Nous venons de cerner le concept des représentations,
son rôle sur les comportements spatiaux des individus et des
sociétés, ainsi que ses approches méthodologiques ; cette
démarche nous paraît une nécessité pour pouvoir
maintenant justifier le rôle des représentations dans
l'amélioration des connaissance géographiques, et leur
utilisation dans la mise en place de projets, à l'aide d'exemples plus
concrets.
Le choix des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique
Centrale comme terrain d'étude s'inscrit dans la recherche
d'unités socio-spatiales distinctes pour appréhender les
représentations, en suivant l'approche territoriale que nous avons
défini plus haut. Nos préférences, pour des raison
notamment bibliographiques, se sont donc portées sur ces hauts reliefs
d'Afrique de l'Ouest :
· la dorsale guinéenne (rép. de
Guinée), comprenant le massif du Fouta-Djalon et les Monts Nimba (voir
carte p. 8 ).
· la chaîne de l'Atacora s'étendant du N-W
Bénin au S-W Togo, comprenant l'Atakora, le Plateau Kabyé, les
Monts Fazao et les Monts Togo (voir carte p.9 et 10 ).
· la dorsale camerounaise (Cameroun), aux
frontières de l'Afrique centrale, comprenant le Mont Cameroun, les
Hautes Terres de l'Ouest, l'Adamaoua, les Monts Alantika et les Monts Mandara
(voir cartes p 11 ).
Nous avons souhaité travailler dans des milieux <
montagnards », car ces derniers ont en effet été longtemps
reconnus comme des espaces aux caractéristiques biophysiques,
socio-économiques et culturelles < spécifiques » ; le
discours peut aujourd'hui être nuancé, notamment grâce aux
travaux réalisés sur les représentations.
Mais < La montagne ne doit pas être une simple
légitimation d'une démarche scientifique » (Debarbieux, B.,
1989). Il s'avère donc essentiel de s'attarder non seulement sur la
composante montagnarde en milieu tropical, en tant qu'objet
géographique, avec ses réalités environnementales
(biophysiques, socioéconomiques) pouvant influencer les
représentations, mais aussi sur ces montagnes en tant que qu'image
culturelle et sociale forte. Se pencher sur la dialectique milieux
montagnards-représentations semble une étape utile à la
compréhension des systèmes de représentations des
individus et des sociétés de notre terrain d'étude.
L'intérêt est d'autant plus grand que s'annonce
en 2002 < l'année internationale de la montagne », sous
l'impulsion de l'Agenda 21 Chapitre 13, établit lors de la
CNUCED1 de Rio en 1992 et du Bilan du Sommet de la Terre en 1997,
par l'ONU (voir note 11). Désignés comme < espaces sensibles
à protéger et à
1 CNUCED : Conférence des Nations Unies sur
l'Environnement et le développement, généralement
appelé < Sommet de la Terre ».
aménager» (Messerli, B., et Yves, J-D., 1999), il
existe aujourd'hui un engouement pour les milieux montagnards, vecteur de
multiples projets à venir. De plus les mêmes auteurs constatent
que dans les montagnes et sur les hauts plateaux se retrouvent la
majorité des espaces protégés sur la plan de
l'environnement. Alors, dans ce contexte, s'intéresser de plus
près à la spécificité de ces milieux nous semble
opportun.
Nombreux sont les auteurs qui évoquent la
verticalité et ce qu'elle implique sur les dénivellations comme
l'une des principales caractéristique des milieux
montagnards1. Mais, à partir de quel seuil cette
verticalité peut être annonciatrice d'une montagne ? Ce seuil
n'existe pas de manière objective, et les débats ouverts à
ce sujet sont nombreux, mais pour notre part on se réfère plus
particulièrement à la discontinuité du paysage, dans la
lignée de Thouret J-C., Debarbieux, B., (1989) pour lesquels < Toute
morphologie est liée à une discontinuité des
propriétés du milieu ; la montagne, pour être une forme
géographique, doit pouvoir répondre à ce critère de
discontinuité >,.
Les montagnes se distinguent donc dans le paysage par leur
massivité, par la rupture qu'elles constituent avec les reliefs
environnants (voir note 13); l'exemple de l'Afrique de l'Ouest montre bien la
relativité du fait montagnard et l'importance des gradients.
Les reliefs2 sont appréciés et
mesurés au moyen du paramètre altitudinal : ils se distinguent
ainsi par cette composante verticale qui en fait des espaces a trois
dimensions.
Les deux grandes lignes des relief les plus à l'Ouest,
la dorsale guinéenne et la chaîne de l'Atacora sont des ceintures
montagneuses relativement étendues. La première se déroule
sur un axe nord-sud de la Guinée-Bissau à la Côte d'Ivoire;
on y distingue le massif du Fouta-Djalon et ses hauts-plateaux au Nord et la
< constellation >, des massifs du Sud dominée par les Monts Nimba
(1752 m) (voir carte p. 8). Alors que la seconde dorsale, orientée N-E /
S-W du Niger au Ghana, d'aspect étroit3, est
constituée de vigoureux reliefs à ses extrémités
Nord (641 m) et Sud (920 m), ainsi que des résidus de massifs
épars en son centre (voir carte p. 9 et 10) ; bien que d'altitude
relative, ces reliefs entaillent les monotones étendues planes qui les
entourent.
Nous sommes ici sur des vieux massifs érodés,
au relief caractéristique des hauts contreforts et des cascades en
marche d'escalier, avec un modelé tabulaire profondément
entaillé, guidant le réseau hydrographique. Ces dorsales sont
pourtant < récentes >, dans l'histoire géologique de
l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique Centrale puisqu'elles ont d'abord
été des zones tectoniques déprimées du bouclier
africain, dans lesquelles se sont déposés des sédiments.
Relevés par des mouvements verticaux, ces massifs sont ainsi assis sur
des roches sédimentaires traversées par des venues volcaniques
basiques, recouvrant le socle granitique.
1 Morin, S., Debarbieux, B., Messerli, B., Yves, J-D, Brunet,
R.,...etc.
2 Il paraît évident que nous excluons ici les
micro-reliefs.
3 Guère plus de 50 km de large.
La dorsale camerounaise, est composée de
véritables « citadelles » et « murailles
»1 qui s'étendent selon un axe N-W / S-W du Cameroun au
Tchad en longeant la frontière Nigériane. Il s'agit là
encore du socle granitique soulevé par des mouvements tectoniques,
fortement intrusé par des venues volcaniques, formant le grand appareil
central (Mont Manengouba : 2396 m). Ainsi dominés, ces hauts plateaux en
marches d'escalier délimités par de grands escarpements (Hautes
terres de l'Ouest, Monts Alantika, Monts Mandara, l'Adamaoua, entre 1000 et
2000 m), surplombent les plaines et les bas plateaux environnants.
Le travail de l'érosion et de la tectonique toujours
active a fortement fracturé et entaillé ces reliefs : d'aspect
austère, disséqués, compartimentés et fortement
encombrés de roches arrachées au reliefs pour les reliefs
cristallins (Monts Alantika) ; pour les reliefs volcaniques, sous la forme de
vastes plateaux découpés, modelés en demi-oranges ou en
hauts bowé2 pour les plateaux et sous la forme de gorges ou
de caldeiras3 pour les grands appareils de la dorsale.
Ainsi, il est possible de rapprocher ces différents
massifs dans les processus géomorphologiques de leur genèse, dans
leurs pédogenèses, dans leur domination sur les plaines
périphériques et leur discontinuité dans le paysage ;
certes ces milieux offrent des caractères différents entre eux en
terme d'altitude, impliquant des paramètres écologiques
contrastés sur lesquels nous reviendrons, mais les effets de domination
topographique existent dans ces massifs. Bien que ces derniers soient plus
prononcés sur les reliefs de la dorsale camerounaise que sur les autres
massifs étudiés, une vision globale de l'Afrique de l'Ouest et de
l'Afrique Centrale montre que ces ensembles émergent nettement dans la
morphologie de cette zone. Pour Morin S., ces allures de forteresses sont
fréquentes dans les massifs soudaniens et sahél iens.
La verticalité peut-être
considérée de plusieurs manières par les
sociétés qui y vivent : comme un avantage, car le commandement
des reliefs sur les basses terres périphériques peut constituer
une protection physique en cas de conflit (site de protections perchés,
observatoires, ...etc.), mais aussi comme un milieu qui semble plus
contraignant, puisque les systèmes de pentes ou de versants qui
déterminent le commandement et le compartimentage, impliquent des modes
de production, de communication et de protection de la ressource
appropriés au milieu : gestion des sols contre l'érosion,
préservation des ressources agricoles et pastorales... etc
De plus, notamment pour la dorsale camerounaise (le
compartimentage du relief y étant plus accentué) les niches
topographiques que constituent les hautes terres de l'Afrique de l'Ouest et
d'Afrique Centrale sont des terrains favorables à l'isolement et
à l'enclavement des sociétés y vivant, favorisant la
multiplicité des
1 Morin, S., 1996
2 bowé (bowal au singulier) : ces
cuirasses indurées Les formations consolidées sont
constituées de dépôts des cuirasses latéritiques et
ferrugineuses.
3 Grand cratère formé par effondrement ou par
explosion de la partie centrale d'un volcan (Georges, P., 1970)
Les chutes de la Saala entaillent les imposants contreforts
à Ouest des hauts plateaux centraux du Fouta-Djalon qui
s'élèvent au dessus de 1000 m.
Cliché: Beuriot M. et Leyle D., 2000
Les imposants Monts Mandara, vus du village de Rhumsiki (Pays
Kapsiki) au Nord de la dorsale camerounaise.
Cliché: Morin, S.
42 bis
DOCUMENT 5
Les Monts Nimba sont le point culminant de la dorsale
guinéenne à 1752 m au dessus de la Guinée
forestière.
http://www.unesco.org/whc/sites/155.htm
Escarpement vertigineux des Monts Alantika (dorsale
camerounaise) qui commandent l'aiguille de Saptou et les plaines
environnantes.(D'après Morin, S.)
Cliché: Morin, S.
Grand appareil volcanique de la dorsale camerounaise: la
caldeira des Monts Bamboutos qui s'élève au dessus de 2100
LES HAUTES TERRES D'AFRIQUE DE L'OUEST ET
CENTRALE
: DES MASSIFS IMPOSANTS...
...ET DES HAUTS PLATEAUX
Les Hautes Terres de l'Ouest du Cameroun; le pays
Bamiléké et la « douceur de ses paysages » (Morin, S.,
1996)
Cliché: Morin, S.
Plateaux du Sud de l'Atacora béninois, dans la
région de Boukombé.
www.isa-africa.com
42 ter
Les hauts plateaux du Fouta-Djalon, dans la région de
Labé, aux reliefs et aux pentes adoucies.
Cliché: Beuriot, M. et Leyle D.
DOCUMENT 6
groupes ethniques, avec leurs coutumes et leurs langages
propres : A propos des montagnes camerounaises, Balandier G. (in Morin, S.,
1996) écrit que « ces peuples montagnards accrochent leurs villages
aux pitons granitiques, et se révèlent très
attachés à leur montagne, non seulement pour des raisons de
sécurité, car elles jouent un rôle refuge, mais aussi pour
des raisons culturelles, car elles sont le lieu le plus sacralisé
».
Ainsi, au-delà du compartimentage et des
barrières physiques, pour les sociétés qui vivent sur ces
hautes terres (voir docs. 5 et 6) , la verticalité, la massivité,
apparaît comme un facteur déterminant, voir comme une constante
dans les images qu'elles produisent, dans les représentations qu'elles
se font de leur environnement écologique. Toutefois, peut-on
établir qu'il existe une corrélation entre la vigueur ou la
massivité d'un relief et la fréquence ou l'intensité des
représentations qu'il véhicule ? La démonstration semble
délicate.