« L'espace représenté se
révèle d'une étonnante fécondité pour la
réflexion géographique >> (Di Méo, G., 1991). Le
concept2, représentation mentale, généralement
dégagé de l'expérience, constitue une définition
opératoire qui prend son sens dans le cadre d'une problématique.
Il s'avérait d'abord nécessaire de cerner la portée du
concept des représentations en géographie, et de choisir une
méthodologie d'approche pour que nous puissions maintenant nous
positionner plus dans le détail, en mettant en évidence nos
orientations de recherche et les outils dont nous disposons pour essayer
d'identifier les représentations des sociétés des hautes
terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale, dans l'objectif
d'améliorer les connaissances sur les dynamiques spatiales. Une
contribution qui, sans doute,
1 Nous pourrions aussi employer le terme «
d'unité socio-spatiale >>.
2 « Il n'y a pas de concept définitif, pas de
concept éternel, puisque, s'il est essentiellement de nature
relationnelle, les choses peuvent s'enchaîner différemment et par
conséquent les relations se modifier... >> (Raffestin C., 1978).
« Le concept est un faisceau de possibilités, inscrites dans le
temps, l'espace et le vécu. >> (Bailly, A., Raffestin, C., Reymond
H., 1980)
permettrait aux différents programmes et aux
différentes politiques d'intervention, d'être plus efficaces.
L'utilisation de l'étude des représentations en
géographie, leurs applications concrètes dans un cadre
institutionnalisé comme celui des programmes ou des projets peut
paraître illusoire. Mais de nombreux auteurs1 soulèvent
des critiques portant sur le système de l'interventionnisme occidental
et de ces conséquences dans les pays du Sud, remettant en cause ses
fondements et ses méthodes d'application. Nous nous appuierons sur la
situation africaine plus particulièrement.
Découpée entre les différents empires
coloniaux, alors européens, et véritablement occupée
à partir du XIXème siècle, l'Afrique gagne son
indépendance2 au lendemain de la deuxième guerre
mondiale, et bénéficie même du soutien des grandes
puissances économiques pour « construire son développement
et en finir avec sa pauvreté >>. Après quasiment un
demi-siècle de coopération internationale, de projets et une
masse d'argent considérable investie3, l'heure est aux
interrogations sur l'efficacité et la pertinence des actions
menées, d'autant plus qu'aux contraintes de la croissance
économique se greffent aujourd'hui celles, et non des moindres, du
développement social et de la gestion de l'environnement
écologique.
Si le développement existe, c'est qu'on
considère qu'il existe un sousdéveloppement. De même, si
aujourd'hui les populations du Sud sont accusées d'ingérence
écologique, c'est qu'on considère qu'elles ne sont pas capables
d'organiser leur environnement. Cette vision ethnocentrique occidentale est
basée sur ce que Rossi G. appelle des « mythes fondateurs >>
et qui sous tendent l'évidence indiscutable de la
supériorité de ses savoirs scientifiques, techniques et
économiques sur « l'indigène >>, sur « le sauvage
>>.
Ces mythes sont, pour la plupart, de véritables
contre-vérités scientifiques, issues de l'observation
biaisée des sociétés du Sud et des rapports qu'elles
entretiennent avec leur environnement4 ; issues donc des
représentations « occidentales >>5 (voir note 8).
Quand aux structures nationales, elles véhiculent aujourd'hui les
mêmes messages que les anciens colonisateurs. En effet, la
décolonisation n'a pas modifié
1 Ce mouvement, à notre connaissance, concerne les
géographes francophones et anglo-saxons ; mais intervient là la
barrière du langage qui limite l'étendue de nos recherches.
« le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
>>...
2
3 800 à 900 milliards de francs par an, pour 36000 ONG
environ (selon l'ONU).(D'après Rossi, G., 2000)
4 la pensée environnementaliste anglo-saxonne, a
été utilisée à outrance comme
référence conceptuelle dans la préparation de projets
(voir 2.1 .1).
5 « L'ethnocentrisme et le socio-centrisme ont,
historiquement, présidé à la construction de la vision
occidentale de la nature et des sociétés du monde tropical, y
compris dans le domaine scientifique. >> (Rossi, G., 2000)
les structures ; au contraire, employant un personnel
administratif et politique formé à l'occidentale, les Etats se
sont appuyés sur les réseaux préexistants de la
période coloniale pour favoriser leur contrôle sur les populations
vivant sur le territoire national, notamment les pasteurs nomades. De toute
manière, fortement contraints par les politiques d'ajustement du FMI et
la Banque Mondiale qui leur imposent une certaine vision du
développement, les Etats ne peuvent se passer de la rente1
que leur apporte les différents bailleurs de fonds des projets
occidentaux.
A l'opposé, < les pratiques de gestion des
sociétés du Sud, sont fondées sur une intime connaissance
empirique de leur milieu physique et sur les représentations qu`elles en
ont tiré, sur les liens religieux, spirituels, qu`elles entretiennent
avec les éléments naturels/surnaturels qui le composent.>,
(Rossi, G., 2000). Or, bien que ces connaissances empiriques2 soient
souvent plus adaptées aux contraintes de l'environnement biophysique et
socio-économique que celles prônées par la pensée
occidentale, elles restent actuellement remises en cause sous-estimées
au profit des concepts déterministes qui servent de base aux
différents programmes. La faible considération qu'on apporte aux
connaissances et aux logiques endogènes est incontestablement à
l'origine des nombreux échecs de projets : < ce qui, imposé de
l'extérieur, est trop différent du patrimoine culturel n'y est
pas intégré, n'y est pas internalisé, approprié par
les individus, ne reçoit pas un sens et ne peut pas être vraiment
pris en compte. >, (Rossi, G., 2000). Par exemple, le refus de l'innovation
correspond le plus souvent à une inadéquation entre ce que le
projet propose et les stratégies des populations à cette
période là.
Les situations d'échec jalonnent l'histoire de l'aide
au développement. La quasi-totalité des projets reposent sur des
structures et des mécanismes de fonctionnements
institutionnalisées, rigides; il existe des < normes standard >,
en matière de conception de projets : les concepts qui en
définissent les bases de fonctionnement, les techniques
utilisées, les acteurs concernée, l'échelle d'intervention
(souvent locale, villageoise)... etc. : des projets clés en mains,
imaginés et conçus à partir de préjugés et
de concepts occidentaux, prêts à l'utilisation... Dans quel
objectif ? Ce que certains appellent un < business >,, pour les
organisations, les Etats et même les populations, notamment les
élites locales, est aujourd'hui vivement critiqué par le monde
scientifique ; certains allant même jusqu'à qualifier les actions
du Nord comme des instruments de domination (Escobar, A.) . Même si le
développement s'améliore progressivement, avec le
développement d'ONG aux micro-réalisation ou encore avec des
tentatives d'approches < participatives >,, dans le domaine de la gestion
de l'espace, les politiques définies il y a plusieurs décennies,
inspirées du déterminisme (voir note 9), sont toujours
utilisées : les aires protégées, la lutte contre
l'érosion, contre la déforestation, contre la
désertification, ...etc. Les politiques nationales
généralisées à l'échelle du pays,
2
< Ces savoirs, ces modes de gestion doivent être
reconnus, acceptés et aidés ; c'est peut-être l'une des
seules façons de ménager un véritable développement
durable . < (Rossi, G., 2000)
comme la réforme du foncier ont également des
implication néfastes, dans la mesure où leurs caractères
généraux et autoritaires s'imposent aux populations.
Ainsi, face à l'observation
répétée des mêmes défauts dans les
interventions occidentales vers les pays du Sud, nombreux sont ceux qui
appellent à une modification des approches : « aujourd'hui, elle
[la notion des rapports Nord-Sud] se pose en terme beaucoup plus culturels
qu'économiques, contrairement à l'époque où elle
à commencé à se banaliser, à la fin des
années 1950 » (Henry, J-R., 1995) . « Le poids des techniques
dans l'aménagement de l'espace est largement exploré. Celui des
utopies qui guident l'action l'est à peine. Il nous faut sortir de la
logique impersonnelle et objective de la démarche scientifique
habituelle et explorer l'univers mental des hommes » (Claval, P., 1995).
On ne peut plus aborder les sociétés du Sud avec des normes et
des systèmes de références occidentaux ; toute analyse ou
description d'une organisation spatiale devrait comprendre les
représentations des autres, de ceux qui habitent ce territoire. Or nous
sommes actuellement dans un conflit de représentations, ou chacun se
fait une image de l'autre.
De toute évidence, « le mythe
prométhéen du développement » par la croissance
économique s'essouffle, ouvrant peut-être de nouvelles
perspectives. Il apparaît que les mesures comptables, indicateurs sociaux
et matériels, paramètres économiques, ne peuvent plus
suffire dans l'évaluation de la qualité de la vie et de la
satisfaction des populations. On se doit d'intégrer dans notre
démarche une meilleure connaissance des valeurs accordées aux
lieux et aux espaces. Comprendre les satisfactions et insatisfactions
liées aux réseaux de lieux et systèmes de distances dans
lesquels les hommes s'inscrivent, peut permettre de mieux comprendre le
bien-être socio-spatial des uns et le mal-être des autres ; et de
contribuer ainsi à une amélioration des conditions de vie des
uns, et des autres.
« Cela suppose que l'on ne considère pas les
cultures des pays du Sud comme a-scientifiques, étrangères
à la construction et à l'exploitation technoscientifique du
réel, mais que l'on utilise des histoires culturelles, des visions du
monde, des constructions du réel différentes pour élargir
le champ des possibilités au lieu de tenter de les conformer aux
nôtres. » (Rossi, G., 2000). L'étude des
représentations nous semble être une voie incontournable qui
permet de se rapprocher de la compréhension des logiques socio-spatiales
des sociétés.