L'intérêt pour les espaces montagnards
émerge au XVIIIème siècle à travers le
regard des artistes et des romanciers (voir annexe 4): attractive et
mystérieuse, la montagne par sa dimension métaphysique et
imaginaire captive celui qui s'y intéresse. Probablement liée
à cet engouement, la problématique de la montagne apparaît
à la même époque dans les sciences naturelles. Les reliefs
montagnards deviennent un terrain d'étude privilégié pour
la diversité des écosystèmes qu'ils offrent aux
scientifiques européens. Ces milieux sont ainsi perçus à
l'époque comme une véritable « mosaïque de formes
naturelles » : « c'est dans la montagne que l'on doit principalement
étudier l'histoire du monde » (Deluc, J.A., 17781). Dans
la même période, l'utilisation des gradients altitudinaux permet
aux scientifiques d'effectuer des expérimentations (climatologie,
botanique, géologie) qu'ils n'auraient pu réaliser en dehors des
milieux montagnards, faute de moyens techniques suffisants.
Les images péjoratives des sociétés
vivant dans ces milieux se construisent dans le milieu scientifique dans le
même temps2 : on croit alors qu'elles ont de faibles
capacités de transformation et d'aménagement de leur
environnement ; en tout cas bien moindres que les plaines environnantes. La
nature y est moins maculée de l'empreinte de l'homme, plus virginale ;
elle est donc perçue comme étant « un musée de la
nature, une mémoire de la terre, un conservatoire des formes originelles
» (Debarbieux, B, 1989). Ces différentes perceptions et
1 Deluc, J.A., lettres physiques et morale sur les monta gne
, La Haye, 1778 p. 127.
2 Pour les populations vivants sur les piémonts
montagnards, ces images existent depuis bien longtemps déjà.
1 Dupaigne, A., les montagnes, Tours, 1873, p.35
représentations des réalités
géographiques montagnardes sont devenues les fondements de la
spécificité des ces milieux.
Fortement influencé par le déterminisme
environnemental et sa démarche de causalité directe, le discours
sur les humanités montagnardes évoque des images : < il suffit
de prononcer le mot de < montagnard » pour éveiller
l'idée d'un homme robuste, actif, persévérant, brave,
généralement honnête et de bon sens, aimant la
liberté, enfin, sincèrement religieux » (Dupaigne, A.,
18731). Mais cette vision des montagnards a également son
antithèse : < Pour les gens de la plaine et des villes, les habitants
des régions de montagne ont souvent la réputation d'être
traditionnels, conservateurs, passifs ou même rétrogrades. »
(Messerli, B. et Ives, J.D., 1999), voire même celle de sauvages,
d'hommes sous-civilisés ; cette vision du montagnard reste
prégnante dans les hauts reliefs tropicaux, où l'on oppose la
plus grande modernité des plaines et des côtes,
considérées comme des espaces centraux, à la tradition des
périphéries montagnardes enclavées, isolées.
Les particularismes des sociétés vivant dans
les milieux montagnards sont nés des représentations de < ceux
d'en bas » : valorisant au XVIIIème siècle,
dévalorisant au XIXème siècle. Il est probable
que ces discours péjoratifs ont contribué, et contribuent
aujourd'hui encore, à développer les identités
montagnardes des populations qui y vivent ; d'autant plus que les espaces
montagnards deviennent à notre époque des enjeux
socio-économiques importants. Les opérations d'aménagement
et les projets qui s'intéressent de nos jours aux milieux montagnards ne
sont-ils pas la reconnaissance de leurs spécificités ? Ou
traduisent-ils les représentations de ceux qui les conçoivent,
envers ceux qui en sont (ou qui voudraient en être) les destinataires
?
Les évolutions contemporaines des discours
scientifiques sur les montagnes n'ont que peu altéré cette
spécificité d'objet, sa réalité biophysique ne
pouvant être remise en cause, mais ils intègrent progressivement
les images propres que véhiculent ces milieux : < la montagne telle
qu'on la perçoit est un outil de l'esprit, un mythe [...] ; à ce
titre elle entre donc, dès les origines, comme un élément
essentiel de la structuration sociale de l'espace » (Bozonnet, J.P.).
Ainsi, le géographe, l'ethnologue ou encore le
développeur, observateurs des montagnes, de leurs
phénomènes et des sociétés, doivent avoir à
l'esprit que leur volonté d'objectivité, si toutefois elle
existe, subit l'influence de leurs propres images, de leurs propres
représentations. En fonction de leur culture, de leurs parcours humains
et scientifiques, de leurs points de vues, les manières de voir et
d'apprécier la réalité montagnarde sont
inévitablement influencées par leurs systèmes de
représentations (voir note 16). Nous avons affaire ici à un
filtre majeur dans l'approche et la compréhension des
représentations en milieu tropical montagnard.