Depuis que les recherches sur les représentations ont
intéressé les sciences sociales, de nombreuses méthodes
sur leur « mesure » ont été
expérimentées. Les concepts et les théories nous apportent
des réponses, puisqu'ils servent à qualifier
les représentations, mais ces démarches et les
conclusions qu'on peut en tirer sont soumises à nos propres
représentations : < l'interprétation des valeurs qui attachent
les hommes à leur espace, les sociétés à leurs
territoires est soumis aux représentations du géographe »
(Frémont, A, 1974). Par contre en ce qui concerne leur quantification,
la difficulté est plus grande ; il est vrai qu'il existe des
modèles élaborés par la psychologie et la sociologie (voir
annexe 3). Ces méthodes sont elles transposables à la
géographie ? Peuvent elles être utilisables, applicables dans le
cadre que nous nous sommes défini ? Nous n'avons pas la
prétention d'y répondre mais nous essayerons de mettre en
lumière certains problèmes qui se posent au géographe dans
l'appréhension < concrète » des
représentations.
Pour Brunet R. (1974), même si la quantification peut
s'avérer être un outil référence de la
géographie, la recherche de modèle mathématique concernant
les représentations est difficile à mettre en place. De plus,
dans ce cadre, il ne lui apparaît pas évident que tout
conceptualisation doit aboutir à un modèle mathématique.
Les modèles de détermination des représentations
inspirés des autres sciences sociales sont à manier avec prudence
: soit ils imposent d'aborder les représentations à une
échelle réductrice, celle de l'individu ou du microcosme social,
comme dans la psychologie cognitive ; soit leur caractères
généraux et rigides1, peuvent occulter ou minimiser
les spécificités des représentations de chaque
unité socio-spatiale.
Dans un souci d'objectivité2, Il
apparaît plus avisé de dégager des variants ou des
invariants, des symétries ou des dissymétries, concernant les
représentations d'une société : faire émerger des
faisceaux de représentations, tenter de les hiérarchiser, d'en
déceler les codes et les médiations sociales, pour essayer
d'apprécier leur place dans les activités, les pratiques et les
dynamiques territoriales. < Pour cela, l'objectivité consisterait
à délaisser totalement, au moins momentanément, le point
de vue extérieur, décentré de l'objet, pour adopter une
observation décentrée du point de vue extérieur »
(Retaillé, D., 1995) . Ainsi, faute de pouvoir valider de < recette
miracle »3, il convient d'insister sur le rôle des
concepts, qui sont eux-mêmes des outils, puisqu'ils sont la
représentation des relations des sociétés à leurs
territoires (Bailly, A., Raffestin, C., Reymond, H., 1980).
La difficulté d'interpréter et de quantifier
les représentations posent donc un problème < d'outillage
». Néanmoins, de nombreux géographes montrent qu'il existe
des supports utilisables pour cerner les représentations, notamment
celles de l'espace.
Nous pouvons tout d'abord distinguer les enquêtes
directes, auprès des sujets concernés ; nous revenons ici
à la difficulté de transposer des méthodes des sciences
humaines et sociales connexes à la géographie. Ce
procédé est néanmoins
1 Modèles de la sociologie, de la psychologie
collective.
2 Même si nous sommes bien conscient qu'il s'agit ici
seulement d'un objectif dont nous cherchons à nous rapprocher.
3 Faute d'expérimentation également.
porteur de résultats, si toutefois l'entretient
s'appuie sur une trame peu directive et sur une longue durée. Il est
évident que s'il existe des liens affectifs entre les interlocuteurs, ou
encore si l'enquête permet des conversations informelles1, les
résultats n'en seront que plus probants. Hélas, de telles
enquêtes ont un coût élevé et nécessitent une
maniabilité des approches ; effort que peu de programmes font, ou
peuvent faire.
De manière indirecte, le géographe peut se
pencher sur les différents moyens d'expression verbale et de
communication, à savoir le langage (qui peut-être chanté),
les discours officiels, ou encore ceux des médias ; pour cela il peut
utiliser des techniques d'analyse lexico-graphiques ou sémantique par
exemple. On pourrait ajouter à ces supports la peinture, le
cinéma, la littérature (etc.) : tout ce qui émane des
manifestations de la culture des société, qui exprime
également les représentations que se font les
sociétés de la réalité géographique. Enfin,
la lecture des écrits des spécialistes en sciences humaines et
sociales (ethnologie, sociologie, géographie... etc.) est une source
d'information riche et variée ; cette interprétation doit
être accompagnée de vigilance, le filtre du scientifique
s'intercalant entre le celui du géographe et la société
qu'il étudie.
Ces précédents supports sont tous liés
à un filtre supplémentaire, celui du langage. La médiation
du discours peut également déformer le sens de ce qui est dit, la
traduction littérale se confondant souvent avec l'interprétation
du scientifique ou de son interprète : au travers du filtre du langage,
véhicule des formes et structures de pensée d'une
société, les représentations perdent ou gagnent des
significations dont il faut tenir compte. De plus, le langage fige,
schématise, codifie ; il a tendance à ramener tout
phénomène original à sa dominante et à
accroître les discontinuités, puisque le choix d'un nom ou d'un
verbe équivaut à une classification. (D'après Metton, A.,
1974)
Face à l'expression linguistique, l'expression
graphique peut être mise en avant : la représentation par le
dessin ou le croquis apparaît pour de nombreux auteurs un moyen efficace
de cerner les représentations de l'espace : « une des pratiques les
plus séduisantes est la carte mentale2, très connue
des géographes pour sa capacité à révéler
les significations de l'espace social à travers le choix des signes et
des formes » (Bailly, A., et Debarbieux, B., 1995). Pour ces derniers, le
jeu dialectique des référentiels égocentrés et
exocentrés s'y trouve matérialisé de façon
expressive. Une fois de plus cette méthode n'est pas sans dangers : le
procédé graphique est soumis à une codification, à
des normes sociales parfois, et aux représentations de celui qui
l'interprète. Pour Bailly A., et Debarbieux B., (1995), la carte mentale
subordonnée à cette codification ne fait qu'évoquer les
représentations d'une personne sans véritablement « mettre
à plat » ses représentations.
1 Souvent plus intéressante que l'entretien
lui-même.
2 Une carte mentale désigne deux
réalités différentes selon les auteurs : tantôt il
s'agit de la représentation graphique d'un espace par un individu ;
tantôt il s'agit de la représentation mentale de cet espace. (S.
Bailly et B. Debarbieux).
L'étude du paysage1, qui s'insère
dans la démarche géographique, à été
abordée par de nombreux auteurs. Cela nécessite beaucoup de
précautions, sachant que le paysage montre une multitude de signes au
géographe, mais cache aussi bon nombre de logiques et de
stratégies socio-spatiales au décryptage complexe ; là
encore, « la connaissance et la recherche de significations du paysage se
heurte à la notion de filtre ou d'écran s'intercalant entre
l'observateur et l'espace à apercevoir » (Metton, A., 1974).
En étudiant les représentations, le
géographe se confronte au mur de la quantification et à la notion
de « filtre » lorsqu'il cherche à les qualifier (voir note
10). Le positionnement de chaque chercheur sur l'étude des
représentations dépend de celles qu'il s'en fait lui-même.
La subjectivité du chercheur influence ses travaux ; ses
représentations, ses valeurs référentielles sont souvent
différentes de celles des individus vivant sur place. L'infiltration de
nos cadres conceptuels dans l'interprétation des systèmes de
représentations est un risque que le géographe doit
connaître. Il est d'autant plus grand lorsqu'il s'agit des montagnes, des
hautes terres, espaces d'études qui, nous semble-t-il, font l'objet d'un
puissant imaginaire social.
Cela dit, il nous apparaît possible aujourd'hui
d'utiliser ces « outils », ces méthodes pour apprécier
la nature et la portée des représentations dans la
géographie, et plus largement, dans la compréhension des logiques
socio-spatiales des individus et des groupes qu'ils constituent.
1 Les paysages sont des interfaces entre les hommes et leurs
milieux. Empreinte et matrice de la culture, il sont du temps incarné en
espace. (D'après Rossi, G. et Berque, A., 1996)
Notre objectif s'attache à une meilleure
compréhension des logiques spatiales des individus et des
sociétés qu'ils composent. Acquérir de nouvelles
connaissances sur les représentations que se font les individus de leur
environnement, ou simplement les valoriser, nous apparaît comme un outil
primordial de l'analyse géographique. Pour cela nous avons tenté
de définir une approche qualitative des représentations, en
essayant de comprendre leurs implications sur les comportements spatiaux des
individus et des sociétés, en favorisant l`approche territoriale
qui nous semble la plus appropriée.
Concernant l'aire géographique d'étude, notre
objectif s'inscrit dans une approche critique des multiples projets de
développement, de gestion de l'envi ronnement écologique, des
politiques nationales; ces actions institutionnalisées, conçues
et mises en place par des acteurs souvent exogènes aux groupes
concernés, n'ont obtenu que peu de résultats. Il nous est en
effet apparu que bon nombre de ces programmes ne tiennent pas suffisamment
compte des représentations des populations concernées, dont on
sait aujourd'hui qu'elles sont déterminantes dans leurs logiques et
leurs stratégies productives, sociales, politiques et culturelles, qui
se traduisent par des processus de territorialisation spécifiques,
souvent incompris.