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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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2) Plat ethnique et synecdoque : le produit nécessaire et suffisant

Faustine Régnier191 montre que l'exotique d'une recette repose pour les individus ou les magazines qui publient ces recettes dans la catégorie exotique, sur la présence nécessaire et suffisante d'un seul produit exotique. Celui-ci transforme l'ensemble de la recette en recette exotique. Ainsi c'est l'ananas qui transforme une préparation banale en plat hawaïen, pour qu'un plat devienne italien, il faut le saupoudrer de parmesan.

L'exotisme peut reposer sur la seule présence d'un produit que l'on ajoute à un plat. De même chez les étudiants interrogés, c'est l'ajout d'un aliment que l'on pourrait presque dire magique qui transforme la préparation en la faisant devenir typique. Shumeï et Tsu Tsu Tuï ajoutent dans toutes les préparations un peu de « Ve Tsin - gourmet powder », qui est composé à 90% de glutamate. Il remplace souvent le sel dans la cuisine orientale, il présente sous la forme d'une fine poudre blanche, elle n'a aucun goût en soi, mais possède la propriété de rehausser la saveur des aliments auxquels il est ajouté.

Interrogée sur son utilisation du « gourmet powder », Shumeï dit que c'est pour « rendre bon », Tsu Tsu Tuï nous dit que « c 'est pour la cuisine plus goûter ». Elle l'incorpore à chacune de ses préparations. Elle avait acheté cette poudre en Chine pour l'amener en France et être sûre d'en disposer. Cela permet à une préparation non typique de le devenir « parfois

191 F Régnier, L'exotisme culinaire. Essai sur les Saveurs de l'autre, Le lien social, Maison des Sciences de l'Homme, Puf, Paris, 2004

avec parce que je ne peux pas acheter vraiment les matériaux, je pense que ça peut changer le goût. » Le gingembre fonctionne comme les épices d'Abdelbaki sur le même principe. Leur présence permet aux enquêtés, mais peut-être aussi aux autres personnes d'identifier le plat comme chinois, tunisien. Le produit nécessaire et suffisant est un marqueur identitaire.

3) Le nécessaire réapprentissage des techniques de préparation

Les techniques de préparation des aliments constituent une somme plus ou moins érudite du savoir-faire acquis en même temps que le reste de la culture. Si dans le pays d'origine, elles sont pour les personnes ayant l'habitude faire la cuisine, pratiquées par routine intériorisée, elles doivent être en France réapprises. Ces techniques sont faites de détails à la fois très concrets et très subtils qui donnent à une préparation son caractère typique. Elles concernent la manière de couper les légumes et les fruits, l'ordre de mélange des aliments dans la casserole, le dosage des aliments au jugé, le « coup d'oeil » pour savoir quand la sauce « prend », l'estimation du temps de cuisson...

Nous avons expérimenté l'importance des techniques de fabrication de deux manières. L'observation répétée des pratiques culinaires de trois de nos enquêtés au cours de la préparation des plats quotidiens et plats festifs et la prise de notes concernant les commentaires, explications et jugements des enquêtés sur leurs préparations, mais également la tentative de reproduction des mêmes plats sous l'oeil amusé de ces mêmes enquêtés par nous-mêmes. Lors de ces deux modalités de saisie des techniques, nous avons enregistré de nombreux commentaires techniques, matériels concernant la préparation telle qu'elle devait être dans les règles de l'art. Ce sont nos essais de réalisation de ces recettes, essais dans quelques cas ratés qui nous ont le mieux permis de prendre conscience des techniques nécessaires pour la préparation des aliments.

En France, les techniques de préparation doivent être adaptées. Les produits ne sont pas les mêmes, ils n'ont pas la même consistance, par exemple la farine de blé utilisée traditionnellement en France est très différente de la farine de riz gluant utilisée en Chine. Celle-ci est extrêmement volatile et lorsqu'on la mélange avec de l'eau ou du lait, elle change de consistance et devient gluante. Il est difficile de savoir doser les proportions d'eau et de farine parce qu'elle ne réagit pas de la même manière que la farine de blé. La technique de farinage du poisson avec cette farine et avec de la farine de riz gluant est très différente, il faut mettre beaucoup moins de farine de blé. Ces ajustements ne peuvent se faire qu'au coup par coup lorsqu'on en fait l'expérience par soi-même, or le temps de leur apprentissage, les recettes deviennent aléatoires.

On ne trouve pas forcément les produits alimentaires sous la même forme. Le fromage n'est pas conditionné de la même manière en France et en Italie comme nous le fait remarquer Giovanni «Le gorgonzola, le grana c 'est pas la même pièce, j 'ai l 'habitude d 'acheter une pièce de 1kg, je le fais moi-même à la maison. En Italie, y 'a des sortes de crème qui ressemblent à la crème fraîche mais c 'est autre chose, c 'est moins du fromage, c 'est plus doux et c 'est fait pour les raviolis, pour les pâtes ». En France on trouve des lardons prédécoupés tandis qu'en Chine, il faut les découper soi-même ce qui allonge le temps de la préparation.

Les techniques de préparation sont également bouleversées compte tenu de l'absence de certains ustensiles, des modes de cuisson différents. Rappelons pour mémoire que les types de

cuisson (c'est-à-dire la nature, l'emploi et la manipulation de la chaleur) ne sont pas les mêmes suivant les cultures. Ainsi que le note Emmanuel Calvo192, on peut distinguer un usage restreint du four pour la cuisson des viandes et de la pâtisserie, un emploi préférentiel de la vapeur pour la préparation des aliments.

Les étrangers doivent donc apprendre à cuisiner dans ces nouvelles conditions. Il est plus facile de mélanger la farine de riz gluant avec des baguettes qu'avec un fouet ou une fourchette... parce qu'une fois humide elle colle énormément. Si un étudiant chinois essaie de cuire les raviolis ou les boulettes de riz gluant dans de l'eau bouillante parce qu'il ne dispose pas en France de panier en bambou pour cuire à la vapeur, il doit veiller à consolider les raviolis, à bien replier la pâte plusieurs fois sur elle-même193. En effet, cuits à la vapeur, les raviolis chinois ne se décomposent pas, les boulettes de riz qui gonflent à la cuisson ne s'ouvrent pas, tandis que la cuisson à l'eau bouillante réserve d'assez mauvaises surprises.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe