Section II : Les rÈalisations
socio-Èconomiques
Les rÈalisations socio-Èconomiques
constituent le deuxiËme outil fiscal de rÈpartition des
revenus tirÈs de l'exploitation forestiËre. C'est un concept fiscal
aussi original qu'Ètonnant. En tout cas, il contribue
Ètoffer un corps de normes et de pratiques fiscales propres au Bassin du
Congo.
La consistance juridique des rÈalisations
socio-Èconomiques est avÈrÈe (I), cependant que leur
mise
en oeuvre prend plutÙt des allures de
prestidigitation (II). Ce qui occulte malheureusement le
substrat philosophique qui a prÈsidÈ leur
adoption.
I ñ Le fondement juridique des rÈalisations
socio-Èconomiques
70 Il síagit des Ècoles, des foyers
communautaires et souvent díhÙpitaux.
71 MINEFI (CAMEROUN)/DEFID, ...tude sur les
modalitÈs de la mise en oeuvre du fonds de pÈrÈquation de
la part
de la RFA revenant aux communes et communautÈs
villageoises; rapport final 26 juin 2006.
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Les rÈalisations socio-Èconomiques sont des
ouvrages qui contribuent líÈpanouissement social des
communautÈs rurales en mÍme temps quíelles
permettent une meilleure intÈgration Èconomique de celles-ci.
Ils sont fonction de la richesse de la forÍt exploitÈe.
IntÈressons nous aux divers mÈcanismes juridiques qui
rÈgissent la rÈalisation des infrastructures
socio-Èconomiques, pour en sortir la consistance et les
interprÈtations qui peuvent en Ítre faites. Les lois
camerounaise
et congolaise consacrent la catÈgorie des
rÈalisations socio-Èconomiques. Une fois encore, le
lÈgislateur congolais adopte une position minimaliste (2). Tandis que
líassise lÈgale des rÈalisations
socio-Èconomiques est plus large au Cameroun (1).
A- L'assise lÈgale des rÈalisations
socio-Èconomiques au Cameroun
Cíest la loi de 199472 qui consacre la
contribution la rÈalisation des úuvres sociales. Avec
l'adaptation constante de la rÈglementation, elle est maintenant
constituÈe de la taxe de 1000 F CFA
(1) et des prescriptions du cahier des charges (2).
1 ñ La taxe de 1000 FCFA
La taxe des 1000 FCFA síest mise en place la
fin de líexercice 1996/1997, suite une lettre circulaire
du ministre en charge des forÍts, puis elle síest
gÈnÈralisÈe au cours de líexercice
1997/1998. Elle correspond une contribution
financiËre que líexploitant forestier reverse la
communautÈ par le truchement de la mairie pour la rÈalisation des
díúuvres caractËre social. Elle concerne les ventes
de coupe et est calculÈe sur le volume de bois
dÈbitÈ concurrence de 1000
FCFA par mettre cube, díocents son nom de taxe de 1000
FCFA. Cet outil de dÈcentralisation de la fiscalitÈ
forestiËre doit cependant Ítre considÈrÈ comme une
mesure parafiscale73.
Avec la RFA la taxe de 1000 FCFA constitue une rente
financiËre importante que les communautÈs forestiËres
reÁoivent chaque annÈe pour soutenir le dÈveloppement.
Comme la RFA, cette derniËre pose le problËme de son acheminement
jusquíaux bÈnÈficiaires lÈgitimes. Elle est tout
autant au centre díun important tissu de corruption et de
dÈtournement de fonds. En tout Ètat de cause, elle est
complÈtÈe par les prescriptions contenues dans le cahier des
charges dressÈ lors de la conclusion des contrats de concession des
espaces forestiers.
2 ñ Le cahier des charges des concessions
forestiËres
Les travaux díenvergure sont toujours soumis un
certain nombre de prÈcautions. Il síagit
de dÈterminer les responsabilitÈs des
exploitants forestiers relatifs líamÈlioration du cadre de
vie des populations. Au Cameroun, toute exploitation but lucratif est
assortie díun cahier des charges comportant des clauses
gÈnÈrales et particuliËres. Les clauses
gÈnÈrales concernent les charges financiËres, ainsi que
celles en matiËre díinstallations industrielles et de
rÈalisations sociales. La rÈdaction du cahier des charges
est subordonnÈe la rÈalisation non seulement
díun inventaire forestier, mais aussi díune Ètude
socio-Èconomique. Les clauses particuliËres sont celles qui
contiennent les exigences liÈes líamÈnagement du
territoire et spÈcifiquement la rÈalisation des ouvrages
sociaux. Il síagit en rÈalitÈ des obligations
complÈmentaires des exploitants industriels.
La consistance des obligations complÈmentaires des
exploitants forestiers dÈpend de la perspicacitÈ des agents
de líEtat chargÈs de valider les contrats de concession
forestiËre. De tels contrats ne doivent Ítre conclus
quíaprËs la rÈalisation des Ètudes
socio-Èconomiques, afin de connaÓtre les besoins
rÈels de la population cible. PrÈcaution dont
líEtat ne síencombre pratiquement jamais avant la
conclusion des contrats de concession forestiËre. Líessentiel
semble Ítre de renflouer les caisses. Quelques fois, les ONG
locales se charges de faire ce travail, mais compte tenu de la
modicitÈ de leurs moyens, les rÈsultats ne sont pas
toujours fiables, et quand
72 Voir la combinaison des articles 61 et 66 de la
loi.
73 MINEFI (Cameroun), Volet additionnel de
l'audit Èconomique et financier du secteur forestier, impact de la
fiscalitÈ dÈcentralisÈe sur le dÈveloppement
local et les pratiques d'utilisation des ressources forestiËres au
Cameroun, Rapport final, novembre 2004.
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mÍme ils le seraient les administrations
chargÈes de la gestion des forÍts et de
líamÈnagement du territoire níen feront pas grand
cas. Ainsi, les populations locales ne peuvent pas vraiment influencer
le contenue de ces instruments.
B- Le cahier des charges et rÈalisations
socio-Èconomiques en RDC
Le cahier des charges de l'exploitation forestiËre
comporte aussi des clauses gÈnÈrales et des clauses
particuliËres. Les clauses gÈnÈrales touchent les
conditions techniques relatives líexploitation des
produits concernÈs. Les clauses particuliËres sont celles qui
nous intÈressent le plus. SpÈcialement dans la
catÈgorie des clauses, une disposition relative la
rÈalisation díinfrastructures socio-Èconomiques au
profit des communautÈs locales est prÈvue. Il síagit
entre autre díencadrer, et ceci la charge de
líexploitant forestier, la construction, líamÈnagement
des routes ; la rÈfection, líÈquipement des installations
hospitaliËres et scolaires ; les facilites en matiËre
de transport de personnes et des biens. Toute chose qui ressortie
en temps normal la responsabilitÈ
d líEtat.
Finalement, les cahiers de charges des concessions
forestiËres apparaissent comme des Èchappatoires que
líEtat utilise pour se dÈdouaner de ses fonctions
rÈgaliennes. Cíest ainsi que dÈplorant cette
Ètat des choses, les experts de la FIDH74 citÈ par un
rapport de Greenpeace soutient que ' Dans les rÈgions
reculÈes, les Etats fantÙmes du Bassin du Congo
dÈfËrent souvent leurs devoirs envers leurs citoyens et leurs
responsabilitÈs vis--vis du dÈveloppement local et
rÈgional
aux opÈrateurs Èconomiques 75. La
prÈgnance des opÈrateurs Èconomiques ainsi
consacrÈe, leur confËre une certaine influence la fois sur
les populations et les agents gouvernementaux, entravant
par ce fait le bon fonctionnement des mÈcanismes de
contrÙle et de suivi des rÈalisations socio-
Èconomiques. De la sorte, on abouti líinefficacitÈ
de líinstitution de ces rÈalisations.
II ñ L'efficacitÈ problÈmatique des
rÈalisations socio-Èconomiques
Si de plus en plus la protection de líenvironnement se
fonde sur la nÈcessitÈ de sauvegarder
le patrimoine naturel, Áa nía pas toujours
ÈtÈ ainsi. Líhomme a toujours ÈtÈ au
centre de la protection. Líobjectif Ètant
díamÈliorer le cadre et la qualitÈ de vie des
gÈnÈrations prÈsentes et
prÈvoir un cadre de vie acceptable pour les
gÈnÈrations venir. Cíest dans ce sens
quíil faut comprendre líÈmergence des rÈalisations
socio-Èconomiques.
Le cadre de vie renvoie l'ensemble des
ÈlÈments qui contribuent de maniËre immÈdiate
faciliter l'existence. La qualitÈ de vie quant elle prend en
compte non seulement le niveau de vie matÈriel mais aussi des facteurs
plus subjectifs qui participent agrÈmenter la vie humaine,
comme
les loisirs, la sÈcuritÈ, les ressources
culturelles, la santÈ mentale, etc. Pour mesurer le bien-Ítre,
des moyens plus complexes doivent Ítre employÈs mais ils
sont souvent politiques et donc sujets controverse. Les
rÈalisations socio-Èconomiques dont on fait
líexpÈrience dans le Bassin du Congo, posent le problËme de
leur consistance (A) et de leur adÈquation aux besoins des populations
des zones forestiËres (B).
A ñ Des rÈalisations
inconsistantes
En une dÈcennie díexploitation
forestiËre soumise líexigence lÈgale de
rÈalisation díouvrages socio-Èconomiques, et en
considÈration des revenus approximatifs dÈgagÈs
pendant cette pÈriode au titre des rÈalisations
socio-Èconomiques, on peut faire le triste constat selon lequel
les rÈalisations socio-Èconomiques ne sont pas
la hauteur des attentes. Non seulement elles ne sont pas
quantitativement convaincantes (2), mais encore leurs caractÈristiques
qualitatives suscite des
inquiÈtudes (1).
74 FIDH, la gestion de la rente pÈtroliËre
au Congo Brazzaville, 2OO4.
75 Greenpeace, Rapport de mission visite dans les
sites de la CIB au Congo Brazzaville, p 104, dÈcembre 2004
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1 ñ Líinsuffisance qualitative
Au Cameroun comme en RDC, deux exemples patents permettent de
ressortir les faiblesses qualitatives des quelques úuvres
socio-Èconomiques que líon trouve sur le terrain. Il
síagit du cas des Ècoles et des centres de santÈ.
Ce sont presque toujours des coquilles vides, qui níont pas
vÈritablement les moyens de remplir les fonctionnalitÈs pour
lesquelles elles sont construites.
En effet, pour ce qui est des Ècoles, on en rencontre,
au plein cúur de la forÍt Èquatoriale, díocents
partent des volumes impressionnants de grumes, qui manquent des tables
bancs. Ce qui est assez paradoxale. Par ailleurs, quand bien mÍme ses
Ècoles sont pourvues de tables bancs, cíest la craie qui manque
; quand tout simplement ce ne sont pas les enseignants qui
manquent76. Ceci tÈmoigne de la mauvaise volontÈ des
personnes chargÈes díeffectuer ces ouvrages et du laxisme de
celles qui sont chargÈes de les rÈceptionner et de les
contrÙler.
En ce qui concerne la couverture mÈdicale, celle
ouverte au commun des villageois est essentiellement prÈcaire. Ce
qui tient trËs souvent lieu de case de santÈ níest que
líarbre qui cache la
forÍt. On níy manque de tout, mÍme de
líalcool 90° pour dÈsinfecter une plaie ou encore du
coton pour arrÍter une hÈmorragie. Cíest aussi le cas des
molÈcules de base de lutte contre le paludisme, pourtant tout le monde
sait que les zones tropicales et Èquatoriales sont les zones par
excellence de dÈploiement de líanophËle femelle vecteur de
cette maladie.
Le contraste est parfait si on considËre les infirmeries
crÈes sur les sites des exploitations
forestiËres. Bien s°r leurs moyens leur permettent
de construire et díÈquiper des infirmeries de trËs bonne
qualitÈ et díemployer des mÈdecins de faÁon
permanente pour rÈpondre aux problËmes de santÈ du
personnel. Seulement ces structures ne sont ouvertes quíaux seuls
employÈs des sociÈtÈs forestiËres. A ce dÈfaut
de qualitÈ, s'ajoute aussi un vÈritable problËme de
quantitÈ des rÈalisations socio-Èconomiques.
2 ñ Líinsuffisance quantitative
Au Cameroun, le couvert forestier reprÈsente
peu prËs 60% de la surface du territoire national. Pourtant
cíest peine si on trouve un centre de santÈ ou une
Ècole tous les 250 km la ronde. Ceci est particuliËrement
vrai pour la province de líEst qui est, par ailleurs, le pourvoyeur
principal des recettes forestiËres de líEtat. Pour ce qui est des
infrastructures routiËres, elles naissent
et disparaissent au grÈ des exploitations. Il
níy a pas un rÈel souci de dÈsenclavement des zones
forestiËres, mais la prioritÈ est faite
líÈvacuation des produits forestiers. De ce fait,
dËs que líexploitation est achevÈe dans un secteur,
ce dernier est abandonnÈ et líexubÈrance de la
forÍt referme sur elle ses voies díÈvacuations.
La RDC ne fait pas exception ce constat
dÈplorable. Pis encore, son instabilitÈ politique ajoutÈ
des contrats de concessions forestiËres signÈs la va
vite font en sorte que les exploitants
forestiers se dÈrobent facilement des obligations
socio-Èconomiques auxquelles les astreignent les cahiers des charges
de leur(s) exploitation(s). Tout ce qui prÈcËde augure de
líaboutissement inÈvitable sur la rÈalisation des ouvrages
inadaptÈs aux besoins des populations locales.
B ñ Des investissements inadaptÈs aux
besoins des populations
Les rÈalisations socio-Èconomiques si elles
ont le mÈrite díÍtre consacrÈ par la loi au
Cameroun et en RDC et díexister sur le terrain, ne síillustrent
pas moins par leur incohÈrence et leur inadaptation au contexte des
zones rurales et des aspirations des populations77 en quÍte
díun cadre
de vie et díune qualitÈ de vie meilleure. Elles ne
sont pas adaptÈes aux cultures locales, elles ne sont pas plus
adaptÈes aux besoins primordiaux des populations.
L'une des raisons pour lesquelles les rÈalisations
effectuÈes sont inadaptÈes aux besoins rÈels
76 Ces informations ressortent díune
descente sur le terrain que nous avons faite dans les zones forestiËres de
líEst et
du Sud Cameroun.
77 Cf. MINEFI, Actualisation de l'audit de la
fiscalitÈ dÈcentralisÈe du secteur forestier
camerounais, Institutions et
DÈveloppement, p 137, novembre 2004.
31
des populations est l'absence de consultation vÈritable de
celles-ci sur leur conception du bonheur et
de la pauvretÈ. En effet, selon le Document de
StratÈgie de RÈduction de la PauvretÈ (DSRP) au
Cameroun, par exemple, la pauvretÈ aux yeux des populations des zones
forestiËres de l'Est et du Sud du pays renvoie trois
ÈlÈments principaux : le manque de ressources
matÈrielles ou financiËres pour satisfaire les besoins essentiels
des individus au nombre desquels l'alimentation, le logement, les soins de
santÈ l'Èducation, l'approvisionnement en eau potable ;
l'indisponibilitÈ des services relatifs ces besoins
essentiels ; le dysfonctionnement social qui englobe un certain nombre
de dÈchÈances non liÈes au matÈriel. Il s'agit de
la perte de valeurs morales, de l'absence de considÈration sociale, de
la perte de la solidaritÈ familiale, des pratiques de
sorcellerie, de la thÈsaurisation du patrimoine matÈriel dans
certaines rÈgions et les prÈjugÈs l'encontre de
certains groupes sociaux culture et mode de vie
diffÈrents. Pendant ce temps les exploitants forestiers
amÈnagent des aires de jeux, les terrains de football. De la sorte,
l'inadÈquation est flagrante. Tandis que les paysans ont besoin des
centres de santÈ dignes de ce nom, tandis qu'ils
rÈclament de la considÈration pour eux-mÍmes et pour
leurs enfants, on leur offre des aires de jeux et les encourage
construire des dÈbits de boisons. Ce
processus d'infantilisation se traduit aussi par des
distributions saisonniËres des produits de premiËre
nÈcessitÈ.
La RDC abrite quelques 52 millions dímes, dont au
moins 60% vie en milieu rural et
principalement de líagriculture traditionnelle, de
la chasse et la pÍche artisanale. Du fait de la guerre, ce pays
connaÓt díÈnormes difficultÈs. Elles se ressentent
dans toutes les couches sociales. Comme tous les secteurs de la vie,
líÈconomie forestiËre connaÓt une crise profonde. Il
níexiste pas
de statistiques fiables qui puissent nous permettre
díanalyser la situation des rÈalisations socio-
Èconomiques sur le terrain. Cíest díailleurs ce qui
ressort du DSRP-I (Document IntÈrimaire de StratÈgie de
RÈduction de la PauvretÈ) 78.
78 Document IntÈrimaire de StratÈgie de
RÈduction de la pauvretÈ, RÈpublique DÈmocratique
du Congo, p 97, Kinshasa mars 2003.
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