II - Les limites des droits díusage
Les droits d'usage sont l'une des manifestations les plus
importante de la participation des populations locales la gestion des
ressources naturelles dans le Bassin du Congo. Les limites de
ces prÈrogatives sont de deux ordres. On peut distinguer
les limites liÈes l'affectation des espaces
forestiers (A), et les celles liÈes
l'Ètendue de ces droits l (B).
A ñ Les limites liÈes
líespace forestier considÈrÈ
PrÈcisons quíen RDC comme au Cameroun, les
espaces forestiers sont la propriÈtÈ de l'Etat25.
Une exÈgËse de la politique forestiËre du Cameroun
permet de dÈgager deux espaces forestiers distincts: le domaine
forestier permanent et le domaine forestier non permanent. Tandis que le
code forestier congolais partage le domaine forestier national en
forÍts classÈes, forÍts protÈgÈes et
forÍts de protection permanentes. Cette division de l'espace forestier
d'un cotÈ comme
de l'autre restreint considÈrablement les droits d'usage
des populations en gÈnÈrales (1) et procËde mÍme
d'une certaine nÈgation des droits des populations marginales que
constituent les ëpygmÈesí,
comme il est convenu de les appeler (2).
1 ñ Les restrictions des droits d'usage
collectifs
Les forÍts permanentes s'analysent essentiellement
comme des espaces forestiers destinÈs demeurer des forÍts
au cours des siËcles. C'est dire que ce sont des espaces ocents la
forÍt ne devrait jamais disparaÓtre. Dans ce registre, la
loi congolaise parle de forÍts classÈes et prÈvoit
des limitations aux droits d'usage selon que l'on considËre l'une ou
l'autre appellation. Il peut s'agir des rÈserves intÈgrales,
ocents toute activitÈ humaine est prohibÈe, des parcs nationaux
ou alors des forÍts vouÈes une protection fonctionnelle.
Dans les forÍts classÈes, les droits d'usage sont rÈduits
' au ramassage du bois mort et de la paille ; la cueillette
des fruits, des plantes alimentaires ou mÈdicinales ; la
rÈcolte des gommes, des rÈsines ou du miel ; au
ramassage des chenilles, des escargots ou grenouilles ; au
prÈlËvement du bois destinÈes la construction des
habitations et pour
usage artisanal 26.
Dans les forÍts protÈgÈes, la perspective
est ouverte au libre exercice de l'agriculture. Mais
cette derniËre dÈpend du bon vouloir du gouverneur
de la province concernÈe. Dans le mÍme ordre d'idÈe, il
est dit que le ministre de l'agriculture peut rÈglementer les produits
forestiers dont il juge utile de contrÙler l'exploitation.
Au Cameroun, on assiste une sorte de braderie des
droits d'usage coutumiers des populations locales. Dans le domaine
forestier permanent, ces droits sont considÈrablement limitÈs
du fait de l'affectation de ces espaces. En effet, il est
constituÈ des forÍts permanentes, domaniales
et communales. Les restrictions dans les forÍts
domaniales sont dues la nÈcessitÈ de protection qui
caractÈrise certaines espËces tant animales que floristiques.
Cependant, les limites liÈes aux forÍts communales
dÈcoulent de la visÈe Èconomique de ces espaces.
Ils doivent faire l'objet d'un plan díamÈnagement. Dans cette
perspective, les droits coutumiers sont alors restreints la
proportion congrue que leur laisse ces plans d'amÈnagements.
MÍme si la loi prÈvoit des consultations prÈalables
des populations lors de l'Èlaboration de ces plans de gestion, celles ci
n'ont jamais lieu et quand elles ont lieu, il s'agit juste des coquilles vides,
des caricatures de consultation. Ces laxismes
juridiques et factuels sont encore plus effarants quand il s'agit
des populations tribales27.
25 Article 7 Code forestier Congolais ; Loi de
politique gÈnÈrale de gestion de l'environnement au Cameroun.
26 Article 39 code forestier congolais.
27 Au sens du Projet de dÈclaration des
Nations unies sur les droits des peuples autochtones, 26 ao°t 1994.
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2 ñ La nÈgation des droits coutumiers des
populations ëPygmÈesí
Dans le Basin du Congo, on doit l'histoire de rappeler
que les ëpygmÈesí sont les premiers habitants de la
forÍt. C'est dire que les droits d'usage coutumiers doivent
leurs Ítre reconnus en prioritÈ. Cependant, dans la pratique
on assiste une quasi-nÈgation des droits de ces populations
fragiles. Une analyse du plan de zonage du Cameroun permet de se
rendre líÈvidence que le
domaine forestier permanent, ocents les droits d'usage
sont strictement limitÈs, couvre en totalitÈ la haute
forÍt qui est le gÓte par excellence des
ëpygmÈesí. Ceci les pousse revenir vers les
axes routiers, endroits occupÈs par les bantous souvent hostiles, et
ocents les forÍts ont dÈj ÈtÈ sauvagement
exploitÈes. De ce point de vue, les pratiques de l'administration
causent ces ëpygmÈesí de sÈrieux
problËmes de survie et les exclues presque de la gestion des produits
forestiers. Ainsi, la base de líimplication dans la gestion des
ressources naturelles se trouve une autre question tout aussi digne
díintÈrÍt et qui concerne líappropriation de la
terre.
Ressource fondamentale, la propriÈtÈ
fonciËre fait líobjet díun cadre juridique
particulier.
Au Cameroun, cíest la loi de 1972 qui encadre la
question. Cette loi lie la propriÈtÈ de la terre
líinvestissement que líon a rÈalisÈ sur cette
derniËre. Au sens de cette loi líinvestissement est
caractÈrisÈ par des constructions ou des plantations. Elle
consacre ainsi la vision bantoue de líoccupation de
líespace. Ceci dÈcoule de leur tradition de sÈdentaire et
díagriculteur. Pourtant les ëpygmÈesí, peuples de
chasseurs ont une autre conception du marquage de líespace qui se
traduit
par des marques sur les arbres de la forÍt, par
exemple. Au bout du compte, les ëpygmÈesí se
retrouvent sans terre et donc sans vÈritables droits coutumiers.
En RDC le problËme se pose dans des termes presque
semblables. Il convient de dire que le
sol et le sous-sol sont la propriÈtÈ de
líEtat congolais, et comme líaccessoire suit le principal, les
ressources du sous-sol et du sol appartiennent toutes líEtat.
Ceci est un principe constitutionnel. Mais les craintes sont centrÈes
sur líaffectation des terres. Ici de plan de zonage n'est pas encore
dÈfinitif, cependant, les ëpygmÈesí n'en sont pas
mieux lotis28. C'est sur leurs terres que l'Etat passe
le plus de contrat de concession avec les exploitants forestiers.
Toute chose qui rÈduit leur accËs
ces espaces l. C'est aussi sur leurs territoires que sont
situÈes les forÍts classÈes, c'est--dire des
parcs nationaux, des rÈserves de toute sorte, dont
on sait que les besoins de protection limitent drÙlement les
droits d'usage.
B ñ Les limites liÈes
líÈtendue des droits díusage
L'Ètendue dont il est question concerne
l'Ètendue matÈrielle des droits coutumiers. Il est question
de rechercher les implications de l'affectation prÈcise que les lois
forestiËres des deux pays envisagent pour les droits coutumiers. Il
est dÈplorable que les droits d'usage forestiers soient
limitÈs l'autoconsommation au Cameroun (1) tandis qu'en RDC une
lÈgËre brËche est ouverte la commercialisation du
produit des droits coutumiers (2).
1 ñ LimitÈs líauto
consommation au Cameroun
Le moins que l'on puisse dire c'est que les droits d'usage
coutumiers sont des prÈrogatives extrÍmement prÈcaires.
La loi29 prÈvoit que les ministres chargÈes des
forÍts, de la faune et de la pÍche peuvent, pour cause
d'utilitÈ (...) suspendre temporairement ou titre
dÈfinitif l'exercice du droit d'usage lorsque la
nÈcessitÈ s'impose. MÍme s'il est fait mention de ce que
cette suspension obÈÓt au rÈgime
gÈnÈrale de l'expropriation pour cause d'utilitÈ
publique, reste quíen droit camerounais la notion d'ordre publique
est extrÍmement vague et laisse libre court toute sorte de
dÈrives.
Aussi, la restriction qui limite le plus l'aspect lutte contre la
pauvretÈ de la participation des populations riveraines la
gestion des ressources forestiËres c'est la limitation des droits
coutumiers
28 Organisation Autochtones PygmÈes et
accompagnant les autochtones PygmÈes en RÈpublique
DÈmocratique du
Congo, RequÍte adressÈe au panel d'inspection de la
Banque Mondiale, 30 octobre 2005, Kinshassa-RDC p 26.
29 Article 8 alinÈa 2 loi n°94/ 01du
20 janvier 1994 portant rÈgime des forÍts, de la faune et de la
pÍche.
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l'autoconsommation. Le lÈgislateur se comporte
comme si les besoins des populations riveraines des forÍts se limitent
la nutrition. Pourtant líÈpanouissement de
líÍtre humain, quíil vive en ville
ou en campagne intËgre la satisfaction des autres
besoins vitaux. On peu citer entre autre
líÈducation, líaccËs aux
services sociaux de base, le revÍtement, la santÈ
et mÍme les divertissements. Díailleurs le DSRP30
est assez claire ce propos. En effet, les populations
riveraines des forÍts ne vivent pas que du donnÈ
immÈdiat que constitue la consommation personnelle. Elles ont besoin
de rÈpondre aux autres besoins vitaux de la vie, bref elles ont
besoin
de s'Èpanouir et ceci passe par les Èchanges :
le commerce. A ce propos, il serait intÈressant de leur permettre de
profiter des ressources de la forÍt pour combler ces autres
besoins. En outre, l'Èconomie mondiale repose sur les Èchanges,
rester en marge du mainstream est lapidaire.
2 ñ RDC : la commercialisation
conditionnÈe
Ici aussi, l'on a consacrÈ la prÈcaritÈ des
droits d'usage forestiers. partir du moment ocents l'on estime que l'exercice
du droit d'usage est toujours subordonnÈ l'Ètat et
la possibilitÈ des forÍts31,
on sous-entend que ces droits sont susceptibles de vaciller d'un
instant l'autre.
Le principe de base instituÈ par le
lÈgislateur congolais est celui de la prohibition de la
commercialisation des produits recueillis au titre des droits d'usage
forestiers32. Ceci procËde de la mÍme logique que
celle adoptÈe au Cameroun et dont nous venons de relever les
lacunes. Seulement, le lÈgislateur congolais semble un peu plus ouvert
que son homologue camerounais. En effet, l'article 37 in finÈ du code
forestier congolais envisage la commercialisation de certains fruits
et produits dont il laisse la dÈfinition la libre
apprÈciation du gouverneur de province.
MalgrÈ le caractËre Èvolutionniste de ce
texte, il n'en est pas moins lacunaire. Il n'Ètablit pas
les bases sur lesquels le gouverneur de province doit constituer
sa liste. Ainsi la dÈtermination du contenu de la liste est
laissÈe sa discrÈtion absolue. La RDC Ètant
plongÈe dans une pÈriode
d'instabilitÈ politique et sociale depuis quelques
dÈcennies, tous les dÈtenteurs des parcelles de pouvoir
ont tendance en abuser. De ce point de vue, les gouverneurs
de province seraient de vÈritables potentats investis du pouvoir de
restreindre la participation des populations locales la gestion des
ressources naturelles selon leur bon vouloir.
Au bout du compte, il apparaÓt bien que les droits d'usage
coutumiers comme ont les appelle
au Cameroun et les droits d'usage forestiers selon l'appellation
consacrÈe en RDC constituent bien
le premier rempart de la participation des populations locales
la gestion des ressources naturelles.
Ils connaissent de fortunes lÈgËrement
diffÈrentes dans les deux pays, mais le substrat de base est le
mÍme. La participation est entravÈe par les lacunes
factuelles et juridiques importantes. Le second rempart est la gestion
communautaire de la faune et de la flore.
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