Intégration des adolescents adoptés d'origine étrangère au Québec( Télécharger le fichier original )par Delphine MOYTIER Université de Caen - Master IUP Management Social Santé 2006 |
· L'attachementAu cours de mon année d'études à Montréal, j'ai pu suivre un cours sur l'adoption internationale au Québec, donnée par la Présidente de la Fédération des Parents Adoptants du Québec. Ce cours expliquait notamment ce qu'étaient les possibles problèmes d'attachement des enfants et adolescents adoptés. L'attachement se fait généralement entre les âges de neuf à dix huit mois, avec les personnes référents qui s'occupent de lui le plus souvent (mères, pères, personnels hospitaliers, personnels d'orphelinats). Si par exemple, un enfant pleure sans arrêt, et que personne ne vient à lui, l'enfant va petit à petit se renfermer. Dans ce cas, il y aura possibilités de troubles de l'attachement, car il devient méfiant et sa confiance diminue. Tous les enfants abandonnés ont un « défi d'attachement » face à leurs parents adoptifs. Ce sont en effet « les survivants » de ce qu'ils ressentent comme un « rejet » de leur mère. Cette notion de rejet est présente consciemment ou inconsciemment dans presque tous les entretiens effectués. C'est pourquoi l'enfant adopté a besoin de sécurité, de rîtes (alimentation, bains, coucher). La routine et l'habitude sont sécurisantes pour lui. Ces repères sont tout aussi importants à l'adolescence, lors de la quête de l'identité propre à tout adolescent. Même si les adolescents ont dans la majorité des cas compris pourquoi ils avaient été confiés à l'adoption, ils ont éternellement cette question en eux : pourquoi moi ? Pourquoi m'avoir abandonné moi alors qu'elle a gardé mes autres frères et soeurs ? Le sentiment de culpabilité peut aussi se manifester. A six ou sept mois, un enfant sait ce qui est important pour lui. L'attachement dépend aussi de la relation entre l'enfant adopté et ses parents adoptifs. Parfois, au début, l'enfant ne s'attache qu'à un parent. Cela peut par exemple être avec la mère si l'enfant adopté n'a connu que des femmes à l'orphelinat et ne connaît pas d'hommes. L'enfant peut de plus arriver avec des carences affectives importantes. Il peut être bon de s'impliquer dans la future adoption des enfants, leur faire écouter des sons nouveaux, leur montrer des personnes de peau blanches, pour préparer à la transition. Dans cette enquête, le témoignage le plus révélateur du problème d'attachement est celui de Marie-Pierre (voir dans les annexes du mémoire). Marie-Pierre a des problèmes d'attachement avec ses parents, mais aussi avec ses amis (hommes ou garçons). La difficulté majeure pour elle est d'accepter sa situation d'adoptée ainsi que ses parents. « Mon frère et ma soeur, on s'aime parce que c'est nous ! Mais mes parents, ils nous aiment parce qu'ils voulaient des enfants, mais pas parce que c'est nous... Et puis c'est tombé sur nous cette adoption » (page 5). « On est plus comme des colocataires qu'une vraie famille quoi. Je n'ai pas de lien assez fort avec ma mère. Enfin c'est ce que je pense mais pas elle ». (Page 7). Le problème d'attachement ici est connu par Marie-Pierre elle-même ; elle est en consciente et en souffre. Mais il est très difficile de régler un problème d'attachement, engendré par une blessure psychologique profonde : l'abandon de la mère biologique. Cet abandon, même lorsqu'il est perçu comme un geste de courage et d'amour par la mère, est difficile à accepter pour l'adolescent. L'attachement se fait aussi bien sûr par le comportement des parents adoptifs, l'attitude qu'ils ont envers leur enfant. « Mes parents, ils ont toujours été ensemble, ils font petit couple heureux ensemble, et du coup, mes frères et soeurs et moi, on s'est senti comme un peu exclus. C'est rare qu'on ait eu le sentiment de former une famille » (Marie-Pierre, page 5) On voit bien ici qu'il y a un véritable trouble d'attachement, tant pour l'adopté que pour ses frères et soeurs adoptés eux aussi. C'est pourquoi le contexte de l'adoption, le climat familial, les motivations des parents adoptifs sont des éléments extrêmement importants pour les adolescents adoptés. Il semble primordial pour les enfants et les adolescents de sentir qu'ils font partie de la famille à part entière, qu'ils ne sont pas là au hasard, mais parce qu'on les a désirés. Dans ces problèmes précis d'attachement, on reconnaît bien sur que l'intégration familiale n'est pas réussie. Cela engendre bien sûr beaucoup de conflits au sein de la famille, tant au niveau des adolescents que des parents adoptifs. Les parents se sentent dépourvus face à cette situation, et culpabilisent bien souvent. Mais il faut savoir qu'un problème d'attachement n'est pas toujours la faute d'une personne uniquement. L'adolescent peut avoir des difficultés à s'attacher à sa famille, malgré la meilleure volonté des parents. L'adoption est toujours un pari qu'il faut gagner. « Moi j'ai un trouble de l'attachement, malgré ce que dit ma mère. Mais elle a du mal à accepter ça je pense aussi. Ce n'est pas facile pour elle. (Page 13) Même si j'ai un grand respect pour mes parents (...), je le sens en moi que ce n'est pas mes parents là, ce n'est pas de ma faute mais je le sens. (Page 13)». (Marie-Pierre, page 14) L'adoption a ici créé des problèmes chez Marie-Pierre. Son intégration familiale n'est pas complétée. Elle ne se sent pas complètement faisant partie de la famille. « Je sais que mon adoption m'a apporté des problèmes que j'essaie de régler, et puis ce n'est pas un problème facile à régler car, ce sont des problèmes psychologiques (page 14). Je vais m'éloigner pour ne pas souffrir d'aimer en fait, pour ne jamais être déçue. Je suis toujours sur la défensive, tout le temps. » L'adoption a donc produit un sentiment d'autodéfense perpétuel chez Marie-Pierre. Ayant vécu son adoption comme un abandon de sa mère biologique, elle s'est créé un mode de relations sociales limitées. Elle a peur d'aimer et d'être rejetée par la suite. Cependant, un problème d'attachement n'empêche pas l'intégration sociale de l'adolescent adopté. L'exemple de Marie-Pierre est le plus parlant. Elle a un véritable souci d'attachement dans sa famille adoptive mais est très bien intégrée socialement. Elle s'occupe notamment d'une petite fille de sept ans ayant été maltraité par son père, et prévoit de devenir sa tutrice. Il semblerait que l'adoption ait provoqué chez Marie-Pierre un sentiment de responsabilité envers cette enfant, qui a été abandonnée affectivement par son père. Peut-être est-ce une façon de répondre à l'abandon qu'elle a elle-même connu. II. L'adolescent adopté, l'intégration et son environnement social A. Les activités des adolescents Nous nous sommes intéressés au fait de participer à des activités, d'avoir une vie sociale autre que l'école ou le système scolaire, dans le cas d'une adoption internationale. On a pu constater que les adolescents adoptés avaient une certaine ouverture d'esprit et envie de découvrir d'autres cultures, des sports, d'être avec les autres. Beaucoup de ces adolescents, comme tout adolescent, participent ou ont participé à des activités sportives ou culturelles. « Au secondaire, je faisais partie du club interculturel, on organisait des soirées à thèmes, j'aimais bien participer à ça, c'était sympa. La plupart venaient aussi d'autres cultures ». (Christine, page 6). Tous m'ont témoigné leur envie de faire quelque chose avec les autres, de s'ouvrir à d'autres activités. « Je joue au soccer, c'est important pour moi, j'aime ça faire partie d'une équipe c'est le fun je trouve » (Karine, page 6). Une activité culturelle peut aussi être le moyen de découvrir ou de mieux connaître sa culture d'origine, comme pour Marie-Pierre par exemple « Pour me rapprocher de ma culture, j'ai pris des cours de Baladi, c'est une danse arabe » (Page 12). Pratiquer cette danse orientale lui permet de se rapprocher de sa culture dite de sang, en l'occurrence ici, la culture libanaise. D'autres adolescents, comme Gabriel, quatorze ans, ont développé une forte amitié avec d'autres jeunes du quartier. « J'ai aussi plein d'amis dans le quartier, on fait pleins de choses ensemble. On est un bon groupe de gars là, des noirs, des arabes. On joue beaucoup au basket, au hockey, dans le quartier, on fait pas mal de sport... Aussi on a un studio pour faire du rap ensemble, à quatre, et on devrait enregistrer un titre bientôt ». (Page 8). L'adolescence est bien souvent le moment où l'on a besoin de faire partie, de s'identifier à un groupe, pour développer une identité. C'est donc le cas de Gabriel, comme tous les autres adolescents de son âge, qu'ils soient adoptés ou non. La cohésion d'un groupe permet de faire des projets, comme ici d'enregistrer un titre de musique rap à Montréal. Il y a aussi les relations soudées grâce à l'adoption, comme ce fut le cas pour Marie, quinze ans : « Je suis arrivée avec d'autres filles du Guatemala aussi, on est comme des soeurs en fait. On se voit chaque année, on mange ensemble. C'est important de nous revoir comme ça tous les ans, on est très proches » (Page 7). L'adoption de Marie s'est faire en même temps que d'autres enfants du Guatemala. Les parents ont gardé contacts, et leurs filles aussi. Ce qui fait que ces jeunes sont désormais très soudés par leur histoire commune, et se fréquentent ainsi une fois par an. Ces rencontres sont importantes pour un jeune, car cela fait partie de son histoire, de son passé. Ces moments peuvent ainsi servir à se remémorer les moments de l'arrivée, que ce soit avec des photos, des vidéos qu'ont conservés les parents. Ce sont des moments de ressources pour l'adolescent, qui rappellent qu'il n'est pas le seul à vivre cette histoire-là. Nous pouvons dire que ces activités permettent l'intégration sociale des adolescents, qui appartiennent ainsi à un groupe. Ils ne sont plus différents mais compléments d'un groupe qui a besoin d'eux pendant les matchs de soccer par exemple, ou pendant une réunion avec d'autres adoptés. L'activité sportive ou culturelle peut aussi être le moyen de découvrir de façon ludique sa culture d'origine, comme c'est le cas pour Marie-Pierre. La danse lui a permis de rencontrer d'autres personnes de la même origine qu'elle. Cela lui a permis de discuter avec des libanais, tunisiens, marocains de la culture arabe qu'elle ne connaissait pas. En ce sens, pratiquer une activité en lien avec sa culture d'origine peut être facteur de création d'identité et d'intégration au sein d'un groupe ethnique. B. La participation aux services ou aux associations de post-adoption et milieux de l'adoption L'objectif de cette partie est de voir si les adolescents adoptés participent à des activités dans le domaine de l'adoption ou de la post-adoption. L'hypothèse sur le rôle des associations ou des activités dans l'adoption était de savoir si la participation à ces activités engendrait une meilleure acceptation de l'adoption, et une meilleure intégration chez l'adolescent. Les jeunes ne sont pas tous égaux devant l'information dans le milieu de l'adoption. C'est ce qu'on a pu constater grâce à la recherche pour ce mémoire. Certains connaissent l'existence de groupes de post-adoption sur Montréal, voir y participent. Tandis que d'autres ignoraient totalement qu'ils pouvaient participer à des groupes de discussion et rencontrer d'autres adolescents adoptés comme eux. L'entretien a dans ce sens était bénéfique pour certains à qui j'ai appris l'existence de ces services de post-adoption au Québec. Les adolescents qui connaissent ou participent à ces activités Certains adolescents sont poussés par leurs parents pour aller à ces rencontres de post-adoption, mais cela ne marche pas à chaque fois. « Ma mère m'a proposé de faire partie d'un groupe de post-adoption avec d'autres jeunes, mais ça ne m'avait pas intéressé. Mais je trouve ça bien pour ceux qui en ont besoin, au contraire ! » (Laurence, page 10). Le fait est que chaque personne est différente, et ne réagit pas de la même façon face aux aides apportées. Les adolescents n'ont pas tous besoin, ou disent ne pas avoir besoin, de faire partie de ces groupes. Cela dépend en effet de différents facteurs : la maturité à parler de son adoption, le regard que l'on y porte, les besoins, la relation avec les parents adoptifs. De plus, comme le témoignait à juste titre Gabriel : « Je veux dire aussi que quand on est adopté, on est quelqu'un de normal. Je ne suis pas obligé de rencontrer sans arrêt des adoptés comme moi. C'est pas une maladie d'être adopté quoi !... Dans une autre famille j'aurais peut-être pu avoir des problèmes, mais ici, ils me font sentir comme si je n'étais pas adopté ». (Page 9). C'est une chose très importante à signaler. Tous les adolescents n'ont pas envie d'être observées comme « des bêtes curieuses ». L'adoption est un fait, un phénomène familial. Mais il faut en effet avoir conscience que ce n'est qu'une étape de la vie, et la vie suit son cours ensuite pour la majorité des adolescents. Comme le disait aussi Stéphane, dix huit ans, « J'ai remarqué que c'était le traumatisme des enfants qui n'étaient pas adoptés d'être adopté (...), c'est plutôt les autres qui pensent que l'adoption crée des problèmes, mais pas moi (page 7) J'ai un truc à dire aux gens, arrêtez de vous inquiéter pour les adoptés, même si tu connais pas ta mère là, ça changera pas ta vie (page 8). Stéphane, dix huit ans, conçoit ici son adoption comme quelque chose de banal. Il veut effacer cette image que l'on a sur l'adoption, le côté tragique. Chez certains adolescents, l'adoption n'est pas le phénomène le plus important dans leur vie. Ils ont accepté ce fait, et vivent avec, tout à fait naturellement. Ce qui explique donc que tous n'ont pas envie d'aller exposer leurs histoires d'adoptions et leurs expériences. Ils ne s'attardent pas là-dessus. Cependant, on peut aussi penser que l'adolescence étant une période où il est difficile de se confier, certains adolescents n'ont peut-être pas tout dévoilé durant l'entretien. Mais comme le prescrit la recherche en sociologie, il sera accordé toute la confiance nécessaire à la véracité des entretiens obtenus. Christine est originaire des Philippines et a vingt et un ans. Elle fait partie d'un groupe de retrouvailles sur Montréal en tant que bénévole, avec sa mère. « On aide les personnes adoptées qui veulent retrouver leurs parents biologiques, ou les parents qui veulent retrouver des enfants qu'ils ont mis en adoption. On les prépare aux retrouvailles (...) c'est difficile, moi aussi je suis passée par là. » (Page 7) Concernant l'existence des groupes de post-adoption « Moi je n'ai pas eu besoin de faire partie d'un groupe ou quoi. Mais pour les jeunes qui en ont besoin, je pense qu'il y a pas mal de centres communautaires qui sont là pour les adoptés (page 7) J'ai fait un stage pour aider les immigrés à apprendre le français, tous les samedis, j'allais avec ces gens pour les aider à lire, à écrire. (Page 7). On voit ici la détermination de Christine à aider les autres, qui comme elle, viennent d'ailleurs. Cela correspond bien à la notion d'ouverture d'esprit des adoptés dont nous parlions précédemment. Il y a aussi le cas des adolescents dont les parents sont impliqués dans le milieu de l'adoption au Québec. « Ma mère est la présidente de l'association, elle écrit le journal de l'association, c'est vraiment elle qui s'occupe de tout, et mon père il est le trésorier. Je trouve ça bien qu'ils fassent ça, ça m'intéresse beaucoup, d'ailleurs je vais à toutes les réunions, je m'occupe des enfants quand leurs parents sont en réunions » (Marie, page 6). On voit ici l'implication de Marie dans ces mouvements, par le biais de l'activité des ses parents. Le fait que les parents participent à ces activités montre à l'adolescent qu'ils s'intéressent à l'adoption, qu'ils aiment ce milieu, ce qui est valorisant pour les adolescents. Ce facteur favorise de plus l'intégration familiale de l'adolescent, ayant le sentiment qu'on s'intéresse à lui et à son adoption. « C'est vrai que je suis fière que mes parents s'intéressent à cette culture, parce que ça montre qu'ils s'intéressent à moi aussi. Si ils ne s'intéressaient pas à ma culture, je ne serais pas intéressante pour eux. C'est une partie de moi, donc ça me fait plaisir qu'ils s'y intéressent autant. » (Marie, page 4) Karine, quatorze ans, originaire du Guatemala fait aussi beaucoup dans le domaine de l'adoption. Elle a déjà participé à un interview du magazine féminin Elle québécois. « Ma mère est dans l'adoption, elle fait du bénévolat (...) ce qui fait qu'on parle beaucoup, donc elle sait ce que je ressens en fait... Elle fait partie du Conseil d'Adoption du Canada (page 3) Des fois, je participe aux conférences de son organisme, je témoigne (...), je participe pas mal sur Internet, il y a des forums par exemple. (Page 3) Je partage ce que je ressens. Ca fait du bien parce que je sais que j'aide d'autres parents adoptifs qui se demandent comment ça sera après avec leur enfant. (Page 3). La participation aux réunions permet de témoigner ce que l'on ressent, aux futurs parents adoptifs, aux adolescents aussi. On peut dire que cette mission de « témoignage » qu'a Karine va lui permettre de se sentir mieux dans sa peau, voir de se sentir mieux intégrée dans la société québécoise puisqu'elle y a un rôle important. Karine ajoute de plus, « Aussi, j'allais aux réunions de la Fédération des Parents Adoptants du Québec, comme ça je rencontrais d'autres personnes du Guatemala, et d'autres pays, donc j'aimais bien ça. C'était le fun de voir que je n'étais pas toute seule. (Page 6). La participation à ces réunions permet donc à Karine de voir qu'elle n'est pas la seule dans sa situation d'adoptée. Cela apporte un réconfort et atténue le sentiment d'être différent qui peut parfois être ressenti. Ses témoignages sont d'une grande utilité dans l'association. « J'ai expliqué ce que ce voyage m'avait apporté. Je suis contente de pouvoir aider les gens. Après mon témoignage, un couple de parents est venu me voir. Ils ont décidé de faire une adoption ouverte. Donc en fait, à cause de moi, l'enfant va sûrement connaître sa famille biologique. Je suis vraiment contente. » (Karine, page 7). Témoigner sur son adoption a ici des effets très positifs puisque Karine a réussi à démontrer à un couple d'une adoption ouverte pouvait être intéressante aussi pour l'enfant. 52(*) Sur trois personnes participantes à ces activités de post-adoption et de conseil à l'adoption ou aux retrouvailles ; tous sont enchantés d'y participer. Cela développe leur connaissance du milieu de l'adoption, leur permet de rencontrer des parents adoptants, des enfants, des adolescents adoptés. Ils peuvent ainsi partager leurs expériences. La participation à ces activités a donc un effet très positif sur les adolescents et un rôle intégrateur dans le milieu de l'adoption. Le danger cependant est que l'adolescent ne fréquente que des personnes adoptées et n'ait pas de contacts avec d'autre adolescents. Toutefois, ce n'était le cas d'aucun des adolescents interviewés à Montréal. Les adolescents qui ignorent l'existence de ces activités Certains adolescents au Québec (mais cela peut sûrement se vérifier en France) ignorent l'existence de groupes de post-adoption au Québec, et à Montréal. Les entretiens ont mis le doigt sur une défaillance des services sociaux de Montréal en matière d'adoption. Au terme de l'entretien, nous avions donc bien souvent une conversation à propos de ces groupes de discussion sur l'adoption, sur les retrouvailles. J'ai ainsi pu orienter les jeunes vers des centres sociaux, des organismes montréalais offrant des services dans le domaine de l'adoption. Pour certains, les entretiens ont donc été instructifs. La plus révoltée en apprenant l'existence des groupes de discussion sur l'adoption a été Ariane. « Je n'ai jamais été au courant de ça ! Il faut aller où pour avoir ses informations-là ? Je trouve dommage que tout le processus de l'adoption soit centré sur les parents et non pas sur les enfants. (Page 10). Cela n'est pas tout à fait faux. Il y a plus d'organismes s'occupant des parents que des enfants et adolescents. « Quand tu vois les reportages, tout est recentré sur les parents, sur leurs problèmes, et moi je trouve qu'il n'y a pas assez de choses faites au Québec pour les ados et les enfants » (Ariane, page 10). Ce témoignage montre bien l'ignorance de certaines jeunes envers l'existence de services d'aide post-adoption. C'est assez dommage que des jeunes adoptés ne puissent pas en profiter. Car cela pourrait régler quelques uns des problèmes et questions qu'ils se posent. De ce constat, j'ai donc pris quelques initiatives, en contactant les services de post-adoption de Montréal. J'ai fait circuler l'information du fait que certains adolescents n'avaient jamais entendu parler de ces services à Montréal ; et qu'il serait bon de s'associer avec les organismes d'adoption pour qu'ils informent parents et enfants lors de l'adoption. Parfois, le jeune adopté ressent comme un « délaissement » concernant les adoptés. « C'est bien de se pencher là-dessus parce que quelque part c'est une problématique. L'adoption ce n'est pas rien, c'est un abandon, c'est comme si on centre juste sur le fait que le parent est content, il a eu son enfant ! » ...« L'enfant il est quoi là-dedans, c'est comme un traumatisme dont il faudrait s'occuper, parce que après cela peut avoir des conséquences quoi. » (Ariane, pages 10 et 11). De la part de certains jeunes, on constate que l'adoption a parfois été source de difficultés et que participer à un groupe de discussion les aurait nettement aidés. « Si on m'avait proposé, j'aurais sûrement été voir, vers treize ans, ça m'aurait intéressé (page 5) Si il y avait un groupe sur la Corée du Sud, j'irais voir oui, par curiosité ». (Elodie, page 5). Là encore, cette adolescente de dix huit ans a été mal conseillée concernant un groupe de discussion. « Je ne savais même pas que ça existait. Je n'ai jamais entendu parler de ça. C'est vrai que si j'avais pu, j'aurais été. Dire mon vécu, raconter mon adoption. Ca m'aurait dit dans ma tête que je ne suis pas tout seul (page 8) Mais c'est vrai que ça manque un peu les groupes de discussion sur l'adoption, sur les pays d'origine, ça pourrait aider des enfants ou des adolescents qui ont des difficultés avec ça ». (Michael, Page 11) Même si les parents dialoguent avec leur adolescent adopté, un groupe de discussion peut être un complément. Car l'adolescent ne dirait pas obligatoirement tout ce qu'il a sur le coeur à ses parents. « Faut pas que le parent croie qu'il est un super héros et qu'il va dealer tout seul, il y a des services et il faut voir ça avec eux pour se faire aider » (Rachelle, page 7) Le constat de cette partie est assez frappant. Des services de post-adoption existent, mais tous les adolescents ne sont malheureusement pas au courant. La faute à qui ? Aux parents non-informés ? Aux services sociaux et associations qui ne font pas assez de publicité pour leurs services ? Aux organismes d'adoption qui pourraient informer les parents lors de l'adoption de l'enfant ? Ce qui est dommage, c'est que si les adolescents avaient eu l'information, certains y auraient participé. Le Québec a donc encore du travail à faire dans son information de services, notamment dans le domaine de l'adoption, afin que toutes les personnes intéressées puissent bénéficier de l'aide proposée. III. L'identité de l'adolescent adopté
L'adolescence est une période de crise nous en conviendrons. Elle se manifeste différemment selon les adolescents, adoptés ou non. Car comme on l'appelle, « la crise de l'adolescence » n'est pas l'apanage uniquement des personnes adoptées. D'ailleurs, pour la plupart, l'adolescence des adoptés ressemble à celle des autres jeunes. Pour chacun d'eux, ce moment de la vie est une période de changements physiques, de questionnements sur le sens de la vie, de la remise en cause des parents et la recherche de l'identité personnelle. Dans le cas d'une adoption, il y a ce qu'on appelle une « phase de réaménagement », un passage fréquent à l'adolescence. L'adolescent adopté construit alors son « roman familial ». Il idéalise ses parents biologiques, sa famille, c'est une histoire familiale imaginaire et romancée. C'est un besoin pour l'équilibre. Il faut aussi accepter le fait que l'on a été abandonné, afin d'être épanoui dans sa relation avec ses parents adoptifs. Le roman familial (selon Freud) consiste, pour un enfant, à inventer et à amplifier la situation familiale, au point de se réinventer des parents d'un niveau supérieur que ce qu'ils sont en réalité. Ce même fantasme détermine ses actes plus tard à l'âge adulte. Qu'est ce que le roman familial ? Attardons nous quelque peu sur la notion de roman familial. Tout enfant biologique ou adopté, utilise à un moment ou un autre, le roman familial. C'est un moyen d'apaiser des tensions intérieures. L'enfant idéalise ses parents. Il les souhaite parfaits et il les voit ainsi. Vient un moment où il réalise que, malheureusement, ils ne sont pas parfaits. Pour remédier à cette situation, qui lui cause des problèmes, l'enfant met en action son imaginaire et se met à fantasmer à des parents idéaux. Certains en viennent à penser qu'ils ne viennent pas de la famille, qu'ils ont été kidnappés et que, quelque part au loin, existe une famille aimante et compréhensive qui les aimerait tendrement. L'enfant biologique peut penser avoir été adopté, même s'il a toutes les preuves contraires. Le roman familial atteint son apogée à l'adolescence. Chez les adolescents adoptés... Pour les enfants adoptés, la situation est différente. Il existe bel et bien quelqu'un, au loin, qui pourrait bien s'inquiéter de lui, qui pourrait bien l'aimer comme il le souhaite. De plus, cette personne pourrait bien lui ressembler. Pour cette raison, le roman familial demeure vivant plus longtemps dans l'esprit des jeunes adoptés. Il est présent chez plusieurs durant l'adolescence et parfois même jusqu'à l'âge adulte. L'enfant adopté se sert du roman familial pour apaiser son mal d'abandon. Pour mieux vivre cette situation, il garde espoir d'avoir été voulu par ses parents de naissance. Ils les idéalisent. C'est à cette image de parents d'origine parfaits que le jeune compare ses parents adoptifs. Il ne faut pas oublier que le roman familial sert d'outil pour réduire le mal ressenti par rapport à « l'imperfection » de ses parents. « C'est sûr que des fois, pour blesser ma mère, je lui dit, oh t'es pas ma mère de toute façon. Mais c'est sûr que c'est injuste parce qu'elle est super, mais bon, je dis ça quand je suis très énervé. » (Gabriel, page 5). Ce mal est encore plus intense chez l'adopté qui doit vivre avec le deuil de ses origines. Tant que le travail de réconciliation avec son passé n'est pas fait, le jeune voudra se protéger en entretenant le plus possible le roman familial. L'adolescence est une période de confrontation de valeurs avec les parents. Comme tous adolescents, l'ado adopté se cherche, cherche ses valeurs. Cela ne se fait pas sans remise en question, sans argumentation. Ce processus normal de conflits de valeurs avec les parents, est souvent mis sur le dos de l'adoption. Plusieurs ados en viennent à penser que les parents de naissance, les comprendraient beaucoup mieux que les parents actuels. « Si j'étais avec mes parents de naissance, eux ils me comprendraient ! » (Gabriel, page 5). Le roman familial est toujours en fonction chez l'adolescent adopté. Il y a des limites au roman familial chez l'adopté. L'adolescent qui développe ses capacités cognitives vient à réaliser toute l'ampleur de l'abandon et arrive difficilement à se protéger de cette réalité par le roman familial. La fuite vers l'imaginaire n'est plus possible. Il acquiert un esprit plus logique, l'adolescent peut réfléchir sur les possibilités perdues. Il est en position de se demander comment sa vie aurait pu être s'il n'avait pas été adopté. Ces questions plus terre à terre viennent réduire l'importance du roman familial. L'adolescence est un passage où les questions d'identité arrivent, si elles ne sont pas arrivées avant à l'enfance. L'adolescent adopté peut se poser les questions « qui suis-je ? L'adolescent adopté appartient génétiquement à un groupe, et culturellement à un autre, ce qui peut être assez difficile à vivre. Il appartient aux deux groupes, ils font partie de lui. « Je pense que la famille qui va adopter, c'est important que au début au moins, elle s'adapte au jeune et non que nous on s'adapte à eux (...), il faut laisser ce jeune-là s'introduire lui-même dans sa nouvelle culture, il faut le laisser faire la transition » (Rachelle, page 7) C'est pourquoi la relation que l'adolescent a avec ses parents est primordiale pour son développement et sa création d'identité. « Des fois, pour blesser ma mère, je lui dit, oh t'es pas ma mère de toute façon. Mais c'est sûr que c'est injuste parce qu'elle est super, mais bon je dis ça quand je suis très énervé ». (Gabriel, Page 5). « Ma mère adoptive a toujours été très ouverte à ça, on se parlait, c'est pour ça que je pense que mon adolescence s'est passée normalement. » (Page 3). La dialogue est ici démontré comme très important à l'adolescence. Le fait qu'il n'y ait aucun tabou (surtout pas sur l'adoption) favorise le bien-être puis l'intégration sociale de l'adolescent. Les parents qui montrent une certaine fierté envers leur adolescent permettent à se dernier son épanouissement maximal. L'harmonie de l'adolescent dépend de la façon dont les parents auront parlé de l'adoption à l'adolescent et des outils qu'ils lui auront donné pour répondre aux autres. « Nos parents nous ont toujours donné les outils pour nous défendre, pour répondre aux attaques » (Rachelle, page 5). Le rôle des parents dans une adoption permet ou non l'intégration de l'adolescent. Si ces derniers « équipent » l'adolescent pour répondre aux attaques, il sera plus sûr de lui. « L'adolescence, ça a été un peu tendu, c'est sûr (...) Au final il y a des moments positifs et des moments négatifs (...) La sortie de l'adolescence a été une période plus heureuse (...) Quand tu es chez tes parents, c'est eux qui te façonnent, et quand tu sors de ça, c'est comme si tu commençais à t'affirmer » (Ariane, page 4). L'adolescence des adolescents adoptés peut être semblable à certains niveaux à celle des non-adoptés (tensions avec les parents, demande d'indépendance). Mais c'est un fait que les adoptés doivent créer leur identité plus intensément que les autres. Le fait d'avoir des origines étrangères n'est pas neutre. Le regard d'autrui, les questionnements identitaires ajoutent une difficulté en plus à l'adolescence des adoptés. Cependant, certains adolescents perçoivent leur adolescence comme semblable aux autres. Pour eux, l'adoption ne change rien à la difficulté de l'adolescence. « C'est vrai qu'il y a eu plus de tensions à cette période, mais ça n'avait aucun lien avec le fait que j'étais adoptée, je vois pas. C'était vraiment parce que c'était l'adolescence, on s'engueulait, mais ce n'était pas sur ce sujet-là quoi. (...) Pour moi, cela n'a jamais été comme une barrière à porter mon adoption. Les disputes et tensions familiales à l'adolescence ne sont donc pas toujours obligatoirement liées à l'adoption. « Que je m'engueule avec ma soeur qui vient de Chine ou ma soeur qui vient du Vietnam, il n'y a pas de relations avec l'adoption. (Laurence, page 9) Un des facteurs expliquant cela est l'acceptation de l'adoption par l'adolescent. La façon dont il voit son adoption sera primordiale dans la manière dont son adolescence va se passer. « Moi je pense que ça c'est bien passé, comme les autres quoi, c'est juste que tout dépend du fait de ton acceptation que tu soies adopté. (...) Si tu ne l'a pas accepté depuis l'âge de cinq ans, l'adolescence sera encore pire, parce que là tu vas encore chercher ton identité sexuelle, culturelle, tu as plein d'identité à trouver. Avec l'adoption, tu as une identité de plus à trouver, donc parfois ça peut être difficile ». (Laurence, page 9). Cette adolescente de dix-huit nous montre bien quel parcours peut être l'adolescence, et en même temps, que l'adoption peut créer des difficultés supplémentaires pour l'adolescent, notamment au niveau de l'identité qui va alors être plus complexe à trouver. L'important dans une adoption, c'est la manière dont cela est perçu par l'enfant, et aussi à l'origine, par les parents adoptifs. L'adoption augmente la difficulté de l'adolescence sur la création de l'identité, la peur du rejet ou de l'abandon, l'équilibre entre des besoins d'encadrement et d'autonomie, le sentiment d'appartenance à la famille et au milieu de vie et la curiosité au sujet de ses origines. La création de l'identité des adolescents adoptés peut être plus complexe parce qu'ils ont en quelque sorte « deux familles », comme le dit Stéphane, dix sept ans « Genre là j'ai deux mères, c'est ben mieux encore...Puis ils s'entendent bien ensemble, et puis c'est parfait, genre ça ne me dérange pas du tout là. » (Page 4) Cependant, pour certains, il leur apparaît difficile de départager jusqu'à quel point ils sont semblables ou différents de leurs « deux paires de parents », surtout que le plus souvent ils ne savent rien de leurs parents de naissance. Les adolescents adoptés se posent différentes sortes de questions comme « d'où me vient tel ou tel trait de caractère », « talent ou intérêt » ? « Est-ce que j'ai des frères et soeurs » ? « Est-ce que tous les membres de ma famille d'origine sont petits ou grands » ? Ces questions sans réponses sont autant d'interrogations qui peuvent perturber l'adolescent dans son développement, si les questions prennent trop de place dans sa vie. Souvent, les parents adoptifs n'ont pas de réponses à ces questions bien légitimes. Les adolescents adoptés peuvent se replier sur eux-mêmes ou chercher à fuir loin de la maison pour trouver leur véritable identité. Ils peuvent être très critiques de la façon dont leurs parents adoptifs les ont préparé à leur statut d'enfant adopté. Par ailleurs, il est bien possible que certains adolescents craignent de quitter la maison parce qu'ils ont déjà souffert de la perte de leurs parents de naissance. Par exemple, s'ils doivent aller poursuivre des études loin de leur foyer, certains adolescents adoptés peuvent craindre que leurs parents adoptifs vont les oublier, qu'il n'y aura plus de «maison» où retourner. Ils auront peur d'être abandonnés. La tension entre les parents qui ne veulent pas perdre le contrôle et les adolescents qui exigent plus d'autonomie est une notion essentielle de l'adolescence. Les enfants adoptés peuvent la ressentir plus profondément parce qu'ils ont le sentiment que quelqu'un d'autre a toujours décidé à leur place. Leur mère de naissance a décidé de les confier en adoption; leurs parents adoptifs ont décidé de les accepter. Ces derniers peuvent craindre, à tord ou à raison, que leur enfant est prédisposé à avoir des problèmes de comportements parce qu'il a eu un départ plus difficile dans la vie (surtout pour un enfant adopté alors qu'il n'était plus bébé). En raison de ces craintes, les parents adoptifs peuvent resserrer leur contrôle au moment même où l'adolescent veut plus de liberté. L'enfant peut en déduire que ses parents manquent de confiance en lui. Il faut alors que les parents et les adolescents arrivent à conclure une entente sur ce qui constitue un comportement digne de confiance, dans tous les domaines (école, choix des amis, choix d'activités). Ils peuvent convenir des privilèges et des conséquences associés au fait de démontrer ou de ne pas démontrer tel ou tel comportement. Si les deux parties ont leur mot à dire, il y aura moins de luttes de pouvoir. Les adolescents adoptés ont moins de points de repères pour comprendre qui ils sont, d'où ils tiennent leur identité. En fait, on leur fait souvent remarquer qu'ils sont différents : ils ne ressemblent pas à leurs parents, ni à leur frères et soeurs. Pas surprenant alors que l'adolescent puisse ressentir un sentiment de non appartenance. Les enfants de familles transraciales peuvent ressentir encore davantage ce sentiment d'aliénation. Ils deviennent très conscients de leurs différences physiques et ils luttent pour concilier leur origine culturelle à leur perception d'eux-mêmes. Les parents adoptifs peuvent augmenter le sentiment d'appartenance à la famille en fréquentant des adultes et des enfants de la même origine culturelle que leur adolescent. Dans la partie problématique de ce mémoire, nous avons parlé des travaux de Françoise Dolto. Elle situe l'adolescence entre treize et dix-sept ans, même si les limites sont assez floues53(*). C'est un âge intermédiaire, où tout évolue. On peut appeler cela une période de « mutation », un moment de fragilité. Elle compare en effet l'adolescent à un homard pendant sa mue, sans carapace, devant s'en fabriquer une autre. L'adolescence est une période de passage qui sépare l'enfance à l'âge adulte, elle a pour centre la puberté. C'est l'époque des changements, d'une part dans la relation que l'adolescent entretient avec son propre corps qu'il découvre. A cette période, on fait le deuil son enfance, du passé. L'adolescent, de plus quand il est adopté, entre dans un moment de sa vie nouveau et insécurisé. Toutes sortes de questions apparaissent. C'est aussi la période de la découverte de son corps et du corps de l'autre, de l'apprentissage de la sexualité. Il doit créer sa propre identité, partagée entre l'identité et la culture québécoise, et sa culture d'origine, qui parfois peut lui poser des questions. « C'est sûr qu'il y a plus de questions que quand j'étais petite en fait. Il y a des choses que je comprends mieux aussi. Les questions que je me pose le plus, c'est à qui je ressemble moi ? (...) Parce que mes amies ont les yeux de leur mère par exemple, ou les cheveux de leur père. Moi je ne sais pas à qui je ressemble (...).
Les questions de la ressemblance physique avec les parents sont de véritables problèmes chez les adolescents. Ne pas avoir de référents en matière de physique peut être assez déstabilisant finalement. De plus, dans toutes les familles dîtes « traditionnelles », on compare souvent les enfants à leurs parents ; celui-ci ressemble à son père, etc. Cela peut créer et accentuer le sentiment de différence de la part des adolescents. « Mais j'aimerais juste pouvoir faire le lien entre moi et mes parents en fait. C'est le côté biologique, à qui je ressemble le plus et puis tout ça qui me questionne ». (Karine, page 3). Savoir à qui on ressemble fait dont partie des questions les plus récurrentes chez les adolescents adoptés. Les origines peuvent être sujette à interrogations, voire à angoisse, pour certains jeunes qui n'ont pas vraiment d'informations sur leurs parents biologiques, sur leur pays d'origine. Chez certains, les origines peuvent même être motif de gêne dans la mesure où elle indique une autre appartenance que la culture québécoise. L'adoption établi un lien de filiation entre les parents et l'enfant adopté, mais cela n'efface pas les interrogations et les difficultés pouvant se poser. Elodie nous a ainsi livré son témoignage concernant son adolescence. « C'est sûr qu'il y a plus de questions qui se posent en fait. Parce qu'on est plus grand, qu'on s'intéresse plus quoi (...) C'est plutôt les autres qui s'intéressent plus à ton histoire. On a plus de liens, on a grandi, on est plus amis. Donc ils osent plus nous poser des questions par rapport à l'enfance. (...). L'adolescence est aussi un période où l'on a plus de fréquentations, plus d'amis, ce qui favorise les discussions sur l'adoption, et incite l'adolescent à en parler. « Ma crise d'adolescence si on peut dire, ça s'est passé vers l'âge de 14 ans. Mais bon ce n'était pas une crise plus importante parce que j'étais adoptée. (...) Mais vraiment j'avais les mêmes conflits que les autres ados, par exemple pour les sorties etc. (...) Mais je ne regrette pas cette période, car ça fait mûrir quand même. Pour moi c'est une période positive qui m'a permis de passer à autre chose. C'est une sorte de transition entre l'enfance et l'âge adulte. « (Elodie, page 2). La plupart des adolescents sont d'accord pour dire que l'adolescence est une période qui les fait grandir et mûrir. Certains profitent des questionnements de l'adolescence pour faire des recherches sur leurs origines, pour poser plus de questions à leurs parents. L'adolescence est souvent synonyme d'instabilité et de tensions. « J'ai remarqué que j'ai changé quand même, par rapport à quand j'étais petit. Des fois avec ma mère on s'engueule. Avant j'étais gentil et calme. Mais maintenant, je suis baveux, j'aime ça me chicaner. Aussi je déteste qu'on me donne des ordres ». (Gabriel, page 4) ; il y a différentes façon de vivre son adolescence lorsque l'on est adopté. Certains, comme chez Gabriel, peuvent développer une agressivité. Ils ont une adolescence assez orageuse, avec des possibles passages à l'acte, fugues, colères, reproches violents, rejet du scolaire. Cela peut être des moments pénibles à supporter pour les parents et la famille en général. « Je n'étais pas du tout stable, je restais, je repartais de chez moi, je ne me sentais pas à ma place dans cette maison là. Peut-être si on avait formé une vraie famille comme tout le monde, je ne serais pas partie comme ça. » (Marie-Pierre, Page 7). Ces adolescents ont besoin d'exprimer la haine et la révolte qui les habite du fait de leur abandon. « Je pense souvent à mon abandon. Mais je me dis, ben si ils m'ont abandonné, c'est qu'ils avaient de bonnes raisons. Je ne veux pas trop chercher non plus. » (Samuel, page 2) L'adolescence, qui débute vers douze/treize ans, est une période de questions, de remise en questions. « Vers l'âge de 15 ans, j'ai commencé à poser des questions sur mon adoption (...) j'ai eu l'information sur mes origines. Je me posais aussi des questions sur la sexualité, qui je suis, d'où je viens. Donc à cette période, j'ai découvert mes réponses. (Page 6). « Avoir ses réponses », une expression commune à de nombreux adolescents. L'adolescent a envie de savoir, de connaître, de comprendre son histoire personnelle ; ce qui l'a amené à être abandonné, puis adopté au Québec. Il est important de savoir d'où l'on vient pour savoir où on va. « J'ai eu une belle adolescence, assez difficile, mais pleine d'émotions. Mais j'ai survécu on peut dire. (Michael, page 7) Sur les quatorze entretiens effectués, il semblerait que la moitié des adolescents adoptés aient plus de difficultés que les autres adolescents non-adoptés. Surtout en matière de questionnements identitaires, d'interrogations sur la famille biologique ; l'adolescent a plus de travail à faire pour sa création d'identité. L'adoption peut donc être une difficulté supplémentaire à l'adolescence, avec, comme nous l'avons dit, une identité en plus à trouver par rapport aux autres adolescents. III. Quels sont les liens entre adoption, culture, identité et pays d'origine sur l'intégration de l'adolescent adopté ? Nous nous sommes intéressés à la vision qu'ont les adolescents de leur adoption. Est-ce cela leur a apporté des choses en plus ? Est-ce qu'ils regrettent ? L'adoption peut tout d'abord être vu et vécu comme une richesse et une chance. « C'est une bonne chose (...) ça m'a donné des opportunités que j'ai su saisir. » (Ariane, page 3). Les enfants adoptés sont en effet généralement informés du fait qu'ils viennent d'un pays où les conditions de vie son difficiles, et que leur adoption a été une chance pour eux. Christine dit avoir eu une belle vie grâce à son adoption, « J'ai eu une belle adoption, une belle vie, mes parents m'ont bien élevées, je n'ai jamais rien manqué, je m'estime vraiment chanceuse d'avoir été adoptée (page 3) Parce que bon les Philippines ben j'aurais pu mal finir, enfin avec la prostitution et tout, ma vie n'aurait pas été la même je pense. (Christine, page 3). L'adoption ici est perçue par Christine comme un facteur de « chance », compte tenu du contexte de certains pays pauvres d'om viennent les enfants adoptés. Cependant, comment être sûr que l'enfant n'aurait pas eu une vie meilleure s'il était resté dans son pays. Le fait de s'estimer chanceux peut parfois créer un sentiment de rejet par rapport au pays d'origine à cause de sa pauvreté. Certains adolescents adoptés ont un regard assez dur, mais réaliste, sur l'adoption. Malgré le fait que cela aide certains couples stériles, l'adoption « enlève » en effet des enfants à un pays. La jeunesse étant bien souvent l'avenir d'un pays, de quel côté peut-on juger l'adoption ? Du côté des parents stériles en occident ? Du côté du pays qui met certains enfants en adoption ? « Tu sais, ça coûte 15 00054(*) dollars pour adopter un enfant, est-ce qu'on donne l'argent à la famille qui donne son enfant ? Est-ce que le pays est mieux après ça ? C'est comme une grosse machine faite pour le parent adoptif, on s'en fout de l'enfant, des parents bio. (...) Je ne trouve pas correct de voir l'être humain en terme d'argent, je trouve que les frais d'adoption n'ont pas d'allure quoi je me questionne sur la légitimité de tout ça. (Page 11). Ariane exprime ici son indignation par rapport à la « légitimité » de l'adoption. « J'aimerais qu'une partie soit investie dans le pays, dans les orphelinats, ça doit créer des emplois. » (Ariane, Page 11). Le côté « financier » des adoptions internationales est en effet discutable, quand on voit les frais d'adoption à l'étranger. Cela sélectionne aussi les parents qui veulent adopter. Car tout le monde ne peut pas se le permettre. Certains adolescents sont réellement sensibilisés au côté financier de l'adoption internationale en général au Québec. Comme Ariane, certains aimeraient que l'argent reçu par les orphelinats, les organismes, soit réinvesti dans le pays, afin d'éviter un trop grand nombre d'abandon à l'avenir. Il est intéressant de constater que les adolescents ont a coeur l'avenir des futurs enfants, qui comme eux pourraient être abandonnés. On comprend bien sûr la motivation de ces principes. Ils se sentent concernés par ce qu'il ont vécu, et ne veulent pas que ça se reproduise. L'adoption peut aussi être perçue donc comme une richesse du fait d'avoir des origines étrangères. « C'est une richesse c'est sûr, parce que tout le monde peut pas aller chercher au niveau de ses origines, c'est un plus par rapport aux autres » (Ariane, Page 7). « Moi je sais que j'aime ça être comme ça, différente, c'est une certaine richesse, on a un truc à raconter. Ca ne me dérange pas en fait ». (Karine, page 5). L'adoption est une façon de se démarquer d'une certaine façon. Certains adolescents adoptés développent une sorte de fierté à avoir été adopté, car ils ont une histoire à raconter. Quand on sait qu'à l'adolescence, les jeunes recherchent souvent à se démarquer des autres, en ayant un signe distinctif, l'adoption est pour certains ce moyen de se démarquer. « Quand je racontais ça, les gens avaient les larmes aux yeux, les filles surtout » (Rires) (Gabriel, page 7). Gabriel racontait en effet pouvoir « frimer » avec son adoption, qui attire toujours l'attention. D'une nature assez sociable, Gabriel n'a pas de difficulté de raconter son histoire à ses camarades, il en a même fait un atout, voir parfois malheureusement, une arme contre sa mère, pour justifier une erreur de comportement. « J'ai vraiment l'impression que c'est une richesse d'avoir été adoptée, car je sais qu'au Québec, il n'y a pas beaucoup de natalité, et le pays vieillit, on n'a pas assez de bébés (page 10). Le Québec est en effet un pays, où comme les autres pays occidentaux, le taux de natalité est faible. Certains adolescents perçoivent donc l'adoption comme un moyen de « peupler » le Québec en quelque sorte. Par contre, ils sont conscients que l'adoption doit être faite dans un vrai but de désir et d'amour de la part des parents. Il est surprenant de voir que certains adolescents ont conscience de ce fait de dénatalité au Québec. « Il faudrait vraiment que ce soit pour l'amour d'un enfant là, pas juste dire ok j'ai adopté un enfant, pour qu'on paraisse bien là. Il faut vraiment que ça soit fait dans l'objectif du bien-être de l'enfant. » (Christine, page 10). Ce témoignage est très important car cela démontre que les adolescents ont réellement compris l'enjeu de l'adoption. Comme nous le disions précédemment, le rôle des parents adoptifs est important pour les adoptés. Ils doivent avoir conscience d'avoir été adopté dans un réel geste d'amour, et non pas par choix « humanitaire ». Cette notion d'amour est véritablement importante pour l'adolescent. Il doit ressentir le fait d'avoir été désiré par ses parents adoptifs, sans avoir le sentiment d'être redevable envers eux. Face à leur adoption, il peut parfois y avoir un sentiment de toujours devoir se justifier, parler de son adoption, expliquer pourquoi. « J'ai développé une espèce de...Je suis comme tannée d'en parler avec les gens, j'ai l'impression d'être comme un extra-terrestre à chaque fois que j'en parle. J'en ai un peu marre de devoir tout expliquer (page 5) Je ne m'attarde pas trop sur le sujet avec mes amis, je veux dire, je leur explique si on me questionne et tout, sauf que c'est pas plus que ça tu vois (Laurence, page 6). L'adoption entraîne en effet une sorte d'effet « loupe » sur la vie privée de l'adolescent et sa famille en général. L'infertilité des parents, l'intimité de la famille, tout est en quelque sorte mis à nu avec l'adoption. Les individus pensent devoir savoir la vérité sur la famille concernée sur l'adoption. Alors que dans les cas d'arrivée d'enfant par « voie normale », il n'y pas tant d'intrusions. Emma nous confie ainsi : « À certaines copines je parle de mon adoption oui. Elles me posent des questions parce que je suis plus mate que mes frères et soeurs. (Page 1) Des fois ça me gêne pas d'en parler et des fois un peu plus. Parce que des fois, elles vont chercher loin quoi, c'est un peu indiscret donc là ça m'énerve ». (Emma, page 1). Les autres individus non-adoptés n'ont peut être pas conscience d'être indiscrets parfois avec les questions que la vie de l'adolescent. Il convient d'avoir un certain recul par rapport à ça, et de ne pas constamment harceler l'adolescent de questions qui pourraient le gêner. Comme nous l'avons dit précédemment, les adolescents adoptés ont constatés que les parents sont plus pris en charge que les adoptés eux-mêmes. « Souvent on s'occupe plus du bien-être des adultes, des parents. Il faut aussi aider les enfants adoptés qui veulent faire des retrouvailles. Pour les adoptions internationales, c'est beaucoup avec les prêtres puis les religieuses qu'il faut faire ça, ils sont plus ouverts d'esprit que les autres » (Christine, page 10). Pour Christine, qui est bénévole dans un groupe de retrouvailles, en ayant faites elle-même, la recherche des antécédents peut être bénéfique pour l'adopté. « Mais c'est vrai que dans les médias, c'est toujours caché, dans les films, c'est toujours assez tragique une adoption. Et après les gens, ils croient qu'une adoption c'est forcément dur. (Page 2) Je pense que c'est quelque chose de bien pour les enfants oui. Après, tout dépend des circonstances de l'adoption quoi. Quand il y a des petits adoptés à 7 ans, bon. (Page 2). Les médias font en effet souvent l'amalgame entre drame familial et adoption. Les adoptions sont en effet des histoires d'amour, et il convient de ne pas faire tourner cela au tragique. Comme nous le dit Elodie, « Il y a les parents qui ne peuvent pas s'occuper de leurs enfants et qui les mettent en orphelinat ou autres. Et de l'autre côté, il y a les gens qui sont stériles, qui peuvent s'en occuper. Ca évite d'avoir trop d'orphelins dans le monde ». (Page 5). Cependant, l'adoption, acceptée la plupart du temps par la plupart des adolescents, peut entraîner quelques« Mon adoption a je pense, modifié ma vie. Parce que j'ai de la misère à faire confiance aux personnes, je ne peux pas avoir un chum (copain) stable. Moi j'ai l'impression que c'est à cause de mon adoption que je suis comme ça. » (Marie-Pierre, page 5). L'attachement est un défi pour tous les enfants et adolescents adoptés. La notion d'abandon est présente à l'esprit des adoptés. Certains peuvent avoir du mal à aimer de nouveau, à s'attacher à leurs parents adoptifs, et à leur entourage en général. Quand l'enfant ne parvient pas à établir ce lien sélectif d'attache avec ses parents ; cela peut entraîner toute une série de comportements sociaux inadéquats (comme c'est le cas de Marie-Pierre). Dans ce cas précis, l'adolescence sent qu'elle ne parvient pas à aimer, à faire confiance aux gens (amis, copains). Son abandon, puis son adoption (pourtant à l'âge de quatorze jours55(*)) ont ouvert une blessure dure à refermer. L'adolescent ou l'enfant victime de problème d'attachement a un souci avec l'amour, avec la confiance. Au lieu de former de nouveaux liens d'attachement, l'enfant se détourne de la relation avec autrui. C'est comme si il avait abandonné l'idée qu'on ne pouvait pas répondre à ses besoins affectifs. Les troubles de l'attachement entraînent que l'on se montre peut disposé à aimer et à se laisser aimer, en se liant de façon superficielle aux adultes. L'absence de lien d'attachement peut entraîner de plus une mauvaise intégration sociale à l'âge adulte. L'adoption peut donc créer de grandes blessures comme l'absence de liens d'attachements avec les parents adoptifs. Dans ces cas-là, l'intégration familiale de l'adolescent est assez difficile, ainsi que son intégration sociale puisqu'il a du mal à faire confiance aux autres adultes. D'autres adolescents sont en contacts avec leur mère biologique et le vivent bien. « Tu sais, c'est comme si c'était ma vraie famille, genre là j'ai deux mères, c'est ben mieux encore. Puis ils s'entendent bien ensemble, et puis c'est parfait, genre ça ne me dérange pas du tout là. (Stéphane, page 4). Il faut en effet savoir gérer le fait d'avoir plusieurs parents (biologiques, adoptifs). Même si les vrais parents sont ceux qui ont élevé et aimé leur enfant. Michael a été adopté à l'âge de cinq ans, ce qui est assez tard pour une adoption. Il se souvient très bien de son adoption, du jour où il est sorti de l'orphelinat (ce qui était très rare), et des émotions qu'il a eu, en voyant sa mère adoptive qui ressemblait à sa mère biologique. On retrouve encore ici cet éternel sentiment de « chance » part rapport à l'adoption du fait des situations de certains pays. « Quand j'ai vu ma mère adoptive, j'ai tout de suite senti que j'allais l'aimer parce qu'elle ressemblait à ma mère. (Page 4) Ca me fait pleurer des fois, parce que ça me dit dans ma tête, ils se sont déplacés pour le voir, ça a pris du temps dans leur tête pour dire « c'est ce garçon là qu'on veut, pas un autre », il y a beaucoup d'émotions (page 5). D'un sens il ont bien fait de m'adopter là, parce qu'en orphelinat, on n'est pas heureux. Je serai peut-être parti à la guerre. » (Michael, page 5). Ce jeune de dix huit ans s'estime donc « heureux » d'avoir été adopté, estimant qu'il aurait sans doute été L'effet de l'abandon sur l'enfant et l'adolescent dépend de nombreux facteurs, comme l'âge à l'adoption, le vécu avant l'adoption, les parents adoptifs, le caractère et l'acceptation de l'adolescent adopté. Certains problèmes liés aux adolescents adoptés peuvent parfois être liés à la perte de l'attachement avec la mère biologique. La douleur de cette séparation serait inscrite dans l'inconscient. C'est ce qui les affecterait le plus. Cette perte est difficilement exprimable. « Il y a trop de choses qui se passent dans la vie d'un coup, et c'est difficile d'accepter un abandon et de comprendre pourquoi. C'est beaucoup de travail sur soi » (Rachelle, page 7) Elle est moins reconnue de la société que la perte d'un être cher lors d'un deuil ou divorce. Pourtant, cette perte est une dimension très importante de la vie intérieure de l'adopté. L'enfant doit vivre le deuil de sa mère de naissance, de ce que sa vie aurait pu être. « Par rapport à mon abandon (...) en fait, elle n'avait pas trop le choix. Elle savait que si je restais avec elle, je n'avais pas une bonne vie, tandis que si elle me mettait dans un orphelinat, j'allais avoir une vie plus merveilleuse qu'au Guatemala. Dans le fond je suis contente qu'elle ait fait ça, je suis vraiment contente ». (Marie, page 4) Cet abandon est vécu avec plus de douleur en raison du manque d'explication concernant les origines et les causes de cette séparation. Il est souvent moins douloureux de savoir que de vivre dans l'ignorance, même si la vérité est difficile. Par exemple, Emma, quinze ans, a fait les démarches de retrouvailles de ses parents biologiques à Polynésie. « J'ai parlé avec ma mère (biologique) de mon abandon, de tout ça. Elle m'a éclairci un peu la situation. Ca m'a fait du bien en fait, je me sentais mieux après. Mais elle ne regrette pas tout ça, elle pense que c'était aussi me donner une chance d'avoir une vie meilleure ici ». (Page 3). Pour devenir adulte, l'adolescent doit se réconcilier avec son passé, avec soi-même et être capable de poser un regard positif sur sa vie. Il devra également pardonner. « Si un jour je les ai en face de moi, je pense que la question première qui me viendrait c'est d'abord le pourquoi ? Puis ce que je leur dirai, c'est merci, dans le fond je vois ça comme un acte d'amour là ». (Rachelle, page 6). L'adolescent doit « travailler » sur ce qu'il ressent comme un « rejet » pour en arriver à pardonner et ne pas blâmer ses parents biologiques, et ses parents adoptifs. L'adolescent doit quitter le rêve et les fantasmes du roman familial pour accepter sa vie comme elle est. « J'ai pas eu plus de problèmes que les autres à cause de mon adoption tu vois. Les seules questions qu'on peut se poser, c'est notre identité, pourquoi nos parents biologiques nous ont mis en adoption, abandonnés. » (Christine, page 3). Cependant, l'abandon, puis l'adoption a parfois des impacts négatifs au niveau des relations avec les autres, comme Marie-Pierre. « Avec mon adoption, je sens que j'ai du mal à m'attacher à quelqu'un en fait. L'abandon a vraiment eu des impacts sur moi. J'ai été abandonné deux fois, une fois par ma mère, et une autre fois par l'hôpital où j'étais. (Page 11) J'ai toujours peut inconsciemment d'être abandonnée encore une fois (page 11). Il est vrai que ce qui est perçu comme un abandon (de la mère et du service hospitalier) est ressenti inconsciemment par l'enfant, même à moins d'un mois. « Quand je sens que j'ai un peu trop d'amour pour cette personne là, et bien je fais tout pour qu'on se quitte (page 11). C'est juste pour être sûre de ne pas l'aimer là, et puis de ne pas souffrir non plus je pense ». (Page 11) La peur d'être « à nouveau rejeté » est perpétuellement dans l'esprit de certains adolescents adoptés. Ce qui est perçu comme un abandon par l'enfant et l'adolescent peut donc entraîner des séquelles psychologiques gênantes pour l'adopté. Il peut même jusqu'à ressentir de la difficulté à aimer les autres, de peur d'être à nouveau rejeté. IV. Etre adolescent au Québec et venir d'ailleurs (rapport avec le pays d'origine) L'absence de ressemblances physiques avec ses parents est bien souvent le lot de nombreux adoptés. Lorsque l'on est noir et que ses parents sont blancs, difficiles de s'identifier à ses parents, surtout à l'adolescence où l'on a besoin de repères. C'est alors plutôt au niveau des caractères que des ressemblances vont apparaîtrent. « Tu sais les gens disent, oh moi je ressemble à ma mère tout ça...C'est ça qui est le plus embêtant si on peut dire... C'est plutôt côté caractère où on va se trouver des points communs en fait. » (Laurence, page 10). L'enfant naît dans une famille biologique, mais grandit dans une autre famille, une famille dite de « coeur ». C'est donc un défi pour les parents et l'adolescent que de passer outre les remarques gênantes des autres individus concernant les ressemblances physiques. L'adolescent n'a pas toujours les informations concernant ses origines et ses parents biologiques. « J'ai été voir un physionomiste. Eux ils peuvent te dire, en regardant les traits du visage, tes cheveux, tes sourcils, te dire d'où tu viens vraiment. Donc il a dit que c'était pratiquement sûr que j'étais libanaise en fait. » (Marie-Pierre, Page 8) L'adolescent adopté a un problème plus complexe à surmonter pour définir son identité. Il n'a pas de parents qui lui ressemblent et la société ne lui offre pas de point de repère. De plus, il vit avec le dilemme d'être perçu comme québécois dans sa famille et comme un étranger dans la société. Avec le développement cognitif et de sa pensée, l'adolescent est en mesure de comprendre ce que signifie être noir ou chinois. Il réalise que sa couleur de peau est associée à une culture. Il comprend ce que représente être perçu haïtien ou chinois dans une société à majorité blanche. Les communautés d'origine ne sont pas perçues de la même façon par le groupe dit « majoritaire ». Certaines sont beaucoup mieux acceptées que d'autres. Ce sont les adolescents à peau noire qui vivent le plus de difficultés. Ils doivent vivre avec le fait d'être adoptés et de provenir d'une minorité stéréotypée négativement par la majorité. « C'est un rejet un peu car tu ne connais pas tes origines (page 3). C'est sûr que j'aurais aimé connaître mes vrais parents, mais justement, faut se dire qu'il faut regarder droit devant et que ça donne rien d'y penser » (Ariane, page 4) Parfois, l'adolescence est le moment où l'on commence à se poser des questions sur ses origines, comme ce fut le cas pour Laurence à treize ans. « Vers treize ans je me suis mise à accepter le fait que bon...Mes parents me disaient, tu en as quand même une petite partie, quand tu te regardes dans le miroir. Maintenant j'accepte plus le fait que je viens de Corée, que j'ai été adoptée. (page 6). Avec la maturité, l'adolescence permet bien souvent de franchir une étape au niveau de son acceptation de son adoption, et donc de ses origines étrangères. L'adolescence est pour cette raison une étape primordiale pour le développement de l'individu adopté. L'acceptation ou non qu'il va développer sur son adoption déterminera en partie Certains adolescents ont un intéressement pour leur pays d'origine, essaie de se renseigner sur l'actualité, sur la vie quotidienne. « Parfois on écoute les informations du pays, des fois on essaie des recettes des Philippines, je m'informe sur ce qu'il se passe là-bas. (Page 4). J'aimerais bien apprendre la langue des Philippines, rencontrer des Philippins, mais bon tu sais ici au Québec, il n'y en a pas beaucoup. (Page 4). Comme pour les groupes de discussion post-adoption, on peut constater qu'il y a un besoin de rencontrer d'autres jeunes de la même origine, pour apprendre sur le pays. « J'ai pu m'y intéresser aussi car mes parents n'ont jamais été fermés vis-à-vis de cette culture, ils ne m'ont jamais dit, ces gens sont pauvres, ils vivent mal » (Christine, page 4). Le regard des parents sur la culture d'origine de l'adolescent est très important pour le regard qu'il va lui-même porter sur sa culture d'origine, ainsi que sur lui-même. De plus, les réseaux de sociabilité que développent certains adoptés témoignent de la volonté prioritaire à s'identifier d'abord au pays d'accueil. En 1992, Terre des hommes, un organisme d'adoption international québécois, a fait une enquête sur ce thème. Elle a été réalisée sur 450 foyers adoptifs. Les résultats montrent que 80% des enfants adoptés à l'internationale on des amis, et que 14% recherchent des contacts avec des personnes de leur pays d'origine. Le développement de l'identité ethnique sera influencé par l'importance de la diversité ethnique dans le milieu d'accueil, et part la tolérance du pays d'accueil envers ces ethnies. Certains adolescents connaissent une certaine reconnaissance de la part d'individus de la même ethnie qu'eux au Québec. « Souvent, dans la rue, les gens m'abordent et me parlent en arabe, car ils pensent que je suis comme eux. Donc parfois c'est marrant. » (Page 9) Les contacts avec des gens de la même origine que soi permettent à l'adolescent de lui donner une idée plus précise de ce qu'est sa culture d'origine, comme ce fut le cas pour Marie-Pierre. « J'ai eu un copain musulman. J'ai vraiment vécu dans cette culture-là pendant un bon moment. J'ai fait le ramadan avec eux, j'ai mangé comme eux, j'étais vraiment immergée. (Page 9) Il est intéressant de voir que Marie-Pierre s'est immergée dans la culture de son copain musulman. Etant libanaise, elle a du être attirée consciemment ou non par cette culture qui est en lien indirectement avec elle. Cependant, être en contact avec sa culture d'origine ne signifie pas pour autant être en accord avec, comme ce fut le cas ici. « Il y a des choses dans lesquelles j'approuve et puis d'autres choses un peu moins là. » (Marie-Pierre, page 9). Marie-Pierre confiait ne pas trop être en accord avec l'Islam, durant la période où elle a pratiqué cette religion. Cela montre bien qu'elle a suffisamment été « imprégnée » de la culture québécoise (plutôt catholique), et qu'elle n'a pas eu le besoin de s'identifier à l'Islam pour compléter son identité. La recherche des origines est un sujet assez délicat à traiter, tant il aborde des thèmes sensibles, comme l'abandon, le rejet, la filiation, les ressemblances. Certains adolescents ont besoin de faire des recherches pour retrouver leur famille biologique ; tandis que d'autres n'ont absolument rien envie de savoir sur ce sujet. Les retrouvailles est un phénomène assez important au Québec, il existe même des sites Internet où l'on peut s'inscrire et lancer une recherche, notamment par le biais du site québécois : www.mouvement-retrouvailles.qc.ca. Des adolescents adoptés, des mères ayant confié leur enfant peuvent ainsi débuter une recherche à travers le Québec pour retrouver leurs antécédents. Cette partie de l'entretien est celle qui a suscité le plus de discussion de la part des adolescents. Les retrouvailles, la mère biologique sont des sujets qui intéressent beaucoup les adolescents. C'est pourquoi les questions de origines et des retrouvailles les ont beaucoup stimulé. Les recherches d'antécédents et les retrouvailles sont deux choses bien distinctes. La recherche d'antécédents concerne les informations sur les parents, le nom d'origine, le dossier médical. Les retrouvailles concernent justement le fait d'entrer en contact avec ses parents, de chercher à les rencontrer. Tout d'abord, il convient de dire que retrouver ses origines et sa famille ou sa mère biologique, c'est prouver qu'on ne vient pas du néant, de nulle part. Les personnes qui veulent faire des retrouvailles ont parfois vécu des problèmes dans leur adoption. Ils se sentent incomplets, sentent comme un vide, un manque à combler, à expliquer. A l'âge de quatorze ans, l'enfant adopté a droit à connaître son dossier au Québec. C'est donc parfois à cet âge là que des questions peuvent subvenir sur les origines et la famille biologique. « Quand je vais être là-bas, je vais regarder autour, les femmes qui seront dans la rue. Je me demanderais si ce n'est pas ma mère. (Page 5) Marie va en effet partie en voyage bientôt avec ses parents, au Guatemala, son pays d'origine. Elle va donc pouvoir découvrir son pays, rencontrer des gens qui lui ressemblent mais qu'elle n'a jamais vues. De plus, Marie va observer les femmes du pays pour voir si il n'y en aurait pas une qui pourrait être sa mère. Avant une rencontre avec sa mère biologique, on « fantasme », on imagine comment cela pourrait se passer, ce qu'on pourrait dire. « Si je l'avais en face de moi, je lui dirais merci je crois. Et puis je crois qu'elle serait contente de ce que je suis devenue. Elle serait rassurée que tout aille bien pour moi, que je fais des études (page 5). Marie va partie au Guatemala bientôt avec ses parents adoptifs et son frère lui aussi adopté. « Quand je vais aller là-bas, je vais peut-être essayer de la retrouver parce que j'aimerais ça la rencontrer. Mais d'un autre côté j'ai aussi peur qu'elle veuille que je reste avec elle. Parce qu'il faudrait que je lui explique que ma vie est ici. Mais si je la rencontre, je pense que je ne resterais pas en contact avec elle » (page 5). L'adolescent a bien souvent conscience des conséquences que peuvent avoir des retrouvailles avec la mère biologique. Il est en effet possible que la mère demande à l'adolescent de rester avec elle. Car une mère qui abandonne choisit ce qui lui semble être le meilleur avenir pour son enfant. C'est pourquoi retrouver un enfant que l'on a mis en adoption peut être un véritable choc pour la mère, qui désire que son enfant reste avec elle. Souvent, les adolescents « excusent » leur mère biologique par différentes raisons, « elle était trop jeune », « elle n'avait pas d'argent, pas de famille qui la soutenait ». Le père biologique lui bénéficie de moins de compréhension de la part de l'adolescent adopté, comme le témoigne Marie : « Mon père biologique lui c'est différent, parce qu'il a abandonné ma mère biologique, puis moi aussi. Donc si je le voyais, je serai un peu fâchée» (Page 5)
Certains adolescents font les recherches par eux-mêmes, sur leur culture d'origine et leurs racines. « J'ai lu beaucoup sur Haïti, j'ai fais des recherches, puis je suis allée deux fois à Haïti (page 5) J'ai fait ça par moi-même, on ne m'a jamais mise en contact avec la culture haïtienne... J'ai appris à parler créole, j'ai beaucoup écouté la radio. (page 5) Ca a été un choc culturel vraiment (...), tu vois les gens, c'est comme si tu ne pouvais pas être objectif par rapport à ce que tu vois (page 6). Ici, Ariane e eu un choc culturel et personnel en allant à Haïti, son pays d'origine, car ce pays est en ce moment en crise économique. Visiter son pays d'origine peut créer un véritable choc sur l'adolescent, et sur son adoption. « Tu te dis, pourquoi moi, j'aurais pu être dans leur situation aussi (page 6) Aussi, de voir des gens qui te ressemblent, c'est pas habituel. Tu te rends compte que les gens sont comme toi au niveau de la couleur de peau, mais tu es tellement différent d'eux (page 6). Les adolescents adoptés ont en effet un physique différent, mais ont pour la plupart intégré la culture d'accueil, celle du Québec. C'est pourquoi visiter son pays natal peut être déstabilisant voir dérangeant. Cela peut donner lieu à une remise en cause sur soi de la part de l'adolescence. Il peut en effet se sentir différent au Québec à cause de ses origines et de sa couleur de peau ; et se sentir différent dans son pays d'origine en raison de sa culture. C'est pourquoi il faut être vigilant avec les retrouvailles, surtout à l'adolescence. C'est pourquoi les besoins de l'adolescent doivent être écouté de la part des parents, tout en ayant conscience de la fragilité de leur enfant au niveau de la création de son identité. De plus, l'adolescence est un moment où normalement le jeune doit apprendre à se détacher de ses parents. En faisant des retrouvailles à ce moment, c'est le contraire qui se produit. L'adolescent aura à décider comment cette nouvelle relation s'intégrera dans sa vie. Les rencontres apportent leurs lots de réponses mais elles amènent aussi beaucoup de questionnements et risquent de nuire à la recherche d'identité de l'adolescent. Savoir que l'on a deux paires de parents est quelque chose, vivre avec, en est une autre. C'est une situation très complexe à vivre. Qui appelle-on maman ? Comment appeler la mère de naissance si ce n'est pas maman ? Quel genre de fréquentation entretenir ? Cependant, tout ceci dépend des situations familiales de chaque adolescent, et de son aptitude à gérer cette situation. « Le fait que je connaisse mes deux mères, je pense que ça m'aide à me sentir bien. Peut-être que si le les connaissais pas, alors là, j'aurais des problèmes » (Stéphane, page 5). Stéphana pense ici que connaître sa mère biologique l'aide car il sait d'où il vient, il connaît son histoire. Cependant, chaque histoire peut être différente selon la personnalité de l'adolescent. Au Québec, l'accès au dossier est permis dès l'âge de quatorze ans ; il n'y a pas toujours les renseignements nécessaires pour faire des retrouvailles. « Avec mes papiers, c'est vraiment incomplet, tu ne peux pas faire grand-chose » (page 5). « J'ai un peu laissé tomber mes recherches à cause de mon dossier » (page 7). Ariane a donc « laisser tomber » ses recherches à cause d'un dossier incomplet. Un certain découragement peut donc envahir l'adolescent lorsqu'il sent qu'il ne trouvera aucune information à cause du vide dans son dossier. Dans ce cas, le découragement prend le dessus et l'adolescent abandonne ses recherches en se faisant une raison. « Comme si il y avait des choses un peu plus essentielles, puis aussi quand tu vois la situation à Haïti, tu te dis, qu'est-ce que ça m'apporterais ? » (Page 8). On voit bien ici un certain désabusement face au pays d'origine, qui semble de rien pouvoir apporter de bon. Il y a une sorte de dilemme face aux retrouvailles chez l'adolescent. « D'un côté ça peut être extraordinaire, mais d'un autre côté ça peut t'emmener dans un engrenage aussi (...) on va te demander de l'argent et tout là... ». (Ariane, page 8). Ariane souligne ici un point intéressant. Elle a peur qu'en faisant des retrouvailles, on lui demande de l'argent. C'est un avis curieux mettant en avant la pauvreté de la famille d'origine qui demanderait de l'argent, une fois mise en contact avec le fils ou la fille abandonné. On peut se demander si cette réflexion émane de l'adolescent lui-même ou bien des parents adoptifs qui ont une mauvaise image du pays d'origine de l'enfant. Car il convient de signaler que les parents d'Ariane lui ont toujours dit qu'ils l'avaient sauvé de la misère, que ses parents étaient des paresseux ou autres choses comme cela. D'autres adolescents n'ont pas besoin de faire des retrouvailles. Ils vivent bien leur adoption, et n'ont pas envie de se confronter à cet aspect de leur vie qui leur échappe, à la pauvreté de leur pays. Certains aussi n'ont pas envie de « blesser » leurs parents adoptifs en recherchant des parents qu'ils ont déjà. Cependant aujourd'hui au Québec, il y a une volonté de donner aux adolescents toute l'information possible, notamment avec l'adhésion aux principes de la Convention de la Haye. De plus, le fait de faire des retrouvailles va-t-il résoudre obligatoirement les problèmes liés à l'adolescence ? « J'ai jamais eu comme un intéressement profond à aller chercher comme qui étaient mes vrais parents, si on peut les appeler comme ça. C'est surtout passé sur le côté identité en fait. C'est la ressemblance qui me gênait le plus en fait ». (Laurence, page 8). Il est difficile pour eux de se faire une idée de leur physique, alors qu'ils ne ressemblent à personne. C'est un étranger qui se retrouve dans leur miroir. Ils n'ont pas de modèles susceptibles de leur montrer à quoi ils ressembleront une fois la croissance complétée. Leur impression aura de l'impact sur leur estime de soi. Les adolescents adoptés se questionnent beaucoup sur leur apparence physique. Ils en viennent à se demander comment ce corps se transformera. Toutes ces questions sont particulièrement troublantes pour les jeunes ne partageant pas la même origine que celle de leurs parents adoptifs. « J'aimerais un jour aller en Jamaïque pour connaître mon pays, voir le soleil tout ça. J'irai avec mes amis, on en a déjà parlé. J'essayerai peut-être de retrouver ma mère biologique oui, si c'est possible. Pour voir un peu à qui je ressemble en fait. » (Samuel, page 2) La mère biologique est très souvent idéalisée par le phénomène du roman familial. C'est à la perfection de cette mère que l'enfant va comparer sa mère adoptive. Le danger quand l'enfant idéalise trop sa mère d'origine, est de risquer de ne pas s'attacher complètement ou aussi facilement à sa mère actuelle. Il n'a pas la capacité de voir en demi-teinte. Tout est bon ou mauvais. La mère adoptive peut donc se voir offrir le rôle de fausse et mauvaise mère. L'enfant se protège en idéalisant sa mère de naissance. L'adolescent peut également en déduire que si cette femme est bonne et qu'elle ne l'a pas gardé, c'est peut-être parce que lui, est un problème, un mauvais bébé ? Il agira en fonction de l'image qu'il a de lui pour se donner raison. À un certain point, à l'adolescence, le jeune a besoin, pour se structurer, du droit de « haïr » ses géniteurs. Si, au lieu de penser que lui n'a pas de valeur, il fait porter le blâme à cette mère d'origine qui l'a abandonné, il risque beaucoup moins d'en ressortir écorché. Il faut donc accepter cette haine passagère envers la mère d'origine.
Plusieurs des adolescents avec qui nous avons fait les entretiens ont fait des retrouvailles avec leur mère, ou leur famille biologique toute entière. « En 1998, j'ai retrouvé toute la famille biologique, j'ai rencontré ma mère, mon père, mes frères, mes deux soeurs, leurs conjoints, mes neveux, mes nièces, mon parrain, oncles, tantes, cousins, cousines. J'ai rencontré toute la tribu au complet ! » (Christine, page 8). On peut alors imaginer le choc émotionnel lors de cette rencontre ; où l'on voit enfin des personnes qui nous ressemblent. Christine poursuit en nous racontant la rencontre avec sa famille biologique. « Quand je suis sortie de l'aéroport, j'ai même pas eu le temps de lever la tête puis une femme a sauté sur moi ! Puis j'ai vu une tonne de personnes autour de moi, je ne savais pas qui était qui ! (Page 8). On imagine l'émotion qui doit bouleverser l'adolescent et la famille biologique elle-même lors de cette rencontre que chacun a imaginé depuis si longtemps (le roman familial). « Au final je suis restée deux mois et demi là-bas, j'ai vécu dans la maison avec eux (page 8). J'ai vécu dans le bidonville avec ma famille biologique. J'ai vraiment connu la vie quotidienne, c'est quelque chose quand même de vivre dans un bidonville ! J'ai adoré mon voyage, j'ai adoré mon expérience, j'ai même hâte d'y retourner » (page 9). Ce voyage a pour cette adolescente, comblé un manque qu'elle avait sur ses origines, sur ces racines. Elle a pu voir qu'où elle venait, à quoi ressemblaient ses parents, sa famille, dans quelles circonstances ils avaient dû le confier à l'adoption. Toutes ces questions si chères ont adolescents adoptés peuvent donc trouver une réponse lors des retrouvailles avec sa famille biologique. Les parents adoptifs et les retrouvailles de leur adolescent Le fait de retrouver ses parents biologiques peut faire prendre conscience à l'adolescent qui sont ses vrais parents (même s'il le savait déjà). « J'ai su aux Philippines qui était ma vraie mère, même que je avais appelé ma mère adoptive pour lui dire que je savais qui était ma vraie mère, que c'était elle, ma mère adoptive. » (Christine, page 9). Car il faut aussi avoir conscience que les retrouvailles sont dures pour tout le monde, adolescents, parents biologiques et parents adoptifs surtout. La possibilité que l'adolescent adopté veuille chercher ses parents biologiques soulève toutes sortes de préoccupations chez les parents adoptifs. Cela peut susciter des réactions émotives et de l'appréhension. Globalement, on pourrait dire que c'est une grande peur de l'inconnu : qu'est-ce qui va se passer ? En tout cas, cela est mieux vécu par toute la famille si on y a réfléchi et discuté ensemble. Car retrouver ses parents biologiques n'est pas anodin. Les parents adoptifs qui ont élevé et aimé leur enfant comme le leur peuvent avoir du mal à accepter des retrouvailles. Cependant, on doit quand même s'y attendre lorsqu'on rentre dans un projet d'adoption. L'adolescent est dans son droit quand il réclame de rencontrer ses parents biologiques. On a tous le droit de savoir d'où l'on vient, surtout à l'adolescence. Les parents adoptifs ont eux aussi des questionnement par rapport à l'adoption et à la recherche des origines. Ils peuvent ressentir différentes émotions face à l'envie de retrouvailles de leur adolescent adopté. · La remise en question. Pour quelles raisons a-t-on adopté ? Qu'elles étaient nos motivations ? Est-ce qu'on a eu tord d'éloigner l'enfant de son pays natal ? Est-ce qu'il aurait été mieux de rester là-bas ? · Le sentiment d'abandon. Après toutes ces années consacrées à lui, est-ce qu'on va devoir partager notre enfant avec les parents naturels ? Est-ce qu'on va perdre son amour ? Est-ce qu'il voudra retourner dans son pays ? Est-ce qu'il voudra retourner dans sa communauté et nous ignorer ? · L'ambivalence. «Ce n'est pas mon problème s'il veut chercher des mondes hypothétiques, il se débrouillera tout seul. Mais, au fond, je l'aime alors je devrais l'aider dans ses recherches.» · L'instinct de protection. Peut-être est-il mieux qu'il ne sache pas ? Peut-être qu'il n'aimera pas ce qu'il va trouver ? Qu'il pensera qu'il a eu trop de chance et qu'il se sentira coupable que sa famille d'origine soit si défavorisée ? · La peur des conséquences. Est-ce qu'il faudra entretenir des relations avec les parents de naissance ? Qu'est-ce qu'ils demanderont ? Est-ce qu'ils viendront ici ou devra-t-on aller les rencontrer ? Marie va elle aussi entamer un voyage dans son pays d'origine, le Guatemala, avec ses parents adoptifs ainsi que son frère. « Ma mère était une Maya, et mon père peut être un Blanc. Enfin je pense qu'il devait être espagnol, car j'ai des traits assez espagnols là. (Page 3) Quand on n'a pas de renseignements assez précis sur ses origines, on fait des suppositions, on imagine ses parents, leur couleur, leurs traits de visage. L'adolescent essaie de combler son manque d'information par des suppositions qu'il peut vérifier si il entame une démarche de retrouvailles. « On y va aux vacances de noël tous les quatre. On va aller au Guatemala et en Colombie, pour voir un peu nos pays à moi et mon frère. Je m'attends vraiment à pleins de choses extraordinaires, vraiment différentes d'ici. Tout va être différent, les paysages, les couleurs, les vêtements (page 4). L'excitation de Marie à partir dans son pays d'origine était palpable. Elle s'attend à beaucoup de choses et d'explications sur ses origines ; tout en étant consciente de ce à quoi il faut s'attendre. « Ma mère m'a dit que c'est quand même un pays pauvre. Donc c'est sûr que ça me touche parce que j'aurais pu rester là. J'aurais pu être à leur place tu sais ». (Page 5) On retrouve ici cette notion de chance à avoir été adoptée dans un pays riche, où une vie meilleure attendait l'adolescent. Il est bon que l'adolescent parte dans son pays avec une certain recul, si possible. Il doit prendre conscience que ce pays est son pays d'origine, mais qu'il est aussi québécois. Le fait d'aller dans son pays d'origine peut être assez déstabilisant car c'est une partie de soi que l'on ne connaît pas. Comme le confiait Ariane, c'est comme si l'adolescent avait « dormi » pendant tout ce temps-là. Car son pays a évolué sans lui, sans qu'il puisse participer à la vie de son pays d'origine. Emma a elle aussi fait des retrouvailles en Polynésie, à l'âge de quinze ans « Il y a un an, je suis retournée vivre là-bas un an, parce que ça me manquait trop. J'avais plein de questions dans ma tête, et j'avais besoin d'avoir des réponses à tout ça. (Page 2) Avoir besoin de réponses primordiales sur soi permet d'évoluer, de savoir qui l'on est, pour savoir où aller. « Je n'étais pas bien avec ma famille, je souffrais beaucoup, donc j'ai eu besoin de partir, pour me découvrir, savoir qui j'étais. (Page 2). Emma explique ici très bien pourquoi elle a voulu partir du Québec, pour retrouver son pays d'origine. Elle y est restée une année scolaire, et a vécu avec sa famille biologique. Elle a ainsi pu voir comment ils vivaient, poser les questions qui la perturbaient. Savoir qui l'on est, une des questions centrales à l'adolescence, en particulier quand on est adopté. L'adolescent adopté a un problème plus complexe à surmonter pour définir son identité. Il n'a pas de parents qui lui ressemblent et la société ne lui offre pas de point de repère. De plus, il vit avec le dilemme d'être perçu comme québécois dans sa famille et comme un étranger dans la société. « Donc j'ai vécu là-bas, avec la culture du pays, les coutumes etc., ça m'a fait du bien de retrouver tout ça. J'ai vécu avec ma famille biologique, avec mes frères et soeurs de là-bas. Je me suis bien adaptée à cette vie-là. » (Emma, page 2). « En fait, j'ai même hésité à repartir de là-bas tellement j'étais bien, donc j'ai vraiment hésité. Parce que c'était bien pour moi. J'étais vraiment dans mon élément en fait. Tout le monde me ressemblait, je n'étais plus différente. (Page 2). Le fait d'être retournée dans son pays d'accueil a fait naître en Emma le sentiment de ne plus être différente des autres, de ressembler à tout le monde, d'être de la même couleur. « En fait je suis revenue parce que quand même ils m'avaient adoptée, donc voilà, je ne pouvais pas leur faire ça. » (Page 2). Ce témoignage est assez fort. Cette adolescente est rentrée chez elle pour faire plaisir en quelque sorte à ses parents adoptifs, qui auraient mal pris le fait qu'elle reste dans son pays d'origine. On prend ici conscience que certains adolescents ont le sentiment d'être redevable envers leurs parents adoptifs, et freinent leur envie de connaître, voir de rester avec leur famille biologique (même si cela concerne une minorité des cas). Dans ce cas, l'intégration familiale de cette adolescente est assez superficielle, car elle semble donner le sentiment d'être heureuse, alors qu'il y a un énorme manque en elle. Elle dissimule donc ce manque pour ne pas décevoir ses parents adoptifs. « Mon coeur est là-bas, malgré que je sois bien ici, ça change rien. Je suis peut-être disons 80% polynésienne et 20% québécoise, quelque chose comme ça. » (Emma, page 2). Emma a une identité biculturelle, avec une dominante polynésienne assez forte. Cela est peut être aussi dû au fait qu'elle ait été adoptée à l'âge de cinq ans ; ce fut une adoption assez tardive. Emma a sûrement été très choquée par ce changement. Cinq ans est un âge où l'enfant se rend très bien compte de se qui se passe. L'enfant a ressenti que sa mère l'a « laissé » se faire adopter. On peut dire donc qu'une adoption tardive entraîne plus de difficultés qu'une adoption à l'âge de zéro à un an par exemple. Plus l'enfant va être vieux lors de son adoption, plus il aura conscience de ce qui se passe. L'adolescence d'un enfant adopté tardivement donc avoir plus de difficultés qu'une adoption à bas âge. C'est pourquoi les adolescents adoptés tardivement auront peut être plus tendance que les autres à vouloir faire des retrouvailles, compte tenu des souvenirs qu'ils ont de leur enfance. Parfois, le fait de devenir parent à son tour peut donner l'envie de chercher ses racines, son origine. « Peut-être qu'avant d'avoir des enfants, je chercherai à rencontrer ma mère biologique. Je pense que ça m'aiderait aussi à régler certains problèmes que j'ai avec mes relations avec les autres. Je ne suis pas encore prête aujourd'hui en fait. » (Page 12) Retrouver sa mère biologique demande une certaine préparation et disponibilité psychologique. C'est-à-dire que l'adolescent doit être prêt à la rencontrer et à ses conséquences. A partir du moment où aura lieu cette rencontre, certaines choses peuvent être remises en question, son origine, sa famille adoptive, son identité. Il est donc primordial d'être prêt à cette rencontre et d'y avoir mûrement réfléchi. Certains adolescents repoussent avec sagesse l'envie de retrouver leur mère biologique, de peur d'être déçue d'elle. « Depuis que je sais que je suis adoptée, je me suis crée une image de ma mère dans ma tête. Donc si je la voie un jour, je risque d'être déçue de la réalité » (Marie-Pierre, page 12). Comme nous parlions précédemment du roman familial crée par l'enfant et l'adolescent, il peut y avoir une résignation à faire des démarches de retrouvailles. De plus, comme le témoigne Stéphane, « Si on est heureux, pourquoi aller chercher dans le passé ? Parce que si tes parents biologiques ne te cherchent pas, pourquoi tu irais vers eux ? C'est ça la bonne question à se poser » (Page 8). Cet adolescent de dix sept ans nous émet ici l'idée qu'il n'y a pas de raisons que l'adolescent recherche ses parents biologiques, puisque eux ne le cherchent pas. Cela peut montrer l'amerthume que certains adolescents ont par rapport à leurs parents biologiques et leur abandon plus précisément. Aussi, le rôle de la famille est très important pour nous le disions. « Je pense qu'il y a un lien entre le fait de rechercher ses parents bios et la façon dont on a été élevé, dont on a grandi. Tu vois, nous, toute la gagne, les quinze enfants, on ne recherche pas à retrouver nos parents biologiques (...), on s'en fout ». (Rachelle, page 4). Rachelle fait ici un lien entre le fait d'être bien dans sa famille et de vouloir rechercher ses origines. C'est une hypothèse intéressante. Cependant, il y a aussi des adolescents qui ont confié lors de ces entretiens, être heureux dans leur famille, mais vouloir tout de même faire des recherches sur leurs origines. C'est légitime. C. La difficulté de la recherche d'antécédents en adoption internationale
Par ailleurs, le Secrétariat à l'adoption internationale du Québec (SAI) voit à la conservation des dossiers d'adoption internationale en collaboration avec les organismes agréés. Les dossiers d'adoption du SAI sont microfilmés et conservés à Québec. De plus, depuis le printemps 1997, les organismes agréés envoient graduellement au SAI les dossiers complétés depuis un certain temps; ils sont alors fusionnés avec ceux du SAI et envoyés pour conservation. Tableau représentant les possibilités de retrouvailles selon le pays d'origine 56(*)
L La Convention de la Haye prévoit que les autorités centrales des pays signataires mettent en place des mécanismes pour rendre possible les retrouvailles. Pour l'instant, lorsqu'il y a une demande, les dossiers sont traités par les Centres Jeunesse régionaux qui s'occupent des retrouvailles dans le cas des adoptions réalisées au Québec. On connaîtra la procédure retenue en ce domaine lorsque la loi québécoise sera adaptée à la Convention de la Haye. Dans le futur, il sera donc possible de s'adresser au SAI, ou
à un autre organisme le cas échéant, pour entreprendre des
recherches d'antécédents. Selon les cas d'adoption, il est
possible que les dossiers contiennent certains documents que les parents
adoptifs n'ont pas eus en main (par exemple, des documents officiels
échangés avec les autorités étrangères) et,
vice versa, les parents peuvent avoir eu des informations additionnelles en se
rendant dans le pays. En ce qui concerne la recherche
d'antécédents dans les pays d'origine, la situation dépend
du pays et bien sûr des conditions dans lesquelles l'enfant a
été adopté. D'abord, dans certains pays, la loi ne permet
pas les retrouvailles. De plus, beaucoup d'enfants sont abandonnés sans
information sur l'identité des parents de naissance. Souvent, la date de
naissance et donc l'âge de l'enfant sont fictifs ou approximatifs. De
plus, le lieu de la naissance peut aussi être erroné ou inconnu.
Par contre, il est aussi possible que certains intervenants dans le processus,
par exemple, les avocats étrangers et bien sûr les
autorités gouvernementales, disposent de certains renseignements. En adoption internationale, la démarche comporte plusieurs difficultés. D'abord, il y aura la barrière de la langue du pays d'origine. Plus profondément, la recherche des antécédents souligne inévitablement la différence de l'adopté : il ne possède pas la culture du pays d'origine et les retrouvailles ne réduiront pas cette différence. « C'est la culture québécoise qui est empreinte en moi, donc le physique ne veut plus dire grand-chose. C'est comme si j'avais dormi pendant vingt ans » (Ariane, Page 6). Par ailleurs, la recherche d'antécédents peut avoir plusieurs conséquences pour l'enfant adopté :
Pour résumer un peu cette partie, nous pouvons dire que la recherche d'antécédents participe au bien-être et à l'intégration de l'adolescent. Les trois quarts des adolescents interviewés ici ont fait des recherches ou prévoyaient d'en faire prochainement. Comme Karine, Christine et Emma qui ont rencontrés leurs mères ou familles adoptives, les adolescents ont besoin à un moment ou à un autre de savoir leur histoire. Savoir pourquoi l'on a été abandonné, dans quelles circonstances, à quel moment de la vie de leur mère, etc.... Toutes ces questions s'amplifient à l'adolescence et ont besoin de réponses. Cependant, les parents doivent être vigilants par rapport à cette demande de recherches des origines, surtout à l'adolescence. C'est une période fragile où rencontrer ses parents biologiques peut être assez perturbant. Faire des démarches de retrouvailles doit donc répondre à une motivation saine de la part de l'adolescent, qui doit être bien préparer à ce qu'il va vivre, à ce qu'il va entendre. L'adolescent peut donc s'il en a besoin entamer des recherches sur ses origines, à condition d'être bien épaulé par ses parents, d'avoir une réelle motivation saine, et d'être préparé à la rencontre. V. Identité et culture, liées toute durant la vie de l'adolescent Chez l'enfant, le questionnement identitaire se réactive à chaque étape de son évolution, au fur et à mesure de son développement. A l'adolescence, les questionnements identitaires se font de plus en plus fréquents. Tout adolescent, adopté ou non, doit répondre à la question « qui suis je ?». Comme nous l'avons vu précédemment dans la partie « questionnement des adolescents », de nombreuses interrogations viennent à l'adolescence. Ce qui peut bien souvent perturber la vie familiale comme nous le confiait Rachelle « J'ai passé une adolescence assez rock'nd roll'. » (Page 4). L'adolescent doit alors affermir ses choix, déterminer le style qui lui convient. Quand ces choix sont affermis, il se différencie suffisamment de ses parents pour ne plus avoir besoin de s'opposer à eux pour exister. La complexité avec l'adoption tient du fait qu'il y a de multiples identités à trouver. « Si tu n'as pas accepté ton adoption depuis l'âge de cinq ans, l'adolescence sera encore pire, parce que là tu vas encore chercher ton identité sexuelle, culturelle, tu as pleins d'identité à trouver. Avec l'adoption, tu as une identité de plus à trouver, donc parfois ça peut être difficile. » (Laurence, page 9). Laurence nous exprime bien ici la difficulté que l'adoption, jumelée à l'adolescence, peut poser. L'adoption, et donc les origines, peuvent en effet être sujettes à interrogation, voire à angoisse chez certains adolescents. L'adolescent doit réussir à façonner sa propre identité, et se démarque petit à petit de ses parents. L'adoption crée deux sortes d'identité en fait. Il y a l'adoption dite raciale (couleur de peau, cheveux, corpulence, métabolisme), et l'identité culturelle ou ethnique (les acquis éducatifs, la langue, le comportement, la religion, le groupe social). « C'est sûr que je me sens plus proche de la culture québécoise, parce que c'est là que j'ai grandi. J'ai une partie du Québec et de Haïti en moi. (Page 7) ; Mais en même temps c'est vrai que j'ai essayé de me rapprocher de la culture haïtienne, mais je ne serais jamais haïtienne parce que je n'ai jamais vécu là-bas ». (Ariane, page 7) On a pu constater différentes stratégies identitaires chez les adolescents adoptés. Il a tout d'abord la stratégie d'assimilation de la culture du pays d'accueil, qui s'accompagne de peu d'intérêt pour le pays d'origine. A l'opposé, il y a le refus de la culture d'accueil, avec la fierté de la couleur de peau, la recherche des origines. Ces identités font que les adoptés gèrent différemment leur statut d'adopté. L'intégration dépend aussi du pays d'origine et donc de la couleur de peau. On peut constater que les personnes d'origines asiatiques (Corée du Sud, Chine, Cambodge) ont moins de difficultés à s'intégrer au sein de la société que les personnes de peau noire. Car ils ont des préjugés plutôt « positifs » (travailleurs, discrets). Alors que les personnes noires peuvent vivre un racisme assez fort parfois. Comme nous l'explique Ariane, « Je me sens intégrée mais en même temps il faut se battre pour ça, des fois il arrive des petits incidents, et bon il ne faut pas laisser ça passer. (...) Tu sais c'est bizarre, comme si pour eux dans leur tête, Noir ne pouvait pas rimer avec un bon emploi. Faut toujours se justifier. (...) Inconsciemment là c'est un préjugé, ils ne me voient pas à une bonne place dans la société, tu ressens un peu de racisme quoi. Moi ma théorie, c'est qu'une personne noire, quand elle arrive dans un nouvel endroit, elle part pas à 100% mais à 80%, donc il faut remonter la pente. C'est une sorte de handicap oui ». (Ariane, page 8). De plus, l'intégration est plus facile selon le milieu fréquenté. Si la famille vit dans un quartier, dans un milieu multiethnique, l'intégration sera plus facile car il y a aussi d'autres étrangers. L'adolescent doit également arriver à composer avec sa double identité. L'adopté a deux paires de parents, les parents actuels et d'origine. Il cherche à intégrer ses deux composantes dans sa vie. À qui s'associe-t-il ? Comment réussir à se distancier de parents inconnus ? Il est difficile de se séparer de parents que l'on ne connaît pas ou de se sentir appartenir à une lignée généalogique qui nous est inconnue. « J'ai connu beaucoup de cultures différentes et j'aime ça. Parce que moi, je ne peux pas dire, je suis québécoise à 100% en fait. Car le fait d'avoir connu d'autres cultures fait que je suis un peu tout à la fois (page 10) Je pense que ça me donne plus d'ouverture d'esprit, par rapport au autres, comme je vois, mes cousins, ils ne sortent qu'avec des québécois, c'est un peu fermé. » (Marie-Pierre, page 11) Il est également difficile de se sentir appartenir à une lignée familiale avec laquelle nous n'avons pas de liens de sang. Qui suis-je face à cette grande famille adoptive, quelle est ma place ? L'adolescent se sent tiraillé entre ses origines et sa vie actuelle. « C'est sûr que je me sens plus proche de la culture québécoise, parce que c'est là que j'ai grandi. J'ai une partie du Québec et de Haïti en moi. (Page 7) Mais en même temps c'est vrai que j'ai essayé de me rapprocher de la culture haïtienne, mais je ne serais jamais haïtienne parce que je n'ai jamais vécu là-bas. » (Ariane, Page 7). Il doit se forger une identité à travers tout cela. Il lui faut également à reconnaître son passé. Pendant son enfance, l'adolescent a relégué aux oubliettes ce qui se rattachait à son origine. À l'adolescence, avec sa quête identitaire, il doit rouvrir son passé pour bien comprendre qui il est. Son passé fait parti de lui, il doit l'intégrer dans son identité. Tout ce que l'adolescent a pu vivre durant sa petite enfance, est réactivé à l'adolescence. Si l'adolescent a une enfance difficile, il y a de fortes chances que la période d'adolescence soit complexe. Concernant l'identité des adolescents adoptés, on peut les classer en trois groupes, selon les réponses qu'ils ont donné aux entretiens. La grande majorité endosse l'identité de leur pays d'adoption, il y a alors assimilation de la culture. Un autre groupe des adolescents opte plutôt pour le biculturel. Ils ont la culture québécoise et leur culture d'origine, le tout formant une identité biculturelle. Nous allons donc voir comment les adolescents s'identifient à leur société d'adoption. Ils ont été classés selon trois types d'identité, des stratégies identitaires : assimilatrice, biculturelle et internationale. Il s'agit de la stratégie la plus courante. L'ado adopté s'identifie à la société d'adoption. La couleur est presque ignorée mais il l'accepte bien. Il ne la considère pas importante dans la définition de soi. Il lui arrive d'oublier qu'il est de couleur. Le jeune développe une faible identité d'origine ethnique. Les jeunes se sentent québécois ou canadiens en raison de leur ressemblance avec leur milieu. Ils mangent, pensent, parlent et s'habillent québécois ou canadien. Ils sont bien intégrés. « Je me sens québécoise quand même parce que j'ai été élevée dans une culture québécoise, avec des parents québécois ; mais c'est les autres qui font que tu te sens différent, qui te regardent d'un drôle d'air, c'est eux qui donnent des problèmes » (Christine, page) . Certains ont de la difficulté avec leur couleur car ils sentent la pression de la société à vouloir les définir autrement. Ils persistent quand même à vouloir appartenir à ce groupe. Ces jeunes ne sont pas à l'aise avec les gens de leur communauté d'origine car ils ne se sentent pas reliés à ce groupe. C'est là que presque la totalité des adolescents adoptés d'Asie se situe. À part leurs yeux bridés, la société les voient blancs et eux, par le même fait, se voient ainsi. La couleur de peau, passe inaperçue. Leur communauté d'origine est plutôt bien vue. Leurs résultats scolaires sont souvent attribués à leur origine. « Des fois, c'est toujours les espèces de préjugés qui ressortent... Tu es asiatique, tu dois être bonne à l'école. Ce n'est pas parce que tu es asiatique, que tu as toujours des 100% ! (Le vingt sur vingt en France) (Rires) (Laurence, page 8). L'image de grâce entourant les petites filles les aide à bien s'intégrer et à se faire accepter. La majorité parmi eux, vit des moqueries mais rien de bien méchant. Puisqu'ils sont mieux acceptés de la majorité, les Asiatiques ont moins tendance à penser à leur identité ethnique. Il est facile pour eux d'oublier qu'ils sont d'origine chinoise. Rachelle est originaire du Bangladesh. « Je me sens plus proche de la culture québécoise, car la culture musulmane ça m'est absolument impossible, je n'ai aucune affinité avec cette culture ». (Page 6). Elle rejette ici sa culture d'origine, à cause de la religion dominante du pays. Cependant, Rachelle n'a jamais été au Bangladesh. On peur supposer éventuellement que si elle allait un jour dans son pays d'origine, elle aurait peut être un avis différent sur cette culture dont elle dit n'avoir aucune affinité. Car bien souvent, on se fait une image d'un pays avec pour seul point de vue celui de médias, qui peut être faussé. Mais il faut pouvoir se faire sa propre opinion. Certains adolescents adoptés s'identifient à ce groupe. Ils se sentent appartenir à « deux mondes », celui de leur adoption et celui avec lequel ils partagent des ressemblances physiques. Ce choix est utilisé presque entièrement par les noirs. Une insatisfaction des rapports avec le groupe majoritaire et un sentiment de rejet seraient à l'origine de ce choix. Ils rencontrent plus d'obstacles à leur intégration. « Je me tenais beaucoup avec des asiatiques en fait, sauf que je n'avais pas juste des amis asiatiques. C'était vraiment comme je dirais égal, 50% d'amis québécois, et 50% d'amis asiatiques. (Page 9) Inconsciemment, l'adolescent adopté peut parfois avoir tendance à aller vers des amis de la même origine que lui. Il a donc dans ses fréquentations des amis québécois, et des amis asiatiques ; et cela de manière tout à fait inconsciente, comme le dit Laurence : « Je ne me suis jamais attardée sur ça, mais quand j'y repense, je me dis oui peut-être qu'en fait il y avait une petite attirance vers les asiatiques, je suis entre les deux. » (Laurence, page 9). « Je suis entre les deux », telle est bien la définition de l'identité biculturelle. L'adolescent crée et complète son identité avec les deux cultures : la culture québécoise et la culture d'origine. Les deux aspects de son identité sont primordiaux pour son bien-être et son développement. L'adolescent a besoin des deux, si on lui en enlève une partie, il aura un manque. Le physique crée donc ce besoin d'être en contact avec des personnes de la même origine que soit. On va vers ceux qui nous ressemblent, on a envie d'être comme les autres. La communauté d'origine haïtienne est celle qui subit le plus de préjudices et de rejet. Certaines personnes associent souvent les gens de race noire à la paresse intellectuelle, la violence et la délinquance. « Je me sens intégrée mais en même temps il faut se battre pour ça, des fois il arrive des petits incidents, et bon il ne faut pas laisser ça passer. (Page 8). Tu sais c'est bizarre, comme si pour eux dans leur tête, Noir ne pouvait pas rimer avec un bon emploi. Faut toujours se justifier. » (Page 8) D'origine haïtienne, Ariane a déjà été victime de racisme, que ce soit dans la rue, à l'école, dans le réseau familial. Elle a été de nombreuses fois victimes de préjugés racistes sur sa couleur de peau. Notamment dans le domaine de l'insertion, dans une classe ou autre, Ariane a souvent ressenti une différence de la part des autres. « Inconsciemment là c'est un préjugé, ils ne me voient pas à une bonne place dans la société, tu ressens un peu de racisme quoi... Moi ma théorie, c'est qu'une personne noire, quand elle arrive dans un nouvel endroit, elle part pas à 100% mais à 80%, donc il faut remonter la pente. (Page 8)Les personnes noires sont en générale plus gênée par les réflexions racistes que les personnes asiatiques par exemple. Il y a plus de préjugés raciaux sur les noirs que sur les asiatiques. On imagine la situation dans laquelle se retrouve Ariane. Il lui faut non seulement gérer son adoption et les questions que cela entraîne, mais aussi les effets de sa couleur de peau sur les autres individus. On imagine bien que gérer le racisme à l'adolescence doit être difficile. Surtout que ses parents sont blancs. Il lui est donc peut être plus difficile de confier ses difficultés à ses parents qui ne connaissent pas le racisme. Ariane vit ça assez mal : « C'est une sorte de handicap oui. Quand il faut faire des groupes de travail, les Blancs se dépêchent de se mettre entre eux et les étrangers se mettent entre eux du coup ». (Ariane, page 8) Les préjugés raciaux entraînent donc un regroupement ethnique de la part des individus, notamment lors des travaux scolaires en groupes. On peut dire que le fait d'avoir une identité biculturelle est parfois une résultante du fait de la difficulté de s'intégrer dans la société. Les adolescents adoptés se créent une double identité afin de combler le manque qu'ils ont par rapport à leur pays d'origine. Il y aurait donc au final deux facteurs qui engendreraient la construction d'une identité biculturelle chez l'adolescent :
Quand on demande à Karine qu'elle est la part dominante dans son identité, elle répondait« Je pense que c'est la culture guatémaltèque, parce que quand je voyage, c'est mon pays et je le sens. Ce n'est pas que je n'aime pas le Québec, mais le Guatemala, c'est mon pays, ce qui fait que j'ai besoin des deux pour être bien en fait. » (Karine, page 5) Karine aussi est biculturelle, et a besoin des deux parts pour être bien. Elle ne peut se résoudre à oublier la partie guatémaltèque qui est en elle, ça serait renier son passé. Pour une autre partie des adolescents adoptés, c'est la personne qui compte. Ils fréquentent toutes les races sans préférence. Ils sont membres du monde et ne se sentent pas appartenir à un groupe en particulier. Ils se perçoivent comme des agents de paix venus réduire le racisme. Ils vivent un inconfort face à leur race et travaillent pour faire accepter leurs différences. « Moi je me suis élevée toute seule, avec les valeurs de différentes cultures qui me plaisent, je ne suis pas à 100% québécoise, je suis aussi un peu libanaise, et un peu des autres cultures aussi ». (Marie-Pierre, page 13) Il est difficile pour l'adolescent adopté d'origine différente à la majorité de la société, de ne pas se questionner sur son identité. La logique veut que le jeune qui vive ici adopte les valeurs d'ici et se perçoive comme membre de la société dans laquelle il vit. Quand l'adolescent vit des difficultés, des choix se présentent à lui, persister à s'assimiler ou choisir de se définir autrement. La majorité des jeunes a une identité ethnique beaucoup moins prononcée que les enfants adoptés par des parents de même ethnie. C'est en effet le cas de Michael, dix huit ans, adopté de Russie à l'âge de cinq ans. Nous avons fait un entretien avec lui pour vérifier s'il avait moins de problèmes d'intégration que les autres, de part l'absence de différence de couleur de peau. Il vit en effet son adoption mieux que les autres, puisqu'il n'a que son identité à trouver par rapport à son adoption, et non pas par rapport à sa couleur de peau. Cependant, il se pose tout de même des questions sur ses origines russes et aimerait un jour en savoir plus, et faire des démarches de retrouvailles. L'adolescent met en place différentes stratégies identitaires que l'on peut présenter sous formes d'un tableau, afin d'avoir uns vision synthétique57(*). Stratégies identitaires des adolescents adoptés d'origine étrangère
Ce tableau n'est bien évidemment pas représentatif de toutes les situations des adolescents adoptés rencontrés. Il représente une synthèse des entretiens. En faisant un bilan des résultats des entretiens, on a pu voir que les adolescents adoptés ont pour beaucoup, développé une identité double, ou biculturelle. Ils se sentent d'une part québécois, et d'une autre part ils ressentent aussi la part de leur culture d'origine, même s'ils ne la connaissent pas. VI. L'intégration des adolescents dans la société québécoise
« Je ne sais pas si on peut parler d'intégration car j'ai toujours été là, mais c'est sûr qu'au primaire, ce n'est pas trop évident, on te traite de chocolat des choses comme ça. (Page 9) Il est normal d'être surpris de la question de l'intégration chez les adoptés. En effet, comme le souligne Ariane, elle a toujours été là. Elle a en effet oublié sa toute petite enfance à Haïti, car elle était trop jeune. Donc pour elle, elle a toujours été québécoise. Ce n'est pas toujours l'avis des autres québécois. « On te parle comme si tu venais d'arriver alors que tu as toujours été là » (page 8). L'adolescent adopté est souvent perçu comme un immigré venant d'arriver au Québec, alors qu'il est là depuis son enfance. Cela peut être perturbant pour un adolescent d'être pris pour quelqu'un que l'on n'est pas. Il convient que les parents adoptifs doivent être très présents pour aider l'adolescent à surmonter ces épreuves. Le dialogue est alors très important et peut aider à résoudre des problèmes d'identité. Comme nous le fait comprend Laurence, « la famille, mes parents, mes soeurs, tu te rends compte que c'est vraiment des gens sur qui tu peux compter. Quelque part je me dis que j'ai eu de la chance que tous mes frères et soeurs soient adoptés car on peut se comprendre mutuellement, car on vit la même chose. Parce que j'imagine que quand tu es le seul adopté de la famille, tu as sûrement des questions qui te viennent, et tu vois que les gens ne vivent pas la même chose que toi ». La solidarité familiale est très importante pour les adolescents adoptés. C'est une cellule de repères pour l'adolescent ; surtout quand ses frères et soeurs ont eux aussi été adoptés. Il peut ainsi se confier à eux au besoin. Le Québec peut parfois avoir un rôle flou vis-à-vis des étrangers ; notamment au niveau de l'intégration des personnes immigrantes. « Je pense que comparativement au reste du Canada, le Québec a un peu plus de mal à dealer avec les étrangers. Ils sont très possessifs de leurs emplois, de leur culture, de la langue française seulement. On sent beaucoup le fédéralisme. » (Rachelle, page 8). Cependant, il convient de rappeler que le racisme existe partout, au Québec comme en France. Les adolescents ont parfois nettement ressenti une animosité de la part de certains québécois pas très accueillants envers les étrangers. « Une fois, un gars m'a craché dessus en me disant « moi je suis québécois », ça m'a vraiment fait mal. (Page 5) Christine a connu des remarques racistes toute sa vie. « Un autre jour aussi j'étais caissière et là un client passe et dit « en v'la une autre qui vient de nous piquer un job ! » » (Page 5) Concernant l'intégration dans la société, certains adolescent n'ont pas ressenti avoir besoin de faire des efforts plus que les autres. « J'ai pas eu besoin de faire d'efforts supplémentaires pour m'intégrer, vis-à-vis des autres, j'ai toujours su me défendre (...) ma mère adoptive m'a donné les bons outils pour me défendre face à tout ça. (Christine, page 5) Encore une fois, le rôle des parents adoptifs est souligné puisqu'il permet d'armer l'adolescent face aux réprimandes possibles des autres individus. Il est important que l'adolescent soit bien épaulé face aux réactions des autres individus, dérangés par une couleur de peau autre que blanche. « Une fois aux douanes, on m'a refusée l'accès parce que j'étais de couleur (...), les Américains des fois ils sont un peu comme ça, ils ont assez peur depuis le 11 septembre. (Christine, page 6) L'actualité, le rôle des médias peut aussi engendrer des situations étranges. Ici, l'impact des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis a eu un véritable impact sur les mentalités concernant les personnes étrangères. Ici, Christine s'est vu refusé l'accès à un départ en avion à cause de sa couleur de peau, alors qu'elle avait des papiers en règle. La différence de couleur, insignifiante dans la famille peut donc devenir importante aux yeux des autres, et crée une certaine distance sociale. Un certains nombres d'adolescents connaissent des difficultés à s'intégrer dans leur milieu scolaire à cause de leurs origines. C'est en effet lorsqu'ils entrent dans le système scolaire que qu'ils sont susceptibles de connaître des situations de rejet qui peuvent les marquer longtemps. « Quand j'étais petite, il y en a qui ne m'acceptaient pas. Donc ça c'était à l'école primaire, il y en a qui ne m'acceptaient pas. Ils faisaient beaucoup de remarques. Ca ça me faisait du mal (Page 5). L'acceptation de l'enfant adopté par ses camarades peut dépendre des stéréotypes que ces derniers ont reçu dans leur propre famille sur l'adoption, sur les immigrants au Québec etc. Concernant l'intégration, Marie nous a confié, « Je crois que c'est moi, je me suis intégrée moi-même, ça m'a aidée. J'ai dû faire des efforts pour m'intégrer. C'est vrai qu'on doit en faire plus que les autres pour ça. On doit prouver qu'on est comme eux, même si on est de couleur différente. » (Page 6) La couleur de peau peut donc créer des différences. Il faut prouver qu'on est comme les blancs. C'est un témoignage assez dur à entendre de la part d'une adolescente. Malgré son âge, elle a pu percevoir les différences sociales qu'il existait à cause de la couleur de peau. Dans les cas d'adoptions internationales, l'intégration peut donc être un combat perpétuel, contre les préjugés, des adultes comme des enfants de l'école. On peut se demande de quelle manière l'adolescent parvient-il à faire l'impasse ou à gérer cette situation difficile. Quels sont les éléments, les personnes qui ont aidé à l'intégration ? « C'est surtout quand j'ai eu un copain que je me suis sentie bien avec moi-même, et aussi quand j'ai quitté Québec pour venir à Montréal. J'avais besoin de partir (Ariane, page 5). Ariane a donc commencé à se sentir intégrée quand elle a eu un copain à l'adolescence. En effet, pour de nombreux jeunes, cela signifie que l'on est accepté, que l'on peut être aimé par quelqu'un d'autre que sa famille. Comme nous l'avons aussi dit, la famille et les amis sont des éléments très importants pour l'intégration de l'adolescent, car ils peuvent l'aider dans les moments difficiles. Parfois, le soucis d'intégration est tel que certains adolescents déclarent : « Si j'avais été adoptée « blanche », je crois que ça aurait été plus facile oui. Ce n'est pas l'adoption en elle-même qui est gênante, mais c'est la couleur de peau qui fait que ça change quelque chose. » (Marie, page 6) Tout est dit ; ce n'est donc pas tant l'adoption qui est gênante aux yeux des autres individus, mais bien la couleur de peau. C'est la différence physique visible qui gêne les gens. Les opposants aux adoptions internationales sont d'avis qu'elles ne favorisent ni l'intérêt de l'enfant qui est susceptibles d'éprouver des problèmes d'identité au cours de leur développement ; ni la pays d'origine qui se retrouve dépourvu d'une partie de sa jeunesse. Ils pensent aussi que les parents blancs ne peuvent pas réellement aider leurs enfants de couleur face au racisme et à la discrimination. D'ailleurs un mouvement de travailleurs sociaux noirs américains (National Association of Black Social Workers) est parvenu à freiner très fortement les adoptions internationales aux Etats-Unis au cours de ces trente dernières années. Les adolescents de l'adoption internationale doivent non seulement gérer leur adoption et les questionnements que cela entraîne, mais aussi les réactions primaires des gens face aux personnes de couleur. « Quand j'étais plus petite à l'école, on nous demandait d'où on venait. Moi je trouvait que c'était une forme de racisme. Des fois on me demandait, pourquoi t'es ici ? A force ça a commencé à m'énerver (page 5). Les questions incessantes envers l'adolescent ou l'enfant adopté peuvent devenir pénibles, car il faut toujours se justifier, expliquer. Etre toujours le centre d'attention (positive ou négative) peut être difficile à vivre à l'adolescence. D'autres adolescents vivent très bien le fait qu'on leur pose des questions sur leurs origines, sur leur adoption. « Ici les gens aiment bien demander d'où je viens, ils sont curieux. En ce moment, c'est la mode de se bronzer, ils me demandent comment j'ai fait pour être aussi bronzée. Ils sont assez gentils oui. (Page 5). Marie connaît une attention positive de part sa couleur de peau, et la mode d'être « bronzé » actuellement. Cela explique qu'elle le vive plutôt bien, puisque l'attention sociale sur elle est positive. Cependant, elle reste lucide sur le fait d'avoir été adopté et des difficultés que cela comporte. « C'est peut-être un peu plus compliqué quand on a été adopté, et puis ce que ça apporte avec, ce qui fait que tu as des parents biologiques, que tu cherches à qui tu ressembles. Mais je sais qui je suis. Il me reste juste une couple de choses à assembler. (Page 6) Karine désirerait en effet entamer une recherche pour faire des retrouvailles avec sa famille d'accueil, puis éventuellement, sa famille biologique. Cela lui permettre d'obtenir les réponses aux questions qu'elle se pose. « Mais je me sens intégrée partout en fait, je ne me sens pas différente d'avoir été adoptée. Il me reste juste deux ou trois affaires à régler. (Karine, page 6) Gabriel lui dit ne jamais avoir vécu de racisme. Encore un fois, il est d'origine asiatique, et les personnes asiatiques ont moins de difficultés que les autres à s'intégrer et à se faire accepter. C'est vrai que j'ai remarqué qu'il y a moins de racisme envers les asiatiques qu'envers les noirs en général. » (Gabriel, page 9). Gabriel nous confirme donc avoir le sentiment de la plus grande acceptation des asiatiques par rapport aux personnes noires. Il y a moins de préjugées sociaux négatifs. « Je n'ai jamais vécu de racisme ou de truc comme ça. Comme j'ai l'accent québécois, on voit bien que je suis ici depuis longtemps. (Page 6) En effet, le fort accent québécois permet de se faire une idée de vie au Québec. Cela permet à Gabriel de « prouver » en quelque sorte qu'il est bien d'ici, mais qu'il a été adopté. « J'ai des amis noirs et arabes, ils me racontent ce qu'ils vivent ici à Montréal. C'est vrai qu'il y a pas mal de québécois qui sont racistes. On ne les voit pas nous, mais eux le ressentent, ils voient les regards. » (Page 8). Gabriel a des amis noirs et arabes, ce qui lui permet de savoir comment ils vivent eux-mêmes leur intégration au sein de la société québécoise. Pour faire un bilan sur cette partie, nous pouvons dire différentes choses. Tout d'abord, presque tous les adolescents ayant fait les entretiens ont connu une fois au moins des réflexions négatives sur leur couleur de peau. C'est une difficulté de plus à l'adolescent, qui s'ajoute à celle de la recherche d'identité de part l'adoption. Il est en effet difficile de se créer une identité saine lorsque l'on est rejeté par les autres à cause de son physique et de son histoire. A l'hypothèse sur le rejet à cause des origines, nous pouvons répondre qu'un tiers des adolescents adoptés ont déjà été rejetés à cause de cela. Les personnes de couleur de peau noire en particulier connaissent plus de difficultés que les autres, à cause de préjugés raciaux négatifs. Ils doivent prouver qu'ils sont aussi intéressants et sociables que les autres. Ils doivent faire plus d'efforts que les autres pour se faire accepter, après avoir répondu à tout une série de questions incessante sur leur histoire. Les personnes asiatiques ont elles beaucoup moins de mal à s'intégrer en vue des préjugés positifs qui perdurent sur leur ethnie. Les individus voient les personnes asiatiques comme des personnes calmes, travailleuses, discrètes, et sont ainsi mieux acceptées. Cependant, ces préjugés peuvent aussi être gênants, notamment au niveau de l'attente de bons résultats scolaires. * 52 Dans une adoption ouverte, l'enfant adopté garde contact avec sa famille ou sa mère biologique, contrairement à l'adoption fermée (en France comme au Québec). * 53 DOLTO Françoise, DOLTO-TOLITCH Catherine, Paroles pour adolescents, le complexe du homard, Hatier, Paris, 1989, 186 pages. * 54 Devant les tarifs exorbitants de certaines adoptions internationales, La Banque Nationale du Canada propose même des « solutions de financement » pour aider les parents lors d'un projet d'adoption. On peut lire sur le site Internet de la banque « À la Banque Nationale, nous sommes conscients que beaucoup de parents sont contraints, faute d'argent, de retarder ce qui constitue la réalisation de leur plus grand rêve, l'adoption d'un enfant. C'est pourquoi nous avons conçu un programme spécifique pour vous soutenir financièrement dans votre démarche d'adoption. » * 55 Pourtant, plus la période passée sans référence maternelle stable est longue, plus il y a une risque de problème d'attachement. * 56 Voir le site www.quebecadoption.net * 57 MORRIER Ginette, Les stratégies identitaires des adolescents de l'adoption internationale appartenant à deux groupes racisés, Mémoire de maîtrise en sociologie, Université du Québec à Montréal, mars 1995. |
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