Après avoir singulièrement enrichi l'approche
géographique par l'apport de la subjectivité des
représentations, les notions les plus fondamentales de la discipline,
à savoir les concepts de distance et d'espace ont été
réexplorés, redéfinis, et complexifiés.
Pour le terme de « distance », la conception
géométrique du terme ne pouvait plus suffire. En effet, la
distance géométrique (ou métrique) standard entre deux
ensembles de points, à longtemps été étudiée
par les géographes comme moyen de description, comme un outil purement
mathématique. Mais les recherches sur les images mentales et les
représentations ont montré que leur subjectivité
s'applique aux distances parcourues par les individus dans leurs
déplacements : « la représentation de la distance
dépend non seulement de l'individu, de son environnement (physique et
social), mais aussi de sa pratique » (Bailly, A., 1985).
Selon Bailly, A., pour qualifier les différentes
significations de la distance on peut distinguer, en plus de la (( distance
métrique ,,, (( la distance temps ,, (intervalle de durée
entre deux points), (( la distance affective ,, (charge affective
rapprochant ou séparant deux points), (( la distance
écologique ,, (distance variable mesurant une aire
considérée comme nécessaire par une société
pour répondre à ses besoins écologiques et donc
productifs) et la (( distance structurale ,, ou (( distance
sociale ,, (fondée sur la nature des rapports sociaux qui
rapprochent ou éloignent les hommes entres eux ou avec un lieu). (voir
note 6 pour plus de détails)
Particulièrement observables dans les espaces
tropicaux à travers les travaux de Gallais J (1968, 1980), ces
différentes formes de distances montrent que les systèmes de
coordonnées sont sujet à des distorsions, selon que le
référentiel soit égocentré ou
exocentré3.
1 « Les convictions, les valeurs et les aspirations ne
se traduisent d'habitude pas directement dans l'espace.[... ] C'est donc bien
souvent de manière détournée que les modèles
imaginés par les hommes finissent par se traduire dans la
réalité. » (Claval, P., 1995)
2 Ou par affinité...
3 Si la distance kilométrique est correctement
évaluée le long d'un trajet connu par un individu, le passage au
système de coordonnées indépendantes du sujet, est source
de distorsions. (D'après Bailly, A., 1985)
LA PLACE DES REPRÉSENTATIONS DANS LE PROCESSUS
DE TERRITORIALISATION
ESPACE PRATIQUÉ1
ESPACE DE VIE3
ESPACES OBJECTIVÉS8
REPRÉSENTATIONS & ESPACES
REPRÉSENTÉS
NATION
RÉGION LOCALITÉ
ESPACE SOCIAL4
ESPACE PERÇU2
ESPACE VÉCU6
ESPACE IMAGINÉ ET
CONCEPTUALISÉ5
TERRITOI RES9
RAPPORTS STRUCTURELS AVEC LES
LIEUX7
Sphère des rapports sociaux
Sphère de l'individu
DOCUMENT 3
1 Espaces, lieux et trajectoires quotidiennes de nos
déplacements .
2 L'espace tel qu'il est perçu et signifié par
les sens et interprété par la psyché .
3 Univers objectif des dispositifs spatiaux:
matérialités pratiques, concrètes et quotidiennes de
l'espace du sujet.
4 Ensemble des interrelations sociales spatialisées
(D'après Frémont A., 1976). L'espace social correspond à
l'imbrication des lieux et des rapports sociaux. Derrière l'espace
social se profilent les rapports sociaux et les pouvoirs qui les organisent et
influencent le sujet.(D'après Gilbert, A., 1986)
5 Images mentales résiduelles, réalité
spatiale représenté et déformée par l'individu.
6 L'espace vécu est l'espace de vie soumis aux
représentations et à l'imaginaire. Il comprend donc l'ensemble
des lieux fréquentés par l'individu, les interrelations sociales
qui s'y nouent et les valeurs psychologiques qui y sont projetées et
perçues.
7 Rapports d'origine économique, idéologique et
politico-administrative.
8 Facteurs spatialisés exogènes, voire
imposés. Leurs moyens d'action peuvent être les politiques, les
programmes ou encore les projets.
p.27 bis
9 Implique une notion d'emboîtement, de superposition
d'échelles.
« La territorialité s'inscrit dans le cadre de la
production, de l'échange et de la consommation des choses et se
manifeste à toutes les échelles sociales et spatiales >
(Raffesin, 1980)
« Les représentations de l'espace permettent
d'interpréter les sens différentiels que nous attribuons, les uns
les autres, à chaque dispositif spatial. > (Di Méo G.,
1991)
Outil de mesure, la distance, remaniée par la
subjectivité des individus et de leurs groupes, a amené la
redéfinition du concept d'espace, objet privilégié de la
géographie. Etendue support, matérialité souvent non
qualifiée, le concept d'espace est également retravaillé,
influencé par la << vague subjective >> des
représentations. Toujours selon Bailly, A., tout espace mental est
organisé selon trois aspects : !'aspect structure!, qui
correspond à l'organisation du réseau d'axes, de repères
et de limites par un individu pour qu'il puisse se déplacer et se
positionner ; !'aspect fonctionne! est lié à la pratique
de cet espace, les déplacements fonctionnels étant en rapport
avec les objectifs choisis. Et enfin, !'aspect symbo!ique, souvent le
moins abordé, qui résulte du caractère relationnel de la
représentation et de la variété des expériences
spatiales individuelles. L'espace a donc été redéfini avec
de multiples qualificatifs, variant en fonction des auteurs.
En intégrant les différentes distances
évoquées plus haut, Frémont A. distingue «
!'espace objectif » ou « espace support »,
fondée sur des métriques dites objectives ou
exocentrées , « !'espace de vie », ensemble des lieux
fréquentés par le groupe dont l'individu fait partie, «
!'espace socia! », mettant en rapport les lieux
fréquentés par le groupe social et les relations qui sous-tendent
cette fréquentation, et « !'espace vécu » qui
fait appel à affectivité des individus et des groupes (voir note
7 pour plus de détails). L'approche que nous retiendrons,
inspirée par Di Méo G. (1991, 1998) est mise en évidence
dans le document 3, où nous remarquons que l'imbrication de ces
différentes formes d'espaces peut être traduite par un processus
de territorialisation. En effet, la territorialité se manifeste à
toutes les échelles spatiales et sociales. Le territoire, espace temps
et mémoire spatiale, est une construction, une reconnaissance collective
de l'espace, où certains éléments sont immatériels
ou symboliques.
Construction collective, le territoire est manié et
déformé par chaque acteur social, au fil de ses pratiques et de
ses représentations. (D'après Raffestin et Turco, Barel, Y, 1981
et Nordman, 1986).
Médiatisées par la double appartenance sociale
et spatiale des acteurs, les représentations individuelles et
collectives engendrent des pratiques et des stratégies qui prennent de
singulières distances par rapport au réel et à la vision
<< objective >> qu'on en a. Elles parviennent toujours à
s'ordonner et aboutissent, pour des groupes d'acteurs différents,
à un accord sur l'espace, à un consensus territorial plus ou
moins puissant (voir doc. 3).
Au total, la focalisation et la superposition de
stratégies d'acteurs et de groupes (endogènes ou exogènes)
sur un espace, fortement influencés par leurs représentations,
contribuent largement à son identification territoriale1.
Beaucoup plus en tout cas que les données objectives comme
l'environnement, la nature de l'occupation de l'espace (ou une tradition
culturelle quelqu'elle soit) ; ces dernier
1 Di Méo, G. emploie pour territoire la <<
formation socio-spatiale >>, terme qualifié par Brunet R. <<
d'inutile, flou et n'ajoutant qu'une fausse scientificité >>. Nous
touchons là aux difficultés de l'explication en sciences humaines
et sociales. (Di Méo, G., 1998)
L'INTERPRÉTATION DU PAYSAGE ET POINTS DE
VUE
28 bis
Ce discours, ici fictif est pourtant celui tenu par les
techniciens du SNPRV, un service technique local qui souhaite rationaliser ces
espace de cultures intensives. Ils véhiculent un savoir qu'ils ont
appris au contact des techniciens des projets occidentaux.
Clichés: Beuriot M. et Leyle D., 2000
Ci contre: vue plongeante d'un bas-fond,
dans la région de Labé, (Fouta-Djalon, Guinée).
En bas: une planche de culture de ce
même bas-fond, associant plusieurs production.
DOCUMENT 4
éléments n'interviennent dans la stimulation de
stratégies que parce qu'ils participent, parmi d'autres
déterminants, à la formation des représentations (voir
doc.4), des rapports et des pratiques.
Le territoire apparaît comme l'aire, ou la série
d'aires, limitées et privilégiées dans la pratique par
l'homme. Une échelle d'étude intéressante, compte tenu de
l'organisation sociale des communautés africaines. En effet, on constate
en Afrique de l'Ouest et en Afrique Centrale que la notion de groupe
socio-ethnique1, aux identités et aux fondements culturels
forts, intervient toujours dans l'organisation de l'espace, sous la forme
d'entités villageoises ou de quartiers par exemple; (même si dans
beaucoup de pôles urbains, certains aspects cosmopolites, pour ne pas
dire occidentaux, éclipsent les structures spatiales traditionnelles.)
L'approche territoriale, par la multiplicité des échelles (Etat,
région ou encore localité) et des méthodes d'analyses
(systémique, dialectique) nous est apparue la plus adéquate pour
l'étude des représentations sur les hautes terres d'Afrique de
l'Ouest et d'Afrique Centrale. Issue des représentations des individus
et des sociétés, les entités territoriales
témoignent des comportements et des logiques individuelles et sociales
qui président au rapport des hommes à l'espace.