, économique, culturel dans lequel il s'inscrit ? » (Debarbieux, B., 1989)

Selon différents gradients physiques mais surtout culturels, les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale portent la marque des sociétés qui y vivent, qui les ont aménagées en inscrivant sur leurs versants les signes de leurs structures socio-économiques, et de leur vision du monde à travers les représentations qu'elles s'en font (voir doc.12 et 13). On retrouve les représentations, notamment montagnardes, à la base du sentiment identitaire des communautés lorsqu'elles concernent la terre, le terroir ou l'environnement écologique. La portée des représentations s'étend à toutes les activités humaines, et plus particulièrement aux activités agricoles. Les productions sociales de l'espace ne sont pas dissociables de leurs significations, perceptibles dans les paysages.

Sources:

1: extrait du cro quis de la chefferie de Bandjoun, et 2: photographie aérienne de la chefferie de Baleng.d'après Morin, S, 1996.

3: haie dans la « plaine » des Timbis (Fouta-Djalon). Cliché: Beuriot M. & Leyle D., 2000.

4: extrait de la carte IGN de Labé (1956). Village de Poréko , au Nord proche de Labé.

Le rapport des hommes à leur terre, leur attachement à leur territoire, s'exprime dans l'espace par des marquages originaux; le bocage en est un exemple, que l'on retrouve fréquemment sur les hautes terres d'Afrique de l'Ouest.

La haie du bocage Bamiléké (1 et 2), à l'image de celle du Fouta-Djalon (3 et 4), se développe d'abord autour de la concession car elle est limite, borne et signe d'appropriation. Mais également, la clôture, marque la frontière entre le clos, domaine restreint des cultures, et l'ouvert, vaste domaine des jachères, de la brousse, autrement dit des pâturages. Morte ou vive, la haie est « un trait d'union entre l'agriculture et l'élevage >> (C. LaugaSallenave, 1996). La présence de barrières est destinée à protéger les cultures contre l'appétit féroce du troupeau.

« L'élevage, c'est le totem du Peul >>*. Les Peuls du Fouta-Djalon revendiquent encore de nos jours leurs racines de pasteurs. La célèbre boolatrie peule et ce qu'elle représente pour eux s'exprime également à travers les paysages, dans ce bocage caractéristique (3 et 4).

*(El Hadj Dioulde Sow, Lingui Ferobe, sous préfecture de Popodara, 2000, enquètes personnelles)

La chefferie de Baleng, la plus ancienne du Pays Bamiléké. Paysage de collines polyconvexes et de bas-fonds humides à raphiales sur substrat volcanique. La chefferie s'organise dans une clairière nichée dans une relique de forêt dense en bas de versant . (Morin, S, 1996)

2

3

1

DOCUMENT 12

53 bis

4

LES REPRÉSENTATIONS DANS LES PAYSAGES _ LES PAYS DE BOCAGES

LES REPRÉSENTATIONS DANS LES PAYSAGES _ L'HABITAT

DOCUMENT 13

L'exemple de la dorsale camerounaise nous démontre que les représentations façonnent les paysages des individus et des sociétés: en témoigne l'exemple des unités d'habitat:

Ci-dessus, la chefferie de Bangwa (Bamiléké), étudiée par Pradelles de Latour, H., 1972). On remarque que les éléments sacrés, dont les ossuaires de la panthère en bord du allée centrale (Mbutsué) menant à la place principale (Seto), occupent une situation importante dans ce haut lieu pour les Bangwa; en effet, pour eux, le palais du Mfo (Roi), dont on distingue le labyrinthe de ses quartiers, est la Tête du Monde (Tsuâgguong). Alors que la chefferie se situe en proximité d'un bas-fond.

A gauche, ce croquis d'une concession Mofou (Mts Mandara) met en évidence les greniers de l'homme (1), de la femme (2), et la case-brasserie où l'on fabrique la bière de mil (3), ainsi que la case réservée au boeuf sacré, sacrifié lors de la fête de la Maray (4).

Source: Seignobos, C., 1982 Réalisation montage: Leyle, D., 2001

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite