Le projet de loi sur les partis politiques au Maroc( Télécharger le fichier original )par Hassan Bentaleb Université Montpellier 1 - Master recherche en science politique 2005 |
4- Les fonds privés et les partis politiques :La position des pays à l'égard du financement privé est différente, entre ceux qui ont permis aux partis politiques de recevoir des fonds privés, soit de la part des entreprises privées, ou soit des individus. Et ceux qui ont interdit cette possibilité. Le Maroc a choisi cette dernière option. Dans l'article 6 du Dahir de libertés publiques, le législateur a limité les ressources financières des partis politiques dans les cotisations de ses membres qui cotisent d'un seul coup, à condition de ne pas dépasser les 250 DH. L'objectif de cette interdiction, c'est la crainte que l'indépendance des partis politiques devienne objet de chantage. Le danger du financement privé des partis politiques réside dans la relation de soumission qui peut être créée entre les partis et les donateurs, surtout que ces derniers ont une certaine tendance à l'ingérence dans les décisions internes du parti. Cette ingérence peut se limiter au choix des candidats pour les élections, mais il peut aussi arriver à changer les statuts internes des partis. De plus, ce genre de financement est néfaste pour la démocratie, car il ne garantie pas l'égalité entre les partis politiques, et donc il est à l'encontre du financement public. Il y a aussi le danger que les trafiquants de drogue ou les organisations criminelles puissent intervenir dans les décisions politiques, c'est pourquoi ce genre de financement a été interdit. Même la France, qui a laissé, à partir de 1988, aux entreprises privées le soin de donner des fonds aux partis, a été obligée, suite aux scandales financiers et à la corruption, de promulguer une autre loi en 1995 qui interdit tout financement privé7(*). Pourtant, l'interdiction des fonds privés pose deux remarques : la première, le décalage entre le droit et le fait social, puisque les fonds privés ne sont jamais loin de la vie partisane. La deuxième remarque, c'est que ce genre de financement suscite des rumeurs entre les hommes politiques, sans pour autant disposer de preuves ni de documents pour les rendre crédibles. Et même si certain pays ont interdit toute implication des fonds privés dans le financement des partis politiques, ils connaissent encore la présence de ce phénomène. Mais les règles de transparence, et les mécanismes de contrôle adoptés par l'Etat, pour suivre les comptes des partis, ont permis de lever le voile sur ce phénomène, et de le sortir de son aspect secret, en dévoilant certains scandales dans ce domaine. Au Maroc, et dans les dernières années, l'ingérence des fonds privés dans la vie partisane est devenue une réalité concrète. La preuve : les pressions exercées par le ministère de l'Intérieur, à l'occasion de deux échéances électorales (les élections municipales de 1992 et de 2003), sur certains candidats, parmi lesquels, on trouve des anciens élus et des parlementaires qui exerçaient encore leur fonction au Parlement, pour qu'ils retirent leur candidature, à cause de leur implication dans le trafic de drogue. Ce récit laisse certaines questions sans réponses : pourquoi le ministère de l'Intérieure a préféré seulement interdire leur candidature au lieu d'engager des poursuites judicaires ? Et est-ce que cela ne constitue pas une violation de la constitution, puisqu'il n'y a aucune poursuite judicaire, ni aucune preuve qui prouve leur culpabilité ? Certains observateurs ont remarqué que parmi ceux à qui ont a empêché de se présenter, il y a ceux qui sont encoure des parlementaires. Donc comment se fait-il qu'on soit éligible dans une élection et inéligible dans une autre ? La même logique adoptée par le ministère de l'Intérieur, on la trouve aussi à l'occasion du contrôle des comptes d'un certain nombre de collectivités locales, fait par le même ministère et où au lieu de poursuivre les présumés coupables, il a seulement brandi la menace des poursuites devant le Parlement8(*).
Au-delà du profil adopté par l'Etat, le fait de parler de ce sujet, montre bien à quel point la drogue est très présente dans la vie politique, surtout partisane. Ce qu'a déjà révélé l'Observatoire géopolitique des drogues (OGD) avant sa disparition en 1999 - officiellement pour des raisons budgétaires- dans son rapport de 1993 et qui avait provoqué, certaines années, de très vives réactions au Maroc. Dans ce rapport, l'OGD écrivait : « En réalité, les narcotrafiquants ne défendent pas d'idées révolutionnaires. Ils sont, au contraire, les alliés objectifs des autorités. Dans les zones rurales, ils incitent la population à soutenir les militants et les candidats des partis de droite sous prétexte qu'ils sont favorables à la culture du kif. Lors des campagnes électorales les trafiquants fournissent les fonds nécessaires à l'achat des voix. Enfin, au moment des consultations, le « petit personnel » des réseaux (prostituées, petits revendeurs, transporteurs) est mis au service des politiciens pour les distributions de tracts, le collage d'affiches jusqu'au contrôle des bureaux de vote en passant par les règlements de comptes avec les candidats adverses (...). Tant au niveau local qu'au plan national, l'argent du trafic contribue au financement des partis politiques ». Il y a aussi le témoignage accablant de l'ancien ministre des Droits de l'Homme, Mohammed Ziane, avocat célèbre et controversé, qui a déclaré à la revue Al Majalla al Maghribia que le RNI, un des partis administratifs longtemps dirigé par Ahmed Osman, beau-frère de Hassan II et ancien Premier ministre, avait été créé « grâce à l'argent de la drogue »9(*).
Il faut noter que le rôle joué par l'argent sale dans les élections marocaines est critique, puisqu'il devient l'élément déterminant dans l'élaboration de la carte électorale. Et du coup, il remplace d'autres moyens utilisés avant (falsification des résultats, vol des urnes, ...). Pourtant, ce phénomène pose un autre problème, celui du comportement de l'Etat et de la justice. Car même s'il y a à chaque échéance électorale des plaintes dans ce sens qui condamnent l'utilisation de l'argent sale, l'intervention de l'Etat ou de la justice est rare. * 7 - Telquel, Ahmed R.Benchemsi, « Loi sur les partis: étude de texte », n°150. * 8 - Ibid, Assahifa, op.cit. * 9 - Ibid, Ingnace Dalle, op.cit. |
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