2. DES MILIEUX AUX APTITUDES SPÉCIFIQUES ?
Les caractères biophysiques des
écosystèmes des milieux montagnards, sont largement
influencés par la verticalité. Pour Messerli, B., et Yves, J-D.,
(1999), dans la recherche d'une définition des
spécificités des milieux écologiques montagnards, il est
seulement vrai que les montagnes sont des régions possédant un
relief accentué qui influence le climat, la fertilité des sols,
la végétation, l'instabilité des versants et leurs
commodités d'accès.
Les modifications des conditions climatiques zonales par la
verticalité peuvent s'apprécier selon un
référentiel de gradients : l'étagement bioclimatique (voir
doc.7) ; cet stratification écologique est souvent retenue comme un
critère spécifiquement montagnard (Lassère G., 1983,
Messerli, B., et Yves, J-D, 1999, Chardon, M., 1989...etc.), bien que les
limites ne soient qu'approximatives et dépendantes d'une multitude de
facteurs locaux.
D'un point de vue global, notre terrain d'étude se
situe dans la zone bioclimatique intertropicale et de ce fait subit le
balancement saisonnier du FIT1, qui, combiné à
l'influence océanique, détermine une gradient latitudinal des
conditions bioclimatiques en l'Afrique de L'Ouest et d'Afrique Centrale (voir
carte p. 4bis, doc.8 et doc.9). Etirés chacun selon un axe N-S, les
massifs étudiés se dressent face aux flux dominants,
l'harmattan2 et la mousson3. Ainsi l'altitude influence
les régimes
1Front intertropical
2 Alizé continental sec et chaud en provenance de
l'anticyclone saharien (secteur N-E).
3 Alizé maritime chaud et humide en provenance de
l'anticyclone de Ste Hélène (secteur S-W).
CEINTURE DE VÉGÉTATION DANS LES
MONTAGNES TROPICALES HUMIDES, SEMI- HUMIDES
À SEMI-ARIDES ET ARIDE
Localement la valeur des températures et des
précipitations peut varier
Source: d'après Ellenberg (1975), Klötzli (1976,
1991) Réalisation: Messerli, B., et Yves, J-D., (1999)
|
|
DOCUMENT 7
MÉCANISME DU F.I.T.
43 bis
DOCUMENT 8
thermiques et pluviométriques des hauts reliefs.
Globalement, les précipitations y sont plus importantes et les
températures plus fraîches, même si l'exposition aux flux
crée des dissymétries à l'intérieur d'un même
massif, comme le montre l'exemple du Fouta-Djalon (voir note 14). D'une
manière générale, dans la zone étudiée, les
façades Sud et Quest sont plus fraîches et plus arrosées,
à l'inverse des façades Est et Nord.
En raison de leurs caractéristiques morphoclimatiques,
la majorité des fleuves et des rivières prennent leur source en
montagne et représentent une grande partie de la ressource en eau du
globe ; ce fort potentiel hydrologique se confirme en Afrique de l'Quest et en
Afrique Centrale, où de nombreux grands fleuves prennent leur source
dans les massifs montagneux (voir carte p.4 à 11), à l'image du
fleuve Niger dans la dorsale guinéenne1. La forte
capacité hydrologique des hautes terres du terrain d'étude,
constitue une ressource non négligeable, plus particulièrement
sous les latitudes tropicales à tendance sèche (Monts Mandara).
La plus grande présence d'eau sur les hauts reliefs permet la mise en
valeur d'espaces agricoles proches des zones humides, les « bas-fonds
». Mais les régimes pluviométriques,
DOCUMENT 9 : Localisation et climats des massifs
montagnards du terrain d`étude
|
Massif montagnard
|
latitude
|
longitude
|
type de climat
|
dorsale guinéenne
|
Fouta-Djalon
|
11° N
|
12° W
|
soudano-guinéen
|
|
8°N
|
8°W
|
guinéen
|
chaîne de l'Atacora
|
Nord de l'Atacora (Bénin-Togo)
|
10°N
|
2°E
|
soudano-guinéen
|
|
8°N
|
1°E
|
guinéen
|
dorsale camerounaise
|
Monts Mandara
|
1 0°N
|
1 4°E
|
soudano-sahelien
|
|
9°N
|
1 2°E
|
soudano-guinéen à tendance sèche
|
|
7°N
|
13°E
|
soudano-guinéen à tendance humide
|
|
6°N
|
1 0°E
|
camerounien, ou de mousson équatoriale
|
|
4°N
|
9°E
|
|
climat sahélo-soudanien:
400-900 mm de pp (1100 mm pour les Monts Mandara), 28°C de
moyenne, deux saisons dont une sèche de 7 mois.
climat soudanien: 900-1500mm de pp (
1300 mm pour les Monts Alantika, 1600 pour le Fouta-Djalon), 28°C de
moyenne, deux saisons dont une sèche de trois à 6 mois.
climat guinéen: 1500 à
2000 mm de pp (2200 mm pour les Mont Nimbas, 25°C de moyenne, quatre
saisons avec deux mois moins humides.
climat camerounien (d'altitude): + de
2000 mm de pp (jusqu'à 4400 mm sur les premiers reliefs de la dorsale),
21°C de moyenne, avec 0 à 3 mois moins humides.
NB : en ce qui concerne les précipitations, il faut tenir
compte de l'irrégularité inter-annuelle, allant parfois du simple
au double.
Source : Atlas Géographique (1998), Toupet, C.,
(1992)
|
|
1 Plus exactement dans le Sud du Fouta-Djalon, qualifié
excessivement de « château d'eau d'Afrique de l'Quest » (Akle,
M., 1983)
111:00CUMENT
99999 99999 99 9 99 99999 99
9 · 999999
9999999999
999999999999999999999
99999
999 99 9 4 .1
· ^44-%1 999999
ti
iuo
loom
11104LIMATOWn
§ · · dernairt
s ·Aarien
·
dgcruane wham Mar
5atiolork
cinerkune steels MEI &colt* {Weer'
|
FLux ATHMOSPHF11101.1FS
Hairgaelain !vent de Sactiri
settee
!Musson well de. 5315G111SeS
pilules?
|
|
LES GRANDES DIVISIONS BIOCLIMATIQUES
EN AFRIQUE DE L'OUEST ET CENTRALE
444 bis
combinés aux systèmes de versants, qui par
gravité accélèrent le ruissellement et
l'écoulement, accroissent les risques d'érosion. De plus, les
systèmes de versants réduisent la superficie des espaces
cultivables, plus rares et plus étroits qu`en plaine, ce qui implique
des organisations foncières et des techniques agraires anti-risques
(érosion, fertilité...etc.) adéquats, afin de
préserver la ressource agricole.
Les modes de production agricoles et pastoraux, bien que
favorisés par la pédogenèse et une grande présence
d'eau, doivent ainsi développer une capacité d'adaptation et des
techniques de protection des sols pour maintenir une certaine
productivité et assurer la reproduction du groupe ; cette
dernière répond à des logiques et des stratégies
variables dans le temps et dans l'espace, que les sociétés
mettent en place (voir doc.1 0).
Mais bien plus que les caractères climatiques, la
verticalité influence également les biotopes, dans leurs
compositions, leurs adaptations aux conditions du milieu ainsi que dans leurs
formes de sociabilité : par exemple, le tapis végétal se
modifie au fur et à mesure qu'on prend de l'altitude, et ce d'un point
de vue floristique mais également morphologique. On trouve dans
l'écosystème de nombreuses espèces endémiques,
réfugiées dans les niches écologiques montagnardes au fil
des oscillations paléoclimatiques et des activités humaines
agricoles. Souvent convoités pour leurs ressources en bois et leurs
facultés de << protection des terroirs de versant1
», les forêts de montagne captivent l'attention de nombreux
organismes de protection de l'environnement. Ils dénoncent et luttent
contre la déforestation en montagne, méconnaissant souvent les
logiques qui poussent les individus à pratiquer l'essartage brûlis
ou le déboisement.
A chaque étage correspondent donc des
caractéristiques écologiques différentes et des aptitudes
variables pour les activités humaines. Dans les espaces tropicaux, de
nombreux scientifiques considèrent les montagnes, du fait de leur
verticalité et de ses effets, comme des milieux biophysiques avantageux.
Pour Demangeot J. (1996) ou Lassère G., (1983), à l'inverse des
montagnes tempérées ou froides, les montagnes tropicales sont des
milieux favorables aux hommes ; pour Morin, S. (1996), << la dorsale
camerounaise dans sa partie septentrionale se comporte souvent comme une
île au-dessus des flux de mousson chauds et hyperhumides, dominant les
basses terres forestières engluées dans leur touffeur. » Les
hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale apparaissent alors
comme des milieux plus salubres, au << climat agréable qui
élimine la plupart des maladies de la plaine » : pour les pasteurs
peuls du Fouta-Djalon, de l'Atacora béninois et de l'Adamaoua, les
hautes terres verdoyantes et fraîches favorisent leurs
1 Terroir : Au sens strict, il s'agit d'un lieu défini
par des qualités physiques particulières : pente, exposition,
nature du sol. Au sens large, il renvoie à la campagne, à
l'activité agricole : << un terroir agricole fertile ».
Certains géographes spécialistes des espaces tropicaux, surtout
en Afrique, emploient terroir au sens de finage ; cet usage, quoique
établi, est source de confusion et devrait être
évité. (R. Brunet, les Mots de la Géographie)
Les billons du pays Bamiléké sont une technique
dont disposent les paysans pour limiter les pertes en terre; celles-ci
constituent un handicap pour la production, dans la mesure où la
ressource est limitée par le poids démographique (D'après
Rossi, G., 2000)
Cliché: Rossi G.
DOCUMENT 10
Les pratiques de gestion des risques, certes multiples et
variées, répondent notamment à des adaptations aux
contraintes du milieu biophysique: verticalité, altitude,
potentialités agronomiques, érosion, natures et variations
climatiques.
les stratégies et les techniques adoptées par
les communautés dans leurs activités de production marquent le
paysage de signes révélateurs des contraintes du milieu:les
pratiques antiérosives (en haut et ci-contre), la gestion de l'eau
(ci-contre) ou encore l'organisation des parcelles dans l'espace et dans le
temps (en bas et ci-contre).
Sommet du massif du mont Ziver (Pays Mafa): dans les
montagnes sèches de la dorsale camerounaise, les systèmes de
terrasses, associés à une certaine gestion des pâturages,
permettent de limiter l'érosion et de conserver la ressource en eau
pendant la saison sèche: « la cuvette sommitale est occupée
par deux pâturages reliés entre eux et clôturés
où convergent les terrasses [...]. Une source résurgente se
maintien toute l'année dans la partie méridionale. Ces
pâturages pourraient être la clef de voute anti-érosivede
cette vallée haute [...]. » (Seignoboss, C., 1982)
Cliché: Seignoboss, C.
Le système des jachères du Fouta-Djalon est un
élément central dans la structure agraire: par ses rotations
élaborées, il permet après une période de culture
la régénération de la végétation «
spontanée », qui protège les sols et facilite leur
fertilisation. Ce système n'est cependant efficace que dans un contexte
ou la pression démographique n'engendre pas une colonisation agraire de
toutes les terres.
Cliché: Beuriot M, & Leyle D., 2000
45 bis
QUELQUES PRATIQUES DE GESTION DE
L'ENVIRONNEMENT
élevages bovins et caprins, à l'abri des
glossines, de la trypanosomiase et des mouches tsé-tsé.
<< La montagne est tantôt << plus »,
tantôt << moins » que ce qui l'entoure » (Debarbieux, B.,
1989). Elle adoucit certains phénomènes biophysiques
(sécheresses cycliques, touffeur équatoriale), créant des
milieux convoités pour leurs ressources (hydrologie, sols, ressources
végétales) ; mais elle en exacerbe d'autres (érosion et
ses risques) nécessitant des modes de gestion de la ressource
particulières et souvent complexes par les sociétés.
Nous constatons qu'en terme d'aptitudes, les massifs
d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale présentent de nombreux
contrastes longitudinaux et altitudinaux conditionnés par les
caractères morphoclimatiques zonaux. La diversité y est grande :
des << pays de déluges »1 fortement boisés
des montagnes intertropicales humides (Monts Nimba, parties méridionales
de l'Atakora, et de la dorsale camerounaise) aux formations sèches des
Monts Mandara soudanos-sahéliens, l'éventail des milieux est
large ; les aptitudes et les potentialités différentes. Ces
dernières peuvent évoluer rapidement dans le temps et dans
l'espace: lorsque des changements sociaux perturbent la gestion des milieux,
l'exacerbation des contraintes biophysiques entraîne parfois des
bouleversements rapides, souvent désastreux. Les montagnes sont des
milieux dynamiques.
Le rapport contraintes / avantages de l'environnement
écologique peut-il être un facteur influent sur les
représentations des individus ? Il nous semble que la
réalité biophysique d'un milieu montagnard2, aux
caractères particuliers induits par la verticalité, appelle des
représentations le concernant ; en témoignent par exemple les
cérémonies ou les rites liés aux pratiques agricoles,
pouvant être des repères forts, voire incontournables, dans les
modes de mise en valeur et leur organisation dans le calendrier agricole. Nous
pensons que la nature du rapport précédemment
évoqué peut-être déterminante dans les
représentations. Un milieu soumis à de fortes contraintes
engendre-t-il des images mentales négatives pour les populations ?
L'inverse est-il également valable ?
Ces interrelations sujet - objet sont difficiles à
saisir et dépendent également d'une multitude de facteurs
exogènes ainsi que des stratégies socio-économiques
(enclavement, dynamisme économique et démographique... etc.) des
sociétés. Leurs territoires s'intègrent dans un contexte
national, voire international. De ces facteurs découlent les
représentations que vont se faire les individus de leur environnement
écologique montagnard.
1 (Morin, S., 1996).
2 La notion de gradient concernant les milieux montagnards des
terrains d'études que nous avons choisi doit rester à l'esprit de
chacun, compte tenu des multiples facettes qu'il présente.
CHAPITRE 2 :
LA DIALECTIQUE REPRÉSENTATIONS-MILIEUX MONTAGNARDS EN AFRIQUE DE L'OUEST
ET EN AFRIQUE CENTRALE: QUELLE REALITE GÉOGRAPHIQUE?
|
|
« Etre géographe aujourd'hui, c'est admettre que
l'espace en soi n'existe pas ; que cet espace ne devient objet d'étude
que par les significations et les valeurs qui lui sont attribuées par
chacun de groupes utilisateurs » (Gumuchian, H.). Certaines
caractéristiques des hautes terres peuvent-elles influencer les
représentations des sociétés qui y vivent, ainsi que
celles du chercheur ? Le fait que les montagnes soient des objets
géographiques vecteurs d'un puissant imaginaire social (Bailly, A.,
Debarbieux, B., 1995) nous amène à nous interroger sur les
interactions entre ces milieux montagnards, les représentations des
sociétés qui y vivent, et celles du géographe
confronté à leur étude.
Approcher les représentations des communautés
implantées sur les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique
Centrale est utile à la compréhension de leurs dynamiques
spatiales. Nous nous pencherons ainsi sur les liens qui existent entre les
représentations et leur milieu, les comportements démographiques,
les structures sociales et les structures territoriales supérieures.
Leurs traductions spatiales peuvent améliorer nos connaissances, sur les
convergences ou les différences, des logiques de territorialisation de
ces sociétés.
Nous touchons là encore à un débat sur
le fait social en montagne, sur sa spécificité difficile à
démontrer : il semble plus aisé de mettre en évidence des
invariants ou des corrélations concernant les caractères et les
mécanismes biophysiques des milieux montagnards1, alors que
cela apparait plus difficile dans le cadre des sciences humaines et sociales ;
l`approche systémique est un outil de compréhension des
sociétés étudiées : elle en souligne
l'extrême complexité et fait appel à de larges
connaissances. Mais on ne peut affirmer la spécificité sociale
des milieux montagnards étudiés, il nous est juste possible de la
suggérer et se question ner.
1 Même si ceux-ci ne sont pas toujours évidents,
dépendants également des méthodes et des techniques de
recueil et de traitement des données collectées
|