Le rôle et la place des états dans le fonctionnement de la cour pénale internationale( Télécharger le fichier original )par Désiré Yirsob Dabire Université de Genève - DEA de droit international public 2006 |
Paragraphe 3 : L'assistance judiciaire et policière et l'exécution dessentences143(*)C'est ici le lieu privilégié de la nécessité d'une étroite collaboration entre le ou les Etats et la Cour (A). L'intervention des Etats est indispensable, intervention sans laquelle l'activité de la Cour, est vouée à un échec quasi certain. Comme l'a affirmé un auteur à propos des tribunaux ad hoc, « ces tribunaux n'ont pas le pouvoir de commander (...) Ces tribunaux sont donc dépourvus du pouvoir de contrainte ; ce pouvoir demeure entre les mains d'Etats souverains.. »144(*). Cette affirmation est aussi bien valable pour la CPI dont les décisions n'ont pas la même force obligatoire que celles des tribunaux ad hoc. Elle n'a pas été créée par une résolution du Conseil de sécurité, obligatoire pour tous les Etats. La Cour ne dispose pas non plus d'établissements pénitentiaires pour l'exécution des sentences, et appel est fait aux Etats en vue de combler ce manque (B). A- Les organes judiciaires et policiers nationaux au service de la Cour Lorsque, après examen des éléments d'une affaire, le procureur décide d'ouvrir une enquête et obtient en ce sens l'autorisation de la chambre préliminaire, il commence son enquête par la recherche d'indices et de preuves. C'est là une tache complexe pour le procureur, qui peut se rendre lui-même sur les lieux ou faire exécuter les actes nécessaires sur place par les organes compétents de l'Etat. L'assistance des Etats est requise d'une part pour la recherche des preuves et indices et également pour l'identification des suspects (1). D'autre part, elle est également nécessaire pour l'arrestation, la détention et enfin la remise à la Cour du suspect (2). 1- L'étape du recueil des preuves et indices par le procureur de la Cour Le bureau du procureur a la charge de la conduite des enquêtes, et a donc besoin de mener des investigations sur les lieux de l'affaire. Il jouit pour cela des privilèges et immunités reconnus aux agents de la Cour dans l'exercice de leur tâche145(*). A la différence des procureurs des TPI - qui bénéficient d'une totale latitude pour prendre et adresser directement à un Etat toutes les mesures d'enquête qu'il estime nécessaires à ses investigations146(*)- le procureur de la CPI doit constamment rechercher la coopération des Etats sur le territoire desquels il envisage d'investiguer. Ceci est révélateur de la place de choix qui est accordée aux Etats par le Statut. Le rôle des Etats (particulièrement ceux qui sont parties au Statut) est d'abord de se doter des mécanismes juridiques nécessaires147(*) afin de mieux répondre aux sollicitations de la Cour; et ensuite surtout de mettre à la disposition de la Cour leurs services compétents, afin d'accomplir les actes d'enquête, qui sont aussi nombreux que variés148(*). C'est pour eux une obligation primordiale149(*), qui doit être accomplie en temps utile avant que les souvenirs des témoins ne s'estompent ou que des preuves essentielles ne disparaissent. En effet, en plus des indices qu'il pourra obtenir de lui-même sur les lieux lors des interrogatoires de témoins par exemple, il peut être utile pour le procureur de la Cour de prendre connaissance de certaines informations en relation avec le cas qui l'intéresse, et qui sont en possession des services judiciaires ou policiers d'un Etat. De surcroît, en ce qui concerne les mesures de contrainte telles les arrestations de suspects et les saisies de pièces à conviction, le procureur ne peut agir directement sur le territoire des Etats. Seul l'Etat est détenteur du pouvoir de contrainte à l'intérieur de ses frontières, et le procureur est dans l'obligation d'obtenir que cet Etat mette ses forces à sa disposition et l'appuie. Un Etat peut cependant, pour des raisons de sécurité nationale, rejeter une demande d'assistance de la Cour. En effet, en vertu de l'article 72, l'Etat requis peut estimer que la divulgation d'informations relatives à l'enquête, pourrait porter atteinte à sa sécurité nationale, et refuser son assistance à la Cour en ne fournissant pas ces documents. La Cour peut, dans de telles circonstances, modifier sa demande en vue de permettre à l'Etat de l'exécuter sous une autre forme. Mais, toujours est-il que la demande, même modifiée, pourrait ne pas aboutir. En effet, l'Etat aura toujours le dernier mot, même s'il a l'obligation de consulter la Cour150(*) avant sa décision et de justifier son refus151(*). « [L]e principe de la souveraineté des Etats l'a encore emporté152(*) ». Cette possibilité leur est-elle reconnue lorsque la Cour est saisie par le Conseil de sécurité de l'ONU ? En principe, les Etats ne devraient pas pouvoir refuser d'apporter leur assistance dans cette hypothèse. Dans ce cas, la contrainte à l'encontre des Etats est plus grande parce que découlant de l'article 25 de la Charte. L'obligation de coopérer est ici doublement marquée pour les Etats parties. Mais ici encore, la souveraineté des Etats est mise en avant. Et, il n'est pas insensé d'affirmer que la menace d'une sanction du Conseil de sécurité n'est pas toujours suffisante pour obliger un Etat à s'exécuter, même si juridiquement il est indéniable que cet Etat a une telle obligation. Ainsi, seule la volonté des Etats fera la différence, et cela dès l'ouverture de l'enquête jusqu'à l'exécution des peines prononcées. 2- L'arrestation, la détention et la remise de suspect à la Cour Lorsque les éléments recueillis par le procureur et ses agents au cours de l'enquête font peser des soupçons sérieux sur une ou plusieurs personnes identifiées, le procureur peut demander l'arrestation et la remise de ces personnes à la Cour. Ainsi, suite à la requête du procureur et après avoir effectué un contrôle des éléments à charge, la chambre préliminaire de la Cour peut délivrer un mandat d'arrêt contre les suspects selon les conditions de l'article 58 (1) du Statut153(*). Le mandat est adressé à l'Etat sur le territoire duquel se trouve la personne concernée. Ici encore, l'Etat a un rôle avéré. Les instances pénales internationales dépendent entièrement des Etats pour l'exécution des mandats d'arrêt, la CPI encore plus que les TPI. L'arrestation ne peut se faire en effet que par les services de police habilités de l'Etat, et celui-ci doit mettre en oeuvre tous les moyens en vue de la localisation et de l'arrestation du suspect, conformément au mandat délivré par la Cour. C'est là une étape cruciale devant la Cour, dans la mesure où la présence de la personne suspecte est nécessaire à toute poursuite. La procédure devant la Cour est de type contradictoire et ne peut se dérouler qu'en la présence physique de l'accusé aussi bien devant la chambre préliminaire pour la confirmation des charges154(*), que devant la chambre de première instance lors du procès155(*), sauf dans des circonstances particulières. Le Statut ne prévoit pas de procès par contumace. Des personnes mises en cause et recherchées par les TPI, sont encore en liberté bien que identifiées et pratiquement localisées. La CPI n'est pas prémunie contre ces obstacles et il est nécessaire que soient précisées les conditions de la coopération entre elle et les Etats afin de permettre l'efficacité dans l'exécution de ses mandats. Le Statut prévoit en effet, que l'Etat qui reçoit un mandat d'arrêt émanant de la chambre préliminaire prend immédiatement les mesures appropriées pour son exécution. De plus, l'Etat doit faire exécuter ce mandat sans chercher à vérifier sa conformité à l'article 58 du Statut156(*). Il a seulement le devoir de s'assurer - après coup - de l'identité de la personne arrêtée, de la régularité de la procédure et du respect de ses droits, en vertu de son droit interne et du Statut. Une fois que la personne suspectée est arrêtée, l'Etat qui la détient organise dans un délai raisonnable sa remise à la Cour. Il convient de souligner l'importante distinction entre la remise à la Cour, instance internationale et l'extradition vers un autre Etat157(*). Ces deux procédures répondent en effet à des logiques différentes. Ainsi, un Etat ne peut prétexter de la non extradition de ces nationaux prévue dans sa constitution pour refuser la remise à la Cour d'une personne qu'il détient. La Cour, contrairement aux tribunaux nationaux est une juridiction internationale, qui offre toute les garanties d'impartialité et du respect des droits de l'accusé158(*). De fait, les Etats devraient assouplir leur législation sur la remise de personne à la Cour - par rapport aux dispositions sur l'extradition - afin de faciliter cette forme de coopération. Le problème du choix entre l'extradition et la remise à la Cour peut également se poser lors de demandes concurrentes. Dans une telle hypothèse, la décision de l'Etat doublement requis est prise en fonction de plusieurs circonstances notamment sa qualité d'Etat partie ou non au Statut159(*). En outre, une des difficultés qui peut également se poser concernant l'arrestation et la remise d'une personne à la Cour, est la position importante de cette personne dans la sphère des organes de l'Etat, qui va parfois jusqu'à lui conférer une immunité (de fait si ce n'est de droit) et qui rend quelque peut complexe sa capture.160(*) Une fois la personne arrêtée et remise à la Cour, la coopération des Etats ne s'arrête pas pour autant. En effet, même si ceux-ci ne sont pas très actifs au cours du procès proprement dit (bien qu'ils puissent ponctuellement intervenir161(*)), leur apport dans l'exécution des sentences prononcées est essentiel. Aux termes de l'article 77 du Statut, la Cour peut prononcer trois types de sanctions : un emprisonnement à temps avec une limite maximum de trente (30) ans, un emprisonnement à perpétuité et enfin des amendes et des confiscations. La Cour, il faut le rappeler, ne dispose pas d'établissements pénitentiaires, et c'est à nouveau aux Etats qu'elle confiera l'exécution des peines qu'elle va prononcer à l'encontre des personnes reconnues coupables. L'Etat chargé de faire exécuter une peine d'emprisonnement sera désigné pour chaque affaire par la Cour, sur la base d'une liste préétablie d'Etats ayant manifesté leur désir d'accueillir les condamnés de la Cour. L'Etat retenu devra après sa désignation donner son accord exprès à la Cour, pour chaque cas dans lequel il sera choisi : c'est le principe du double consentement. Quelques conditions peuvent être cependant fixées par l'Etat lors de la notification à la Cour de sa volonté d'accueillir les condamnés. Aucun pouvoir ne lui est par contre reconnu pour modifier, pour une raison ou pour une autre, la durée ou la nature de la peine162(*). Ceci relève de la seule compétence de la Cour. Si l'Etat d'exécution ressent néanmoins le besoin d'apporter des modifications à la manière d'exécuter la peine prononcée par la Cour, il en avise celle-ci qui doit se prononcer pour ou contre ce changement. Dans le cas d'un refus par la Cour, le condamné est transféré dans un autre Etat pour y purger le reste de sa peine163(*). Par ailleurs, les Etats ont également la responsabilité de l'exécution des peines d'amende et de confiscation qui pourront être prononcées. L'article 109 attribue à nouveau aux Etats parties, la charge de faire exécuter ces condamnations, lorsque des biens ou valeurs appartenant à la personne condamnée se trouvent sur leur territoire. L'exécution des ces types de condamnation se fait en vertu du droit interne des Etats, et les produits obtenus doivent être reversés à la Cour qui se charge de leur redistribution aux victimes164(*). En définitive, il apparaît que les Etats ont un grand rôle à jouer dans les activités de la Cour pénale internationale. Leur concours s'avère indispensable, si cette juridiction veut remplir les objectifs qui lui ont été fixés. Les Etats sont cependant les collaborateurs de la Cour, et non les administrateurs de celle-ci. Ils n'interviennent que lorsque celle-ci requiert leur collaboration et a besoin de leur appui. Ils sont les moyens d'action de la Cour et non sa tête pensante. Malgré le caractère obligatoire pour les Etats parties, de leur coopération, ceux-ci restent en pratique encore et toujours seuls juges de l'opportunité d'apporter leur assistance à la Cour et celle-ci est quasi impuissante devant eux, parce que dépourvue de pouvoir de sanction en cas de manquements. Qu'advient-il alors dans le cas où un Etat manque délibérément à ses obligations internationales devant la Cour ? En droit international, il existe des sanctions lorsqu'un Etat met en cause sa responsabilité internationale en contrevenant à ce qui est requis de lui. Qu'en est-il par exemple pour le cas spécifique de l'obligation de coopérer avec la Cour Pénale Internationale? Le chapitre trois sera le lieu d'évoquer les conséquences pour les Etats de la non coopération avec la Cour, qui constitue une des violations que peuvent commettre les Etats. * 143 L'assistance existe aussi de la part de la Cour au bénéfice des Etats. Un Etat peut en effet solliciter l'assistance de la Cour lors d'une enquête de ses juridictions internes portant sur un crime relevant de la compétence de la Cour. L'article 93(10.a) permet à la Cour de prêter son assistance à l'Etat partie qui en fait la demande. * 144 CASSESE A., « Y a t il un conflit insurmontable entre souveraineté des Etats et justice pénale internationale ? », in CASSESE A. et DELMAS-MARTY M., Crimes internationaux et Juridictions internationales, Paris, P.U.F., 2002, p. 17. * 145 Cf. l'article 15 de l'Accord sur les privilèges et immunités de la Cour Pénale Internationale (ICC-ASP/3/Res.1). * 146 Cf. le Règlement de procédure et de preuve des TPIY et TPIR, règle 40. Ce pouvoir découle du mode de création de ces tribunaux. Les résolutions du Conseil de sécurité confèrent en effet une force obligatoire aux actes et décisions de ces tribunaux envers les Etats. * 147 V. les développements précédents sur l'obligation pour les Etats parties de prendre des mesures législatives d'adaptation (paragraphe 1 de la présente section). * 148 Ces mesures correspondent en grande partie aux formes de coopération énumérées à l'article 93 du Statut. * 149 V. l'obligation pour les Etats parties de prendre des mesures législatives d'adaptation, supra. p. 33. * 150Cf. article 97 du Statut. * 151Cf. article 93(6) du Statut. * 152BOURDON W., La CPI: le statut de Rome, précité note 12, p. 259. * 153 Les éléments qui doivent être contenus dans la requête du procureur et dans le mandat d'arrêt de la chambre préliminaire sont également fixés à l'article 58 du Statut respectivement aux paragraphes 2 et 3. * 154 Cf. l'article 61 du Statut. * 155 Cf. l'article 63 du Statut. * 156 Cf. l'article 59 du Statut. * 157 Le Statut fait clairement la distinction entre les deux termes. Cf. article 102. V. sur cette question BROOMHALL B., « La CPI, présentation générale et coopération des Etats », in Nouvelles Etudes Pénales, précité note 33, p. 127. * 158 Le droit international prime en effet sur les droits internes des Etats, (art. 27 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités). Bien souvent en effet, l'argument du non respect des droits de la personne extradée est mis en avant dans les décisions de refus d'extradition. * 159 Cf. supra. les relations entre les Etats parties au Statut et les Etats tiers, p. 30. * 160V. sur cette question les développements sur les raisons du manque de coopération des Etats (infra. chap.3). * 161 Cf.le Règlement de procédure et de preuve devant la CPI, règle n°103. * 162 Cf. l'article 105 du Statut. * 163Cf.les articles 103(2) et 104(1) du Statut. Pour plus de détails sur cet aspect, V. LAMBERT-ABDELGAWAD E., « L'emprisonnement des personnes condamnées par les juridictions pénales internationales, les conditions relatives à l'aménagement des peines », in Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal Comparé, (RSC), (Paris), janvier/mars 2003, pp. 162-171. * 164 Il a en effet été créé un fond d'indemnisation des victimes des crimes relevant de la compétence de la CPI, et ce fond est alimenté en partie par les biens (et les produits de leur vente) appartenant aux coupables. Cf. le site http://www.icc-cpi.int/vtf.html (Visité le 30 décembre 2005). |
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